Le vent froid lui fouette le visage. Ses cheveux pareils à la crinière déliée des chevaux flottent autour d’elle. Imperméable à leur contact, elle scrute l’horizon de ses implacables prunelles ambrées. Le ciel encore sombre se nimbe peu à peu de couleur pastels et chaudes, au loin le bruit des vagues qui lèchent la plage lui parvient comme une douce mélodie. Cet endroit si différent de sa terra natale l’inspire. L’insupportable croassement des mouettes et des goelises beaucoup moins par contre. Il l’empêche de concentrer son attention sur la ville qui s’anime doucement. Anula, « La ville habité par les gens sérieux. », son frère lui a présenté en ses termes. Quand elle a exigé un plan et un bilan complet sur la politique et les habitants, il a ri. De ce rire bruyant qui vexait et faisait sourire Elise en même temps. Il avait ajouté pour répondre à sa question que c’était à elle d’arpenter et d’espionner. Ils avaient convenu ensemble qu’elle rencontrerait ses supérieurs plus tard. Un temps d’adaptation à l’île lui permettrait d’être en pleine possession de ses moyens lors de sa première convocation. Si son avenir de future générale politique n’avait pas était en jeu, Elise aurait probablement fait en sorte de sauter cette « quarantaine ». Mais consciente que ce n’était pas le cas, elle avait fait comme si cette décision était la sienne depuis toujours.

Un horrible cri perçant vient l’interrompre. Sale canard boiteux et insignifiant ! Elle retourne s’enfermer dans sa chambre d’un pas rageur. Enfin, sa chambre, ce terme est une… Inadapté ? L’endroit est composé de quatre pièces qui rivalisent en largeur et en profondeur. Dans la chambre, on a pendu des lustres luxueux à l’éclat de la magie des vieilles époques, les murs sont d’un bordeaux imprégnant et le mobilier façonné dans un bois de cerisier chaleureux et vibrant. Learco, son frère, a décrété qu’il s’agissait d’une élégante façon de signaler au reste du monde qu’on était pétait de tunes. Elle avait ri, parce qu’Elise aime la désinvolture et la franchise de son frère. Une salle de bain à l’italienne en marbre équipé de la multitude d’échantillons de savon que l’aîné des Pampelune prenait autrefois un malin plaisir à dérober pour les yeux de la brune. Des toilettes disproportionnée, dont la fenêtre est à elle seule une œuvre architecturale complexe. Et puis le salon. Le vrai, pas celui qui sert à réceptionner la famille avant de partir se balader, non. Celui qui accueille les personnages importants, celui où l’on signe les plus gros contrats, les plus grosses affaires. Le salon des agents secrets au cinéma.

Elise caresse le canapé en cuir blanc d’une main distraite. Elle songe que ce petit paradis n’est que temporaire, qu’une fois admise dans les rangs du Régime, elle renoncera à ce confort intime. Bien loin de l’attrister, cette idée l’enthousiasmer. Son indépendance tout juste acquise lui donnait des ailes et elle ne s’était jamais sentie aussi prête à prendre des risques. Son pied buta contre le corps ramassé de son pokémon. Elle fronça les sourcils, Leborgne traînait inlassablement dans ses pattes. L’idée de l’enfermer dans sa pokéball l’avait parfois effleuré, mais même pour le boulet que représenter le malosse cela lui paraissait trop cruel. Surtout en cette période où la liberté était une valeur chère à ses yeux. Après avoir enjambée le pokémon trapu, la brunette fit quelques pas en direction de la table centrale. Une table en verre à la surface dépourvue de la moindre empreinte ou fêlure, nickel. Dessus traînait le plan de l’île, plié en quatre, la benjamine s’en saisi et le déplia.

Les indications étaient floues et loin d’être une flèche orientation, Elise se lassa vite. Elle se débarrassa du papier et se tourna vers Leborgne qui attendait.

