Badge n°5

VS Maxime F. Warren

Le badge qu'il serrait dans sa main droite gantée était âgé de dix-sept ans.
Difficile de s'imaginer cela en regardant l'objet métallique, mais il avait tant perdu de son éclat que l'idée n'était pas si ridicule que ça, au final. Un peu ému, il resta silencieux et immobile sous le regard lourd de sens d'Ezekiel. Venir ici pour son dernier combat d'arène, si son équipe et lui-même parvenaient à défaire le champion et ses pokémon, c'est hautement symbolique pour lui. Après tout, il avait déjà franchi les portes de cette arène il y a bien longtemps, caché derrière Faust, qui lui-même suivait leur père au pas, comme le brave gamin qu'il était. Il se souvenait avoir accepté avec un peu de réticence à venir, principalement parce que les grands sourires de son frère jumeau et de son père ne lui permettaient pas vraiment de faire le contraire, et quand il y pensait l'autre hérisson avait vraiment hérité du sourire de leur géniteur. Anxieux, il était monté dans ces mêmes gradins qu'il inspectait maintenant, s'était assis en se mordant les lèvres, le regard fixé sur son père comme le faisaient les spectateurs qui étaient venus assister au match, plein de curiosité mais aussi mal à l'aise à cause du fait qu'il était entouré de tant d'inconnus. Au moins, son jumeau avait crié des encouragements en agitant les mains pour deux, car lui n'arrivait pas à produire plus qu'un sourire maladroit et timide. Puis, Klaus avait été appelé par Karl et le Némélios de leur père avait bondi vers son adversaire et le reste, Clive aurait pu le décrire avec une exactitude absolue tant le souvenir était vif et encore comme neuf chez l'officier. Ses yeux, à cette période toujours bleus car il n'avait pas encore ses lentilles ou sa teinture, n'avaient pas un seul instant quitté le terrain où Klaus se battait sous les ordres de son père, et maintenant qu'il y repensait, c'était sûrement un des meilleurs souvenirs de son enfance.
Quand ils étaient sortis de l'arène, Karl avait fait une véritable danse de la joie tout à fait ridicule, sous le regard amusé de Kagami et celui toujours admiratif de ses fils qui cajolaient Klaus en même temps. Le Némélios, malgré la fatigue considérable, avait laissé les enfants le couvrir de cajoleries avec un sourire doux sur son visage. Clive se souvenait avoir vu Faust prendre le badge dans ses mains pour l'admirer, comme si il s'agissait d'une merveille, et si Clive avait refusé de faire de même à l'époque, il était maintenant en train d'observer ce même objet dans un silence presque religieux. Et il devait lui aussi aller remporter le badge de cette arène, maintenant. Le dernier obstacle avant d'atteindre son objectif. Après cela, il pourrait se considérer satisfait : qu'il gagne ou perde contre Faust, peu lui importait, même si il croyait plus à la seconde option qu'à la première.

Il expira fortement, prenant son courage à deux mains, et rangea l'objet dans la poche de sa veste qui se trouvait sur sa poitrine. Après avoir passé les portes, Ezekiel à ses côtés, il s'inclina légèrement en direction du champion.

« Merci beaucoup de m'accueillir, monsieur Warren. J'espère vous offrir un bon match. »

Il attrapa une ball rouge et blanche à sa ceinture pour en faire sortir la Galeking qui se trouvait à l'intérieur. Abaddon poussa un grondement lourd et puissant, un sourire impatient et audacieux sur son visage alors qu'elle scrutait l'arène du regard, pleine de curiosité. Depuis sa défaite face au Cochignon de Robert Ydal, la normalement plus paresseuse Abaddon s'était révélée pleine de détermination lors des entraînements, motivée à se renforcer pour pouvoir, cette fois, faire davantage de dégâts. Qu'elle y arrive ou pas, il n'y a que le temps qui le montrerait.
Un léger détail titillait toutefois Clive.
Bon sang, la prochaine fois que je décide de me couvrir intégralement pour me fabriquer une identité, qu'on me frappe.
Car oui, visiblement, s'habiller d'une tenue de motard et d'un casque sur une île tropical en plein mois de mai, c'était une mauvaise idée.

