Prince des Ours

Aloïs Legrand & Samaël Enodril

Tiens bon, Sam... Tiens bon...

Aloïs n'avait jamais été vraiment doué avec les enfants. On pourrait pourtant croire le contraire, vu qu'il s'est occupé de sa sœur comme la prunelle de ses yeux, mais pourtant, c'est bien vrai. Du moins, c'est ce qu'il pensait au fond de lui. Mais Judith avait fait partie de sa famille, elle avait été son sang et sa vie. Pour ce qui concernait les gosses en général, Aloïs se considérait comme assez maladroit et peu sûr de lui. Il n'avait jamais eu d'enfants à lui, et ses parents n'ont jamais été très présents. Très tôt, il avait dû apprendre à se débrouiller par ses propres moyens et était rapidement devenu autonome. La chance a également eu un rôle à jouer dans son existence, mais tous les jours il avait dû travailler sans relâche pour donner à sa cadette une vie meilleure, qu'elle méritait largement. Aloïs avait cru pouvoir devenir un grand frère modèle, il avait cru qu'il savait s'y prendre, avec les enfants; car il avait élevé Judith, et elle était devenu le rayon de soleil du cuisinier. Mais la mort de cette dernière l'a blessé, comme rien d'autre ne l'avait blessé auparavant. Ce petit corps froid qu'il avait retrouvé cette veille de Noël avait hanté ses cauchemars et l'avait plongé dans une profonde dépression. Heureusement, grâce à l'aide de ses Pokémons, il avait réussit à s'en sortir indemne, mais il avait néanmoins délaissé de nombreuses choses suite au décès de Judith.

Aloïs avait cru être du genre à ne pas s'attacher facilement aux gens. Mais aujourd'hui, quelques heures seulement après la libération, il se retrouvait à cheminer aux côtés d'une Arcanin dans les montagnes pour rentrer à Baguin. Son regard se tournait de temps en temps vers l'adolescent qui se trouvait sur le dos de la chienne de feu.
Samaël Enodril, alias Petit Ours Brun. La première fois que le Champion Coordinateur le vit, c'était le 1er Janvier, lors du Tournoi sur la Grande Place d'Amanil, qui s'était rapidement transformé en rafle organisée par le Régime. Il ne l'avait aperçu que quelques secondes, mais cela avait été suffisant pour qu'il se prenne une ou deux balles et tombe au sol, alors qu'il portait secours à l'adolescent. Il avait directement été jeté dans le camion après, croyant que le gamin s'était échappé de cet enfer. Mais non, ils l'avaient pris aussi; et ce fut d'ailleurs la pire chose qui aurait pu lui arriver.
A peine le gosse était arrivé dans la cellule de son père que déjà ils avaient subi tous deux des tortures atroces et que le gamin avait vu son paternel mourir sous ses yeux. Aloïs, avait malgré lui, assisté à la scène du suicide; mais lorsque cette lame avait transpercé le cœur d'Ikaël, celui-ci avait croisé le regard du blond et il avait cru voir une étrange lueur briller dans ses pupilles dorées. Pas de doute que son fils ait été assez traumatisé après ça. C'était peut-être d'ailleurs pour ça que le Coordinateur avait décidé de veiller sur lui.
Car oui, Mister Prince avait pris la décision de prendre soin de Sam le temps qu'il se rétablisse. Il s'était senti comme "lié" à ce gamin, pour une raison qui lui échappait encore. Tout ce qu'il savait, c'était qu'il ne pouvait définitivement pas le laisser seul dans la nature après ce qui venait de se passer en prison et les jours effroyables qu'il avait passé en compagnie de Dio Silvery, leur tortionnaire commun. Il aurait pu rejoindre sa mère, mais qui sait dans quel état le garçon serait rentrer chez lui, et surtout, qui sait si entre-temps il n'était pas tenté de partir retrouver son père en faisant une très grosse bêtise. Aloïs ne pouvait pas se permettre de laisser l'adolescent mourir comme un idiot, ou mourir tout court. Plus maintenant qu'il se sentait "responsable" de lui.