« On part en balade. Il est grand temps qu’on se familiarise avec Enola. Traîne pas. »




Après plusieurs détours, des mines dégoûtées chaque fois qu’un abruti plus téméraire que les autres lui proposait son aide, Elise était à la fois bouillonnante et satisfaite. Bouillonnante, car ses nerfs misent à mal par le soleil qui montait dans le ciel et son incapacité à déterminé avec précision où était quoi dans Anula, étaient brûlants. Satisfaite, car elle savait maintenant exactement où elle se trouvait et que c’était précisément à cet endroit qu’elle désirait être. Devant elle, souveraine et menaçante, se dressait la jungle qui bordait une partie de la ville. Elle semblait si dense qu’Elise avait du mal à croire qu’on puisse quitter le sentier de sable gris qui la traversait. La Pampelune lorgna un instant l’entrée qui n’avait finalement rien d’accueillant, foutu guide touristique ! S’armant d’une farouche détermination et de sa volonté de relever un nouveau défi, la benjamine s’enfonça d’un pas rapide dans l’amas de végétaux. Leborgne la suivait, attentif à d’éventuels dangers.

Le clébard hocha la tête avant de se mettre à tourner silencieusement autour de l’ennemi. Dans sa gorge montait un grondement que le cerf remarque, une valeur lueur anxieuse dans son regard.

La forêt était pleine de secrets. Elise passait à côté de la plupart s’en même s’en apercevoir. Tout dans son allure pressée, son regard ferme et sa tête haute tendaient à dire qu’elle cherchait à se prouvait quelque chose. Leborgne s’interrogeait sur les pensées de sa maîtresse, son but, toutes ces choses qu’elle croyait secrètes. Sur ses talons, il sentait bien la peur paniquée que sa dresseuse tentait en vain de masquer.

La Pampelune s’arrêta devant un arbre. Un frisson parcourut son échine et elle serra son sac contre elle. Tenir droite. Tenir droite. Tenir droite. Elle inspira profondément en plissant ses yeux avant de se retourner vers Leborgne. La vision du chien la contraria au temps qu’elle la rassura. Voir que la bestiole n’était ni apeurée, ni même perturbée par cet environnement nouveau, la rendait dingue. Pourtant, cette présence eu l’effet d’un baume sur son angoisse. Comme le naufragé qui retrouve un autre malheureux est soudain envahi par une affection sincère. L’héritière détourne bien vite son attention préoccupée par le malheureux bruit qu’elle avait entendu. Etait-ce un froissement ou frémissement déjà ? Une jungle n’était-elle pas censée regorger de ce genre de son ? Pourquoi ce long silence au début de son ascension alors ? Calme-toi, Elise. Sois droite et réfléchis avec lucidité. Du bout des doigts, elle tapota sa joue gauche, une habitude de l’enfance pour s’inciter à penser calmement.

Peu à peu, les peurs naturelles et les émotions contraires qui la ligotaient depuis qu’elle était là, se dénouèrent.  Bientôt, elle devina que le bruit qu’elle avait entendu était celui d’un pokémon sauvage, sans doute curieux de savoir qui elle était. Cette pensée fit naître un sourire narquois aux coins de ses lèvres. Si la bête voulait savoir à qui elle avait affaire elle allait être servie. Elise n’avait qu’une hâte maintenant, écrasé son premier adversaire. Il surgit de lui-même, apparition qui aurait troublé Elise il y a quelques minutes, mais qui faisait briller l’excitation dans ses yeux maintenant. C’était un animal splendide, haut d’un bon mètre vingt au garrot et au profil de cervidé. Elle devina plus ou moins son nom, Cerf, Cerffrrr… Impossible de retenir la suite. Il avait le poil sable et court, sa fourrure d’été probablement, son poitrail était plus claire et ses pattes plus épaisses qu’un spécimen féminin. Sa tête était allongé et son regard sombre semblait toisait la bipède avec orgueil et désinvolture. Ce qui impressionna le plus Elise, ce furent les bois, deux cornes épaisse qui s’enroulées autour de deux billes mauves.

La créature et elle se regardèrent pendant une bonne minute. Se jugeant l’un, l’autre avec une attention qui rendait l’air ambiant lourd. Elise estimait qu’elle pouvait remporter la victoire. Certes, le pokémon au corps de cerfs était imposant et impérieux. Mais Leborgne n’en restait pas moins un pokémon déjà entraîné à emmener ses adversaires au tapis. Sans détourner les yeux du visiteur, elle s’adressa au malosse :

« Ca va être ton tour Leborgne. Tu tournes lentement autour de lui et tu l’embrases quand l’occasion se présente. »

Le clébard hocha la tête avant de se mettre à tourner silencieusement autour de l’ennemi. Dans sa gorge montait un grondement que le cerf remarque, une valeur lueur anxieuse dans son regard.

