« C'est toi ou moi, l'un de nous est de trop! »

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 Partir de rien [OS]

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Natsume Shimomura
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Natsume Shimomura
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MessageSujet: Partir de rien [OS]   Partir de rien [OS] EmptyMar 8 Mar 2016 - 13:00



Partir de rien

Nausée, vertige, fatigue, douleur. Je n'aurais pas pu dire exactement ce qui m'avait sauté à la gorge quand j'avais ouvert les yeux. Si ces sensations étaient devenues constantes depuis mon premier réveil, elles n'étaient jamais agréables à redécouvrir. Sans vouloir faire un mélodrame de mon sort (je suis en vie visiblement, pour l'instant, ce qui est déjà appréciable), je commence à croire que cela va devenir ordinaire, à force. Dès que j'amorce un mouvement toutefois, même infime, la brûlure déchirante dans mon dos me ramène vite sur terre et m'arrache une injure étouffée. Durant les quelques secondes où j'ai pu me réjouir d'être en vie, j'en aurais presque oublié ce que cette... Raclure m'a laissé comme souvenir. Je crois durant un instant que c'est peut-être la rancune qui me fait ainsi trembler de rage mais je constate vite que non, vu que mes avant-bras que j'utilisais pour me garder stable m'ont lâché. Pas vraiment surprenant, vu la dose de sang que j'ai dû perdre, et je ne sais même pas combien d'heures se sont passées depuis que je suis tombé. Impossible de déterminer ça d'un coup d’œil.
C'est seulement maintenant que je fais vraiment attention à ce qui se trouve autour de moi. Je n'essaie pas de me relever ; l'expérience que je viens de faire est une justification évidente. Et vu que je ne sens pas de sang couler, inutile de prendre le risque de rouvrir la plaie. Enfin, je sens qu'elle est fermée, comme si on avait suturé le tout. Reconnaître la sensation me fait réaliser que j'ai dû être dans cette position au moins une fois, avant. Rien de surprenant : dès que j'avais posé les yeux sur la cicatrice rose qui me barrait l'abdomen, j'avais vite saisi l'idée. Mais la satisfaction, même ridicule, d'avoir deviné quelque chose sur mon passé m'arrache un sourire que je m'empresse de faire disparaître. Ce n'est pas le moment de s'attarder sur des futilités. Arriver à voir dans quelle situation je me trouve est la priorité ; j'aimerais ne pas avoir à me faire découper de nouveau, si possible.

Aucune idée d'où je peux être exactement, en tous cas. Pas vraiment surprenant vous me direz de la part d'un amnésique qui se souvient à peine d'un nom complet, mais bon. L'endroit ressemble à une pièce d'un vieil immeuble désert ; je constate assez rapidement que je ne suis pas sur un lit, mais sur une table grossièrement soutenue par des bûches de bois. Je ne suis plus là-bas, ça au moins j'en ai la certitude. Ce n'est toutefois pas plus rassurant. Loin de moi l'idée de faire de la paranoïa, mais après ce que je viens de vivre et vu que la douleur m'empêche même de me lever seul, j'ai mes raisons d'être méfiant. Manquerait plus que je sois tombé chez des cannibales ou d'autres types de tarés, tiens. Ils pourraient faire un carpaccio, remarque, avec la peau qu'on m'a découpé. Pas sûr que le goût soit génial, en revanche.
Le bruit d'une chaise renversée attire mon attention. J'entrevois une ombre verte qui glisse rapidement vers moi, et si je me braque au premier abord, les muscles contractés alors que mon cœur manque un battement, je me calme vite en constatant qu'il ne s'agit que d'Hatori. Le serpent rampe jusqu'à moi et pousse un geignement apitoyé en caressant ma tête avec la sienne. Sans que je n'ai pu m'en empêcher, un sourire s'est dessiné sur mon visage alors que j'essaie d'une main de toucher les écailles du reptile. Inutile, toutefois, vu que je ne peux pas tenir sur une seule main dans mon état et je tombe lourdement, tête sur la surface dure. Aïe. Fait chier. Si je continue à avoir autant de force qu'un Doudouvet sous LSD, j'vais pas vraiment pouvoir m'en tirer seul si je me retrouve devant des cannibales. Et je doute que, si je survis à mes blessures, ce ne sera pas avant un long temps de récupération. C'est-à-dire que rien ne s'infecte dans le prochains jours, parce qu'on peut difficilement amputer un dos, voyez, et je doute que mon nom soit  celui du monstre de Victor Frankenstein. Donc du coup, si le traitement a été mal fait, je risque gros. La gangrène ferait passer ce qu'on m'a fait pour une balade chez Mickey. P'têtre que les cannibales ça va chez Mickey, tiens, j'en sais rien. Faudrait que je demande si jamais ils sont du genre à faire mariner leur bouffe avant de la cuire.

Au moins, Hatori va bien. Et si le Majaspic a eu le droit de rester auprès de moi, cela veut dire que celui ou ceux qui m'ont récupéré ne sont pas si mauvais que ça, ou alors ils sont juste complètement débiles. Je ne sous-estimerais jamais la stupidité humaine, du coup j'essaierai de rester sur mes gardes tout de même. Enfin, pas que je puisse faire quoi que ce soit dans mon état actuel si jamais je venais à découvrir qu'ils étaient vraiment des tarés ; au pire, je pourrais leur cracher dessus, mordre ou griffer. Ou si j'ai vraiment de la chance, leur donner un coup de pied dans les parties, mais ça seulement si je suis dans un angle parfait. Je remarque toutefois que les endroits où le Scarabrute de cette... Enfin que les blessures qui lui ont été infligées ont l'air d'avoir résorbé. Ce détail à l'air anecdotique me donne toutefois un indice non négligeable quant au temps que j'ai passé inconscient. En touchant une des cicatrices qui ornent maintenant ses écailles, j'en conclus qu'il a dû passer au moins deux jours, ce qui expliquerait le fait que mon estomac hurle famine depuis le moment où j'ai ouvert les yeux. Mais comment diable aurais-je pu dormir aussi longtemps ?

