De ces rencontres inoubliables |OS|

De ces rencontres inoubliables

feat. Melinda Connors

Hésitation sur le seuil, un mouvement à moitié effectué, qui au final attire d'avantage l'attention sur cette tentative veine de passer inaperçue. Le fauteuil se retourne aussitôt, comme si l'auteure de ce pivot avait senti ma présence, et je me retrouve devant ce visage long, orné de deux prunelles d'un brun profond s'apparentant au rouge, tisons ardents qui me scrutent avec un soin méticuleux et intense. Posant un pied mon pied levé sur le sol, rougissant d'embarras à l'idée de m'être laissée surprendre comme une enfant qui aurait bien du cogner, je baisse les yeux, intimidée, et esquisse un sourire tout juste visible. La femme qui se tient devant moi n'a rien de ce que je lui ai imaginé. Il s'agit d'une femme très grande, aux formes voluptueuses et au regard farouche, encore florissante de jeunesse. Elle est drapée d'un kimono aux couleurs tendres, sous son sarreau de médecin. On me l'a décrite comme de quelqu'un de très courageux et professionnel, qui a énormément de talent et qui forme ses apprentis... à la manière d'un tyran. Exigeante, elle poussera ses stagiaires à bout, se montrera même méchante pour les élever au rang de la perfection. Un honneur et une malédiction tout à la fois, donc. J'aurai pour moi une enseignante motivée, qui me poussera toujours de l'avant, mais qui me fera aussi beaucoup souffrir. Cela ne m'inquiète pas vraiment, l'hésitation vient d'autre part.

Autre part, au plus profond de moi, là où ma timidité naturelle s'agite. Cette hésitation qui stoppé mon pied dans sa course n'est que le fruit de mes tourments habituels. Et si j'ai l'air idiote? Que pensera-t-elle de moi? Vous voyez? Ce genre de questions totalement stupides qui ne servent qu'à m'embourber, et qui à présent provoquent une certaine rougeur contre mes joues. Prenant une grande inspiration, je relève les yeux en sa direction, constatant au passage qu'elle m'observe toujours avec le même scepticisme, sans rien dire cependant. Je m'approche de son bureau avant de m'incliner devant elle à la manière japonaise, tel je l'ai appris à mon passage dans ce pays. Melinda Connors, de très près, est éclatante de beauté. Cette façon qu'elle a de me regarder me rappelle celle d'un chat en chasse. Justement, une ombre se glisse sous ses genoux : un Pokémon. Il s'agit d'un Chaglam très habile qui tend à sa maitresse un crayon à l'aide de sa queue. Je l'épie un moment en cherchant les mots justes afin de me présenter. J'ai une pensée pour Meowsie ma Miaouss, perdue il y a six ans déja.

«Bonjour madame Connors, je m'appelle Adélia Frey, je suis votre nouvelle stagiaire.»

Voilà, je viens de mettre tous les éléments sur la table. Elle se lève avec une grâce à couper le souffle, sa Chaglam juchée sur son épaule. Elle s'approche avec lenteur, sans m'abandonner un seul instant du regard. Ainsi dévisagée, je ne peux faire autrement que rester figée, à encaisser cet examen sans rien dire. J'ignore ce qu'elle recherche ainsi. Je peux lui fournir mes bulletins, mes lettres de recommandation, tout. Mais il n'y a pas de mention «douée» dans mon visage à ce que je sache.

«Tu es si jeune.»

Sa voix est profonde et mélodieuse.

«Et vous très belle. Sauf respect, cela a-t-il de l'importance? Je suis venue apprendre... On m'a dit des choses fabuleuses à votre endroit. Vous avez toute une réputation.»

«Paraît-il oui. Non, cela n'a pas d'importance en effet. Je veux simplement m'assurer que tu es prête à affronter la réalité d'Enola. Ce n'est pas comme au Japon ici. Cette île en est une en guerre, et les horreurs s'y multiplient.»

Je baisse la tête. Ces horreurs, j'ai du y assister, impuissante, depuis cette terre au large. Les mains liées, sans pouvoir esquisser un geste. Je relève un regard empreint de détermination vers son beau visage. Dans mes prunelles se lit une douleur qu'elle ne saura jamais interpréter.

«Je suis prête, madame.»

L'assurance dans ma propre voix me surprend moi-même, cependant elle provoque un sourire satisfait sur les lèvres de mon interlocutrice. Pendant un moment, elle m'offre un drôle d'air, si bien que je suis forcée de demander:

«Quoi?»

«Non rien. Tu me fais penser à quelqu'un. Très bien, Adélia, nous commençons demain. Révise bien tes notes, je n'ai pas l'intention de reprendre les bases avec toi.»

«Vous n'en aurez pas besoin madame. Merci beaucoup.»

Je quitte son bureau, tout sourire. Ainsi débute mon aventure sur Enola, deuxième acte.

(c)Golden