« C'est toi ou moi, l'un de nous est de trop! »

''Dégage'', de Bryan Adams.
 
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 L'effet papillon [OS]

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Natsume Shimomura
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Natsume Shimomura
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MessageSujet: L'effet papillon [OS]   L'effet papillon [OS] EmptyVen 10 Avr 2015 - 22:47



L'effet papillon

Évolution d'Himiko

« Ne dis rien. Prétends qu'elle est malade si besoin est, mais ne mentionne pas le moindre tir de balle, c'est clair ? Inutile de l'inquiéter ou de la faire s'angoisser. Essaye de le faire se rendormir, elle sera mieux dans ses rêves qu'éveillée à avoir peur. Et surtout Nat, s'il te plaît, ne pleure pas. Il va falloir que tu restes calme. Prends soin d'elle. Je te contacterai dès que j'en saurais davantage. »

Natsume n'avait jamais vu Faust comme ça. Pour être tout à fait honnête, il n'avait jamais rien vu depuis son arrivée sur l'île, surprotégé par ses proches qui avaient peut-être parfois tendance à oublier que ses yeux avaient déjà vu assez d'horreurs pour en supporter d'autres et qu'il n'était pas si fragile que ça, mais cette absence totale de rappel à la réalité avait fait naître une petite bulle, une sorte de naïveté de croire que maintenant qu'il avait trouvé un minimum de stabilité, il pouvait s'y raccrocher sans craindre d'être de nouveau déstabilisé et écrasé par le poids de la réalité, pourtant cruelle, qui n'épargne personne. Alors il était perdu. Hagard, confus, le regard vide. Tout va vite, si vite : il a encore l'impression qu'il vient d'apprendre la nouvelle. Il n'entend plus ce que dit Faust, après. Il s'habille mécaniquement, comme un robot, son visage étrangement dénué de toute expression.
Rien n’apparaît. Il n'arrive même pas à pleurer. Pourtant, la douleur sourde et dévorante dans sa poitrine ne disparaît pas. La compression semblable à une brûlure paraît même s'aggraver au fur et à mesure que les secondes s'écoulent. Il se rhabille mécaniquement. Très peu de temps passe, et le voilà seul. Seul avec Alice qui l'observe d'un air paniqué, méconnaissant complètement la situation, le suppliant du regard de répondre à ses interrogations.

Ses yeux noisettes sont bordés de larmes. Elle tremble, livide, mais Natsume sait qu'il l'est tout autant. En passant dans la salle de bains pour aller chercher un verre d'eau à la petite, il avait eu le temps d'apercevoir son reflet : jamais il ne s'était vu si pâle. Natsume avait déjà eu peur, à de nombreuses occasions. La vraie terreur, il la connaît. Celle qui prend aux triples et empêche tout mouvement, qui donne l'impression que tout s'est écroulé et qu'il n'existe plus aucune possibilité pour le futur. Bien trop souvent il l'a vécu, et jamais, oh grand jamais, il n'aurait voulu voir cette peur dans les yeux d'Alice. Elle aussi en avait déjà trop vu, mais il s'était promis il y a bientôt un an de toujours faire tout ce qu'il pouvait pour qu'elle ne revienne jamais peindre le brun de ses iris.
Mais là encore, qu'as-tu jamais pu faire... ?
Il se mord les lèvres. Jamais la petite voix insidieuse dans sa tête n'a été aussi vicieuse et violente. Il caresse doucement les cheveux d'Alice en la berçant dans ses bras, mais il ne sait même pas qui il essaye véritablement de calmer.
Est-ce que ce n'est pas plutôt toi, par hasard... ?

« N-n-nat, dis-moi ce qu'elle a, s'il te plait, je v-veux p-pas qu-que tu me mentes.... »

Silence. Sa seule réponse est une caresse sur son dos, un mutisme complet, tendu et lourd de sous-entendus et de non-dits tout à la fois. Son regard est perdu dans le vague, sans cible véritable. Son esprit est complètement coupé du reste du monde, son sourire faux, ses mouvements robotiques. Il passe une main sur la joue de la fillette qui continue de sangloter et de pousser des geignements de façon irrégulière, en tentant de faire disparaître quelques unes des larmes qui inondent son visage d'ordinaire plus prompt aux rires et aux sourires.