« Hatori, tu peux m'aider à me lever ? »

J'ai bien conscience que je risque surtout de m'éclater au sol comme la dernière des merdes, mais rester ici à attendre ne me tente absolument pas. Et puis si je tombe et qu'il y a quelqu'un, alors sûrement qu'on viendra voir ce qui se passe à cause du bruit. D'une façon ou d'une autre, je suis gagnant. Enfin sauf si j'ai tort et que personne ne vient, car du coup je resterais aplati au sol sans espoir de pouvoir me relever avant un bon moment, auquel cas j'aurais juste l'air sacrément con.
Le Majaspic acquiesce et soulève une partie de mon poids en poussant sa tête contre mon torse. Sans que je n'ai pu l'empêcher, un sifflement de douleur m'échappe et le vert me lance un regard inquiet, auquel je réponds en hochant négativement de la tête. Je ne vais pas lui dire honnêtement que ça fait mal, sinon il va s'arrêter et on sera pas plus avancé. De toute façon, la douleur est partie pour rester pendant longtemps, alors autant s'habituer à vivre avec. Encore une fois, si je survis à ces conneries, et ça c'est relativement mal parti.  

Après plusieurs pas difficiles et pénibles (et foutrement douloureux, bordel), nous arrivons jusqu'à la porte que le reptile ouvre grâce à sa queue. Il me suffit de faire un pas dans la nouvelle pièce, qui avait dû être un salon à une époque, pour que j'entende des voix.

« Et donc là j'ai dit à Max que si on voulait ref- »

Silence. Quatre paires d'yeux se posèrent alors sur moi et sur le coup, je dois avouer que c'est très gênant. Non pas parce que je suis à moitié nu (ça pour le coup, bizarrement, je m'en tamponne totalement, la situation est plus grave que ma décence), mais surtout parce qu'ils ont l'air à la fois surpris et dérangé. Oui, je sais, ce n'est pas le moment d'avoir des poussées de politesse. Vous croyez que j'y contrôle quoi que ce soit, sérieusement ? Ce sont trois hommes et une femme. Deux d'entre eux ont l'air d'avoir la quarantaine, plus ou moins. L'un et grand et maigre avec des lunettes noires sur son nez, l'autre doit faire deux ou trois mon gabarit, si ce n'est plus. Le dernier est un adolescent blond, qui n'a pas l'air plus vieux que moi (enfin, je suppose mon âge en fonction de mon physique, donc entre 18 et 20 ans environ) et a l''air légèrement mal à l'aise. La seule femme du groupe, enfin, n'a pas l'air tellement occupée par mon arrivée et continue de dévorer ce qui semble être un panini avec une voracité assez remarquable. Elle, en tous cas, avec son air plus calme, ressemble à une jeune femme tout à fait normale. À vue de nez, entre vingt-cinq et trente ans.

« Tu me dois 15 opals, Jean.
- Fais chier ! Tu sais où tu peux te les mettre, Yann ?!
- Dans mon portefeuille, oui. Maintenant dis bonjour à... ? »


La gorge sèche, j'essaie de choisir ce que je vais dire. Je pourrais dire la vérité et dire que je suis amnésique, mais... Impossible de savoir si ces gens sont vraiment de confiance, et je préfère éviter les questions. Ou du moins, mieux vaut garder quelques informations pour moi.

« Athéris.
- ... Hé beh, tes parents avaient des goûts particuliers...
- Dit le mec qui s'appelle 'Yannick Dominique Bastien Jules-
- Oh la ferme, Jean-Marcel
- Si vous vouliez bien arrêter de comparer vos-
- ... Bonjour ! »


C'est le plus jeune qui a pris la parole. Il a l'air un peu timide, mais il sourit d'un air... Accueillant ? Oui, ça me surprend un peu, que voulez-vous, j'ai bien trop peu foi en l'être humain. L'homme aux lunettes noires (qui me fait vaguement penser à quelqu'un sans que, surprise, je ne sache de qui il s'agit) sourit comme si quelque chose l'avait amusé.

« Enfin ouais, comme dit Maxime. Bonjour. Moi c'est Yann, l'autre débile c'est Jean et-
- Laure. 
- Ouais, voilà. Le prend pas perso hein, elle aime personne.
- Je peux me présenter seule, surtout.
- Exactement ce que je disais. Donc euh, bienvenue dans la galère ? »


Déconcerté, j'essaie de faire le point sur toutes les questions qui se bousculent dans ma tête sans parvenir à en choisir une à poser en premier lieu. Néanmoins, mes réflexes font ce choix avant moi.

« Alors vous m'avez... ?
- Récupéré, ouais, en train de saigner partout. Dis merci à Jean, c'est lui qui t'as porté jusqu'à ici. T'as dégueulassé ses habits avec ton sang, mais bon. Pis à Max de t'avoir refait le dos à coup de sutures ; l'est doué, hein ? J'savais même pas qu'il savait faire ça, le p'tit. En plus, Laure a passé deux jours à éponger ton sang.
- Et t'as rien foutu, comme d'hab.
- Hééé ! C'est moi qui lui ai permis de me dormir tranquille !
- Non, ça c'était ton Mushana, feignasse.
- Bref. Oui, c'est nous qui t'avons soigné. Enfin, on avait pas trop le choix remarque, vu que tes bestioles nous auraient assassiné si on t'avait laissé dehors.
- Mes... Bestioles ? »


Je ne vois pas qui aurait bien pu-... Oh. Immédiatement, je sens mon cœur bondir dans ma poitrine en comprenant que Fran et Byakuran vont bien.

« Où est ce qu'ils sont ?
- Ben... »


Ma question trouve sa réponse en quelques secondes. Un éclair violet se précipite contre moi tandis que la silhouette de Byakuran m’apparaît quand je me retourne. L'Arbok s'est déjà collé contre ma jambe tandis que je crois voir dans l’œil du Séviper une once de contentement. Enfin, difficile de le savoir avec lui, mais c'est ce que je suppose voir. Le soulagement me ferait presque oublier la douleur pendant quelques instants, avant qu'elle ne se rappelle à moi brusquement et ne me fasse grimacer. Le grand à lunettes reprit la parole.

« Woh là, calmos ! On a pas envie que tu te vides de nouveau, poto ! Tu vas rester allongé tranquillement et on t'amènera à bouffer, t'inquiètes. Mais si tu crèves, on va se sentir coupable. »

Je ne comprends pas. Alors que l'homme saisit avec délicatesse une de mes épaules pour me soulever, j'essaie de trouver sur leurs visages une quelconque trace de mensonge. Ça doit être une tromperie. Quelque part, ils finiront forcément par me faire un coup en traître, non ? Les gens ne peuvent pas juste faire ça par gentillesse. Les choses ne marchent pas comme ça. Je ne sais pas pourquoi, mais mon instinct continue de me répéter de fuir, de partir rapidement avant de leur laisser l'opportunité d'aggraver la plaie dans mon dos. Quelque chose dans mon esprit continue de répéter que je n'ai jamais aussi bien été servi que par moi-même et que je n'ai pas intérêt à en faire autrement. Et le pire c'est que je ne sais même pas si j'essaie de m'en convaincre ou si j'y crois vraiment. Du coup je garde le silence en gardant la tête baissée pour faire croire que la conscience m'échappe, alors que tout le long, j'étudie les expressions de mes 'compagnons' en détournant le regard dès que je crois voir quelque chose qui ressemble à de l'inquiétude. C'est Byakuran qui ferme la porte derrière nous, en continuant de nous observer.

