Des semaines ont passé, depuis ce jour où mon aînée m'a appris la nouvelle. Depuis ce jour où mon fiancé, inquiet même s'il n'en dit rien, ne me quitte plus. Ayant pris un congé de longueur indéterminée que Maelys lui a accordé sans contester un seul instant ni même poser de questions, il m'accompagne en patrouilles, me pousse à m'entraîner pour les arènes, reste à mes côtés quoiqu'il advienne, & je sais qu'il sera là sans discontinuer jusqu'à être sûr que j'ai finalement admis l'indéniable, que j'en sois plus ou moins remise. En un sens ce n'est pas plus mal ; je suis heureuse qu'il soit là, un peu apaisée par sa présence. Il m'empêche de trop m'appesantir, me retient de plonger dans la spirale infernale de la rage impuissante & de cette souffrance que je ne sais supporter -alors que je sais qu'il serait stupide de craquer tant que rien n'est fait-. Il a été là, heureusement, lorsque j'ai finalement appelé mon grand frère après avoir pris plusieurs jours de silence pour maîtriser mes émotions, il était silencieux & probablement indiscernable pour celui qui se trouvait de l'autre côté du téléphone, mais il était là, présence essentielle, & c'était bien le principal. Surtout que cet appel avait été difficile à passer, qu'il m'avait été réellement compliqué de rester tranquille, d'empêcher ma voix de trembler, de retenir le flot de pleurs qui menaçait alors que, même sans en parler, cela me confirmait indéniablement les mots de ma sœur quelques jours plus tôt. Non pas que je ne l'ai pas crue, ce n'était pas son genre de mentir, & encore moins de plaisanter sur des faits si graves ainsi qu'elle l'avait elle-même souligné.. Mais, n'était-ce pas un peu normal que je sois partiellement dans le déni jusque là?.. Surtout sachant que voir ma fratrie plus déchirée encore est bel & bien ma plus grande peur, ma seule phobie à proprement parler.

Des semaines, déjà, depuis le jour douloureux où la vérité d'un mal auquel je ne peux rien m'a été exposée. Nous sommes à la fin août.. Cela en fait donc déjà trois, de semaines. Mon équipe aussi est présente, redoublant d'efforts dans notre travail commun pour me laisser du temps qu'ils savent nécessaire à admettre & me reprendre, aidant Eugène à me pousser vers les entraînements que je dois mener avec eux au moins une heure par jour, me ménageant & me bousculant tout à la fois ; c'est ce qu'il me faut & ils le savent. & ils sont adorables, véritablement, aucun d'eux n'a attendu l'impulsion des leaders de l'équipe, ceux qui me connaissent le mieux, soit Bambi, Flynn & Mélodie, pour agir ainsi ; ils l'ont tous fait sans se poser de questions, sans hésiter. Présents & motivés. Je sais bien que si je leur disais que finalement, Hook & la Compétition, dans ces conditions je ne m'en sens pas.. Ils s'inclineraient sans protester, même si cela était de base leur idée. Ils me laisseraient faire, car ils sauraient que je ne mentirais pas sur ce sujet. Mais si j'y ai bien pensé quelques fois, j'ai bien vite repoussé l'idée, admettant sans que personne n'ait à y dire quoi que ce soit -pas même mon fiancé qui aurait été contre cet arrêt sans nul doute-, que ce ne serait pas me rendre service. Alors même s'il faut parfois, souvent encore, me pousser & m'y motiver, je continue les entraînements avec eux, pour aller aussi loin que possible ainsi que je leur ai promis.. Pour ne pas rompre pour la première fois l'une de mes promesses. Parce que cela me fait du bien & que je le sais. & puis après tout, notre second match est proche.. N'est-ce pas? J'en ai déterminé la date juste peu après le premier, me laissant environ un mois & demi pour m'y préparer & arriver cette fois plus assurée. Ce ne serait guère poli envers la nouvelle championne de Zazambes que de me défiler.

Un soupir m'échappe, profond, alors que pour une fois je n'attends pas qu'on me dise qu'il serait bien de m'y mettre pour appeler tout le monde, vers quinze heures. Il est temps de s'y mettre, leur dis-je, & leurs regards s'illuminent aussitôt. De joie, de motivation, d'enthousiasme, d'affection, de fierté.. Tout cela dépend duquel je regarde. Un frêle sourire s'esquisse sur mon visage devant ces réactions toutes positives, & sans attendre je les répartis en duos, chacun avec son objectif. Je ne leur ai pas encore dit qui combattra ; pour cause que je n'ai pas encore fait mon choix. Peut-être le ferai-je à l'instinct, une fois dans l'arène. On verra bien. M'appuyant contre un arbre aux côtés d'Eugène, je regarde mon équipe commencer à mettre en œuvre mes indications, travaillant avec application ; même Elinor, la plus jeune de l'équipe, même Flynn, qui pourtant deviendra père bientôt & quitte peu souvent l'œuf de son petit. Plus attentive que les derniers jours, comme réellement décidée à m'y remettre pour de bon. Parce qu'il serait temps, n'est-ce pas? Temps de repartir du bon pied.. Malgré tout ça. Parce que ce n'est pas encore fini, & qu'il ne serait pas aider Maxwell que de me comporter comme telle, que de m'appesantir plus que de raison. Parce que m'effondrer avant d'avoir le fin mot de l'histoire, avant de savoir si le traitement sera suffisant ou non, fera bien plus de mal qu'autre chose autour de moi.. & c'est si ma peur se réalise que j'aurai du mal à tenir, ce n'est pas si elle risque de se réaliser.. Ne vivons-nous pas tous de risques, après tout? Certes nous sommes impuissants face à celui-ci, aucun ne pourra faire grand chose de plus qu'être à ses côtés quand il se battra contre ce mal impalpable.. Mais tout n'est pas encore joué. Ce n'est pas fini. Il n'est pas encore l'heure de s'effondrer. Ce ne le sera peut-être jamais, pas pour cette raison en tout cas. Il faut y croire.