Soutenir et supporter

Il y beaucoup de chose que Natsume ne peut pas prévoir, comme tout le monde de toute façon. Néanmoins, si on lui avait que ce soir-là il retrouverait une Katya trempée jusqu'aux os, l’œil rougi et encore imbibé de larmes, le teint livide et retenant difficilement de gros sanglots déchirés, il ne l'aurait pas cru. Elle lui avait demandé par message si elle pouvait passer rapidement, et le japonais lui avait envoyé Kaito pour qu'elle se téléporte directement dans sa chambre. Autant dire que ce qu'il avait vu lui avait fait complètement oublier tout ce qu'il avait en tête auparavant et il s'était précipité vers elle, les yeux écarquillés, paniqué. Et confus, aussi, parce qu'il ne sortait plus de la bouche de la jeune femme que des mots désarticulés et étranglés, un mélange de suédois et de français incompréhensible qui se perdait dans des pleurs incontrôlables. La gorge de Natsume se noua et un nœud désagréable naquit dans son estomac ; son instinct lui criait que quelque chose n'allait vraiment pas bien, et l'angoisse commençait à tracer son sillon empoisonné dans son esprit.

« S-suis-moi. On va dans la salle de bains, il faut que tu te sèches. Il doit rester des vêtements à toi dans la chambre d'amis ; je vais te les chercher. »

Il poussa doucement la jeune femme dans le dos, l'invitant à s'avancer et à descendre les escaliers, en gardant un bras protecteur autour d'elle. Il s'étonne du calme de sa voix alors que la peur lui remue douloureusement l'estomac. Elle est frigorifiée et tremblante, sursautant de temps à autre en tentant de réprimer sans succès un sanglot ou deux. Même lorsqu'il l'accompagne et la fait doucement s’asseoir sur une chaise de la salle de bains, après avoir réglé le chauffage pour que la pièce reste chaude, elle se laisse faire. Tandis qu'il lui dit qu'il va revenir et qu'elle continue de pleurer sans montrer le moindre signe qu'elle l'ait entendu, il se mord les lèvres et se presse d'aller dans une des chambres d'ami pour en sortir un pyjama propre d'un tiroir. Il ne sait pas si elle restera la nuit, mais vu qu'il est déjà sept heures et qu'elle est dans un état lamentable, il vaut mieux qu'elle soit dans des vêtements confortables. Mais ne pas savoir est peut-être pire que tout.
Pour lui, Katya avait toujours été un modèle de droiture, de stabilité et de résistance, de force même. Il admirait sa capacité à toujours conserver son calme, et malgré le fait qu'elle s'amusait souvent à le martyriser, elle était en quelque sorte devenu une grande sœur d'adoption, et il savait qu'elle veillait sur lui, mais à sa façon. Et Natsume n'avait jamais vu quelqu'un d'aussi maîtrisé qu'elle, de sorte qu'il espérait un peu lui ressembler, en grandissant. Alors maintenant, en la voyant dans un pareil état, il est perdu. Perdu et effrayé par son imagination qui commence à inventer des scénarios tous plus fous les uns que les autres pour trouver la source du chagrin de la plus âgée. Il sait toutefois que se laisser aller ne va en rien aider l'autre, et qu'il doit avant tout rester calme. Il ignore comme il le peut la peine dans sa poitrine et retourne dans la salle de bains, avant de poser le pyjama sur un meuble.

Sans rien dire, il s'abaissa légèrement une fois devant elle pour passer ses bras autour de son corps, et tant pis si il était trempé après. Les sanglots ne firent que redoubler, et en passant une main sur son visage pour effacer les larmes qui s'y trouvaient, il constata qu'elle était tout bonnement glacée. Même le chauffage ne suffirait pas.
Alors en silence, il lui sécha les cheveux, la laissa mettre le pyjama qu'il lui avait apporté et il posa les vêtements trempés sur un radiateur, avant de lui faire signe de le suivre. Autant qu'ils remontent ; rester dans la salle de bains n'aiderait pas. Et le pire, c'est qu'elle pleure toujours. Elle se contrôle, et tente de ne pas se montrer ainsi, mais Natsume la connaît assez pour savoir qu'elle n'y parviendra pas, et ce n'est pas en se mordant les lèvres jusqu'au sang qu'elle y arrivera. Il l'accompagne jusqu'au canapé de sa chambre, où il la fait s’asseoir sans qu'elle proteste une nouvelle fois, avant de se mettre à côté d'elle et de l'observer quelques instants. Puis, avec douceur, il passa une main derrière son cou pour la ramener contre elle, de sorte que sa tête soit posée sur son épaule.
Et les sanglots redoublent alors de force. En se mordant les lèvres, l'éleveur se mit à tracer des cercles dans son dos d'une main tandis qu'il la laissait pleurer à sa guise. Il a mal, évidemment, puisque voir quelqu'un d'aussi important pour lui être dans un état pareil lui lacère le cœur, mais il sait que ce qu'il ressent n'est en rien comparable à ce qui peut-être assez puissant pour mettre Katya dans un pareil état. Parce qu'il sait qu'elle ne se collerait jamais ainsi à lui et ne garderait pas ses bras aussi fermement serrés autour de lui si ce n'était pas grave. La position est un peu inconfortable pour lui il doit l'avouer, mais il s'en fiche. Ce ne ce sont pas ses préoccupations futiles qui sont importantes, pour l'instant.

