« C'est toi ou moi, l'un de nous est de trop! »

''Dégage'', de Bryan Adams.
 
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Cassey G. Banks
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Cassey G. Banks
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MessageSujet: MONSTER |OS|   MONSTER |OS| EmptyLun 31 Aoû 2015 - 18:48



Monster
feat. Zeek

Je n’aime pas être ici. Je ne veux pas y être. J’ai la tête pleine, trop pleine, je parviens à peine à respirer, je veux qu’on me laisse tranquille mais je dois travailler. Travailler parce qu’on me l’a demandé, travailler pour survivre, travailler pour oublier. Les heures s’allongent, s’éternisent, je ne vis plus, je ne vis plus vraiment, je me sens vide et pourtant tout en moi a mal, trop mal. Pour oublier je m’efface, je m’inscrits dans un moule. Je n’ai plus sourit depuis des siècles il me semble. Rire encore moins, cet exercice me paraît tellement lointain, comme appartenant à une autre vie. Je peux faire sans. J’ai fait sans pendant tellement longtemps qu’à force, j’en ai pris une habitude, mais ce qui m’effraie, jour après jour, c’est de me perdre pour de bon, de retomber dans l’abysse, d’asphyxier sous le poids inconditionnel de ma douleur comme il le fut il y a un an et demi. J’avais enfin l’impression de déployer mes ailes, de repartir sur des bases solides, d’avoir reconstruit mon univers jusqu’à ce que toutes les convictions se trouvent de nouveau chamboulées, me jetant à la rue sans repères et sans espoir. J’ai beau chercher, j’évite de plus en plus, je sens bien que la situation, plutôt que s’améliorer, s’enfonce lentement mais sûrement, l’agonie s’éternise. Je ne vois pas d’issue possible. Mes émotions se mêlent, m’attirent dans le gouffre. J’ai besoin d’aide pour un problème que je ne parviens même pas à cerner.

N’y pense pas. Fais semblant, Cassey, tu es douée là-dedans. J’entre dans le long couloir plongé dans la pénombre, mes bottines claquant comme une fanfare contre les dalles parfaitement cirées. De part et d’autres s’alignent des portes renforcées, dont les barreaux infranchissables offrent une vue sur des silhouette brisées, abandonnées à leur sort contre le sol, sifflantes et gémissantes, leurs blessures teintant de rouge cet atmosphère gris et las. On m’a entourée de deux gardes solides, des gaillards d’apparence tranquille qui me suivent pas à pas, comme pour me protéger d’un danger inexistant, ainsi que de la présence prudente de Zeek qui ne me lâchera pas d’une semelle. S’ils savaient, ces gardes du corps. Je n’ai rien à craindre de ces prisonniers. Le danger se trouve entre ces deux colosses de marbre, indissociables sous leurs masques identiques. Le danger a un nom, il s’appelle Cassey Banks. Son pouvoir est destructeur, sa rage, son impuissance, son mal-être si puissant, si puissant. Même eux ne pourraient pas. Ils ne pourraient pas me sauver de moi-même, de ce qui me traverse l’esprit depuis des jours, comme un murmure sinistre. Je secoue la tête, considérant les silhouettes vautrées dans la pénombre avec mon indifférence habituelle, pourtant tout est différent. J’entends une femme tousser, gémir contre les parois de sa cellule. Un autre jouet de Dio je suppose. Elle l’a mérité, je me répète. Elle était présente en cette journée historique, sur les grandes marches ensanglantées de la Grande Maison. Comme bien d’autres de ses semblables, elle a tenté d’usurper un pouvoir qui ne lui a jamais appartenu, au nom d’une poignée d’idées sans visage.

Je m’avance vers sa cellule pour la regarder souffrir. Un frisson me parcourant l’échine à réaliser ma chance de me trouver de ce côté de la grille, et non contre le sol souillé de sa cellule qui sent la putain de pisse, à attendre la prochaine séance de torture qui sera probablement la dernière. J’ignore ce qui m’a menée jusqu’à l’orée de sa prison de béton et de fer, à la scruter tel un animal en chasse. De l’extrémité de la cellule, elle me regarde, ses prunelles luisant de haine, d’une haine sans nom, une haine inimaginable qui me transperce de part en part. Mes doigts se referment contre les barreaux. Le défi luit dans ses yeux sauvages, encore et encore elle me souffle dans le silence tendu qui s’est formé entre nous. Un regard qui suffit pour provoquer en moi deux réactions, contradictoires et pourtant si semblable. Les remords. Sensibles, encore frais dans ma mémoire, la douleur de mes semblables humains qui n’ont rien mérité, la perspective toute nouvelle découverte auprès de Lucas… La rage. Indélébile, puissante, accaparante, provenue de mon passé. Deux entités qui s’affrontent en moi depuis des jours et des jours, un conflit qui menace de tout détruire, et moi avec. Moi avec.

«Cassey Banks.»

