La fille de papier

feat MERCEDES & CAESIUS

La Mandragore était calme, les mercredis matins. Cependant, cela ne m'empêchait pas de me lever à 7.00, exactement, et à huit heure moins cinq, d'être devant le comptoir, assis sur ma chaise inconfortable, à attendre des lecteurs curieux et leurs envies de papier. Je m'étais fais, sinon des amis, disons des connaissances depuis notre déménagement à père et moi. Il y avait des clients réguliers, qui appréciaient non seulement le calme de l'endroit mais son atmosphère étrange, emplie d'odeurs de parchemins vieillots et de chocolat chaud. C'était mon endroit préféré : derrière le comptoir, où j'avais posé une pile de livres à lire, où une tasse de lait frais à la cannelle m'attendait à la sortie de mes illusions d'encre.

« Allons bon, quelqu'un aura oublié cela. »

Je pris entre mes doigts le ruban de couleur bleu ciel et le fit jouer sur ma chair pâle. Il semblait avoir d'agréables reflets turquoises, sous la lumière passée des néons. Ici, à la Mandragore, l'ambiance était ancienne, avec les meubles et les décorations. Je regrettais que nous ne soyons que deux : père travaillait quasiment uniquement dans notre appartement, sur ses mythes et légendes. J'étais le seul à réellement faire tenir cette librairie, et même si j'adorais ça, l'aide était la bienvenue. Néanmoins, je me voyais mal me plaindre : ce n'était pas dans mon caractère. Et puis, au fond, je préférais faire du bon travail seul plutôt que d'être ennuyé par les soucis de quelqu'un d'autre.

Je rangeais le ruban dans le premier tiroir de mon bureau et m'installais sur mon fauteuil vaguement défoncé. Les ressorts me piquaient les reins, mais un libre sur les cuisses, l'air concentré, je n'y faisais plus attention. Au-dehors, la matinée avançait sans que j'y prisse garde. Le soleil s'était levé depuis longtemps, mais je gardais les lumières allumées : il faisait sombre ici sans lumière, même en pleine journée, sauf quand nous tirions totalement les épais rideaux. Je mis un marque-page et m'avançais vers le coin bar, où je me servis un verre de jus d'orange. Je songeais à remonter prendre à manger, mon estomac se mettant à grogner comme un ursaring en colère, quand je vis passer une silhouette familière près de la porte. Cette même personne entra, et mon coeur fit un bond dans tout mon corps, virant au niveau de l'estomac pour finir dans la gorge, ce qui explique sûrement la voix fêlée qui sortit de mes lèvres, maladroitement :

« Bonjour mademoiselle Hills ! »

J'étais trop enthousiaste, trop malhabile. Je rougis, baissais mon regard d'émeraude et détournais le visage, me cachant derrière les rideaux de mes cheveux. De calme et serein, j'étais passé à un peu paniqué. Et pour cause : Victoria, la demoiselle devant moi, était ma muse, celle qui faisait naître ces émois dans mon être fragile, dans ce corps où l'amour n'avait pas encore sa place mais qui s'y installait comme un chat, à coup de griffes et de ronronnements, malgré mes protestations. Je n'osais croiser son joli regard bleu, et je su qu'elle allait encore me gronder gentiment, parce que je ne l'avais pas appelé par son prénom et que ça la rendait vieille, dans ma bouche, ce genre d'appellation. Un mince sourire traversa fugacement mon visage, par amusement de ce qui allait suivre.

La fille de papier

feat MERCEDES & CAESIUS

La voir ainsi devant moi, faussement agacée par ma bourde, me fait sourire. Je hausse d'un air penaud les épaules, avec un sourire d'excuse. Peach monte sur mes épaules et entoure mon cou comme une petite étole de fourrure vivante. Je prends un gâteau, le casse et lui en donne la moitié ; tant pis pour les miettes. J'apprécie beaucoup Peach ; même si elle a un côté très vivant, elle est douce et gentille. Comme sa dresseuse. Mon sourire penaud disparaît pour un devenir un vrai, un beau, alors que mes joues rougissent et que mon regard se baisse un peu. Les manières séductrices de Victoria me plaisent et me mettent mal à l'aise. Je sais bien qu'elle ne me drague pas pour de vrai - on a quoi, sept ans de différence ? Et puis elle doit avoir un copain ! - mais sa façon de s'exprimer avec moi me fait plaisir.