L’attaque fut brève et violente. Leborgne crachota une gerbe d’étincelles qui s’embrasèrent au contact de l’air. Pendant quelques secondes les flammes dansèrent avec grâce, léchant la fourrure et les bois de la bête. Cette démonstration de puissance prit Elise au dépourvue. Elle posa sur son pokémon un regard nouveau. La brune avait toujours refusé de croire en lui, refusant de disputer le moindre match à un pokémon qui la ridiculiserait avant même d’avoir pu porter un coup. Elle découvrait pour la première fois que malgré le fait qu’il n’est pas combattu depuis déjà plusieurs années, le guerrier n’avait pas perdu de sa puissance. Leur adversaire au moins aussi surpris qu’un chiot aussi minuscule soit capable de telle prouesse avait reculé avec précipitation. Ses poils beiges et longs étaient roussis et dans ses yeux une lueur paniquée s’était allumée. La jungle n’offrait pas beaucoup de place et prendre la fuite aurait été inutile ce que le cerf ne devait pas ignorer.

Entre les feuilles larges et les arbres dont on ne distinguait pas la cime, Leborgne se mouvait avec beaucoup plus de discrétion que son adversaire. Détail qui ajoutait à a nervosité du pokémon aux bois. Sa contre-attaque fut brutale, il chargea sans attendre et le malosse fut incapable d’éviter le coup, encaissant dans un gémissement étouffé l’impact d’un adversaire plus lourd que lui. Elise eut une moue déçue, elle s’attendait presque à voir son pokémon gagnait du premier coup. Ne te fais pas d’illusion, Leborgne sera toujours Leborgne, c’est les pokémons de la jungle qui sont trop faible. Bon, finit de jouer. Le manque d’habitude ne devait pas en faire la spectatrice du combat. Elle se devait d’être le guide, celle qui déterminait l’issue de ce combat. Et il n’y avait qu’une seule issue à ses yeux : sa victoire.

Une flamme dansa dans son regard et du bout des doigts elle tapota sa joue en observant le terrain. Doux camaïeu de vert et de turquoise, il était moucheté par des fleurs exotiques aux corolles vives et irisées. La chaleur était si forte qu’elle rendait l’atmosphère pesante, une chance que la jungle soit humide. Les flammes du borgne aurait eu tôt fait d’embraser une herbe sèche. La solution lui parut simple lorsqu’elle vit le regard terrifié et la peau rougi de son ennemi qui cherchait en vain une échappatoire. La benjamine brandit un index autoritaire dans sa direction.

« Flammèche à nouveau ! Le plus près possible ! »

Et de sa gueule sortirent des flammes plus vives et grandes encore que les premières. Il sembla même à la dresseuse que l’attaque durait un peu plus longtemps. Elle sourit persuadé qu’elle tenait le bon bout. La sensation que ses ordres étaient exécutés à la lettre était elle aussi source de ravissement. Elle se complimenta intérieurement de ses qualités de dresseuse, songea avec audace à tous les malheureux qui subiraient ses attaques. Elle saurait faire des flammes du malosse une arme politique indiscutable et comprenait mieux pourquoi son père avait souhaité qu’elle posséda pareil compagnon. Elle vit son ennemi vaciller, elle vit des flammèches qui continuaient à brûler son pelage même après que la gueule du borgne soit fermée. Puis le pokémon tomba. Lourdement, bruyamment et irrévocablement au sol. Pendant quelques minutes des pensées naïves l’effleurèrent « un pokémon sauvage reste-t-il chaos longtemps ? » ou encore « L’ai-je tué ? ». Mais d’un geste de la main, la brune repoussa la culpabilité pour laisser éclater le reste.

