- ... Mais les gens autour n'en ont rien à foutre. Ils s'apitoient sur notre sort quand on leur en parle, mais si on demande s'ils pensent pas qu'il faudrait agir, y'a plus personne. Je l'ai vu souvent au Japon, c'est si rageant.

Un soupir m'échappa. Je savais bien que depuis longtemps tout cela.. Mais ce n'était plus totalement vrai. Le monde s'agitait depuis la venue de Mercedes sur l'île, car elle les avait obligés à voir la vérité en face. Mais cela, ma petite sœur l'ignorait bien entendu. Elle en était resté à ce qu'il se passait pendant qu'elle était à l'école, avant qu'elle n'ait son diplôme & ne commence ses six longs mois de stages. Six mois où le responsable de la Base Ranger où elle se trouvait, l'a tenue à l'écart. Dans le silence & le secret, loin de l'agitation de notre île natale, de l'agitation produite dans le monde entier par une journaliste ayant infiltré la Compétition. Il savait que ça la déstabiliserait si elle savait, qu'elle pourrait en louper ses derniers exams & ne le lui souhaitait pas ; alors il nous a avertis nous, sa famille, & a cessé de lui transmettre tout ce qui pourrait concerner Enola. Je n'avais juste pas réalisé encore.. Que c'était à ce point. Qu'elle ignorait réellement tout des derniers mois. Serrant un peu plus sa main, qu'elle avait glissé dans la mienne en me rejoignant au salon de l'appart de Lys pour m'apaiser, je levais les yeux vers elle. Des yeux tristes, dont je tentais de chasser ma souffrance muette pour lui expliquer, avec un nouveau vague soupir.

- Alors ton responsable t'as tant que ça tenue éloignée? Une journaliste raconte la vérité, depuis qu'elle est arrivée l'été dernier. Ça part du Québec si j'ai bien compris, mais le monde sait maintenant. & ça commence à bouger. Je te parie ce que tu veux qu'en plus de venger leur humiliation, le Régime cherche à l'attraper. & qu'ils utiliseront Azmitia pour "justifier" leur acte officiellement, en la présentant comme une ennemie de l'île ou j'sais pas quoi.

Elle resta muette & figée quelques instants, assimilant mot à mot chacune de mes affirmations. Pendant ce temps, Louna vint s'assoir à mon côté sur le canapé, sachant que même si je tentais de le dissimuler pour ne pas trop laisser voir à ma cadette que j'en savais bien plus que cela -elle avait bien dû le comprendre, mais elle fit comme si ce n'était pas le cas-, parler d'Azmitia me faisait mal. Car Azmitia était Mercedes. Ma meilleure amie dont Jude ne connaissait que le nom de Victoria, car depuis l'attentat du Nouvel An deux jours plus tôt, personne n'avait eu le courage de reparler des disparus, de lui expliquer qui ils étaient.. De lui dire qui était cette Victoria dont elle n'avait entendu que quelques fois le nom. Je portais silencieusement ma main libre à mon ventre, pensant à cette amie que je m'étais jurée de sortir de là comme beaucoup d'autres, cette amie avec qui j'avais tant partagé & avec qui je voulais partager encore tant. La meilleure amie que j'ai eue, à qui j'aurai confié ma vie les yeux fermés. Je ne voulais pas la perdre, j'avais juré de la retrouver à d'autres que moi-même, comme son Aligatueur notamment. Mais comment la retrouver, comment l'aider?.. J'avais mis cinq ans à retrouver le seul de mes proches que j'avais pu retrouver, Damien. & c'était grâce à elle, qui cette fois n'était pas là. Jude retourna son regard vers moi, après de longues secondes de silence. Esquissant un vague sourire un peu faible ; tourmentée comme moi, une étrange étincelle dans les yeux.

- Alors il ne nous reste plus qu'à espérer qu'Azmitia n'a pas été prise. Si elle écrit sur la rafle, ils n'auront aucune raison de garder les prisonniers. Si tu as raison & qu'ils l'utilisent comme prétexte, ils seraient obligés de libérer tout le monde.
- Oui, probab.. Mais.. Mais, mais oui! Jude, tu es géniale!

Je m'étais levée d'un bond, le regard empli d'un espoir un peu incrédule, animé d'une nouvelle flamme, en lâchant ces derniers mots. Ma sœur me regarda sans rien ajouter, & je l'enlaçais brièvement avant de partir en courant, sans plus attendre.


* * *

- Je sais comment on va les sortir de là.
- Solène..