« Tout va bien. Père commence doucement à descendre de son perchoir pour m'aider à tenir la librairie, et c'est une chose notable. Quand à mon ennui de vous, quand je ne vous vois plus, c'est comme un jour sans vin et sans pain » je fais, en citant je ne sais plus quel poète.

Je pousse même jusqu'à faire un clin d'oeil, qui aurait sûrement eu plus de gueule si, poussé par ma timidité, je n'avais pas de suite détourné le regard. En sentant la présence de Peach, je songe à la bonne nouvelle que je dois dire, mais tout d'abord, les gourmandises ! Je sors un plateau et, après avoir invité Victoria à s'installer dans son coin favori, je lui ramène ce qu'elle préfère. Ses petits gâteaux préférés, fait maison, et une boisson chaude. Je pose le plateau devant nous, en m'installant face à elle, d'un air amical. J'aime quand elle vient et qu'il n'y a personne : je peux faire du favoritisme sans que cela se voit. Cela doit faire plusieurs mois que je ne lui demande plus rien - je me suis fâché, une fois, quand elle a insisté pour payer. Je l'aime bien, assez pour lui offrir quelques douceurs. Ce seront sûrement les seules choses que je pourrais jamais lui offrir - hors de question qu'elle pose un regard sur mes poèmes sur elle.

« Installe-toi aussi, Peach. Je reviens, j'ai une surprise à vous montrer. »

J'ai l'air d'un enfant qui a fait la plus belle poterie de sa classe. La fouinard descend et s'installe sur la petite table où j'ai fait poser un coussin - habituellement, les pokémons ne sont pas acceptés, mais encore une fois, pour Victoria et Peach, je fais une exception. Je me glisse derrière le comptoir et dans la salle derrière. C'est une espèce de débarras. Et, dans un coin, je prend doucement dans mes bras l'objet de mon désir pour ressortit délicatement. Elle dort, la petite Cersei, mais en me sentant près d'elle, elle bâille et regarde autour d'elle, intéressée, ronronnant un peu. Je me tiens debout près de Victoria, et lui présente fièrement ma nouvelle compagne.

« Voilà Cersei, ma petit Lixy. Je l'ai capturé il y a deux semaines dans les marais. Elle s'est très bien faite à la vie ici, et elle adore que je lui lise des histoires ! C'est un peu comme toi et Shadaya. Je voulais un lien comme tu as avec tes pokémons, comme avec Peach. Père a un peu râlé, mais elle est toujours là, et moi aussi ! »

J'ai un haussement d'épaules, alors que Cersei se réveille totalement à l'odeur des gâteaux. Elle se glisse au sol et vient s'asseoir à ma place, sa tête dépassant du dessus de la table. Elle est calme, douce, timide ; elle se cache un instant sous la table, surprise que quelqu'un soit là, mais elle renifle les odeurs et réapparaît, sa tête posée sur la table. Je souris, affectueusement. C'est la plus parfaite des compagnes que j'ai là, et je pense qu'elle a deviné que la femme face à elle est ma muse. Son regard doré brille un instant, entre amusement et curiosité. Je m'approche, m'assois en la prenant sur mes genoux. Elle se blottit contre mes cuisses, attendant que je lui donne une friandise - ce que je fais immédiatement. Je ne la connais que depuis deux semaines et j'aime déjà la gâter.

« Au fait, j'ai cru comprendre que tu participes à la fête, cette année. Tu te sens d'attaquer pour affronter Sunny ? »

J'ai un air amusé, comme si je pouvais douter d'elle, avant d'avoir un hochement de tête. Non, je ne doute pas d'elle. J'ai vu ses pokémons, j'ai vu leurs liens et leur force. Si Victoria veut gagner, elle gagnera. Elle ne peut pas perdre, parce que je crois en elle, plus qu'elle ne le saura jamais.