Fierté. Orgueil. Puissance.
Ces sentiments se mêlèrent et transformèrent son expression. Son sourire malicieux de gamine déterminée s’était mué en un autre sourire. Celui qu’aborde l’empereur quand il terrasse son adversaire, narquois et bouffi d’arrogance, presque carnassier. Elle tapa dans ses mains avec lenteur en toisant le cadavre de la bête comme un trophée d’une rare valeur.

« Excellent, je pourrais bientôt prétendre à beaucoup mieux. On continue. »

Et d’un pas bien plus lent que celui qui l’avait guidé jusqu’ici, la Pampelune poursuivit sa route. Son sourire définitivement revêche et impertinent partiellement éclairé par la lumière dorée et tamisée de la jungle. La brune n’accorda pas un regard à son pokémon. Sous le masque, le cœur du malosse fut meurtri par cette indifférence, mais il continua à la suivre fidèlement.

Le temps n’avait pas fraîchis, au contraire la chaleur était allée croissant. Le soleil blanc et impérial culminait maintenant dans le ciel en souverain solitaire. Se savoir à l’abri des rayons mordant était un soulagement qu’Elise accueillait avec joie. Déjà plus d’une heure qu’elle se glissait entre les troncs noueux au risque d’écraser quelques princesses de pétales uniques et incroyables. Le sourire guerrier avait disparu pour laisser place à une expression lasse où ses sourcils se fronçaient régulièrement. A plusieurs reprises, le sentiment d’être fui par les bêtes de la forêt tropicale l’avait effleuré. Aussitôt rejeté, les pokémons avaient leur fierté et un pauvre cerfffrr, au poil roussi n’allait pas les faire renoncer si facilement. Le craquement d’une brindille sous son pied la figea. La brune se maudit de sentir son cœur battre si vite sous sa poitrine. Elle tourna son regard vers Leborgne. Le soldat était à l’affût, visiblement le bruit ne lui avait pas échappé à lui aussi. Vexée, la demoiselle marmonna à l’intention du clébard :

«  Oh ça va hein. Ca fait une heure qu’on tourne et t’as toujours pas été foutu de nous trouver un autre adversaire. Heureusement que je ne t’ai pas appelé le limier, hein ? »

Le chien répondit par un jappement sec qui provoqua un frisson chez sa dresseuse. Mortellement froissée cette fois, elle allait cracher au malosse toutes les horreurs qu’elle avait en réserve qu’en un détail attira son attention. Un élément du décor qui n’aurait pas dut l’interpellé, mais que son sixième sens lui criait de ne pas omettre. Dans les hautes fougères, près d’un arbre à la silhouette sombre et voûtée gisait le corps du pokémon abattu plus tôt. Cette vision la trouble quelques secondes avant que son sourire triomphal ne reviennent sur son visage. Le souvenir de sa victoire et le sentiment qui en découlait suffirent à distraire son attention. Ambitieuse rêveuse, elle imaginait déjà le reste du monde subjugué par son adresse et sa dextérité au combat. Un corps blanc et gonflé qui lévitait quelques mètres du sol s’approcha. Il tourna au-dessus de la dépouille de l’adversaire lâche quelques mots, comme s’il constatait à haute voix. Sa présence sembla passer inaperçue aux yeux de la brune qui continuait à se gargarisait en enroulant distraitement un mèche brune autour de son doigt. Le pokémon avait deux billes d’argile à la place des yeux et deux feuilles épaisse et d’un vert vif semblait lui permettre d’orienter son vol.

Le fait qu’il soit à quelques pas fut remarqué par Leborgne. Le malosse hésita à prévenir sa maîtresse il n’avait pas vraiment envi qu’un deuxième cadavre jonche le sol de la forêt. Il finit par s’y résoudre dans l’optique que c’était son devoir. C’était peut-être la seule façon de cesser d’être un outil dans les yeux de sa maîtresse de plus. Pour ne pas effrayer le nouveau venu, il préféra tirer du bout des crocs le pantalon de sa maîtresse. Le cri réprobateur qui déchira le silence fut suivit d’un impitoyable foudroiement du regard. Mais quel abruti ! Si la victoire le rendait aussi imbu il allait sérieusement falloir songer à se débarrasser du malosse ! D’habitude il était collant et pas vraiment agréable à regarder, mais il faisait preuve de décence ! Elle voulut regarder son fut en lin clair avec circonspection, quand un étrange nuage blanc qui flottait à quelques pas stoppa son geste. Elle plissa les yeux avant de reconnaît la silhouette duveteuse d’un doudouvet. C’est pour ça que l’autre imbécile s’est crut permis de toucher à mes habits ? Probablement.