« Tout va bien. »

'Tout va bien', oui, 'tout va bien'. Il ne saurait pas dire ce qui avait cassé chez lui lorsqu'il avait appris la nouvelle. Mais il ne peut plus faire que ça, maintenant. Il lui semble que le masque de calme et d'indifférence qu'il croyait pourtant avoir rangé au bout d'un an était revenu plus fort que jamais, que tous les efforts qu'il avait fait pour s'ouvrir peu à peu au monde et aux autres avaient été réduits à néant. Et cette façade était revenue plus forte que jamais.
Peut-être essaye-t-il de se convaincre. Sûrement, en fait. Lui-même doit s'en douter, mais il y a quelque chose en lui qui s'est brisé si fortement qu'il en était revenu à ses méthodes de défense interne les plus vivaces. N'avait-il pas survécu sous seize ans de maltraitance dont deux bien plus intenses et horribles, avec les faux semblants, les mensonges et les apparences ? Ces mêmes mensonges dont il abreuvait maintenant Alice sous les ordres de son père, qui sans doute avait raison sur l'ordre des choses : au fond il ne mentait pas, il omettait. Mais Natsume aussi : il omettait simplement ses émotions. Il les laissait quelque part en faisant comme si il ne les voyait pas, même si elles le faisaient couler peu à peu vers le fond et l'entraînait vers la noyade. Ça avait toujours été et serait toujours sa méthode.

« Na-natsu... »


Un supplique gémie dans un sanglot encore plus brutal que les autres. Assis sur le lit de la fillette à tenter de la calmer par des murmures doux et des paroles rassurantes auxquelles Natsume ne croira jamais, trop abusé pour se laisser tromper par de pareilles grossièretés, il continue.
Combien ? Combien de personnes encore est-ce qu’il va devoir enterrer ? Kaori, sa tante, sa mère, Nova... Combien de départs ? Natsume ne les compte plus, mais il ne veut pas rajouter le nom d’Adélia à sa liste déjà bien trop longue. Il a beau se battre et se démener pour trouver en lui l’envie de combattre, rien ne lui vient aujourd’hui. Peut-être qu’une de ses limites a été franchie. Une de ces barrières invisibles qu’il n’avait jamais remarqué. Peut-être était-ce cela qui s’était brisé et l’avait ramené à un état qu’il croyait pourtant avoir définitivement quitté. Il ne veut pas être fort ce soir, mais il doit l’être. Et c’est bien ça le plus douloureux : garder cette image d’indifférence alors que son cœur écorché saigne abondamment et chaque fibre de son être hurle indignation et révolte.

« Calme-toi. Elle ira très bien. »

Menteur, susurre une petite partie de lui-même. Natsume pourrait presque l’entendre chuchoter dans son oreille, voir cette ombre qu’il ne connaît que trop bien ricaner et se moquer de lui, car le plus acerbe des critiques pour Natsume est bien Natsume lui-même. Alice continue de pleurer, animée de soubresauts et de frissons incontrôlés et incontrôlables.

« Tu veux quelque chose à boire ? Viens, il y a du chocolat en bas. »

La fillette ne hoche pas de la tête mais ne rejette pas catégoriquement l’offre de l’éleveur, qui en déduit donc qu’il peut l’emmener avec elle. Il la tire doucement par la main et lui fait descendre les escaliers en silence, et tandis qu’elle va se poser sur le canapé pour se calmer, Natsume s’attelle à la tâche. Ses gestes sont rapides, trahissant implicitement l’angoisse et la nervosité qui le parcourent. En saisissant une tasse, ses doigts glissent malencontreusement et il la laisse tomber : elle éclate au sol dans un fracas bruyant. Il ne grimace même pas et se prépare à la nettoyer, mais tandis qu’il ramasse les bouts de verre, il fronce les sourcils en remarquant des tâches rouges, puis il réalise qu’il s’est coupé lorsqu’il tourne légèrement sa main sur le côté. Il peste et pose les derniers débris sur le comptoir avant de se diriger vers la salle de bains.

