- Antonio j'peux te demander un service? Il me faut des journalistes. Le plus que tu peux d'ici la fin de semaine, fais leur savoir que je n'ai que peu d'exigences. Choisis parmi ceux qui bossent pour la télé celui qui a les contacts avec la plus grosse chaîne & dis-lui que je lui laisse choisir date & heure de la conférence s'il m'assure un direct sans montages.

Il était temps de faire taire ces maudites rumeurs. Bien six mois depuis la sortie de cette photo de Max & Emilio, pratiquement autant de temps avait passé depuis que le premier avait officiellement confirmé les faits & démentis bien des rumeurs sur lui & moi-même. & pourtant ils continuaient, ces corbeaux. Il les avait fait taire quelques jours, mais ils s'y étaient vite remis. & que va devenir Sunny, par Arceus? Pauvre éplorée, elle était sans doute amoureuse de lui en secret! Oh là là traîtrise. & puis qui est le père de sa gamine en ce cas, ce serait une fille facile? C'était juste insupportable. Je n'avais jamais été très attentive aux rumeurs, mais celles-là étaient trop lourdes, si ce n'était dangereuses. Car je me déplaçais librement dans Enola & qu'on me reconnaissait parfois, car des gars malintentionnés pourraient décider qu'ils avaient leurs chances, car tant de choses. Je n'avais juste pas envie de m'encombrer. & surtout envie de mettre enfin les choses au clair avec cette horde de vautours assoiffés de scoops, quitte à entamer avec eux un long bras de fer. Trop longtemps qu'ils se moquaient des limites de ma vie privée & qu'ils me harcelaient chaque fois qu'ils pouvaient me dénicher durant la Ligue & la Finale. Trop longtemps qu'ils harcelaient mes proches ou les autres Élites de Nuva Eja, avec leur maudite presse à scandales qui selon moi n'avait vraiment pas lieu d'être dans la Compétition. C'était utile pour les Compétiteurs peut-être, pas pour ceux qui avaient leur place déjà assurée ; le monde du dressage n'est pas celui de la chanson ou du cinéma, il ne fonctionne pas par la promotion. & il était décidément temps de mettre une fois pour toutes les choses au point. Je passerai pour une teigne, mais j'en avais toujours été une.

- Tu vas leur dire ce que tu penses d'eux?
- Je vais leur dire ce que je pense d'eux.

Un sourire énigmatique à l'adresse de ma petite sœur, qui me répondit d'un clin d'œil complice. Il était temps pour cela aussi, depuis ces années que je les supportais, que je les endurais sans rien leur dire pour tâcher d'avoir la paix. Cette fois je comptais bien les affronter, & tâcher de leur rabattre le caquet. Non mais.

* * *
- Mesdames & messieurs les journalistes, si vous saviez comme je suis agréablement surprise de voir tant d'entre vous réunis en ce jour, juste pour m'écouter.. Moi, cette petite dresseuse irréfléchie qui vous a fuis si longtemps, qui ne savait pas ce qu'elle perdait..

Des rires échappèrent de part & d'autres à l'assemblée de journalistes, dupes, croyant à mon ton mielleux & mon air innocent, croyant ces excuses parfaitement hypocrites auxquelles quiconque me connaissait un petit peu n'aurait jamais cru un seul instant. Idiots, vautours, ne prenant même pas le temps de réfléchir une seule seconde. Un rictus moqueur s'esquissa soudain sur mon visage alors que je marquais une pose, pour parcourir le rassemblement de micros, caméras & bloc-notes. Des regards incrédules parurent ci & là devant cette nouvelle expression tranchant clairement avec la précédente.

- Aha. Si vous riez, vous êtes vraiment plus naïfs que je le craignais, mesdames, messieurs. Ne vous doutiez-vous donc pas un petit peu que si en quatre ans depuis ma prise de poste j'organise une unique conférence de presse, ce n'est pas pour votre éloge? Encore moins pour plaisanter sur ma soi-disant grande perte à rester loin du fléau que sont les médias?

J'en avais sévèrement marre de subir leurs conneries, marre de les voir imposer ces mêmes conneries à d'autres ne l'ayant pas plus demandé que moi ; j'étais au bord de l'explosion. & pourtant ainsi, face à eux volontairement en ce matin de mai, Louna à ma droite & Zuko invisible dans mon dos pour aider à dissimuler mon ventre arrondi, je restais très calme ; presque trop calme. Seuls mon expression froide, mon regard noir & mon ton venimeux témoignaient un petit peu de la colère qui bouillonnait en moi, que je contenais depuis le premier jour où un journaliste avait tenté de percer à jour ma vie privée. Que j'avais contenue jusqu'à craquer, cinq longues années plus tard.