La voix de ma mère, tentant de m'interrompre comme si j'avais dit une absurdité, ne suffit pas à m'arrêter. J'avais réuni ma famille dans le salon de la Pension de Zazambes, ou du moins tous ceux qui savaient les différentes identités de ma meilleure amie à coup sûr, exception faite de Crystal évidemment. Je les avais réunis très rapidement, venant ici avec Galia, en affirmant avoir une communication de la plus haute importance à leur faire. Je n'avais rien dit de plus à distance, & m'apprêtais désormais à leur révéler mon idée. Mon attitude avant changé du tout au tout depuis ma discussion avec Judith une heure plus tôt. Je débordais désormais d'énergie, combattive & déterminée. J'avais retrouvé espoir.

- Non, sérieusement! C'est Jude qui m'a donné la solution. Ils cherchent surtout Azmitia, vrai? Si Azmitia écrit pendant qu'ils sont en prison, ils seront obligés de libérer tous les prisonniers, ou presque. Sinon ils perdront la face, & ça, ils ne le veulent pas, vrai?

Ils se regardaient les uns les autres avec une certaine gêne. Quoi, j'avais donc tant que ça l'air de débloquer? Ok, les événements des derniers jours m'avaient méchamment chamboulée, & cela combiné aux hormones m'avait rendue un peu instable émotionnellement, mais tout de même.. N'abusons rien, je n'étais pas folle! Mais ils n'avaient vraiment pas l'air de voir où je voulais en venir, même que Maelys le confirma un instant plus tard en soupirant. Oh je savais que de nous tous, elle était celle qui voulait le plus croire à l'espoir ; & de fait, elle était celle pour qui entendre parler d'un espoir que tous pensaient imaginaire était le plus difficile.

- Ils ont Azmitia, Soso, & tu le sais..
- Mais ils ne le savent pas! Ils ne connaissent ni son vrai nom, ni celui qu'elle porte sur l'île.

On aurait pu entendre les mouches voler, désormais. Ils assimilaient ce que je venais de dire, commençaient à comprendre, à faire le lien. À voir où je voulais en venir. Silencieuse, je venais vers la table du salon autour de laquelle ils étaient assis, m'apaisant enfin un peu, assez pour cesser de faire les cents pas en tout cas. Posant mes mains sur le bois, je m'y appuyais sans m'assoir pour autant, détaillant les visages & expressions de mes proches qui analysaient mes dernières paroles. Discrète, Louna s'était glissée dans mon ombre, posant une patte sur mon épaule sans rien dire. Du coin de l'œil, je vis Kinu, recroquevillé dans un coin du salon, lever soudain vers moi un regard intéressés. Il avait compris lui aussi, & à son regard, je devinais qu'il retrouvait espoir. Comme Louna & moi-même, une heure plus tôt.

- Ça peut marcher, oui.. Tu crois pouvoir le faire?

Finalement, papa avait été le premier à prendre la parole. Des hochements de tête lui répondirent, l'approuvèrent, & un poids dont je n'avais pas encore soupçonné l'existence quitta mes épaules. Un vague sourire prit place sur mes lèvres & je me redressais, déterminée, les yeux étincelants.

- Si je ne peux pas, qui?

J'avais lu tous les articles d'Azmitia, même que je l'avais aidée à en rédiger quelques uns par mes témoignages ; je savais donc comment elle adaptait une situation à l'écrit. Je la connaissais, je connaissais sa façon de penser lorsqu'elle se glissait dans sa peau de journaliste. Il me faudrait peut-être un peu de temps, mais je le ferai. Je réussirai ; avais-je vraiment le choix, de toute manière? C'était la seule façon de la sortir de là, comme les autres prisonniers encore en vie.

- & dans ce cas, qu'est-ce que tu attends de nous?

Pas leur accord, certes, & ils le savaient. Je n'avais pas besoin de leur accord, ni de celui d'aucun résistant non plus, pour agir. Mais j'avais quand même besoin d'eux, de ma famille. De tout ceux qui pourraient juger le résultat, avant que je ne doive l'expédier à son journal en prétendant être elle. Mon sourire s'étira en coin & je croisais les bras machinalement, sans vraiment m'en rendre compte.

- Juste une relecture. Nous n'aurons qu'une seule chance, il faut vraiment donner l'illusion que c'est elle.