« Na-Natsu...
- Chuuuut, je suis là, je suis là... C'est bon. »

Il passa sa main libre dans ses cheveux pour lui caresser doucement la tête et continuer de la rassurer, de lui montrer qu'il était là et que ce n'était très certainement pas maintenant qu'il allait l'abandonner. Il remerciait d'ailleurs Arceus que personne ne soit à la maison à l'instant ; Isaac aurait été trop paniqué, Alice se serait trop inquiétéé et de même pour Faust. Mais il ne sait pas si ce qu'il fait sert vraiment à quelque chose, ou si appeler Nova ne serait pas une meilleure idée. Toutefois, l'éleveur se doute que si la petite-amie de la Peterson n'est pas là, c'est que quelque chose cloche. Et il ne peut pas empêcher cette impression de se faire plus importante dans son esprit au fur et à mesure que la borgne déverse toutes les larmes de son corps contre lui.
Elle s'accroche à lui comme à une bouée qui l'empêche de couler, et il poussa un soupir peiné en constatant son impuissance. Mais toutefois, au bout de longues minutes presque insupportables pour son moral, les sanglots finirent par refluer, et ne restent plus que les tremblements et les sursauts qui agitent le corps de la brune. Natsume ne cessa toutefois pas ce qu'il faisait, et fut d'ailleurs soulagé de voir que la situation s'était calmée. Il prit un mouchoir dans le paquet posé dans un tiroir de la table basse et essuya calmement les traces de larmes sur les joues de Katya, non sans sentir une compression désagréable dans sa poitrine en observant son visage marqué par le chagrin.
Un silence maladroit s'installe, et il prend une grande inspiration avant de parler.

« Tu veux bien me dire ce qui s'est passé … ? »

Si elle ne le souhaite pas, il ne la forcera pas, bien qu'il cherchera tout de même à savoir ce qui a bien pu la mettre dans un état pareil. Mais pour l'instant, il veut l'aider et comprendre ce qui peut bien autant la tracasser. Sa voix est douce, et il la sent se contracter légèrement contre lui, ce qui est indice révélateur sur le fait que sa question la met mal à l'aise. Alors, tout de suite, il décide de la rassurer une nouvelle fois.

« Si tu ne veux pas, tu n'es pas obli-
- Nova... »

Silence. Entendre le prénom de la jeune femme aux cheveux bleus prononcé dans un semi sanglot confirme au japonais qu'il avait bien raison de soupçonner un rapport avec elle, et sa crainte quant à ce qu'il va entendre ne fait que s'intensifier au fil des secondes. Mais il ne veut pas la presser, alors il se contente de continuer à caresser son dos avec douceur pour la mettre en confiance et lui laisser le temps nécessaire qu'il lui faut pour parler. La respiration de la coordinatrice est perturbée par les hoquets qui s'échappent d'elle, et son œil rouge se remet à s'humidifier. Natsume se mord les lèvres ; la seule chose qu'il aimerait à l'instant, c'est savoir.

« Elle, elle... »

Les mots ont l'air de bloquer, et elle a bien du mal à parler. Mais pourtant, au bout de quelques longues secondes, elle y arrive.

« Elle va mour-mourir, Na-Natsu... »

Le japonais a presque l'impression qu'il vient d'entendre une bombe exploser. Une sensation semblable à une onde de choc vient de le traverser, et il n'arrive pas à ressentir de douleur tant le coup est fort. Puis, tandis que sa respiration est encore bloquée dans sa gorge, son cœur finit par se comprimer et l'horreur le traverse alors qu'il se rend compte de ce que les mots de Katya signifient. Elle s'est remise à pleurer, mais Natsume est bien incapable de bouger, voir même de répondre. Il a mal. Horriblement mal.
Nova n'est pas aussi liée à lui que l'est Katya, mais elle reste une bonne amie en qui il a confiance et avec qui il adore discuter de temps à autre. Savoir qu'elle ne sera plus là lui donne envie de pleurer lui aussi, mais en entendant les sanglots de l'aînée, il se rappelle que celle qui doit sûrement souffrir le plus ici, c'est elle. Et il comprend alors pourquoi elle était dans un état pareil, et pourquoi elle était venue vers lui. Il n'ose même pas imaginer la douleur que doit ressentir l'autre à l'heure actuelle, et se mord les lèvres pour ne rien dire, et ce malgré la foule de questions qui se précipitent dans son esprit. Arceus, dans quel état aurait-il été si il avait appris une pareille nouvelle au sujet de Sam … ? Rien que d'imaginer ce qu'il ressentirait à sa place lui donne un minuscule aperçu de la peine de la jeune femme, et il la serre davantage contre lui par réflexe. Ils sont deux, maintenant, à avoir mal. Natsume inspire et expire profondément pour se contrôler et ne pas s'écrouler, en pestant intérieurement contre ce monde qui allait encore le faire témoigner de la disparation brutale et trop rapide d'un de ses proches, alors qu'elle ne le méritait pas. Personne ne le méritait, de toute façon.