Celui qui s'appelle Yann (je crois?) m'aide à me poser de nouveau sur la table où je me trouvais et j'étouffe un grognement en m'asseyant. Ça continue de me faire un mal de chien, en dépit de toute la lenteur que je mets dans mes mouvements.

« Douuucement j'tai dit ! Si tu savais tout l'amûr qu'a mis Max dans ces sutures, tu serais plus doux avec elles. Bouge pas, j'vais repasser un coup d'eau et de désinfectant là dessus. »

Fran s'est installé contre l'arrière de mon bassin pour m'aider à tenir. J'évite ses yeux, agacé malgré moi par le fait qu'il continue de croire que je vais m'écrouler d'une seconde à l'autre.

« Donc, euh... Qu'est-ce qui t'es arrivé ? »

Sans m'en rendre compte, je me suis déjà crispé. Rien que d'y repenser me donne la nausée et je sens un frisson glacé me dévaler les vertèbres, une par une. J'obéis à un de mes réflexes qui me pousse à poser une de mes mains sur la droite de mon dos, en essayant d'ignorer l'envie de grimacer quand je sens les points de suture. Les images qui passent dans mon esprit me nouent la gorge. J'essaie de dissimuler mon malaise, mais il est trop récent, trop frais encore pour que je parvienne à garder l'expression neutre qui m'est normalement habituelle. Lorsque l'autre remarqua mon malaise, il prit la parole alors qu'il était en train d'essorer un linge propre dans une bassine.

« J'ai compris. Si tu veux pas en parler, pas grave, on se doute que c'était pas forcément l'éclate. T'as bien failli crever, petit. 
- Je suis au courant. »


La remarque n'a pour but d'être agressive, mais plutôt de rappeler qu'il est peut-être de mauvais goût de me rappeler ce à quoi j'ai échappé quand j'arrive à peine à m'éloigner de la crainte que je ressens toujours. En revanche, mon ton est plus acide que je ne l'aurais voulu, et je m'étonne de voir que mon interlocuteur n'a pas l'air blessé ou vexé.

« Pas faux. Scuse pour la remarque débile. Après... »

Le silence plus sérieux qui s'impose alors me fait plisser les yeux. Même Byakuran ouvre un œil. L'homme est de dos, maintenant, et parle d'une voix plus tendue.

« On a débattu sur le fait de te garder ou de te livrer aux autorités, au départ. »

Je me tends instinctivement. Du peu de ce que j'ai compris de ce que je suis et de ce que sont les enjeux du conflit dans lequel je suis embourbé, « les autorités » ne sont pas vraiment ceux chez qui je dois me rendre. Tout ce que me hurle mon cerveau est de m'en éloigner le plus possible. Hatori n'a pas bougé ou réagi, mais je vois que ses écailles se sont légèrement déplacées, signe qu'il se prépare à riposter si jamais il venait à m'attaquer.

« J'vais pas te mentir ; on est tous les quatre à la rue, à squatter d'immeubles en immeubles, d'apparts abandonnés en apparts abandonnés, et y'a des soirs où on crève la dalle. Je sais pas si tu sais ce que c'est la faim, la vraie, mais quand elle te tient pour de bon, t'es plus fou qu'un fou.
- ...
- Mais bon, au final on a pas eu le cœur de le faire. Même Laure a plié en cours de route. Et Maxime nous aurait buté si jamais on avait donné au Régime un gars au bord de la mort. Enfin bref, des histoires d'éthique, tout ça. »


Quand il eut terminé d'essorer la serviette, il s'approcha et me fit signe de me retourner, ce que je fis au bout de quelques secondes, en suivant pour une fois mon instinct qui me disait que je ne risquais rien.

« Du coup, on va pas te poser des questions. On te demande juste d'être clean avec nous. Des trucs à nous avouer ? »

Étrangement nerveux maintenant, j'échange un regard hésitant avec Hatori qui semble lui aussi intrigué quant à ce que je pourrais dire. Vrai qu'il ne sait pas encore que ma mémoire est un vrai gruyère... Pendant quelques instants, j'essaie de me convaincre que continuer à rester silencieux sur ce point serait la meilleure solution, mais je me rends vite compte que je me trahirais très vite. Et surtout que le peu de confiance qu'on a mis en moi s'envolerait si jamais il était découvert que j'avais menti.

« … Je ne me souviens de rien. »

Le brun haussa tellement les sourcils que je suis persuadé qu'ils étaient partis discuter météo avec ses cheveux.

« Euh, rien rien ou rien pas grand chose ?
- Des détails. Des anecdotes, des choses que je remarque ou qui me reviennent aléatoirement... Des souvenirs dont je me rappelle parfois par bribes. Mais hormis mon nom...
- C'est vraiment ton nom, d'ailleurs ?
- Je crois. Enfin, j'ai plus l'impression que c'est un faux, mais... »


Je jette un regard à mon Majaspic qui hoche de la tête.

« On va éviter de t'appeler comme ça, du coup. J'sais pas trop qui tu étais avant, mais si t'es lié à la résistance... Mieux vaut rester discret le temps que tu retrouves tes moyens, nan. T'as une idée de nom ?
- Pas vraiment...
- Au pire on peut raccourcir. Ris, ça te va ?
- Le problème c'est que-
- On prendrait pas trop de risques. »


J'étouffe un grognement. Oh bordel, j'en étais sûr. Et voilà qu'il souriait comme un abruti, très fier de son coup, tandis que je me retenais comme je le pouvais de faire de même, et que de très petits soubresauts laissaient transparaître mon hilarité. C'est nul, mais nul... Et pourtant je ricane quand même, pour la première fois depuis que j'ai ouvert les yeux là-bas. Alors qu'il passe le tissu sur la plaie afin d'en nettoyer les restes de traces de sang séché, j'en viens à me dire qu'il est ironique pour moi de m'accrocher à un nom qui n'est rien de plus qu'un faux. D'une certaine manière, c'est bien la seule chose qui soit une certitude, alors tant pis si ça ne vaut rien. C'est quelque chose, ça me suffit.