« Je reviens tout de suite. »

Pour être honnête, il allait avoir ensuite besoin d’une dose de thé assez grande pour le garder éveillé toute la nuit. Toutefois, cela il ne le disait pas. Sans rien dire ou même sursauter, il nettoya la plaie sur sa main gauche, passa de l’alcool dessus et fit un bandage de secours, qui serait par ailleurs simple à cacher avec une manche. Il n’avait pas envie que quiconque le voit après tout.
Quelques minutes passèrent, et lorsque Natsume revint, la première chose qu’il vit fut Alice. La fillette paraissait étrangement calme et le fixait en silence. Les yeux noisette du japonais rencontrèrent ceux plus foncés de la gamine et avant qu’il n’ait compris quelque chose, il sentit quelque chose se pousser contre son esprit, comme une présence étrangère qu’il tentait de repousser comme il le peut. Mais c’est inutile : il assiste, impuissant, au défilement des images de cette soirée. Les paroles de Faust lui reviennent en tête, le réveil, l’annonce, ses consignes. Puis le départ de tous et sa solitude avec Alice.

Quand il rouvre les yeux, il comprend. La Munna d’Alice retourne auprès de sa dresseuse et les pleurs de la fillette redoublent d’intensité. Il devrait la réprimander ou s’énerver qu’elle ait usé d’un pareil stratagème pour savoir ce qui se passait véritablement, mais il est trop usé pour cela. Il fait un pas en avant, appelle Alice d’un ton qui frôle presque la demande, mais il se sent alors être poussé à terre par une vague d’énergie psychique et il serre les dents. Il entendit une porte claquer et écarquilla les yeux, se rendant peu à peu compte de ce qui était en train de se passer. Il tente de se relever mais il s’appuie accidentellement sur sa main blessée : erreur qui le fait glisser et tomber une nouvelle fois, surpris par l’étincelle vive de douleur qu’il vient de ressentir.

Paniqué, il ne sait plus quoi faire. Son cœur tambourine dans sa poitrine et ses yeux écarquillés fixent la porte par laquelle d’Alice vient de sortir. Les informations peinent à être comprises par son cerveau qui est enfin amené à ce point où même sa façade ne tient plus. Il n’arrive pas à comprendre ce qui vient de se passer. Ce n’est tout bonnement pas possible pour lui : Alice n’a pas pu faire un fugue. Pas avec sa bonne humeur, son courage et sa détermination à toujours garder le sourire. Et pourtant..
Il ne saurait pas dire si il avait vraiment eu conscience de ses actions suite à cela. Il se dépêche et courre jusqu’à sa chambre pour aller récupérer différentes pokéballs dont il aurait sûrement besoin ; Kaito, Nagi, Hayato et trois papillons, Takashi, Sayuri et Tetsuya, pour qu’ils la cherchent par les airs.

Il ne prend même pas la peine de prendre une veste, peu regardant du fait qu’il devrait pourtant s’habiller plus chaudement : la priorité n’est pas exactement là ce soir. Dès qu’il eut posé un pied à l’extérieur de la maison qu’il verrouilla derrière lui, il libéra les différents pokémon qu’il avait pris avec lui. Si ils étaient pour la plupart inquiets, les images mentales qu’avaient partagé Kaito suffisaient bien assez pour qu’ils sachent qu’il y avait plus urgent à l’instant.

« Hayato, Takashi, Tetsuya et Sayuri ; séparez-vous et tentez de couvrir le plus d’espace le plus rapidement possible. Kaito et Nagi, restez avec moi. »

Il se pencha légèrement vers la Grahyèna et lui tendit une des écharpes d’Alice qu’il avait pensé à prendre avant de descendre.

« Tu penses que tu pourras retrouver son odeur avec ça ? »

Nagi hocha de la tête. Malgré son teint livide et la peur qui le faisait trembler, il expira profondément et fit signe à ses pokémon qu’ils pouvaient partir. Courant aux côtés de la Grahyèna, cherchant du regard tout ce qui aurait pu ressembler de près ou de loin à une fillette brune de sept ans. Il parcoure les rues, haletant et respirant difficilement alors que ses poumons se compriment douloureusement, comme si une s’enfonçait un peu plus dans sa poitrine à chaque fois qu’il inspirait. Désespérément, il essaye de la retrouver en faisant dans son esprit le plan de la ville et de chaque coin qu’il a déjà fouillé, mais là encore, peut-être était-elle revenue par ici.
Il a beau y mettre tous ses efforts, il n’arrive à rien. Mais même si son esprit craint déjà le pire, ses pieds ne cessent pas de le faire bouger et il cherche encore et encore, et ce en dépit de la petite voix qui lui susurre tout ce qu’il pense dans l’arrière de son esprit. Les minutes s’écoulent peu à peu, amenant l’une après l’autre plus d’inquiétude sur ce qui pourrait bien arriver à une enfant de sept ans se baladant seule, dans un état mental instable, en pleine nuit dehors. Ce qu’il imagine le terrifie encore plus et il doit se mordre les lèvres pour ne pas pleurer : il sent un goût de sang envahir sa bouche et il ne s’en inquiète pas.