Un regard interrogateur qui se mua en soupir las fut accordé au pokémon. Au moins elle tenait son second combat, profitant de la stupidité des pokémons de la jungle, Elise jaugea son adversaire. Il avait l’air étonnamment robuste, la Pampelune le sentait au travers de son vol harmonieux et mesuré. Elle se demanda s’il s’agissait d’un mâle ou d’une femelle, c’était typiquement le genre de pokémon avec qui la réponse semblait introuvable sans éléments…. Concrets. Un souvenir d’enfance remonta de la brume de ses souvenirs. Un champ, un champ sans fin de petits nuages. Tous des Doudouvets, elle avait sept ans et faisait la promesse émerveillée de posséder une de ces créatures un jour. Le caprice et la crise qui avait suivi cette journée lui demeurèrent secret, Elise avait toujours eut la mémoire sélective. Peut-être qu’il n’était pas trop tard pour réaliser un rêve de gamine… ? Un coup d’œil en direction de Leborgne et son choix était fait.

C’est comme réapprendre à compter. Comme si une notion qu’on vous avec inculquez dès le plus jeune âge vous avez été arrachée, abruptement, sans avertissement. Au moment, où, pour la première fois de votre vie vous apercevez de l’utilité de cette basique connaissance. Un tourbillon, immense et impétueux. Une valse d’émotions sordides qui vous aspirent et vous recrachent. Haletant, suffoquant, on vous relève pourtant. On ordonne à votre vie d’avoir un sens. Et vous devez enfilez les chiffres devenus perles semblables sur un fil et dans le bon ordre.

Elise en était à peu près là quand le doudouvet l’attaqua. Elle ne chercha pas à fuir son attaque, elle était bien trop surprise. Bien trop apeurée pour être capable du moindre réflexe. Elle sentait son cœur de gamine puérile et imbue se contractait douloureusement alors qu’elle gardait témérairement les yeux ouverts. Si la chance ne lui souriait pas. Si cette masse de fils clairs qui lui avait paru quelques instants plutôt innocente et inoffensive se révélait sanguinaire et sadique. Si c’était sa dépouille qui tombait aux côtés du pokémon cerf. Combattre avait toujours fait partie de son éducation. De façon plus ou moins directe, on l’avait implanté  en elle comme on plante une graine : tôt, pour qu’elle grandisse vite. Et jamais la benjamine n’aurait critiqué cette idée, elle aimait ça, se battre. Physiquement, verbalement ou spirituellement, toutes les forment de lutte étaient son ambroisie personnelle. Elle se repaissait du nectar de ses victoires et trompait les défaites avec l’habilité des tacticiens.

Autrement dit, elle se battait aussi bien qu’elle comptait. C’était probablement pour cette raison que l’idée d’utiliser un pokémon pour abattre celui d’en face ne l’avait pas vraiment effrayé. Pour celle-là aussi que, quand elle avait abattu un habitant des lieux, la culpabilité avait été submergée le plaisir de vaincre. Et cette perte de repères la choqua tellement, ébranlant jusqu’aux fondations de ses idées, qu’elle eut l’impression d’avoir le souffle coupé. La scène se déroulait au ralenti. Elle voyait le corps de l’ennemi se laisser porter  par une brise plus forte que les autres, le regard observateur de la bête avait changé. Il était devenu plus vif et plus impitoyable. Peut-être qu’Elise ne dut son salut qu’au Borgne qui rapide intercepta l’attaque de plein fouet. Dans un bruit de succion abominable les deux feuilles du pokémon cotonneux absorbèrent l’énergie vitale du malosse. Ce dernier encaissa l’attaque sans broncher, sous les yeux vides et lointains de sa maîtresse qui se voyait certainement par terre.