« Écoute. On a pas à bouffer tous les jours et c'est souvent la galère, mais si tu veux tu peux rester avec nous en attendant.
- ... Vraiment ?
- Tant que tu ronfles pas la nuit. »


J'ai du mal à y croire. Je fronce les sourcils, perplexe, et hésite quelques instants. Bien sûr, j'aurais aussi intérêt à essayer de bouger pour retrouver la mémoire, mais ce n'est pas comme si j'avais quelque part où aller... Et même si être seul ne m'aurait pas dérangé, je doute sérieusement d'être capable de me débrouiller seul pendant les prochaines semaines, vu ce que j'ai dans le dos. Ça m'arrache la langue d'avouer ça, mais c'est comme ça, et je ne peux pas mettre sur mes serpents le poids de ma fierté.

« Je...
- On te demande pas de répondre maintenant, hein. C'est un peu de la triche de dire ça à un mec qui peut à peine marcher, alors repose-toi, déjà. On verra pour la suite après.
- ...
- Tu veux un menthos ? »


Je cligne des yeux, surpris, et hausse les sourcils. Devant mon air étonné, l'autre crut bon de s'expliquer rapidement.

« Bah quoi, fallait changer de sujet ! »

Au moins, je n'aurais pas à supporter trois heures de blabla inutile pour tourner autour du pot à chaque fois.  


Plus d'une semaine s'est écoulée, déjà. Ma blessure se referme peu à peu, même si je la sens encore à chaque pas que je fais et que l'humidité continue de me torturer durant certaines nuits, elle devient peu à peu supportable. Au moins, je peux marcher sans aide, et sans que les reptiles ne se jettent des regards en permanence pour deviner quand est-ce qu'ils auront à me rattraper. Pour les points de suture, il faudra attendre encore un moment avant que je puisse les enlever, mais au moins la plaie se referme, selon celui qui s'occupe de ça. Le gars ne doit pas avoir plus de vingt et un ans, mais vu qu'il a apparemment fait quelques années de médecine, il doit savoir à peu près ce qu'il dit. Ou pas, mais ce n'est pas comme si j'avais d'autre choix. Aller dans un hôpital public me condamnerait directement.

« Ris, tu me passes les planches ?
- Ouais, j'arrive, deux secondes. »


Du coup, pour me rendre utile, j'aide Yann à rabibocher notre 'abri'. On m'a grossièrement confié qu'on était pas vraiment censé s'installer ici, mais qu'en fait le propriétaire n'osait plus venir depuis des lustres en raison des combats qui avaient fréquemment lieu près d'ici. Du coup, on squatte et on essaie de rendre le tout un peu plus habitable. Et vu que l'air frais nous tient souvent éveillés la nuit, Yann s'est mis en tête de barricader les trous dans les murs. Vu qu'il a passé deux jours à me construire un équivalent de lit quand j'étais encore convalescent et que je ne peux pas encore faire grand chose d'autre, je l'aide comme je peux.

Byakuran et Fran sont comme à leur habitude partis avec Laure et Maxime. Ces deux-là sont aujourd'hui partis généralement, je le sais même si ils me le cachent, détrousser quelques passants à l'air assez fortunés pour que cela ne les dérange pas. Ce n'est pas honnête, certes, et j'ai toujours un peu honte quand j'avale un sandwich acheté grâce à ça, mais quand c'est la première chose qui touche le fond de mon estomac au bout de trois jours... Je vous assure qu'on attend d'avoir fini pour se mettre à culpabiliser. Enfin, ça, ce n'est pas habituel du tout. C'est même uniquement fait quand la situation devient urgente. La plupart du temps, Yann va jouer du violon dans la rue tandis que Jean et Laure se chargent d'aller vider les poubelles des magasins. Maxime s'occupe de garder le refuge, la plupart du temps, vu qu'il est apparemment « plus risqué de l'emmener, vu sa maladresse ».  Une sorte de routine s'est installée, si l'on veut.
Lorsque je passe une planche au plus vieux, celui-ci me tend un marteau.

« Fais gaffe, hein. Si tu t'abîmes les doigts...
- Je sais, je sais. »

Sans dire quoi que ce soit d'autre, je me mets à clouter les quelques fentes que j'aperçois, d'un air nonchalant. Même si ce n'est pas un travail très sympathique ou passionnant, ça au moins le mérite de me divertir et de me permettre de me rendre utile. Pas que j'ai vite commencé à culpabiliser en voyant que mes compagnons d'infortune devaient travailler bien plus avec une bouche à nourrir supplémentaire et que mon état me transformait surtout en poids lourd, mais...

« Rien de nouveau, côté souvenirs ? »

Je déglutis. Si, il y a bien quelques petites choses. Des flashs temporaires, des images sans formes, des couleurs qui me rappellent des personnes sur lesquelles je ne peux pas poser de noms, des impressions de déjà vu, mais... Dès que j'essaie de creuse un peu, que je tente de comprendre, rien. Un vide complet, presque effrayant et terrorisant, contre lequel je ne peux rien. En voyant que j'ai arrêté de taper sur le clou, Yann comprend vite.

« Ok, je vois. Dis, tu sais, on a essayé de chercher d'où pouvais venir ton nom, et... »

Je relève les yeux, une étincelle d'espoir dans mon regard, en me disant qu'il y a peut-être là un indice sur mon identité.

« … C'est juste le nom d'une vipère avec des écailles hérissées. »

Je grogne. Putain... Qu'est-ce qui avait bien pu passer par la tête du responsable ? Sûrement était-ce moi d'ailleurs, mais je m'interroge sur l'intelligence supposée de mon moi passé à ce moment-là. Mais ce n'est que la frustration liée à ma déception, je m'en rends compte.

« Génial.
- Bah, écoute, on finira bien par trouver. Et puis pour l'instant t'es pas tout seul. C'est déjà ça, non ? »


Il sourit aussi largement qu'il le peut, et je retiens la gêne que je ressens en me disant que j'ai du mal à partager son enthousiasme. Si être en vie est déjà un miracle dans mon cas, l'impression de vide n'a pas disparu de ma poitrine. Comme un trou, un manque qui m'étouffe à chaque fois que je m'en rends compte. Je ne sais pas si c'est l'absence de réponses ou le vide en lui-même qui est le plus horrible. Et inutile de faire des comparaisons.

« Ouais, sûrement. »

Il fallait vivre avec de toute façon. Je ne pouvais rien faire d'autre que continuer de chercher en dépit de toute la frustration accumulée.