Sa main encore intacte passe nerveusement sur la poche de son pantalon qui abrite son portable et il hésite durant quelques secondes. La décision la plus sage serait après tout d'appeler Faust, car il serait sûrement bien plus à même de réagir et trouverait sûrement une solution plus adaptée, mais qu'allait-il dire ? Que laissé tout seul, il n'était même pas capable de surveiller une fillette de sept ans ? Qu'il avait encore échoué à réussir une tâche pourtant si simple... ?

« Alice, je t'en supplie... »

Pas de réponse. Quelques regards apitoyés se posent sur lui, d'autres plus confus, certains mêmes méprisants sans que le japonais ne comprenne pourquoi, mais sûrement interprète-t-il plus qu'autre chose. Il expire et inspire difficilement, tente de concentrer sa vision sur différents points.
De ta faute, tout ça.
Il sait qu'il ne devrait pas écouter ces pensées. Il a déjà eu le droit à assez de sermons comme ça, et n'est pas naïf au point de ne pas savoir qu'il ne devrait jamais, oh grand jamais, dire à haute voix ce qu'il pensait de lui-même sous peine d'avoir droit à d'innombrables sermons et autres savons. Mais pourtant, il ne peut pas s'empêcher de penser que quelque part, cette petite voix a raison. Il serra les poings rageusement, et jura en sentant la plaie sur sa main blessée se rouvrir légèrement.
Toujours trop faible pour aider qui que ce soit.

Hayato finit par les rejoindre au bout d'une trentaine de minutes. Le Luxray arbore une mine sombre, signe clair qu'il n'a rien trouvé. Natsume grimace, et c'est alors qu'il sent quelque chose d'humide tomber sur le haut de son crâne : il manquerait presque de rire, et il finit par ricaner.

« De la pluie. Putain de merde, j'y crois pas... »

Le cliché l'amuse. Ou du moins, c'est un ricanement jaune et amer qui sort de sa gorge : il n'a plus l'énergie qu'à ça, après ses longues minutes de course.  L'eau finit par tomber en trombes au bout de quelques minutes et Natsume pesta. Le froid le fit frissonner et trembler, mais même si Nagi et Hayato paraissaient d'avis qu'il lâche l'affaire et finisse par appeler à l'aide, il se mordit les lèvres.
Toujours besoin qu'on te guide et qu'on fasse tout à ta place parce que tu n'es pas capable de te débrouiller seul.

Kaito sait. Ayant accès aux pensées de son dresseur, il ne peut rien faire alors que le Shimomura laisse ses démons parler ; si il continue de chercher Alice avec le même désespoir que tout à l'heure, criant son nom régulièrement dans l'infime espoir qu'elle l'entende et lui réponse, il espère pourtant de moins en moins une réponse. L'espoir n'avait jamais été son truc, et là alors qu'il tentait naïvement d'avoir le même optimisme que pouvait avoir Nova, la même joie de vivre qu'Adélia et la même force que Nagisa, Faust, Sam, Mina ou encore Charlie, il n'arrive à rien d'autre qu'à constater son impuissance totale.
Faites qu'il ne lui soit rien arrivé, pitié... Tout est de ma faute !
Il a envie de hurler, quitte à éclater ses poumons à moitié fonctionnels. Rien de ce qu'il fait ne semble fonctionner. Quinze autres minutes passent ; les trois papillons finissent par revenir aux côtés de leur dresseur. Une des mains de Kaito se pose sur son épaule et Natsume la chasse brutalement, refusant tout contact. Le japonais attrape une touffe de ses cheveux dans sa main dans un geste nerveux. Ses yeux s'embuent, mais il refuse de se laisser pleurer.
Toujours aussi inutile.
Toujours le petit faiblard qui fait pitié. Le pleurnichard. Le boulet. Celui qui dérange, qui freine tout le monde. Qu'est-ce que ça fait, d'être toujours ce qui force ceux que tu aimes à perdre du temps ? De ne jamais pouvoir les aider ? Mais au fond ça t'arrange bien de rester à l'écart de tout ça pour ne pas avoir à constater ton inutilité et ta faiblesse. Dis-moi, il te faudrait aussi de l'aide pour crever ou tu saurais appuyer sur la gâchette tout seul ? Ça serait bien la première fois que tu retirerais un souci de la tête de quelqu'un. Mais c'est tout ce que tu es, après tout. Un souci. Un problème à régler, constamment. Une anomalie, une teigne persistante, un insecte. Nuisible, l'insecte : ce serait bien le seul adjectif à poser sur toi. C'est très ironique, en fin de compte...