Voilà pourquoi il se retrouvait dans les montagnes du Nord, avec lui, le Pokémon canin du dresseur, et sa petite tortue, morte d'inquiétude, ainsi que Ange. Le Champion soupira. Après leur libération, Sam s'était débattu pour revoir son père, alors que les soldats l'avaient déjà éloigné de lui depuis le premier jour. Le blondinet n'avait pas eu d'autre choix que d'assommer le jeune brun et s'était résolu à le ramener dans son appartement pour au moins lui prodiguer les premiers soins. Oui, l'emmener à l'hôpital aurait sans doute été plus judicieux, mais il redoutait le réveil du gamin qui n'allait sans doute pas se faire de manière douce, étant donné son traumatisme. Convaincre l'Arcanin n'avait pas été chose facile, mais la Nymphali avait su calmer la femelle enflammée et elle avait finalement accepté de suivre le jeune adulte, voulant avant tout que son dresseur survive, peu importe finalement d'où venait l'aide.
Grâce au bandage de fortune que le Coordinateur avait donné à Samaël en déchirant un bout de sa chemise, le sang avait cessé de couler, mais il avait toujours désinfecter les plaies, rajouter des pansements, et vérifier qu'il n'avait pas attrapé une maladie quelconque.
Le silence pesait sur le chemin, mais quelques fois, Aloïs pouvait entendre l'adolescent prononcer quelques mots. Sa voix était bien trop faible pour qu'il entende, mais il devinait que Sam répétait inlassablement les mêmes choses. A quoi pouvait-il bien penser, en ce moment ? A son père ? Appelait-il inconsciemment à son paternel, ne réalisant peut-être toujours pas qu'il était mort ?...

Alors que le cuistot se penchait un peu pour entendre ce qu'il pouvait bien marmonner, et qui semblait tant le préoccuper, Ange poussa un petit cri. Son dresseur la rejoignit et son regard s'illumina en même temps que la petite femelle à rubans.
Baguin. Enfin. Ils étaient enfin arrivé à Baguin. La ville n'avait pas changé, après ces deux semaines. La nuit était tombé, mais on apercevait les lumières des maisons, et on pouvait sentir l'air marin, odeur qui avait tant manqué au Champion Coordinateur dans sa cellule froide et poisseuse.
Il fit signe à l'Arcanin de s'approcher et de le suivre. Son Amphithéâtre, reconnaissable entre milles, était bien visible. Peu importe le froid des montagnes, le sang séché sur sa peau, ou ses membres endoloris après ce long voyage. Il était enfin de retour chez lui. Il était enfin libre. Libre. Libre.
Alors il courut. Ne pouvant retenir ses jambes plus longtemps, il courut à travers la ville pour rejoindre son Amphithéâtre. Aurore... Il allait revoir Aurore ! La Feunard chromatique s'était enfui lors de la rafle, obéissante à son dresseur, mais Aloïs pensait sincèrement qu'elle était resté avec Karin après ça. La renard argentée l'avait attendu, mais il était là, et il devait allé la voir.

Aloïs faillit trébucher sous le coup de l'excitation, puis se posta juste devant la porte de son Amphithéâtre. Il retint sa respiration, sorti ses clés, et entra, suivi de Sam, de ses Pokémons et bien sûr, de la fidèle Nymphali du blond. Ce dernier scruta les alentours. Les lumières étaient allumées, mais nulle trace de Karin à l'horizon. Est-ce que son assistante était parti à sa recherche ?...

- Vous voilà enfin de retour...

La jeune femme était en chemise de nuit, mais ne semblait pas étonnée, ou même affolée. Au fond, elle avait toujours su que son ami reviendrait. Une voix dans sa tête lui avait annoncé que le Coordinateur serait de retour un jour ou l'autre. Elle s'était quand même inquiété, rassurant Makenzie par téléphone, mais elle avait prié Arceus pour faire revenir son idiot de colocataire en vie. Mais il était là. Dans un état lamentable, certes, mais il était là.
Aloïs se contenta de lui répondre par un sourire et indiqua à porta l'adolescent dans ses bras pour le poser doucement sur un canapé moelleux et confortable. Il continuait encore de chuchoter, et les mouvements de ses lèvres étaient encore et toujours identiques. Mais il ne chercha pas plus à savoir ce à quoi l'enfant pouvait bien penser.

- Une explication, peut-être ?...
- Je te le promets, tu en auras une. Mais je t'en prie, apporte-moi juste un peu d'eau et une trousse de secours.

Karin hocha finalement la tête et monta à l'étage, sans poser plus de questions.
L'Arcanin effleurer la tête de son dresseur du bout du museau, essayant de le réveiller. Le Carabaffe, lui, se glissa sous le bras de l'adolescent et ferma les yeux en se frottant contre lui.
Le blondin se crispa un peu en remarquant les nombreuses blessures du Enodril. Il y avait des coupures, des ecchymoses et d'autres cicatrises moins graves. Son corps meurtri avait pas mal souffert, mais Aloïs fit la moue lorsqu'il se rendit compte que ses blessures physiques allaient être en vérité le cadet de ses soucis. Le jeune garçon avait eu un tel choc émotionnel qu'il tremblait déjà en pensant à son réveil. Il fallait qu'il réfléchisse à comment il allait bien pouvoir gérer ça.