« Rah mais c'est pas vrai ! De l'eau, vite ! »

Max et Laure se précipitent vers le feu pour l'éteindre, sous le regard à moitié blasé, à moitié admiratif de Yann qui m'offre maintenant une moue vaguement amusée. J'essaie de me faire tout petit alors que Jean rigole à grands éclats, au point qu'il finit même par s'appuyer contre moi, hilare. Gêné, je me fais assez petit en me disant que par ma faute, trois conserves entières ont été gâchées.

« Okay, on note : ne plus JAMAIS te laisser aux fourneaux !

Un rictus s'affiche sur le visage de Laure alors qu'elle remarque les dégâts, maintenant que les flammes sont éteintes.

« Waow. J'aurais jamais cru voir quelque chose de plus cramé qu'un morceau de charbon.
- Pour  la peine, tu nettoieras ! Sérieux Ris, t'es un CHAMPION ! »


Le nœud dans mon estomac n'a pas disparu, mais je constate avec surprise que je suis toujours dans la crainte de cris, même si rien ne semble indiquer qu'ils soient vraiment en colère. La jeune femme gloussa en voyant ma tête. En effet, je ressemblais à l'heure actuelle plus à un enfant pris en train de faire une énorme bêtise qu'à, euh... Ce à quoi j'ai l'air d'ordinaire, on va dire.

« Hé, détends-toi le passage un peu-
- Langage !
- ... Relax, c'est pas toi qu'on va bouffer. Y'aurait pas assez sur tes muscles, de toute façon.
- ... Je t'emmerde, poufiasse.
- J'AI DIT LANGAGE ! Allez, de garde ce soir avec Max, sale gosse ! »


Sans même m'en rendre compte, j'étais déjà en train de rire comme un imbécile. Pendant que je continuais de ricaner, je ne remarquais pas le sourire rassuré de Yann.


« Alors écoute, c'est pas la mort, et c'est pas comme dans les films. Personne ne se regarde le cul en faisant des commentaires gras. Tu rentres, tu prends ta douche et tu te tires en essayant de sortir de ta tête ce que t'as pu voir. C'est aussi simple que ça.
- ... On a vraiment pas le choix ?
- Y'a pas d'eau qui coulent dans les tuyaux là où on est. Alors c'est douches publiques, pas le choix.
- J'ai envie de crever.
- Crois-moi, tous ceux qui sont ici aussi.
- Je suis vraiment forcé de-
- Tu veux vraiment continuer à ne pas te laver pendant une autre semaine ? Et puis avec ta cicatrice, vaut mieux éviter l'accumulation de saleté.
- Grmbl...
- Si ça te permet de te détendre, imagine que tout le monde est en tutu. Moi ça m'aide.
- Mouais, si tu le dis.
- Euh par contre si jamais tu sens une main, tu hurles et tu fous un coup de pied viteuf, hein.
- ... Pardon ?!
- Ça va là, le pen, arrête l'air indigné et avance. »



« Donc, euh... Beau temps, hein ?
- Il fait nuit noire. »


Je n'ai rien contre Maxime, hein. C'est lui qui s'occupe de vérifier que je ne vais pas me mettre à me vider de mon sang au moindre mouvement, mais il est vraiment, vraiment nul pour trouver un sujet de conversation intéressant.
Depuis le temps que je suis arrivé ici, c'est celui avec lequel j'ai le moins discuté. Je suis déjà assez solitaire en général, mais si Yann et Jean se sont plus ou moins « imposés » et que Laure m'a l'air d'apparaître à chaque fois comme par magie dans mon dos, Max est plus discret qu'une ombre. D'autant plus que je le me mets mal à l'aise, je crois, sans vraiment savoir pourquoi. Vu qu'il est plutôt craintif selon Jean (« il aurait peur de ses propres pets »), ça ne s'est pas si surprenant, mais je n'aurais pas cru qu'il essayerait de taper la discute cette nuit.

« T'as pas peur du noir, toi ?
- Pas vraiment. »


Oui, j'ai conscience qu'il essaie et qu'il est cruel de le laisser poireauter quand je sais très bien qu'il veut juste que nous nous extirpions du silence lourd. Mais ça se saurait, si j'étais quelqu'un de gentillet et de sympathique. Le feu auprès duquel nous sommes continue de crépiter, et j'y ai fixé mon regard, pensif et calme. Les flammes ne me mettent pas mal à l'aise, et je crains toujours de brûler quand je m'en approche trop, mais il y a quelque chose de rassurant à ce sentiment, justement. C'est un peu masochiste, mais le fait de savoir pourquoi je me sens nerveux me calme. Trop de fois où je me suis senti effrayé et vulnérable sans savoir pourquoi. J'évite de garder mon bras gauche trop près, toutefois, vu que les picotements douloureux que je ressens sur la partie brûlée se rappellent bien trop vite à moi.
Le blond termine de faire griller sa pomme de terre, et la regarde d'un air un peu hésitant. Il finit par me la tendre.

« Tu veux ? J'ai plus faim.
- Non merci. »


Je n'irai pas lui dire qu'en réalité, mon estomac crie famine. En même temps, ce qu'on a mangé ne calmera pas un jeûne de deux jours, mais ma fierté m'empêche d'accepter. En rechignant, Max finit donc par se forcer à mordre ; on ne gâche pas la nourriture, ici.  

« Ton dos va mieux ?
- Assez, oui. »


Depuis qu'on a retiré les points de suture, il faut vérifier tous les jours que rien ne rouvre ou que la plaie ne s'est pas infectée. Mais apparemment, le tout guérit bien, et je peux maintenant même commencer à courir. Doucement certes, et pas au maximum, mais je sens de moins en moins la douleur. Cela fait quinze jours, déjà, mais j'ai l'impression que ça fait une éternité. Les jours passent en se ressemblant tous, souvent longs et fatigants. Mes yeux sont toujours aussi cernés, et les cauchemars que je fais régulièrement n'aident en rien, quoique Yann a fini par me forcer à supporter la présence de sa Mushana, au bout d'un moment. Mes hurlements réveillaient tout le monde en pleine nuit, à une période.

« Merci, au fait. Ça commence à se calmer. »

Son visage s'illumine d'un sourire joyeux et il hoche de la tête. On dirait que je viens de le congratuler sur l’œuvre de sa vie, mais d'un côté il a toujours été plus ou moins comme ça, de ce que j'ai vu, à chaque fois qu'on le complimente. Un peu plus et je vais finir par le prendre pour un témoin de Jéhovah, aves ses airs d'imbécile heureux.