Et il le croit. Même si il sait que c'est faux. Ces idées sont si enfoncées dans sa tête qu'il ne sait pas si il parviendra un jour à s'en débarrasser pleinement. Mais pour l'instant, son esprit se concentre sur Alice. Et il réfléchit. Il tente de calculer à peu près jusqu'à vers où elle aurait pu aller dans un laps de temps pareil, mais se souvenant qu'étant donné qu'elle avait eu un Tarsal de la part d'Isaac à son anniversaire elle pouvait maintenant se téléporter comme elle le voulait et aurait par exemple pu être à des dizaines de kilomètres d'ici, il se rendit compte que c'était complètement stupide et n'en fut que plus frustré.
Dès lors, des images passent dans son esprit rapidement. Que se passerait-il, si il échouait à la retrouver comme cela semblait si bien parti pour être le cas... ? Est-ce qu'il ne la reverrait plus jamais ? Est-ce qu'il n'aurait plus le bonheur de la faire rire, de la voir lui redonner le moral même quand il était davantage d'humeur sombre ? Même ces fois où il rechignait à l'emmener avec lui en sortie parce qu'il n'avait alors plus le loisir de faire tout ce qu'il voulait, où il grognait sous sa barbe lorsqu'il était chargé par Faust de l'emmener au cinéma voir des films très infantiles, ou encore toutes ces sorties au parc où il devait parfois passer des heures à l'observer jouer...
… Attends. Le parc... Mais et si...

« Kaito ! »

L'Alakazam est curieux, mais un rapide tour dans l'esprit de son dresseur lui indique tout ce qu'il a besoin de savoir. Sans plus de paroles, le japonais rappela ses pokémon dans leurs balls. Quelques secondes après que la main de Kaito ait touché la sienne, ils se retrouvent en plein milieu dudit parc. Le regard rougi de Natsume balaye les environs et son cœur manque un battement lorsqu'il remarque enfin une petite silhouette féminine qu'il reconnaîtrait entre mille.
L'adolescent s'approche calmement : elle s'est assise sur un banc, les genoux repliés contre elle-même, le regard vide et fixé sur le sable du terrain de jeu. Elle est tout aussi trempée que lui : ses cheveux bruns collent à son visage et elle tremblote, animée de temps à autre par des sursauts ou du moins ce qui semble être de frissons assez violents. Le froid doit sans doute la geler sur place, et c'est avec une lenteur prudente que l'éleveur s'assoit à côté d'elle. Il craint presque de faire un geste trop brusque qui la surprendrait et la ferait fuir, comme un animal blessé et apeuré. Alors qu'il s'assoit, il constate avec un sourire caustique que son pantalon est trempé. Il l'avait remarqué avant, mais il ne le sent vraiment que maintenant ; Alice est dans le même état que lui, et pire encore étant donné qu'elle était encore dans son pyjama.

« Je suis désolé. »

Il a parlé à voix basse. Alice ne répond pas.

« Je... Je sais pas ce qui va arriver à Adélia. Je ne l'ai jamais su. Je ne voulais pas te le dire parce que je ne voulais pas que tu sois triste. Et aussi parce que je ne voulais pas le dire à haute voix. »

Il inspira pour se donner du courage.