Elle me nomme. Se relève, péniblement, se traîne avec obstination jusqu’aux barreaux pour me dévisager. Son visage maigre paraît sous une liasse de cheveux sales et ternis. Ses prunelles sombres me scrutent de leurs orbites fatiguées, profondément enfouies dans son crâne. Sa lèvre tremble, se relève sur des dents encore parfaites. Elle n’est pas là depuis longtemps. Un rictus haineux et amer déforme sa bouche. Je reconnais ce visage après plusieurs secondes d’inspection minutieuse et réservée, malgré les protestations des gardes que j’ai fait taire d’un mouvement explicite de la main. Une jeune fille de mon programme de politique, suivi il y a plusieurs années à l’université de Baguin. Je l’observe en encaissant sa haine. En la goûtant comme on se nourrit des fumées malsaines d’une cigarette. Me délectant qu’elle me déteste. Un sourire étire mes lèvres. Nous devions être amies dans un autre monde, dans une autre vie, avant qu’une longue ligne blanche vienne séparer les gagnants des perdants. J’ai su me trouver du bon côté, elle le sait à présent. Ce qui ne l’empêche pas un sourire d’étirer ses lèvres.

«Ils ont fait de toi un toutou du Régime. Je n’aurais pas cru.»

Un rictus étire mes lèvres. Et une bouffée de remords.

«Un toutou obéissant? Hum, je crois que je préfère que de me rouler dans ma merde, Sandra. Ou finir comme cobaye aux schèmes de Dio, Arceus ait son âme. J’ai juste su choisir le bon côté.»

«C’est ce que tu te dis la nuit pour te consoler quand les remords reviennent te hanter?»


Mon sourire s’efface. Ma main de Zeek se presse contre ma cuisse. Ils reviennent, sans cesse, ces cris, ces innocents tendant leurs mains ensanglantées vers le ciel dans un appel inutile. Car personne ne viendrait. Ou encore les flammes dévorantes de ce village il y a quelques mois. Ou la détonation de cette bombe au premier janvier. Et les plans démesurés de la Générale Scientifique.

«Ça te plaît de porter cet uniforme, de te croire invincible? Ou peut-être que tu as l’impression d’avoir une famille après Aimee.»

Un couteau en plein cœur. Mes babines se retroussent contre mes dents, des dents avides de sang. Du sien.

«Pardon?»

Une menace. La haine me dévore, s’est insinuée en moi comme une pluie de braises. La douleur de ses mots pire encore que ma blessure à l’épaule qui m’élance tant je retiens ces barreaux contre mes paumes destructrices. Une menace qui plane qui ne fait qu’attiser la violence de son regard. Ses prochains mots, elle me les susurre, en y mettant toute sa brutalité doucereuse, comme un secret mortel.

«C’est pour elle que tu fais ça hein? Que tu te tiens là en me faisant la haine. Tu me fais pitié, Cassey, tu te prétends humaine après avoir laissé le Régime te convaincre que tu n'es pas un monstre après tous les massacres que tu autorises sans rien dire.»

Je n’en peux plus. Mon bras glisse à l’intérieur, vient cueillir ses cheveux, je me plaque contre les barreaux en tirant de toutes mes forces. Son visage rencontre brutalement le fer dans un cri. Mais je ne m’arrête pas là. Je veux la tuer. Je veux la faire taire. Je veux mourir. Je ne sais plus, je ne sais pas. Mais je continue à plaquer son visage contre les barreaux de toutes mes forces malgré ses cris, malgré ses mains qui se sont agrippées à mon bras dans un geste de défense, ses ongles s’enfonçant dans ma chair. Je n’arrête pas lorsque le sang gicle contre mon visage déformé, quand on tente de me retenir. Je n’arrêterai pas. Je l’entends pleurer et supplier. Il est trop tard pour toi. Une rage telle m’a saisie, un flot incontrôlable qui menace de m’engloutir. Pour de bon. Pour ne bon. Tant pis. Je réalise qu’on m’a arrêtée. Un grand éclair de lumière s’estompe et je me sens pressée contre une large poitrine poilue, des bras m’entourer. Je me débats, je crie et je hurle, j’insulte cette garce qui s’est évanouie contre le sol de sa cellule, le visage déformé par mes sévices. J’ai perdu. J’ai perdu, encore. Je me demande quand tout ceci sera terminé. J’éclate en sanglots dans les bras de mon allié qui me retient contre moi-même. Je m’abandonne à lui qui a su brimer ce démon, cette ombre qui m’entache l’intérieur. Celui qui m’attend au détour. Je ne sais plus qui je suis, je ne me soucie même plus du regard des gardes qui m’observent sans savoir comment réagir.

Je me demande à quoi ça rime. Je sais par contre, dans un élan de lucidité probablement, que monsieur Strauss entendra parler de cette histoire et qu’on m’offrira un temps pour m’en remettre. Pour me remettre de quoi? Ou de qui? Comment puis-je me remettre de moi-même?

(c)Golden
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