De nouveaux hochements de tête autour de la table. De l'espoir revenu dans les regards de ceux qui avaient cessé d'y croire ; un peu tout le monde, en fait. Ce plan pouvait marcher, & ils l'approuvaient, ils m'aideraient comme ils le pouvaient. Sans plus rien ajouter, je m'assis finalement à côté de Damien, prenant sa main, un geste simple mais ô combien apaisant. Plongeant dans mes pensées, réfléchissant déjà à ce que je devrai écrire ou non, tandis qu'autour reprenaient les discussions, tournant toujours autour des prisonniers, des diverses perspectives à envisager. C'était plus léger qu'auparavant, car désormais, il n'y avait plus seulement du pessimisme, mais aussi cette touche d'espoir. Car nous avions une chance, finalement. Une chance de renverser la situation avant qu'il ne soit vraiment trop tard pour tout le monde.


* * *

Une semaine presque entière me fut nécessaire. Une semaine à Nuva Eja, dans mon bureau, du matin au soir tous les jours, en la seule compagnie de Louna, Galia & Kinu, & parfois Ryan qui volait la plupart du temps au-dessus de la maison en gardien attentif ; mes autres pokémons étant restés chez mon fiancé puisque je n'étais guère disponible pour eux. Je ne quittais la pièce qu'aux alentours de 20 heures chaque jour, pour rejoindre Damien & Crystal à la Pension de Baguin. Presque une semaine ; quatre longues journées, plus précisément. À revoir chacun des articles d'Azmitia auxquels j'avais "participé" ou dont j'avais vécu les faits énoncés, encore & encore pour m'assurer de bien faire. De rester dans le bon ton. Je n'avais fait que ça les trois premiers jours, jetant parfois quelques idées sur un bloc-notes. Puis le quatrième jour, j'avais commencé à vraiment organiser cela, & gardant quelques articles témoins sous le coude j'avais commencé les tournures. L'après-midi avait été consacré à la rédaction réelle, & aux multiples relectures faites avec les trois pokémons présents dans mon bureau pour m'aider depuis la première heure. J'avais pris mon temps, réellement, relu plusieurs fois à voix haute pour Kinu notamment, puisque Louna lisait déjà par-dessus mon épaule & Galia dans mes pensées. J'avais travaillé consciencieusement chaque phrase, chaque expression, chaque mot, avec les trois pokémons. Jusqu'à ce qu'enfin, cela nous paraisse aussi parfait que possible. Il était 19 heures environ, le mardi 7 janvier. Il ne me restait qu'à transmettre ce manuscrit à ceux de ma famille qui étaient au courant & pourraient valider ou me pointer un problème non vu.. Puis si tout était bon, je n'aurai plus qu'à envoyer à son journal, & l'article paraîtrait le lendemain ; pile une semaine après la rafle que je décrivais là sous le nom de mon amie.

Un léger sourire aux lèvres, satisfaite, je rangeais rapidement le foutoir que nous avions mis dans mon bureau, aidée par Louna, tandis que Galia allait prévenir Grand-Mère que nous partions. Elle passa rapidement nous saluer, nous souhaiter bonne chance.. & avec un certain amusement de celle qui n'a jamais été dupe, demanda à lire l'article dont je ne lui avais pourtant pas vraiment parlé. Elle avait deviné seule, en ne sachant de Mercedes que le fait qu'elle avait un vrai nom & un pseudonyme comme beaucoup de compétiteurs sur Enola ; & je faillis éclater de rire en réalisant à quel point elle avait fini par bien me connaître. Elle fut donc la première à approuver l'article, avant que je ne m'éclipse avec les pokémons que j'avais emmenés le matin. Notre premier arrêt fut chez Maxwell qui me donna un avis positif, puis à Zazambes le temps de faire lire à mes parents, & ensuite au Centre Pokémon de Baguin pour Maelys.. & enfin, nous nous rendîmes à l'élevage de mon fiancé. Le dernier à lire, celui qui connaissait le moins le style d'Azmitia puisqu'il avait moins eu l'occasion de la lire & de la voir évoluer sur l'île que les autres ; mais son avis fut également approbation. & à l'instant où Dam me confirma que c'était ok, Polyx nous rejoignit dans la pièce où nous nous trouvions, avec l'ordinateur de Mercedes qu'il avait gentiment piraté pour moi en mon absence, avant même que je ne lui demande, de manière à m'ouvrir tous les accès notamment à la boîte mail sécurisée de mon amie. & je le remerciais chaleureusement, avant de m'y mettre aussitôt, tapant rapidement l'article que j'expédiais le soir même à son journal, épuisée mais plutôt contente du résultat final. & voilà maudit Régime, voilà notre réplique, que dis-tu de ça.