Le geste la fit réagir, la tirant une bonne fois pour toute de l’étrange torpeur qui l’avait gagné. Un flot d’informations contradictoires où les stratégies pour abattre l’ennemi et les différents scénarios qu’elle s’était inventée affluèrent dans son esprit. Un mot s’étouffa dans sa gorge, avant qu’elle ne se reprenne plus ferme cette fois :

« Contre-attaque avec Flammèche ! Je ne veux plus qu’elle m’approche ! »

Sans trop savoir d’où sortait cette idée, la brune avait maintenant l’intime conviction que le doudouvet était une femelle. En fait, si, il y avait bien quelque signe qu’elle assimilait à la féminité et qu’elle retrouvé chez le spécimen. Le mélange d’assurance et de mesure qui guidait ses gestes, ainsi que la farouche volonté de prendre son adversaire à revers. Leborgne se jeta sur l’ennemi, une bouffée enflammée jaillit de la gueule du canin. De cet assaut, leur adversaire ressorti avec le bout des feuilles noircies et un regard affolé qui ne trompa Elise. La benjamine sentait que c’était le moment. D’une main rendue fébrile par l’excitation elle fouille son sac. Du bout des doigts, elle palpait des objets qui lui semblèrent intensément futiles. Des potions, son pokédex, de l’eau, un anti moustique – dont elle s’était généreusement tartiner –, la trousse à maquillage de secours et deux, trois bijoux que la valeur symbolique rendait plus précieux que l’or ou les diamants. Quant enfin elle sentit un objet rond et plastifié, aucun sourire ne s’étala sur son visage. Son cœur battait trop vite, seul importait de capturer son tout premier pokémon. Le reste passer en second et ce n’était finalement pas un tare.

Leborgne choisit de sagement s’écarter, pendant que sa maîtresse, le teint livide, s’avançait à petits pas de l’ennemi. Elise était grisée et submergée, elle avait peur que son cœur ne la lâche d’une seconde à l’autre. Elle n’arrivait même pas à comprendre les véritables raisons qui la poussaient à désirer ardemment ce pokémon qui avait voulu l’attaquer. Peut-être était-ce l’insoupçonné pouvoir des souvenirs ? Peut-être que sa peur l’empêchait d’avoir les idées claires ? Ou alors il s’agissait d’un idéal bien plus élevé, une intuition inexplicable, mais qui lui permettrait d’entreprendre tout ce qu’elle voudrait. Finalement, tout cela ressemblait plus à un nuage de suie compacte qu’elle n’avait aucune envie de traverser. Elle ramena donc son bras en arrière, imitant le geste qui avait parfois fait la réputation de dresseur légendaire. Et tira. La pokéball faillit ne pas toucher l’ennemie. Elise le vit. Mais, mirage ou réalité, le corps de la créature duveteuse la créature se positionna légèrement plus à droite dans la trajectoire du tir.

Alors que la pokéball roulait dans un mouvement de bascule hypnotisant qui insupporta la brune, à qui il rappelait le cauchemar du « tic-tac ». La Pampelune songea à ce qui allait devenir sa première capture, à toute cette précipitation, toute cette hâte. Avait-elle fait un bon choix ? Elle s’était trouvée d’une faiblesse étonnante et son ego en avait pris un sacré coup. Elle ne voulait plus jamais perdre ses moyens. Elle nourrissait des ambitions bien trop hautes pour passer par la case « minable » quand le cœur lui en disait. Si cela avait été le cas, elle aurait rejoint la Résistante, pas le Régime. La pokéball s’arrêta avec un bruit sonore et assourdi, comme si une clé venait d’être tourner dans la serrure.

La capture resta un long moment en suspens, comme si Elise peinait à réaliser qu’elle venait bel et bien d’apposer son sceau sur une bête jusqu’à la sauvage et volontaire. Cette idée circula dans son esprit sans la sortir de sa torpeur, jusqu’à ce qu’en quelques pas mesurés elle rejoignit la sphère. La boule plastique attendait, inerte. Paisible et statique comme s’il s’agissait d’un objet du quotidien, pourtant la Pampelune ne s’y trompait pas. Une vie battait à l’intérieur de l’objet. Elle s’en empara et sourit de toutes ses dents. Elle se retourna vivement vers Leborgne, la victoire et la fierté se lisait clairement sur son visage.