Badge n°5

VS Maxime F. Warren

La dernière fois, ils avaient visé sur une attaque qui n'était pas du type d'Abaddon, sur un gros risque qui avait sûrement beaucoup aidé Ezekiel à terminer le match, car Clive pensait fermement que le Démolosse n'aurait sûrement pas eu tant de facilités que ça à vaincre le Cochignon de Robert Ydal si la Galeking ne l'avait déjà pas préalablement affaibli. Avec l'aide la Ceinture Force, la titan d'acier avait résisté à l'assaut de leur adversaire pour ensuite percer ses défenses. Mais ici, ce ne serait pas la même préparation : pas de ceinture pour encaisser des coups, mais plutôt une baie accrochée au bout d'un fil se trouvant lui-même autour du cou de la Galeking. Une baie Prine ; un fruit très utile qui viendrait aider Abaddon si jamais le champion utilisait des capacités qui auraient pu la ralentir, l'endormir ou encore la rendre confuse. Ces risques, Clive ne se serait pas permis de les encourir. Il s'agissait de son dernier combat d'arène, après tout, du moins si il réussissait. Cette fois-ci toutefois, Abaddon allait pouvoir utiliser les capacités de ses types.
Le choix du champion s'était donc porté vers Togétic. Une créature à l'air inoffensive mais qui, comme le hérisson le savait à force d'avoir vu le Togékiss de Mikael à l’œuvre et  Inconsciemment, la Galeking inclina légèrement la tête, signe révélateur de leur intention que Clive espérait comme n'ayant pas été repéré. Le problème avec Abaddon étant en grande partie sa lenteur, si l'autre pokémon s'envolait, les chances pour qu'elle puisse toucher sa cible partaient dans les airs aussi, mais il était inutile de s'inquiéter dès maintenant. Les choses n'étaient pas encore jouées et peut-être qu'avec un peu de chance, la Galeking arriverait à se montrer plus rapide que son adversaire, mais de ça Clive en doutait. Pas qu'il manquait de confiance en elle et ses capacités, loin de ça, mais il ne l'idéalisait pas naïvement non plus. La prétention n'était pas leur genre.

De ce match découleraient beaucoup de choses, certaines dont il n'avait lui-même pas conscience. Le poids de cette pensée dans son esprit était difficilement quantifiable, mais il en ressentait tout de même la pression, inlassablement. Au fond, il n'était peut-être pas angoissé par ce match, mais plutôt par ce qui arriverait si il gagnait. Par l'après. Tout ce qui avait toujours effrayé Clive, en somme. Il s'était engagé dans ce chemin avec incertitude, et il n'était pas plus sûr de lui maintenant, même avec quatre badges. Pourquoi n'était-il pas comme son père, tiens ? Dénué d'angoisse, calme, souriant, plein de bonne humeur. Lui n'avait que Gabriel, ce bloc de glace inflexible et dénué d'émotions. Il avait tant de fois espéré avoir ne serait-ce qu'un quart de son assurance et de sa force, et pourtant...
Pourtant il se tenait là, à quêter un badge dans l'unique d'objectif d'arriver à affronter son jumeau pour mettre une bonne fois pour toutes les choses au clair, sans le moindre objectif pour lui-même. Comme toujours, Clive n'a aucune ambition, aucun projet pour sa propre personne. Et plus il poursuit cet objectif, plus il s'en rend compte, amèrement. Vingt-cinq ans et sa vie ne se résume qu'à cela : rester dans l'ombre de ses parents et de son jumeau. Pathétique, oui, il le sait, mais il a abandonné tout projet personnel depuis maintenant bientôt sept ans, et ce sans la moindre hésitation. Il ne le regrettait toujours pas, mais avait-il considéré toutes ses options ? N'aurait-il pas pu faire autre chose ? Il avait beau chercher, seul le vide lui répondait, et c'était sûrement ce qu'il y avait de plus effrayant dans toute cette histoire.

Mais ces pensées, il ne pouvait pas les laisser le contrôler. Pas maintenant. Pas tant qu'il avait encore ce casque, pas tant qu'il y avait encore ce badge contre sa poitrine et son cœur à qui il manquait le double. Il avait des choses à faire avant de penser à lui. Comme d'ordinaire, pourrait-on ajouter sarcastiquement, car cela n'aurait pas été un mensonge que de dire qu'il se cherchait peut-être des excuses pour éviter d'y réfléchir.

« Un deux six deux , Abaddon. »

Et elle s'élança vers son adversaire, mettant dans le moindre de ses pas plus de rapidité qu'elle n'en avait jamais eu.

Badge n°5

VS Maxime F. Warren

Pour un pokémon aussi lourd et impressionnant que Galeking, impossible de s’élever en l’air ou bien même de courir pour esquiver : seule la résistance et le fait d’encaisser coups après coups pour ensuite pouvoir mieux répliquer sont des stratégies efficaces. Clive ne l’ignorait pas et ne ferait pas l’erreur de croire que, même avec tous les efforts du monde, Abaddon arriverait forcément à dépasser son adversaire et à porter le premier coup. C’était une chance qu’il fallait espérer, mais compter dessus aurait été stupide. La colosse d’acier l’avait bien compris, mettant plus de vitesse et d’expertise dans ses pas à chaque seconde, se jetant vers son adversaire sans la moindre retenue, désireuse de récupérer la victoire le plus rapidement possible. Elle savait bien ce qu’attendre lui avait coûté, la dernière fois, et elle se souvenait encore de la douleur qu’elle avait ressenti le Séisme de ce Cochignon avait bien failli la vaincre en un seul coup. Mais elle n’en avait pas tenu rigueur, ne s’attardant jamais sur de pareils détails, préférant porter son attention sur ce dont elle était capable maintenant, et pas avant à un certain stade du temps. Sans trop qu’il ne s’en rende compte, Abaddon avait passé du temps sur sa vitesse, et ce en dépit du fait que de par sa constitution, son espèce et ses lacunes évidentes en la matière, et les efforts payaient aujourd’hui, puisqu’elle était plus vive et rapide qu’elle ne l’avait été la dernière fois.