« De rien ! J'avais peur d'avoir été un peu trop rapide, mais si ça cicatrise bien, c'est parfait. »

Vu l'état dans lequel j'étais la première fois que je les ai rencontré, il n'a même pas idée d'à quel point la situation s'est améliorée. Je n'arrive toujours pas à comprendre comment je pouvais réfléchir, au moment-là, et le simple souvenir suffit à me faire grimacer.
C'est sûrement le fait qu'il soit aussi collant qui fait que je m'en tiens plus éloigné que des autres. Yann m'amuse, Jean est loin de faire dans le sentimentalisme et Laure a une répartie, une intelligence et une ruse que je ne peux qu'apprécier. Mais lui est bien trop... Émotif. Du coup, je m'en tiens éloigné. J'avoue que c'est en partie parce que je n'ai pas envie d'avoir plus d'ennuis que je n'en ai déjà, et que je ne me sens pas vraiment d'humeur à supporter les problèmes émotionnels de quelqu'un d'autre. Mais c'est aussi car ce genre de comportement me dérange et me met mal à l'aise, presque autant que mon silence et mon inexpressivité du côté de mon interlocuteur.

« Comment tu t'es fait ça … ? »

Son ton est hésitant. Il marche sur des œufs, ça se voit. Ses traits sont tordus dans une expression de gêne, et je me doute que la question devait lui brûler les lèvres depuis un petit bout de temps. Après tout, je n'ai dit à aucun de mes 'sauveurs' ce qui m'était arrivé, et je n'en ai pas vraiment l'envie. Ça ne regarde que moi. Et personne ne m'a posé de questions : ce n'est pas vraiment la mode de raconter son histoire personnelle, par ici. Je ne sais pas si c'est par pudeur, par principe ou juste que tout le monde s'en fout, mais ça au moins le mérite de me mettre à l'aise. Je ne sais pas si je serais capable de rester si ce n'était pas le cas.
Sur le coup, je me suis crispé, et il l'a très vite vu.

« Pardon, je-
- Une tarée. Elle avait décidé qu'elle pourrait s'amuser en me découpant, et elle s'est bien marrée. »


Mes poings se serrent tout autant que mes dents en y repensant. La colère que je ressens à cette simple évocation fait ouvrir les yeux à Fran qui dormait lové contre moi. Le plus vieux a baissé les yeux, honteux d'avoir posé la question.

« Et comment est-ce que tu as pu t'en sortir ?
- J'ai eu de la chance. »


De la chance. Rien que le dire me donne froid dans le dos. Si elle avait eu plus de temps, j'aurais fini comme tous ces autres cadavres que j'avais vu derrière elle, entassé contre d'autres corps, pour être retrouvé bien plus tard. J'aurais été un nombre dans un dossier. Sûrement qu'on aurait retrouvé mes origines, pour le coup.

« Byakuran s'est chargé d'attaquer, et j'ai pu m'éloigner. 
- Alors elle est... Est-ce que tu l'as... ? »


Il n'ose pas le dire. Mais je le vois rien quant à son air craintif ; il me demande si je l'ai tuée. Si, par vengeance et par rancune, j'ai commis l'irréparable dans le seul espoir de soulager ma douleur.

« Qui sait. »

Je ne sais pas pourquoi j'ai dit ça, ni pourquoi j'ai affiché un rictus moqueur, provocateur et arrogant sur mon visage. Ce type ne m'a rien fait, il m'a même aidé, mais il m'insupporte. Ses airs de jeune gamin (alors qu'il est plus vieux que moi) innocent et parfait me hérissent le poil. Peut-être que c'est cette joie constante et cet optimisme béat que je déteste, tout simplement. Je persiste à me dire qu'il y a de l'hypocrisie là dessous, qu'il doit cacher quelque chose et que c'est donc tout naturel de se méfier de lui. Mais au fond, je sais bien qu'il m'agace pour une autre raison également.
Je ne peux pas être comme ça. J'ai beau essayer, mais tout m'empêche d'être aussi avenant et sympathique avec ceux que je croise. Et ça m’écœure de voir quelqu'un réussir, alors que je me doute que, si il est ici et pas bien au chaud, c'est qu'il n'a pas eu une vie facile lui non plus. En un sens, ça me retire toutes mes excuses pour mon comportement, et je crève de jalousie et de frustration. Bordel, je sais toujours pas qui j'étais avant, mais je devais être un sacré connard.

Je me lève, ne voulant pas rester plus longtemps. Je ne sais pas si c'est la culpabilité de ce que je viens de faire qui me force à fuir ou l'envie de m'éloigner de son air de gamin naïf à qui on a brisé ses rêves.  

« J'vais faire un tour. Je te laisse Fran, vu que t'as peur du noir. »

C'est une tentative, pitoyable certes, de me racheter. Il hoche faiblement de la tête, et je constate amèrement qu'il a déjà pardonné. Il a compris ce que je cherchais à faire. J'étouffe un juron sur le chemin, énervé.

Après avoir marché pendant quelques minutes, je m'éloigne du coin où nous 'habitons' pour me rapprocher de la ville en elle-même. J'arpente les rues sans trop de conviction, avant tout pour me calmer et me distraire. Sans que je ne m'en rende compte, mon regard s'est posé sur les gens qui passent dans la rue. Ceux qui avancent vite, pressés et l'air bougons, presque comme si ils étaient dérangés par le bruit du vent même. Les couples qui minaudent et qui roucoulent de manière totalement nauséabonde. Les plus lents, qui paressent avec des regards nonchalants sur ce qui les entoure. Les groupes d'amis soûls qui tentent de s'aider l'un l'autre à rentrer dans des taxis.
Rien de tout cela ne me dit quoi que ce soit. J'essaie de trouver dans ces rues quelque chose, mais inutile d'essayer, puisque comme d'ordinaire, rien ne me vient.

Fais chier. Depuis quinze jours, rien ne m'est revenu. Je tente encore et encore, sans aucun résultat hormis l'impression de courir dans un mur. Et ces cauchemars qui n'en finissent plus, cette impression permanente de marcher dans le vide, ces sensations incompréhensibles quand je vois des choses que je sais liées à mon passé... Ça va finir par me faire perdre la tête, si ça continue.
Il doit être trois heures du matin, au moins. Une horloge dans la rue me le confirme et un rictus caustique s'étire sur mon visage. Bordel, je suis vraiment pathétique en fait, hein ? Le pauvre con amnésique et paumé qui s'énerve contre sa propre incapacité. Ahaha. La bonne blague.

J'ai besoin de me défouler. N'importe quoi pour évacuer tout ça et oublier ne serait-ce qu'un peu. En passant dans un coin, je remarque trois types à l'air un peu louches qui discutent avec des voix dignes de racaille de bas-rang. Parfait. Je suis complètement con, et je vais me le prouver dans quelques secondes.