« Je sais rien de ce qui risque d'arriver, Alice. Mais... Je suis désolé. Je sais pour ta maman. J'aurais dû t'en parler avant. »

Car si Natsume est un imbécile, il a au moins la capacité de déduire facilement. Et il se doute de l'image qui a dû traverser l'esprit d'Alice en apprenant pour celle qu'elle considère comme une partenaire de jeu irremplaçable : la même que celle qui hante et hantera toujours Natsume à chaque fois qu'il pose et posera les pieds dans un ascenseur. Celle du cadavre de sa mère. Alice l'avait vu mourir sous les coups de feu : inutile de dire quels souvenirs ce qui était arrivé à Adélia avait pu faire ressurgir, et aggraver les angoisses et la peur d'Alice de voir un jour quelqu'un de sa famille d'accueil disparaître de la même façon, du jour au lendemain.
L'éleveur passa avec lenteur un de ses bras autour du cou de la fillette, l'invitant à se reposer contre lui, ce qu'elle fit. Malgré la pluie qui s'abattait sur eux, le vent et le froid qui les amenaient à frissonner. Alice ne dit rien, en premier lieu. Il y eut comme un long silence durant lequel Natsume n'osa rien faire d'autre que de passer ses mains dans ses cheveux alourdis par l'eau, puis au bout d'une minute tout au plus, il vit ses épaules se relever brusquement. Un premier sanglot quitta la gorge de la gamine et quelques secondes après, elle éclatait en pleurs dans ses bras. Le japonais se mordit les lèvres pour tenter vainement de retenir les siennes, mais ce fut inutile.

De longues, longues minutes passèrent avant que les pleurs d'Alice ne se calment enfin. Quand ce fut le cas, Natsume invita Kaito à les rejoindre et, après qu'il ait saisi doucement mais fermement la main d'Alice, ils furent téléportés dans le salon de la maison.
Sans un mot, Natsume alla récupérer une des balls qui se trouvait encore au salon, l'ouvrit et en fit sortir une Pyronille.

« Himiko, s'il te plaît, réchauffe-la. »

La chenille, bien qu'inquiète, s’exécuta sans rien demander d'autre et laissa Alice la serrer comme une peluche réchauffante, qui lui prodigua une chaleur douce et réconfortante qui calmait au moins un minimum ses tremblements et ses sursauts. En dépit du fait qu'il était gelé lui-même, il retourna faire les boissons chaudes qu'il avait préparé tout à l'heure et alla donner la sienne à Alice.

« On va s'habille puis on revient ici, d'accord ? On va regarder des dessins animés jusqu'à ce que ton papa nous appelle. »

Alice hocha faiblement de la tête. Elle serra la Pyronille dans ses petits bras glacés et alla, tout comme Natsume, mettre des vêtements propres. Une fois redescendu en bas, la fillette alla s'asseoir sur le canapé tandis que l'éleveur mettait dans le lecteur DVD un quelconque CD de Tom et Jerry qui traînait sur les étagères du salon. Himiko était encore collée contre Alice, mais la gamine se penchait peu à peu contre l'éleveur et très vite, la fillette finit par se blottir contre l'adolescent qui garda ses bras autour d'elle, comme si il cherchait à la protéger d'un danger pourtant inexistant à l'instant. Himiko, qui se tenait dans le dos d'Alice, fut alors entourée d'une douce lumière blanche et grossit peu à peu, prenant finalement la forme d'une Pyrax qui entoura de ses ailes son dresseur et la gamine.

Ses yeux à moitié ouverts continuaient de fixer Alice, et tandis qu'il écoutait sa respiration et les battements de son cœur qui avaient enfin ralenti, il poussa un soupir de soulagement et sentit peu à peu ses paupières se fermer. Il ne résista pas à l'appel du sommeil et se dit que si besoin, Faust les réveillerait : pour l'instant, il allait rejoindre Alice et Himiko dans les bras de Morphée et oublier, ne serait-ce que temporairement.
Mais ce soir-là, alors qu'il constatait son impuissance, sa faiblesse et tout ce qu'il détestait chez lui, alors qu'il gardait Alice contre lui et réagissait enfin comme il aurait dû le faire depuis le début, il y avait peut-être eu quelque chose qui s'était éveillé, que ce soit pour le meilleur ou pour le pire. Mais sur le moment, tout ce qu'il pouvait faire, c'était prier pour Adélia, et peut-être un peu pour Alice afin qu'elle n'ait plus jamais à revivre ça.
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