« C'est toi ou moi, l'un de nous est de trop! »

''Dégage'', de Bryan Adams.
 
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 Big Girls Cry |OS|

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Cassey G. Banks
Administratrice Fondatrice
Cassey G. Banks
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Âge du personnage : 26 ans
Métier / Études : Responsable d'une équipe des relations publiques du Régime
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Flow, surnom de Compétitrice

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MessageSujet: Big Girls Cry |OS|   Big Girls Cry |OS| EmptyLun 20 Avr 2015 - 14:12



Big Girls Cry
feat. Juno


Musique
Tough girl
In the fast lane
No time for love
No time for hate
No drama, no time
For games
Tough girl
Whose soul aches

Mes prunelles papillotent contre l’écran. Je le scrute, inlassablement, à la rechercher d’informations manquantes. À côté, ma main s’anime comme possédée d’un indomptable démon, notant au passage chaque détail susceptible de m’intéresser pour le rapport que nous allons devoir construire en équipe, demain matin. Ou plutôt que je vais mettre en place toute seule pendant que les autres s’activeront déjà à la couverture médiatique. Nous recevrons monsieur Strauss en début d’après-midi avec un discours déjà tout écrit, prêts pour une conférence de presse vers 17h00 qui serait diffusée sur toutes les chaînes de l’île d’Enola. Tous les yeux rivés sur ce qu’il dira derrière son estrade décorée aux couleurs du Régime, son visage impassible sous les flashs constants des caméras. Mitraillé, traîné comme en justice pour des gestes qu’il n’a pas commis. Et nous, mon équipe et moi, avons le devoir de l’arrimer, de l’armer contre le flot de questions, contre la révolte qui se fait déjà sentir dans les rues. Au dehors j’entends des cris et des tirs. Chaque affrontement dans une ville connexe en provoque beaucoup d’autres, surtout ici à Amanil. Les cris se taisent, la menace est avortée et je frissonne en me retirant de ma contemplation de l’écran. Mon regard se perd dans cette nuit sombre et tendue. Mon cœur s’emballe. Combien de gens mourront ce soir? Combien doivent encore subir? D’un cri je repousse mon ordinateur portable contre la chaise longue coussinée à mes côtés et m’extirpe de mon fauteuil extérieur pour m’avancer près de la barrière qui délimite mon balcon.

En bas, Amanil s’est calmée. Pour le moment. En ses ruelles plongées dans la pénombre, je devine encore quelques silhouettes volubiles, réduites à la taille de quelque fourmi insignifiante d’où je me trouve. D’où je me trouve, au vingt-unième étage de mon immeuble, je ne puis entendre la patrouille, mais je devine le claquement des bottes des soldats contre les pavés, le bruit de leurs fusils s’entrechoquant contre leur couroi. La chasse à la sorcière a commencé ce soir et plusieurs arrestations auront lieu. Il suffirait d’avoir le nez dehors pour qu’on vous suspecte de traitrise envers le gouvernement. Ceux qui ont osé sortir ce soir devront probablement passer la nuit où ils se trouvent pour éviter le pire. Les règles sont les règles et ceux qui résisteront n’auront pas la chance de s’en excuser avant qu’on les exécute sans ménagement. Après les affrontements de ce petit village de Vanawi, toute la ville retient son souffle, y compris moi. Je ne réalise que trop tard qu’une larme solitaire glisse contre ma joue, cristallisation silencieuse de la peine, de la rage, de la confusion qui m’ébranlent et qui me font osciller contre la rambarde. Cette ville toute en lumière, en longs dessins sinueux, cette forêt de fer et de béton longeant un océan d’un noir profond qui s’étend jusqu’à la fin du monde, cette ville qui m’a vu naître n’arrive pas à m’offrir la paix désirée ce soir alors que je m’appuie un peu plus contre la balustrade qui me pend au-dessus du vide. Sans crier gare, un hurlement me prend, vif, qui me déchire la gorge. Je m’effondre contre la barrière en tremblant comme une feuille entraînée au cœur d’un ouragan.

Je serre, presque par réflexe, la silhouette s’étant glissée près de moi. Hayim que j’ai dû réveiller par mon cri. Mes doigts se perdent contre sa carapace d’acier, mes mouvements hérétiques et frénétiques contre son dos. Je la sens raffermir son étreinte contre ma poitrine. Son poids contre moi m’aide à reprendre contenance sur ce corps brisé de fatigue et de douleur et de rage. Mais mon esprit continue à s’agiter, encore et encore alors que sous mes prunelles brûlent encore les images auxquelles j’ai été contrainte d’assister. Images qui ne verront jamais la lueur du jour, demain, quand Enola s’éveillera pour une nouvelle matinée pleine de promesses. Comme lors de ce coucher de soleil échangé avec le Résistant. Il n’y en aura plus d’autres ainsi. Plus jamais. Ce monde ne se teinte de rouge que par la guerre et non par l’espoir. Je laisse m’échapper un gémissement alors que je revois les images des flammes brûlantes engloutissant un village complet près de Vanawi. Un village entier d’innocents. Un haut-le-cœur me prend. Et moi, je dois effacer les pistes de ce crime impardonnable et faire porter le blâme à d’autres.