« Pas si imbattable la bête finalement ! Alors Leborgne ? On reste pantois, hein ? Fille ou garçon à ton avis ? Oh et puis, je m’en fiche, je vais sortir le truc que m’a refilé papa se sera plus rapide. »

Ses gestes étaient vifs et impatients, elle avait déjà oublié sa frayeur de tout à l’heure. Et si c’était un pokémon plus fort que les autres ? Peut-être qu’elle était la fille d’un pokémon exceptionnel. Cela ne serait pas étonnant, Elise avait toujours eu une si bonne intuition. Il faudrait un nom à la hauteur de son pokémon. Si c’était une fille elle lui donnerait le nom d’une de ces féministes qui avaient trempé dans la politique. Elle avait une passion pour les femmes de caractères, chose qui faisait rire ses parents et froncé les sourcils du grand-père. Un garçon elle le nommerait…. Robin ! Comme Robin des Bois, son excitation est presque palpable. Elise aimait tellement le sentiment que lui procurait cette nouvelle capture. Un nouveau partenaire qu’elle pourrait utiliser dans son ascension au pouvoir venait de la rejoindre. Et le sentiment d’avoir fait un premier pas dans le monde des grands était… vivifiant.

Le pokédex demeura longtemps introuvable lui tirant des plaintes aigus et un agacement qui faillit bien retombé sur Leborgne qui avait eu le malheur de s’approcher d’un peu trop près. Le canin était loin de partager l’enthousiasme de sa maîtresse, à vrai dire il sentait une jalousie sans bornes poindre en lui. Lui, si droit et si loyal, ne pouvait supporter que l’arrivé d’un  nuage verdâtre suscita plus d’attentions que lui n’en avait jamais reçu durant les onze dernières années.

La jeune femme dont la tignasse brune était devenue totalement désordonnée brandit le pokédex. Elle avait fini par retrouver l’engin noir et rectangulaire entre la bouteille d’eau et sa bible personnelle « Les femmes de pouvoir ». Le simple fait d’avoir ce petit livre de deux cent cinquante pages dans son sac, lui donnait parfois l’assurance nécessaire pour s’affirmer. Une fois le pokédex allumait, elle le savait car il se manifesta avec une mélodie de bienvenue sonore et désagréable, la benjamine étudia le fonctionnement. Elise n’aurait avoué pour rien au monde que c’était la première fois qu’elle ouvrait son « jouet ». Elle l’avait eu avant même Leborgne, pourtant elle l’avait trouvé débile. La brunette faisait partie de cette jeunesse qui trouve que s’enrichir sur les pokémons avec des définitions et des statistiques, c’était le pire des ridicules.

Incertaine, elle commença par s’asseoir en tailleur. Quand ce fut chose faite, elle s’entêta à mémoriser les boutons tout en enroulant et déroulant un mèche brune autour de son index. Si marche c’est ici… Que suivant c’est là… Et que le capteur en haut… Alors… Bordel ! Le sang-froid d’Elise venait d’être réduit en cendres, son impatience de découvrir la nature et blabla de son pokémon y était très certainement pour quelque chose, mais le résultat était le même. Hors de question qu’elle retouche à ce truc. Il n’était de toute façon d’aucune utilité. C’est une araignée verte et répugnante qui, en descendant de son fil, stoppa nette sa complainte intérieure. Réactive, elle se dressa en toisant avec mépris la créature qui venait de la défier. Encore un descendant de la Résistance… Bien, sa mort serait la première contribution apporter au groupe politique. Elle siffla Leborgne qui se hâta de se mettre en sa dresseuse et l’ennemi en grondant. Dans la gueule du malosse pendait le malheureux pokédex qui gémissait des informations de voix mécanique.