« Bande de tafioles, vous tentez d'imiter vos mères à rester dans les ruelles ? »

Leur air furieux me satisfait. Les insultes que je reçois me font ricaner. Quelque chose me dit que ce n'est pas la première fois que je cherche la merde pour me défouler, mais bon, peu m'importe. Ce n'est pas trois petites racailles qui vont me faire peur ou vraiment m'endommager. Et puis je sais qu'Hatori m'a suivi, alors si les choses dégénèrent, je serai tranquille. Et j'ai déjà dit que je suis un pauvre con, pas besoin d'insister.

« Bah quoi, vos culs vous font encore mal pour que vous soyez si lents ? »

Oh, que j'aime voir la provocation manipuler aussi facilement les gens. Ça me permet de me dire que je ne suis pas si aussi sensible et idiot qu'eux avec mes émotions. Je suis bien au courant que ça n'est pas le cas, mais se mentir est ma spécialité, il faut le croire. Mes mains se serrent par réflexe ; frapper ne va rien arranger, mais ça aura le mérite de me calmer.


Un rire aigu et cruel m'agresse les oreilles alors que je me débats comme un diable, en tentant de défaire les liens qui retiennent mes poignets. Les piles de cadavres qui m'entourent se soulèvent lentement et me fixent avec leurs orbites creux et sombres. Leurs longues mains écorchées et ensanglantées au os apparents tentent d'attraper ma gorge pour m'étrangler. J'entends leurs plaintes et leurs hurlements tandis que les ricanements de la démonne aux yeux bleus ne font que monter en intensité. Je peux la voir lever son couteau, qu'elle tient entre ses deux mains pour me la planter entre les yeux et -

Quelque chose a saisi mon épaule. Instinctivement, j'attrape la main et soulève mon poing pour cogner l'intrus. Un cri particulièrement peu masculin arrive à mes oreilles et je remarque enfin qui j'ai frappé. Yann se tient la joue en gémissant plaintivement.

« Ris, espèce de saleté ! J'voulais t'aider moi, t'arrêter pas de gigoter ! »

La culpabilité me vient immédiatement. Merde. Je sors de mon lit bricolé tout de suite pour me précipiter vers lui et m'excuser tout de suite. Je constate alors qu'il est encore assis sur le sol, à masser sa joue endolorie. Je me mets à glousser et ricaner, amusé par sa tête geignarde digne d'un gosse.

« Hééé ! Mais te marre pas p'tit con ! J'aurais dû te laisser dormir, tiens. Ça m'apprendra à être génial. »


Cet imbécile me fait rire, mine de rien. J'ai du mal à m'énerver contre lui et son comportement d'abruti me permet de relativiser quand le froid et la faim minent ma patience déjà courte vu mon état. Même là, j'en ai déjà presque oublié les images glauques et grotesques qui ont hanté mon sommeil et on transformés les bras de Morphée en étreinte douloureuse. Le brun finit par se relever et me fixe avec une moue vexée.

« Bah si c'est comme ça que tu me traites, j'vais te bouder, tiens ! 
- Tu peux pas me bouder en me disant que tu me boudes.
- Vrai. Bon du coup, bonne nuit-
- Nan, je viens. J'ai pas envie de réessayer. »


Il hoche de la tête pour faire signe qu'il a compris et me laisse le suivre jusqu'au hall. Aujourd'hui, les combats ne se sont pas fait entendre et on suppose que la ligne de front a reculé au moins un peu. Pas une seule balle perdue dans les environs, du coup on se permet de sortir un peu en pleine nuit, dans le jardin de l'immeuble qui ne ressemble plus à grand chose, depuis le temps. Mais il reste une vieille table en bois contre laquelle il est toujours sympathique de s'appuyer.
Je remarque enfin que Yann tient son violon entre ses mains. Je l'ai entendu en jouer plus d'une fois, mais ça m'étonne toujours qu'il en prenne autant soin.  

« Ça te dérange pas si je joue un peu ? »

Je hoche négativement de la tête. Je ne suis pas un fanatique de musique, mais reste que j'aime écouter quand je le peux. En remarquant je me suis à moitié affalé contre la table, le plus vieux hausse les sourcils.

« Tu devrais aller dormir, hein. Je vais te tenir éveillé, là.
- Justement. »


Le lunetteux glousse.

« Si tu tenais tant que cela à m'entendre, fallait le dire.
- Nan, quand t'ouvres ta bouche ça fait disparaître tout aspect positif. »


Les premières notes qui résonnent à mes oreilles sont les seules réponses que je reçois, et cela me convient parfaitement. Je ferme les yeux en tentant de faire le point, tandis que je sens Hatori se glisser contre moi et s'installer paisiblement sur mes genoux. Pendant quelques secondes, je peux me donner l'illusion d'avoir un peu de tranquillité.


Je n'ai rien contre les moqueries et les vannes. Moi-même j'en fais constamment, mais même si j'ai fini par m'habituer à cette sorte de tradition lorsque nous nous retrouvons tous le soir avant d'aller se coucher, je dois avouer que ça va peut-être un peu loin, cette fois. Ça fait presque vingt minutes que Laure et Jean persistent à s'acharner sur le cas de Max, qui est de plus en plus silencieux.

« Mais puisque je vous dis que...
- Ça vaaaa Max, on t'a vu ! On s'en fout que tu sois une pédale, nous, on t'aime quand même ! »


Je ne l'ai jamais vu aussi furieux. Le gros péteur d'arc en ciels se relève alors brusquement, jette violemment sa conserve plus loin et remonte les escaliers pour au final claquer la porte derrière lui. Le silence s'installe.

« Il est susceptible bordel, ces temps-ci...
- Vous vous êtes comporté comme des gros beaufs lourds surtout. Foutez-lui voir un peu la paix au lieu de le martyriser tout le temps, c'est bien le seul ici qui fait jamais la gueule. »


La remarque de Yann, dirigée vers les deux autres, me touchent toutefois et je me sens alors coupable de toutes les fois où je l'ai traité comme  un chien à cause de ma propre stupidité. Il est vrai que si il n'était pas là pour essayer de remettre de la bonne humeur, parfois... Fran m'observe d'un air surpris alors que je m'excuse pour m'éloigner et monter suivre l'autre, avec la ferme intention de présenter des excuses même si ça m'écorche la fierté.
Une fois monté au deuxième étage, je toque à la porte mais rien ne me répond. Je grimace en entendant des bruits de pleurs. Oh  bordel. L'envie de partir en courant me saute à la gorge et j'y résiste difficilement, avant de me retenir en me disant que je ne peux pas faire le lâche maintenant. J'ouvre donc la porte sans plus attendre, tant pis si ça le dérang-
Oh seigneur.