Ma loyauté ne fait aucun doute, même aujourd’hui à cette heure où les remords me rongent. Rien au monde ne saurait ébranler cette foi intime et puissante que je puis placer en mon organisation, en ses ambitions et sa puissance. Aujourd’hui se rebelle en moi par contre ses méthodes, ses moyens. Je n’ai jamais rechigné à la mise en justice les réfractaires de notre Régime, ni l’utilisation de la violence contre cette bande de renégats. Il n’existe aucune autre façon efficace de contrer cette gangrène qui asphyxie cette île. Mais de tuer des hommes, des femmes, des enfants innocents? Un village entier subissant une colère inutile envers les véritables responsables du problème? Ces gens n’avaient absolument rien à voir avec la Résistance. Un frisson d’effroi me parcoure en réalisant que de braves gens comme mon père auraient pu se trouver parmi les victimes. Est-ce donc ce que me reprochait celui-ci lorsqu’il m’a abandonné en quittant l’île il y a quelques mois? Mon appartenance à un mouvement parfois brutal, parfois déraisonné et stupide, égoïste et cruel. Encore une fois il s’agit de mon travail de réparer les pots cassés, de faire taire une histoire qui se répand déjà telle une traînée de poudre et qui, encore une fois, fera trembler les fondations même du Régime. Encore une fois, les images horrifiantes de ce soir dansent sous mes yeux. Cette nuit je ne pleure pas mes compatriotes tombés au combat mais plutôt la population inoffensive qu’on a froidement assassinée.

«Hayim?»

I'm at home
On my own
Check my phone
Nothing, though
Act busy
Order in
Pay TV
It's agony

La Galekid ne m’a pas abandonnée. Elle se tient toujours contre moi, tous ses sens en éveil, à guetter le moindre changement de mon humeur. Le pire est passé. Mais je ne parviendrai jamais à dormir. Ma tête dodeline contre mes épaules à la recherche de quelque appui. Sous ce crâne lourd, une multitude de pensées et d’images contradictoires continuent de s’affronter dans un ballet assourdissant. Lorsque j’aurai regagné mon lit, dans quelques heures après avoir travaillé à ce dessein scrupuleux, aurai-je le courage d’affronter la glace à nouveau? Il ne s’agit pas de la première fois que je dois faire face à une telle confusion face à ce métier que j’adore pourtant, à cette organisation qui est ma famille, mon toit, qui me définit à présent. Les erreurs, nous en avons commis d’innombrables, à commencer par l’entreprise du premier janvier de 2014. Tout juste avant le décès d’Aimee. Cette fois alors que je suis épuisée, alors que je dirige l’équipe pour la première fois dans une crise aussi importante, alors que la responsabilité repose entre mes mains rien ne m’a semblé plus gris. Rien ne me fera oublier ce soir. Rien au monde.

Alors que je formule cette pensée, une sonnerie criarde fend le silence dans une explosion assourdissante. Je sursaute brutalement, tout comme la petite Hayim à mes côtés qui s’empresse de sauter de mes bras pour rejoindre mon téléphone qui beugle contre le fauteuil que je viens de quitter. Elle s’en empare avec délicatesse, consciente qu’un faux mouvement de mâchoire suffirait pour elle de détruire l’appareil. Elle le remet dans mes mains tremblantes. Je n’ai aucune intention de répondre. Il s’agit probablement d’un de mes collègues ou même monsieur Strauss tâchant de s’enquérir de ma progression. Peut-être me demandera-t-on de rentrer ce soir au bureau afin d’être prêts pour la conférence de presse qui aurait été devancée à la matinée? Mon doigt se pose presque contre le bouton qui aurait mis fin à la sonnerie irritante sauf que j’interromps mon geste aussitôt lorsque je constate que le code régional de l’appel n’appartient pas à Enola. La France. Je décroche aussitôt et braque l’appareil contre mon oreille, ragaillardie d’espoir.

«Tatie?»

«Coucou mon ange. Je savais que tu serais encore réveillée à cette heure.»