Elise vrilla les tympans du pauvre chien pour qu’il lui rende son précieux jouet. Le ton employé était si agressif et mauvais que Leborgne loin de ramener gentiment l’objet chercha plutôt à fuir sa dresseuse. La benjamine était hors d’elle, elle était contrainte de courir après son pokémon et il était certain que si elle le rattrapait il ne s’en tirerait pas indemne. Le sol humide et boueux de la jungle salissait ses ballerines et les malédictions pleuvaient sur son passage. Comment ce petit nigaud pouvait-il se permettre un comportement aussi absurde ?! Elise ne supportait pas les gens qui refusaient de plier à son pouvoir. Elle les écrasait. Pendant qu’elle courrait, la brune comprit plusieurs choses qui lui sauverait probablement la vie plus tard, d’une Leborgne n’était pas son ennemi ce n’était donc pas à elle de le poursuivre. Et  de deux le mimigal était toujours en vie, et lui par contre c’était une cible qui devait rapidement disparaître.  Elle s’arrêta net. Scruta les lieux de son regard vif et distingua nettement la sale bête et cherchait tant bien que mal à s’emparer des sandwiches contenu dans son sac. Sale petite punaise arrogante, je vais te faire comprendre pourquoi les bêtes comme toi sont des nuisibles. Ses yeux se firent instantanément durs et haineux. Le brune siffla Leborgne qui comme s’il avait senti le changement qui venait de s’opérer chez sa dresseuse se hâta à ses côtés. Il déposa la machine à ses pieds et poussa un grondement terrifiant à l’égard de l’insecte. Ce dernier se retourna en faisant jouer des mandibules. Elise le trouvait répugnant, elle reconnaissait bien là les insectes : laids, insignifiants, mais persuadé du contraire. Elle devait s’organisait de façon à calciner la bête sans que le sac et son contenu y passent. Une idée plus ou moins lumineuse lui vint. Elle s’empara  de son pokédex laissait à l’abandon et d’une main experte qu’elle devait à plusieurs années de lancer de couteaux le balança dans la face du mimigal. Touché par le projectile et apparemment peu satisfait, l’araignée s’écarta vivement. La Pampelune sourit, cet imbécile venait de signer son arrêt de mort.

« Flammèche Leborgne, puissance maximale. »

Le malosse ne se fit pas prier et le bruit d’un briquet qu’on allume monta dans sa gorge suivit par une gerbe enflammée. Il faut reconnaître que le chien savait y faire et que son talent était indiscutable. Le feu prit possession de l’insecte et l’insecte tomba raide sa carapace noircie par le feu. Elise colla un sourire victorieux sur son visage et toisa le cadavre de l’animal avec mépris. Il s’en était finalement fallut de peu pour qu’un de ses casses croutes y passent. Elle remercia Leborgne d’une brève tape sur la cime de son crâne. Le chien gonfla le poitrail de fierté, sa dresseuse était s’y avare de gestes d’affections à son égard. Alors qu’Elise prenait la sage décision de refermer son sac et de vérifier le sexe du doudouvet une fois arrivé au centre pokémon de la ville, le malosse songeait au voyage. Il sentait que sa maîtresse et lui deviendraient alliés grâce à ce voyage. Et cette pensée le rendait joyeux.

Ils reprirent le chemin du retour, au cours duquel Elise projeta à haute voix ses ambitions. Partage auquel le malosse fit l’effort de s’intéresser bien qu’il ne parvienne pas à saisir toutes les nuances entre les motivations de la meute de sa maîtresse et celle de la meute ennemie. Plusieurs fois sur le chemin sa dresseuse fut prise d’un doute et s’en référa à lui pour choisir le bon chemin, le molosse s’exécutait avec application, conscient que la moindre erreur ne lui laisserait aucune seconde chance. Finalement, la jeune femme lui parla de son frère. Elle était triste de ne pas l’avoir vu depuis le ferry. Elle espérait un signe de sa part, quelque chose, en attendant elle devait s’acclimater à l’île. Elle le savait. Mais ce savoir ne rendait pas la brunette plus heureuse, elle avait peur qu’ici, dans cet endroit où elle ne connaissait que son frère, on la rejette. Certes, elle avait de l’argent, mais on lui avait répété que sur l’île tout le monde avait de l’argent. La benjamine se ressaisit en fin de parcours, elle clame haut et fort qu’elle serait la meilleure et que tout la respecteraient. Que dès demain elle irait s’entraîner, que dès demain elle ferait connaître son nom à travers toute Enola. Elle sortit de la jungle d’un pas assuré comme si sa chevelure en bataille et la fine coupure rouge sur sa joue n’existaient pas. Leborgne se tenait près d’elle silencieux, mais bien là.