En attendant que sa secrétaire revienne avec les bandages et les médicaments, l'ex-prisonnier approcha timidement sa main de la joue de Samaël. Ce contact lui fit comme un choc électrique et il retira bien vite sa paume. Sa peau était douce, mais froide; et c'est en se comparant à l'adolescent qu'il prit conscience de la pâleur de ce dernier. Il semblait si paisible, quand il dormait... Mais une fois sorti des bras de Morphée, la réalité reviendra le frapper en pleine poire et il sombrera petit à petit.
Aloïs soupira. Tout à coup, une lueur rouge sortit de nulle part et se matérialisa, laissant apparaître une ravissante Absol. Celle-ci papillonna plusieurs fois des yeux, puis eut un hoquet de surprise en voyant l'aspect de Sam. Interdite, elle resta muette, jusqu'à ce qu'elle remarque enfin la présence du Champion. Aloïs déglutit en voyant que la femelle ténébreuse commença à faire un rapport entre les blessures de Sam et le jeune homme à son chevet. Il devina que le calcul fait dans la tête de Yami ne devait pas jouer en sa faveur, car il vit soudainement le regard du Pokémon passer de inquiétude à colère.

- Euh...

Intérieurement, le Coordinateur commençait sérieusement à paniquer. Cette rage qu'il apercevait sur le visage de l'Absol ne lui disait rien qui vaille, et les grognements qu'elle lançait à son égard lui déplaisait fortement. En voyant la nouvelle venue faire un pas dans sa direction, l'humain tenta d'apaiser sa crainte. Mais, en voyant la femelle faire un pas en avant, il ne put s'empêcher de tendre ses bras dans un geste de négation, pour lui faire comprendre qu'il n'y était pour rien, et de parler à voix basse pour ne pas sembler menaçant. Trop tard, cependant; car déjà, Yami, n'y tenant plus, se jeta sur le Champion Coordinateur en feulant.

- WAAAAAAAH ! Hé, hé ! Tout doux ! CAAAAALME !

Malgré les tentatives du blond pour lui faire entendre raison, la rebelle était furieux contre lui. Elle le fit tomber eu sol et lui mordit férocement le bras. Aloïs grimaça de douleur mais essaya de contenir son énervement. Bordel, il avait juste voulu l'aider, ce gosse, pas le tuer ! Elle était où, quand Dio l'a torturé, hein ?!
Se débattant du mieux qu'il pouvait, ne voulant pas blesser le Pokémon, il appela Althéa à la rescousse. Mais cette dernière semblait être absente et il se dit l'instant d'après que la rouquine l'aurait peut-être laissé se faire bouffer par une femelle en furie, au final.
Alors qu'il se croyait obligé de recourir à la force, il entendit un nouveau grognement, mais familier, cette fois-ci. Yami et Aloïs détournèrent la tête vers l'origine du grondement, et les yeux du blond s'illuminèrent.

- Aurore !...

Oui, c'était bien elle. Elle avait senti le présence du Coordinateur jusqu'ici, alors qu'elle croyait ne plus jamais le revoir. La renarde était plus que soulagée de revoir son dresseur vivant, mais apparemment elle n'aimait pas qu'on touche à son ami de cette façon.
L'Absol ne flancha pas devant Aurore, prête à combattre, mais Ange s'interposa au bon moment et soutint le regard des deux autres femelles. Après une bonne minute, Yami finit tout à coup par se calmer et fusilla du regard le blondinet avant de revenir près de Samaël, lui donnant au passage un petit coup de langue réconfortant.
Aurore se retourna vers son dresseur et le regarda, immobile, avant de se jeter dans ses bras en pleurant, trop heureuse de son retour. La morsure infligée par Yami lui laissa une trace de crocs, et faisait ressortir son sang, mais sur le moment, il ne pensa plus qu'à câliner sa Feunard shiny, profitant de la tendresse de son pelage qui semblait apaiser ses doigts à chaque caresse.

Dans un nouveau soupire, il se redressa et s'assit à côté de Samaël, observant celui-ci, évanoui. Surpris, le Champion Coordinateur aperçut des larmes couler sur les fossettes de l'adolescent. Ce dernier semblait tout à coup devenir plus réactif.
Et lorsque Sam recommença à parler, Aloïs comprit enfin, avec peine, ce qu'il n'avait pas arrêté de murmurer.

- So... Fau...