« Elle, elle... J-j'ai trouvé des pap-piers, et, et... Elle v-voulait ga-garder ça secret... J-je... Je v-veux pas, Natsu... »

Nouveaux hoquets, plus incontrôlables que les précédents. La gorge de l'éleveur se serra. Soudainement, le comportement étrange de Nova durant le mois qui venait de passer et sa tendance à éviter les activités physiques étaient plus compréhensibles. Mais il comprend alors que Katya a dû l'apprendre par accident, et que si Nova ne lui avait rien dit... Elle avait dû mal le prendre, ce qui avait à coup sûr vu les caractères forts des deux jeunes femmes entraîné une dispute, et... Et ainsi la borgne se retrouvait contre lui, sanglotante et tremblante. Les pièces du puzzle se sont assemblées, et Natsume n'aime définitivement pas ce qui en ressort. Pourtant, qu'il aime ou n'aime pas la situation ne va pas changer ; il aimerait se pincer ou se dire que la situation va peut-être s'arranger, mais ce ne sera pas le cas, il le sait. Ce n'est pas un simple cauchemar. Ça ne l'est jamais, même si à chaque fois qu'il vit quelque chose du genre, il aimerait bien.

« Je sais, je sais... J-juste... Je suis là. »

Que peut-il dire, face à ça … ? Il ne peut pas mentir et dire que la situation va s'arranger, ou que ça ira. Ce serait un mensonge honteux. Alors il peut juste lui préciser qu'il est là et ne l'abandonnera pas.

« P-poumon... Inopérable. Elle, elle... Elle le s-savait avant de venir. C'est pour ça qu-que... Pour ça qu'elle voulait ab-absolument me revoir. Il reste moins d'un an avant que, que... »

Nouvel éclat de larmes, et Natsume se mordit les lèvres jusqu'au sang pour ne pas lui aussi se mettre à pleurer. Il savait ce qui s'était passé entre les deux jeunes femmes avant que Katya n'arrive sur l'île puisque la concernée lui en avait parlé. Il avait appris que après qu'elles se soient fait surprendre par un journaliste et que les parents de Nova lui aient interdit de fréquenter Katya à cause des répercussions que l'homosexualité de leur fille pourrait avoir sur la carrière politique du père, la jeune femme aux cheveux bleus avait accepté de se séparer d'avec la borgne, la laissant avec un cœur brisé et une rancune quelque peu compréhensible. Très sincèrement, Natsume n'avait pas jugé Nova sur ça puisqu'il s'agissait du choix de Katya de lui pardonner. Mais maintenant, il comprenait mieux la raison qui avait poussé la jeune femme aux cheveux bleus à venir sur l'île et quémander le pardon de la Peterson.
Il expira profondément, ignorant comme il le pouvait l'affreuse sensation dans sa poitrine et garda Katya contre lui, non sans remercier Arceus de savoir parfaitement contrôler sa respiration pour s'empêcher de fondre à son tour en larmes. Si sa voix est calme, ce n'est qu'une façade qu'il maintient pour rester forte devant elle parce que c'est nécessaire ; elle en a besoin.

« Tu vas rester ici, ce soir, c'est compris ? J'te laisse pas partir. Si il le faut et que t'as pas envie d'en parler à quelqu'un d'autre, on trouvera une excuse. Mais tu ne seras pas seule, d'accord ? Je suppose que tu es partie après une dispute ? »

La jeune femme hocha faiblement de la tête, et Natsume soupira, avant de continuer à masser son dos.

« Tu la rappelleras quand tu te sentiras prête. En att-attendant... Respire, et repose-toi. J'vais pas te lâcher, promis. »

Et, doucement, il la laisse finir de pleurer, et ne dit rien quand elle se blottit contre lui en silence. Il soupire profondément, peiné et secoué. Ce n'est pas lui qui est le plus à plaindre ici, pourtant, et les jours qui s'en suivent le lui prouvèrent bien. Et le pire dans tout ça, c'était que tous les mots du monde ne changeraient rien ; Nova allait tout de même mourir, et Katya devrait le supporter. Et lui, il devrait récupérer sa meilleure amie à la petite cuillère.