Je me tiens devant un immeuble. Chrom se tient près de moi, et Lissa pointe le bout de son museau triangulaire hors de mon blouson où elle a caché son bulbe du froid ambiant. Je frissonne un peu, et puis je baisse mon regard de glace sur l'enveloppe. Sur le papier d'un joli beige, comme du parchemin, il y a un nom. Alexander Nagel.
« Il m'en aura fallu, du temps, pour le trouver. Mais ... Est-ce que je dois lui donner en main propres ?
J'hésite. Puis, je m'avance vers l'immeuble et entre dans le hall. Je me sens un peu à l'étroit, mais je sais que je ne reste pas. Je sais ce que j'ai à faire : mes pas m'amènent jusqu'aux boîtes aux lettres, et après avoir trouvé le nom, je glisse l'enveloppe dans la fente. Je souris, en espérant que le destinataire de cette lettre sera heureux de recevoir des nouvelles de son expéditeur. Demain, j'aurai oublié cette histoire, non à cause d'une mémoire défaillante, mais par choix. Dans cette situation, je n'étais qu'un poichigeon voyageur, un facteur neutre, une ombre dans la discussion épistolaire. Je souris encore, et m'éloigne de l'immeuble, accompagnée de mon vivaldaim, laissant derrière moi une lettre pleine de mots écrits d'une écriture régulière, à l'encre bleue tranchant sur la couleur beige.
« Bonjour, Alex.
Tu peux brûler cette lettre dès maintenant, si tu le désires. Je t'ai quitté, sans aucune intention de revenir. Mais j'ai quitté l'île, et cette vie qui me faisait devenir fou. J'étais un combattant, autrefois, en arrivant à Enola. J'ai changé, et ce conflit me tuait à petit feu, comme mon amour pour toi me consumait.
Tu resteras toujours dans mon coeur, d'une certaine façon. Nous ne pouvions aller plus loin - peut-être aurions-nous même dû nous blesser, selon nos convictions à chacun. Je refusais de devoir choisir entre toi et mes idéaux. Egoïstement, mon dernier choix t'aura évité de choisir à toi aussi. Je t'offre la facilité : m'oublier. Oublie-moi, et vis ta vie comme tu l'entend. Nous devons tourner la page, parce que même si nous avons été heureux, ce n'était pas vivre. C'était quelque chose hors du temps, hors de l'espace, rien qu'à nous. Nous pourrions chérir ça, et se pencher sur le passé. Ou nous pouvons sourire une dernière fois à nos souvenirs, et avancer sans se retourner. Tu n'es pas sentimental, de toute façon. Je sais que tu dois me haïr. Je t'ai abandonné. Je n'ai aucune excuse valable. J'ai été égoïste, et j'en suis conscient. Mais je ne suis pas désolé, par vraiment. C'était ce qu'il y avait à faire
J'espère que Perséphone va bien. Elle me manque, mais je sais qu'elle sera bien avec toi. Dans le fond, elle te ressemble : c'est une battante. Quoi que tu décides, elle est à toi. Je me suis trompé : ne te sers pas d'elle pour te souvenir de moi. C'était un mauvais choix. Liez vous, et avancez ensemble, là où je n'aurais pu lui offrir aucune opportunité.
Je me rend compte que je peux paraître mièvre, ou maladroit. Mon écriture commence à trembler. Peut-être est-ce le signe qu'il est temps d'arrêter. Ce ne sera pas une relation épistolaire. C'est la fin d'une relation. Si nous nous recroisons, ce sera par hasard. Sauras-tu me reconnaître ? J'ai coupé ces cheveux que tu aimais tant. J'ai changé, de tant de façons ...
Je ne te laisse pas mon adresse. Et je n'écris pas la tienne. Un de mes pokémons la déposera à Enola, à la poste. Je n'écris pas ton adresse non plus : je veux voir si le destin a décidé que tu trouveras cette lettre. Peut-être sera t-elle lu par quelqu'un d'autre. Ou chiffonnée, abandonnée dans un coin. Qui sait ?
Adieu, Alex.
Nulle signature. Juste ces quelques mots, ces quelques phrases. Je ne savais pas que j'avais déposé derrière moi la lettre d'un adieu. Je ne savais rien, et cela me suffisait. Je caressais encore une fois l'encolure de mon vivaldaim, et priais les dieux pokémons pour que tout aille pour le mieux. Pour moi, pour ces personnes.