Quelques heures étaient passées depuis l’étrange rencontre du frère et de la sœur Richter. Cléo avait emmené Cesar jusqu’à un café du centre de Vanawi. Le dialogue était plutôt difficile du fait de la situation peu ordinaire dans laquelle se trouvaient les deux jeunes gens qui venaient de découvrir leur lien de parenté. Cesar n’avait jamais douté qu’il avait bien une famille quelque part, mais il n’aurait pas pensé que le choc de la rencontre, après 22 ans sans jamais les connaître, serait si violent et éprouvant. Enfin, ça, Cléopatre le lui avait prédit. La jeune femme était d’une patience admirable avec son demi-frère. Prenant son temps pour trouver les mots adaptés à Cesar qui posait beaucoup de questions, en s’appliquant à ne pas lui mentir, mais édulcorant peut-être certains détails encore difficiles à appréhender pour elle, surtout en ce qui concerne les questions sur leur géniteur, qu’elle tentait au mieux d’ésquiver ou de détourner. Elle ne voulait pas influencer le jugement de Cesar en ce qui concerne Léopold ou Richard, en fait, elle tenait à ne rien lui dire du tout au sujet de ce dernier, et ne devait surtout pas lui conseiller d’aller en savoir plus par lui-même. Elle lui parla surtout de Sigismond, et du fait qu’ils vivaient ensemble à Vanawi depuis quelques années. Elle lui parla aussi de Ferdinando, le cadet de la fratrie, qui vivait à Anula avec ses parents. Elle évoqua très brièvement Léo, un prénom qui fit frémir Cesar, en ayant l’air de ne pas trop quoi savoir dire à son sujet, et encore une fois, évita les questions de Cesar sur ses parents, et surtout leur père. A force, Cesar finit par comprendre que la famille Richter avait ses secrets et surtout, ses sujets tabous, et cessa ses questions à propos de son géniteur, même si il était évident que c’est le point qui le turlupinait le plus. Puis il parla, lui aussi, à sa soeur. Il parla de ses souvenirs d’orphelinat, de foyer, et puis l’asile, plus péniblement, sans détailler certains traitement qu’on lui avait fait subir, et finit par parler un peu de Charlie, pour détendre l’atmosphère un peu embarrassé cependant. I lparla de ce qu’il connaissait, finalement, avec cet optimisme qui le caractérise. Cléo savait déjà, pour l’asile, Sigismond lui en avait parlé,  du moins, lui avait rapporté la fugue de quand Léopold les avait appelés pour leur demander de l’aide pour retrouver leur frère. La conversation s’épuisant et étant parfois difficile à ingérer, le silence se fit entre le deux jeunes gens assis dans un coin du café. Cesar recommença a boire sa limonade, en prenant un peu de temps pour digérer la discussion qu’il venait d’avoir avec  Cléo, et résumer l’état de la famille. En tout cas, c’est plutôt une bonne nouvelle, qu’il ait autant de frère et sœurs… Il n’est pas tout seul! Bon, par contre, pour résumer, le « Monsieur Léopold » dont avaient parlé ses poursuivants après sa fuite de l’asile se trouvait être son frère ainé. Il ne savait quoi en penser, mais après tout, peut-être voulait-il simplement le retrouver? Mais alors pourquoi n’était-il pas venu par lui-même, et pourquoi a-t-il quand même du passer tant de temps enfermé? Confus, le garçon aux cheveux d’argent lança un nouveau regard interrogatif à Cléopatre. Cette question lui brûlait les lèvres depuis trop longtemps.

« Dis, Cléo, y’a un truc que je comprends toujours pas… »

La jeune femme aux cheveux noirs observa encore Cesar, d’un air compatissant. Le pauvre était complètement perdu, avec toutes ces histoires, et c’est parfaitement compréhensible. Elle n‘avait pas la réponse a tout, mais depuis plusieurs heures, elle essayait de l’éclairer et de le rassurer, tout en tentant d’expier ses propres démons revenant vers elle.