- Il suffit à présent, assez des faux semblants, je vais être franche & directe, car fragile & innocente vous devriez le savoir depuis le temps que vous me stalkez, ce n'est pas moi. Je vous ai fait venir entre autres pour taire ces rumeurs à mon tour, comme l'a fait Maxwell Young il y a quelques temps. Notez bien que je ne suis pas la petite chose malheureuse de l'histoire, qui en fait aimait secrètement Max ou qu'il a abandonnée pour un homme ou que sais-je encore. Il vous l'a dit, je le répète. Nous sommes l'un pour l'autre comme un frère & une sœur, sachez bien que je suis absolument ravie pour lui. Quant à ma fille, elle a bien un père, à savoir mon compagnon. Je n'éprouve seulement pas le besoin d'afficher ma vie privée dans vos torchons.

Aucun n'avait pensé à couper sa caméra ou son micro, pour ceux qui en avaient, trop choqués d'avoir été réunis pour se faire incendier ; ce qui allait me servir, puisque grâce à celui qui était retransmis en direct, aucun ne pourrait déformer mon discours. Quoi, ils ne s'y étaient pas attendus? Ils auraient dû pourtant, depuis le temps qu'ils se la jouaient stalkeurs face à tous les dresseurs un peu renommés de l'île.. Cela les surprenait vraiment de faire face à des réactions venimeuses, de voir celle qui passait tout son temps à les fuir finir par se fâcher devant le "scoop" de trop? Si tel était le cas, ils n'avaient absolument rien compris à deux concepts fondamentaux ; ce qu'est être dresseur, & ce qu'est la vie privée.

- Car ce n'est pas ça, être dresseur, même pour un Champion, même pour un Conseiller, ni même pour le Maître. Ça c'est le lot des stars d'Hollywood ou de la télévision, de ceux qui ont choisi une voie appelant les écrans de toute manière ou nécessitant de faire leur promo ; quand à moi je refuse d'être un de vos peoples, une de vos proies, foutus vautours. Je suis dresseuse, pas image, je suis une personne avec une vie & des sentiments, qui a droit à son intimité & qui la gardera quoiqu'il arrive ; ce n'est pas pour rien que vous ne pouvez me dénicher hors période de Ligue. C'est votre faute seulement si je fuis tant les journalistes & les caméras, au point de ne même plus accepter les quelques interviews qui se justifient.

Une seule fois, lors de ma première année en tant que Maître, j'avais accepté de répondre à quelques questions après les derniers matchs de Ligue, concernant les qualifiés en Finale, une interview parfaitement compréhensible même si j'avais affirmé que je ne ferai aucun pronostic pour la suite. Quand j'avais vu ce que devenaient ces vautours désormais que j'étais réellement une figure durable de la Compétition & non plus juste l'inattendue gagnante d'une année.. Je n'avais plus accepté aucun autre micro que celui que me donnait l'organisateur de la Compétition de l'année après les Finales, lorsqu'on couronnait le vainqueur. Un micro n'étant pas celui d'un journaliste, en somme. & tant que les journalistes se comporteraient à la façon de paparazzi toujours à l'affût de la moindre info sur ma vie privée, quitte à inventer pour avoir un scoop à se mettre sous la dent, tant qu'ils agiraient tels des chacals affamés.. Hé bien, ils pourraient toujours courir pour me voir de nouveau accepter une invitation à discuter de quoi que ce soit!

- Que ce soit clair dans vos esprits désormais. Être dresseur ne signifie pas être une chose sans cervelle, une machine à fric, une jolie image pour les médias. Ça n'a rien à voir. Je suis juste dresseuse, je n'ai pas besoin de vos torchons à scandales ni de faire ma promo ni rien de tout ça, mon poste me suffit amplement & me plait tel qu'il est ; c'est-à-dire que les seules caméras admissibles, les seules comprises dans le contrat, sont celles sur le stade pour retransmettre les matchs, & certainement pas celles qui cherchent à passer mon existence au peigne fin. Notez-le une bonne fois pour toutes : ma vie privée ne regarde que moi. Laissez ma famille tranquille.

& sans plus de cérémonie, je fis signe à Galia, jusqu'alors dissimulée dans un coin de la pièce. En un instant elle fut à mes côtés, & la seconde d'après elle nous téléportait, Louna, Zuko, elle & moi, à la maison.