L’officier écarquilla les yeux derrière son casque, surpris, en voyant Abaddon se jeter sur la Togétic alors même que celle-ci était dans les airs, et poussa un hoquet surpris en la voyant presque sauter pour donner un violent coup de tête métallique au pokémon du champion. La Galeking retomba lourdement au sol, laissant un nuage de poussière derrière elle et provoquant un fracas considérable. Éberlué, même Gabriel parut perdre de son sang-froid pour quelques secondes tant son corps était paralysé par la surprise. Abaddon poussa un grognement et expira de soulagement en voyant que son attaque avait suffi, un peu essoufflée par son sprint. Visiblement, la Togétic n’allait pas se relever et dès que l’arbitre eut déclaré la fin de la manche, la Galeking se permit d’offrir sa main à son adversaire pour l’aider à se relever, un sourire doux aux lèvres. Attendri, Gabriel ne dit rien mais se rappela brièvement de l’époque où c’était lui, qui tendait la main à une Galekid encore un peu frêle et maladroite. Puis elle recula au moins un peu et se permit de se rapprocher de son dresseur auquel elle adressa un petit sourire satisfait, l’air très contente d’elle-même, et Clive retint un gloussement. La réalité de la situation s’imposa alors à lui.

Encore un. Un pokémon à vaincre et il pourrait réussir. Bientôt un an d’efforts qui arrivaient à leur terme, et il ne savait pas ce qu’il était supposé ressentir. Excitation, oui. Mais peur, aussi. En un sens, il aurait dû s’y attendre, mais le choc de la réalisation parcourait pour l’instant son corps et le laissait un peu engourdi, confus et surtout sans idée de ce qu’il était supposé faire. Il se força à se reprendre en main en hochant de la tête vers Abaddon pour lui faire signe de rester là où elle était, mais ne put complètement chasser cette angoisse qui lui tordait maintenant les intestins.

Badge n°5

VS Maxime F. Warren

Ce match comptait beaucoup, pour Clive. C'était en quelque sorte l'aboutissement de deux longues années d'efforts constants, de réflexion et de patience inconsidérée, en plus d'être important symboliquement pour lui : lui aussi pouvait gagner ce badge avec la force de sa propre équipe, comme l'avait fait son père avant lui, quand Clive n'était encore qu'un tout jeune enfant. C'était également pour Abaddon l'occasion de monter sa force après sa défaite face au Cochignon de Robert Ydal, alors tout ce qui allait se passer aujourd'hui était particulièrement important aux yeux de l'officier qui, pour une fois, était impatient. En plus de ça, cela aurait été également l'occasion pour lui de se convaincre définitivement qu'il était bel et bien capable d'aller combattre Faust à la ligue, sans avoir volé son entrée là-bas. Chose qui, vu sa confiance en soi déplorable, n'était vraiment pas gagnée d'avance et aurait été un progrès assez important. En résumant, Clive voyait ce match comme le plus important depuis son début dans la compétition.
Mais non. Alors même qu'il attendait que l'autre champion choisisse son pokémon pour qu'ils entament la seconde manche, l'arbitre sonna le forfait par délai d'attente. Son adversaire avait tout simplement attendu trop longtemps. C'était probablement la façon de perdre la plus décevante qui soit, et pour cette raison, pas même l'ombre d'un sourire ne vint se dessiner sur les visages de la Galeking et de son dresseur. Non, ils n'étaient pas heureux. Pas le moins du monde. Ce badge, alors même qu'on le lui donnait, il avait l'impression de l'avoir volé. De ne pas le mériter, tout simplement. Si le temps pour redemander un dernier match ne manquait pas, il l'aurait refusé avant de revenir plus tard pour véritablement le gagner, mais il ne pouvait pas. Il était bloqué, obligé d'accepter une victoire qui n'en était pas une et n'en serait jamais une, à se dire que l'objet qu'il tenait dans sa main n'aurait jamais été gagné à la loyale, comme l'avait fait son géniteur.

Les remerciements brefs qu'il adresse au champion ne sont que de la politesse, rien de plus ; pas un gramme de sincérité dans son 'merci de m'avoir accueilli', et après avoir rappelé Abaddon en se disant qu'ils parleraient plus tard, il sortit de l'arène sans plus attendre. Après avoir quasiment claqué la porte à cause de la frustration, il expira brusquement pour se calmer, remerciant la chaleur étouffante de l'île en cette saison en plus de son accoutrement pour cela ; en suant comme pas possible, difficile de rester vraiment énervé, en fait.
Il les avait, donc, ces cinq badges. Et le chemin vers la ligue était désormais tout tracé : il n'avait plus qu'à ravaler l'angoisse qui lui nouait les intestins et faire ce pas si attendu et craint tout à la fois, en priant pour qu'il ne soit pas en train de commettre une énorme erreur.
Concentré sur ses prévisions, il ne remarqua pas la silhouette qui disparut dans les rues, pressée de sortir du périmètre de l'officier.