Je referme la porte immédiatement, grimaçant, mais pas rouge ni gêné. Ce serait logique, vu ce que je viens de voir, mais si mes yeux sont écarquillés, c'est surtout car je ne me serais pas attendu à ça. J'ai vu assez de personnes à poil en un mois de douches publiques pour ne plus avoir que des réactions très minimes face à la nudité. Max a sursauté et et je l'ai vu se retourner brusquement, mais trop tard. J'attends un peu, collé contre la porte, avant qu'elle ne soit de nouveau ouverte. Le blond me fixe d'un air un peu triste et gêné, le regard baissé-
Non, je ferais mieux de dire 'la' blonde. J'en ai eu la preuve il y a quelques secondes. Des centaines de questions se bousculent dans ma tête et j'essaie de soutenir le regard de l'autre qui est tout aussi gênée que moi.

« Entre. »

Ça a le mérite de me couper le siffler et de me forcer, même subtilement, à faire ce qu'elle demande. J'ai toujours du mal à y croire, d'ailleurs, mais ça explique beaucoup de choses. Je fais quelques pas à l'intérieur en faisant comme je peux pour ne pas avoir l'air gêné. Elle gloussa.

« Tu peux relever la tête, hein. J'ai remis un haut.
- Arh arh.
- Je, euh...
- Désolé d'avoir été un gros con avec toi ces derniers temps. »


Je n'ai pas envie de perdre des heures et des heures dans des discussions qui tournent autour du pot. Je déteste ça, ça m'énerve tellement, vous n'avez pas idée. Elle m'observe avec de grands yeux ronds, surprise par ce que je viens de dire. Je me retiens de grimacer en constatant que cela veut dire qu'elle ne s'attendait vraiment pas à ce que je m'excuse.

« Je me suis comporté comme un abruti et j'aurais pas dû. Voilà. »

J'aimerais bien qu'elle réponde vite pour qu'on en finisse rapidement. Le but était d'essayer de... De lui remonter le moral, oui, ça va, ça m'arrive d'avoir de l'empathie. Et je sais pas pourquoi, quand j'ai vu Laure et Jean se moquer sans se rendre de ce qu'ils faisaient, je me suis senti comme la dernière des merdes. Et en même temps, l'impression dérangeante de savoir ce que ça fait.

« Donc, euh... Les écoute pas. C'est tout. »

Ok, maintenant je suis gêné. Et non je ne me ramollis pas, bandes de menteurs, je suis juste la logique. Fais chier. J'aurais dû rester dans mon coin, moi, au lieu de jouer les bons samaritains alors que je n'en suis pas un. Max était amusée de mon embarras, toutefois.

« Tu t'améliores. Bientôt tu vas même nous faire des sourires !
- Rêve pas trop.
- Nan, j'suis sérieux- »


Il suffit que je hausse un peu les soucis pour qu'elle comprenne où je veux en venir.

« … Sérieuse donc. Tu me faisais un peu flipper au départ, mais... Ça va, t'es pas un si gros trou du cul que ça au final !
- Langage. »


Elle rit alors que je lui tends une de mes mains.

« Donc je peux te serrer la main, on oublie et je me casse ? J'ai pas tellement envie de rester, là. »

Je la voix m'observer sans oser dire un mot, comme si elle essayait de comprendre pourquoi je ne lui ai pas posé de questions. Aussi simple que ce soit à dire, je me fiche totalement de ses raisons, et il n'est pas dans ma nature (ce que j'en sais, du moins), de poser des questions. Si elle avait voulu s'expliquer, je doute que j'aurais accepté, toutefois. Je veux bien baisser un peu mes défenses pour ne pas asphyxier les autres à cause de ma froideur mais c'est encore trop que d'accepter les confidences.

« On est amis, donc ?
- N'abuse pas. »



« La digue la digueuuuuh, la digue du-
-'Rête de chanter faux, en plus tu shlingues !
- Oh par Arceus. 
- Est-ce qu'ils ont mélangé trois alcools dans le même verre... ?
- ... Quatre.
- Mais ça a dû être infâme, comment est-ce qu'ils ont même pu ingérer ça ?
- Je ne serais pas surpris qu'ils l'aient fait juste pour le fait de le faire...
- Au moins personne n'est à poil ou dans un endroit louche. Ou les deux.
- J'ai déjà nettoyé deux journées de suite. Hors de question pour ce soir.
- C'est pas Max qui a nettoyé hier... ?
- ...
- Ris, chacal, c'est mal de mentir !
- M'en fous je nettoie pas c'est DÉGUEULASSE !
- Reviens-là ! Assume tes responsabilités !
- Dans tes rêve-euargh !
- Oh, c'était beau. Réceptionné comme une lettre à la poste.
- ... JEAN ! REPOSE MOI ESPÈCE DE... DE MOUCHOIR À MERDE !
- Un vrai sac à patates.
- Viouuuu l'avion ! Tends les bras Ris, ça fait un boeing ! »


Et même si au final je m'étais écrasé ('avait atterri', selon les autres) par terre, ce qui avait fait paniquer tout le monde à l'idée que la plaie puisse être rouverte, je continuais de rire comme si cette  stupidité était la chose la plus drôle qui me soit jamais arrivée. Sans que je m'en rendre compte, un sentiment de familiarité me réchauffait la poitrine lorsque je les voyais s'amuser aussi librement, sans se préoccuper du reste. Quelque part, j'avais l'impression d'avoir déjà été dans ce type de situation. D'avoir connu cette impression de chaleur rassurante au creux de ma cage thoracique.

Mais dès lors que je m'en rendis compte, il n'y eut plus qu'un vide froid dans ma poitrine, tandis que mon rire s'effaçait et disparaissait. Même si les gloussements des autres persistaient et que je voyais dans leur sourire une sincérité déconcertante, j'étais incapable d'afficher la même expression. Non, même si j'essayais, même si je me démenais à aller contre mon instinct pour m'adapter à cette vie, absolument rien ne pouvait dissimuler ce vide dévorant. Les distractions ne fonctionnaient qu'un temps, et je sentais qu'elles commençaient déjà à s'étioler, petit à petit. Maintenant que la douleur se faisait oublier, je ne pouvais plus ignorer comme je le faisais depuis mon réveil. Il fallait que je trouve, où je sentais que j'allais en perdre la tête.
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