Survivors |OS|

Sujet: Survivors |OS| Dim 19 Oct 2014 - 0:27

Survivors

J'endurais son absence depuis trop longtemps. Elle me lacérait, lentement mais sûrement, au point où j'en venais à me demander si je pourrais tenir longtemps. Questionnement futile car la réponse s'imposait d'elle-même. Je ne pouvais plus vivre ainsi, loin d'elle, à la savoir éperdue de chagrin. Par ma faute. Une autre qui devait souffrir, s'enfermant dans des murs de peine, fuyant tous et chacun qui tentaient pourtant de l'aider. J'ignorais encore de qui Crystal ou Pandora me faisait le plus de mal en agissant ainsi et je retournais sans cesse le couteau dans la plaie m'alimentant de bien sombres pensées dont je me serais volontiers passé. Je n'y parvenais pas. À chasser l'épaisse culpabilité dans laquelle je baignais, je veux dire. Je me tenais responsable pour la peine que ressentaient tous mes proches devant ma maladie. Je prenais tant de temps à penser à eux, de penser à quel point je pouvais leur faisais du tort, que ne m'exerçais nullement à ce qui allait suivre, dans quelques jours à peine, soit la suite de traitements douloureux et pénibles, que j'avais survécu avec tout le mal du monde, surtout que j'avais du le faire sans elle. Combien de temps depuis que le soleil n'avait pas couru contre son duvet immaculé? Des semaines, de très longues semaines. Je me trouvais ainsi, à la fin du mois d'août, complètement désemparé, marchant à contre sens dans une tentative vaine d'avancer. Pour poser un pas vers l'avant, j'avais désespérément d'elle.

Pandora s'enfermait dans le grenier depuis que la nouvelle était tombée. Depuis, je ne l'avais plus revu. Cette présence délicate et doucereuse à mes côtés, cette Togekiss qui ne m'avait jamais quitté plus qu'une soirée... Un mois sans l'entendre chanter, sans m'imprégner de ses caresses, sans l'éclat vif de son regard. Elle me manquait, à m'en rendre malade. Je savais que là-haut, elle se laissait lentement mourir, qu'elle mangeait et buvait à peine, qu'elle ne bougeait plus. Les derniers rapports de la seule à qui Pandora autorise de lui rendre visite, Callie la Phyllali, n'étaient guère encourageants et même carrément alarmant. Pendant un bon moment, j'avais respecté le besoin de l'oiseau de se retrouver seule, de réfléchir et de se ressourcer, de vivre cette peine que de toute façon je n'aurais su affronter. Deux beaux lâches que nous faisions, à nous laisser porter par nos angoisses, à nous abandonner ainsi. Si nous laissions la maladie envahir nos esprits, alors elle aurait le dessus, éventuellement. Elle gagnerait. Or, je m'étais promis de me battre, et mon combat débutait probablement maintenant, alors que je franchissais les escaliers poussiéreux menant au grenier, accompagnée de Callie et de Tarek qui montaient la garde de part d'autre de moi. Un mouvement vers le Gallame et il nous téléporta à l'intérieur, juste devant la porte.

Je ne la vis pas d'abord. Le grenier était parsemé de vieilleries de toutes sortes, vieux tableaux, commodes centenaires ayant appartenu aux anciens propriétaires ou malles anciennes contenant d'innombrables trésors. Sur un fauteuil de velours tout rapiécé se tenait une silhouette frêle, couchée contre le flanc, respirant avec peine. Son plumage, méconnaissable, reposait dans un état lamentable. Plusieurs plumes avaient été arrachées, exposant son abdomen frétillant et parcouru de spasmes. Elle était... si... si petite... Rachitique, avec plus que la peau et les os. Ma main se tendit vers elle, se posa finalement sur son aile qui sembla sur le point de briser à mon contact. Sa tête se releva, lourde, laissant s'échapper une plainte de pure douleur qui me fit me retirer aussitôt. Pandora... Je ne la reconnaissais plus. Il ne s'agissait plus d'elle, mais d'une ombre, d'un amalgame de souffrance. Sitôt son regard croisa le mien que je me décomposai. Un sanglot que j'avais retenu pendant un mois vint se briser dans ma gorge et les larmes envahirent mes joues. Comment avais-je pu? Comment m'étais-je montré aussi lâche pour la laisser dans cet état dans son grenier à se refuser à la vie même? La regarder m'était insupportable et pourtant je me l'imposais comme pour m'imprégner à jamais de cette image.

«Comment...?»

Comment en était-elle venue là? Ma Pandora, ma meilleure amie. Ma soeur, mon âme soeur. Celle que j'aimais bien plus que moi-même... comment avais-je pu? Comment avait-elle pu? Nous ne vivions qu'ensemble, tous les deux, pas séparément à ressasser nos douleurs. Mon univers cessait d'être sans elle. Ma petite lueur d'espoir, mon guide spirituel. Où était-elle passée?

«Tu n'as pas le droit... Tu n'as pas le droit de te laisser mourir... Je me bats moi... Alors tu battras aussi. J'ai besoin de toi, Pandora, plus que jamais... Tu ne peux pas... Je ne peux pas le faire sans toi tu comprends?»

Derrière moi, Calli s'avança pour venir se presser contre mon dos en émettant un miaulement déchirant. Tarek n'osait pas franchir cet espace qui nous séparait. Il se serait trouvé submergé par tout ce que nous pouvions ressentir elle et moi. Pandora me regardait, ses petits yeux noirs s'emplissant de larmes. Elle ouvrit ses ailes et les posa contre mes épaules en m'attirant à elle, sur sa poitrine déjà humide de ses larmes. J'y ajoutai les miennes, qui me coupaient le souffle à présent.

«J'ai besoin de toi, Pandora, et tu as besoin de moi... Reviens-moi... J'ai peur tu sais? Je ne l'ai jamais dit à personne. Et j'ai la rage aussi. D'être tellement impuissant. Et d'avoir mal. Mais avec toi toute cette foutaise vaut la peine ma belle... Tu dis-moi juste que tu...»

Sa tête se pressa contre la mienne alors qu'un hoquet la fit sursauter de plus belle. Un gémissement s'échappait désormais de sa gorge.

«Je ne vais pas me laisser abattre. Si tu dis que tu seras là, je ne me laisserai pas faire.»

Son regard croisa le mien. La douleur que j'y lisais était intacte, mais une toute petite lueur de vie et d'espoir y flottait désormais. De détermination.

«Merci... merci...»

Dans un claquement, Tarek disparu aussitôt. Il allait chercher l'aide dont Pandora avait désespérément besoin vu son état. Mais elle survivrait. Tout comme moi. Car nous étions, et le serions toujours, des survivants.