« Pourquoi est-ce que Léopold il a envoyé des gens me poursuivre? C’était… Pas sympa. Pendant trois mois, j’avais tout le temps peur qu’ils me fassent du mal, ou qu’ils m’enferment de nouveau… Je comprends pas pourquoi mon grand frère me ferait subir ça, une famille, c’est pas fait pour s’aimer? »
« Tu sais, Léopold est… Enfin… Ce n’est pas sa faute. C’est compliqué, tout ça. Il n’est pas méchant, et je suis certaine qu’il ne te voulait aucun mal, je ne le connais pas si bien, mais il n’est pas capable de nuire à autrui… Sauf si il lui a... Oublie. »
« Qui c’est "il"? J’ai l’impression qu’il y des choses dont il ne faut pas parler mais… Je veux savoir, Cléo… j’ai été enfermé dans un asile, tu le sais… Qu’est-ce que j’ai fait de mal? »
« Non, Cesar, tu n’as rien fait! Ce n’est pas ta faute. C’est juste que… Qu’il te… Il pense que tu es dangereux. Mais il a tord! Moi, je sais très bien que tu n’es pas un monstre comme il le pense. »
« Mais c'est qui- »
« Je ne peux pas, Cesar, tu comprends? Je ne voulais pas t’en parler, car je ne voulais pas que tu en saches trop. Tu n’y es pour rien, dans toute cette histoire. Tu n’as rien fait de mal.  Je t’en prie, n’essaies pas d’en savoir plus. Tu dois vivre ta vie libre, tu le mérite plus que quiconque. Promets-moi que tu ne vas pas essayer d’en savoir trop, s’il te plait, Cesar. »
« Pourquoi? Je ne comprends pas… »
« Promets-moi. Je t’en prie. »

L’air de Cesar était contrarié. Il se mit à grogner, puis son poing rencontra la table. La colère s’empara de lui presque instantanément, et il enfouit son visage entre ses mains, en gémissant. Il ragerait de ne rien pouvoir comprendre par lui-même. D’être trop bête. Il ne pouvait pas forcer Cléo a parler. Tant d’indices lui ont été laissés au fil des mois, en commençant par ses années à l’asile, ces courses poursuites, ses rencontres, le mystérieux Léopold, puis, enfin, Cléopatre, et le Richter. Mais même avec tout ça, comment peut-on le croire dangereux, au point de l’enfermer? C’est trop injuste. Pourquoi lui? On a jamais arrêté de lui répéter qu’il était gentil, trop gentil, même. Bien sur, il ne faut pas le mettre en colère, car il lui est déjà arrivé de faire mal à ses camarades, mais quel enfant n’a jamais fait cela quand il ne contrôle pas encore sa force ou qu’il est mal dans sa peau? Il tremblait de colère et de frustration. Cléo a peut-être raison… Peut-être devrait-il abandonner l’idée d’en savoir plus. Mais si quelqu’un est assez cruel et fou pour enfermer sa propre famille, eh bien c’est lui qui mériterait d’être interné! Cléo qui n’osait pas en dire plus porta finalement une main sur celle de Cesar, en essayant de le calmer.

« Cesar… S’il te plaît. Je comprends ta colère mais ne fais pas ça. »
« N’importe quoi! Comment tu peux comprendre? Et pourquoi il fallait que tu dises tout ça, d’abbord?! »
« Je ne voulais pas, crois-moi! Je veux te protéger! »
« Je suis assez grand, je suis plus âgé que toi, je te rappelle! Charlie m’a tout appris à me battre, et puis, j’ai Lisa avec moi. J’ai pas peur! »
« Que tu aies peu ou non, ça ne change rien. La vérité est parfois bien meilleure quand elle n’est pas dévoilée, et certaines choses ne peuvent jamais être réparées. Tu dois t’y faire. »
« C’est pas juste… C’est vraiment pas juste… »

Si Cesar avait assez d’expérience de vie et de maturité, certainement qu’il aurait passé l’éponge sur toute cette histoire pour ne pas se mettre en danger ou souffrir. Mais dans l’immédiat, il n’y parvenait pas. Il ferait tout ce qui allait venir dans les jours suivants d’un coup de tête capricieux, d’autant plus que maintenant il savait ou trouver ses réponses. Elles étaient à Anula. Peut-être cela lui prendrait quelques jours, mais il était décidé.  Il pensait à Charlie, bien évidemment, peut-être ne le reverrait-il que dans deux ou trois jours, il devra la prévenir. Et tout lui dire à son retour, si il parvient à trouver ce qu’il cherchait. Sans en dire plus, Cesar se leva de sa chaise et balança quelques pièces sur la table du bar avant de se diriger vers la porte de sortie. Cléo  se leva au même moment et le retint par le poignet, l’implorant de ne pas faire de folies du regard, ou se lisait la panique. Pourtant, Cesar ne cédera pas. Il a bien compris : peut-être le regretterait-il. Non, il ne pouvait pas promettre qu’il n’irait pas là-bas, mais en revanche...

« Je te promets que je reviendrais sain et sauf. »

Ça, il devait le promettre. Et pas qu’à sa sœur, à Charlie aussi. Surtout à Charlie, a qui il aura tant de choses à dire lors de son retour. Il arracha son bras à l’étreinte de Cléopatre et finit par disparaitre dans les rues de Vanawi, ou le soleil avait déjà commencé à décliner. Peut-être que ce serait douloureux, mais Cesar aurait bientôt la vérité qu’il a tant cherché.