Ma tante Lucy. L’être au monde que j’aime le plus. D’entendre sa voix à cette heure, cette voix qui a bercé mon enfance, qui continue de hanter mes solitudes, cette voix d’amour et de paix… En moi s’agite à nouveau la peine. La peine et l’incompréhension, la confusion intenable. Une nouvelle larme roule contre ma joue, la deuxième versée ce soir. Il n’aurait suffi qu’elle m’ouvre les bras, que je me glisse contre elle et de me laisser bercer pour que toutes mes barrières cèdent. Pour que toute cette souffrance que je terre au fond de moi depuis des mois, des années, ne me submerge d’un seul coup. Comment les êtres chers peuvent-ils provoquer autant de vulnérabilité? Comment osent-ils s’approprier notre faiblesse et l’exposer ainsi?

«Ça va ma puce?»

Sa voix trahie son inquiétude. Elle deviné. Bien sûr qu’elle a deviné. Tous les kilomètres qui peuvent nous séparer n’auront jamais raison de ce lien qui nous unit. Je me mords la lèvre en tâchant d’assagir le nœud qui s’est formé au creux de ma gorge. Je prends une grande inspiration en maîtrisant ma voix hésitante et gonflée de larmes du mieux que je le peux.

«Bien sûr. Tu me manques.»

Je prononce ces mots, sacrés, lors de chacun de nos échanges. Empreints d’une vérité indéniable depuis le moment où je l’ai supplié de ne pas partir, de ne pas me laisser derrière elle comme un vulgaire souvenir. Ma tante me manque, à chaque moment du jour et de la nuit. Sans elle je me sens perdue, vidée de sens et aujourd’hui plus que jamais alors que je ne semble plus trouver de sens à ce qui en a toujours eu à mes yeux. Je n’ai jamais osé lui dire à quel point son absence peut me blesser à chaque jour qui passe, même presque vingt ans après. Lucy fut telle une mère pour moi. Ce que j’avais de plus semblable à la vie normale à laquelle j’aspirais. Elle était un parent affectueux, présent et dévoué. Encore maintenant je me demande pourquoi elle n’est pas présente même si mes mots sont dépourvus de reproches.

«Tu me manques aussi ma puce. Tous les jours.»

Je sens dans sa voix que je ne l’ai pas convaincu quant à mon état. Pour elle qui me connaît probablement mieux que moi-même, je n’ai plus aucun secret. Elle connaît toutes mes défenses habituelles, toutes les armes que je peux braquer entre le monde extérieur et mon moi profond et vulnérable.

«Qu’est-ce qu’il y a Cassey? Qu’est-ce qui se passe?»

Je me mords la lèvre avec insistance, jusqu’à ce que l’envie de pleurer se résorbe une nouvelle fois. Hayim se blottit contre moi et frotte sa petite tête sur ma cuisse. Je la caresse en prenant une grande inspiration. Mon silence s’étire tant que ma tante revient à la charge.

«Tu es toujours là? Cassey parle-moi.»

«Je suis là. Ce n’est rien tatie. Je vais m’en sortir.»


Je n’ai pas besoin de toi. J’aimerais tellement pouvoir le prononcer, mais je sais que je n’y arriverai jamais. Car c’est faux. Totalement faux. Ma voix se brise et les sanglots me secouent sans que je ne puisse les réprimer. Je me brise en deux, échappant presque mon téléphone alors que je tente de l’éloigner de mon visage et d’étouffer ma peine, de la dissimuler à ma tante qui l’a pourtant deviné depuis longtemps. Je déteste dépendre des autres. J’ai toujours su me débrouiller et ce n’est pas aujourd’hui que mes habitudes changeront. La voix de ma tante à elle seule me le rappelle. Son pouvoir est si prenant que je n’arrive pas à contenir des émotions que j’arrivais bien à dompter avant son appel.

«Tu as droit de pleurer Cass. Tu le sais ça?»

I may cry, ruining my makeup
Wash away all the things you've taken
I don't care if I don't look pretty
Big girls cry when their hearts are breaking
Big girls cry when their hearts are breaking
Big girls cry when their heart is breaking

Sa voix contient autant de douceur qu’une couverture chaude et rassurante. Mes sanglots m’étranglent de nouveau et enfin, enfin je laisse libre court à toute ma peine. Je pleure longtemps, et lorsque le tout prend fin je suis couchée contre le plancher du balcon, complètement épuisée.

«Oh ma belle. Combien j’aimerais être avec toi en ce moment.»

Combien j’aimerais n’être qu’une gamine à nouveau. Poser ma tête contre ses cuisses en la laissant me caresser les cheveux, m’assoupir contre elle en me sentant en sécurité et forte et aimée. Je n’ai plus ce luxe à présent. J’habite dans le monde adulte et ce genre n’âneries n’a plus sa place. Plus personne ne me protégera. Je ne peux compter véritablement que sur moi et moi seule. J’ai fini de pleurer et de m’apitoyer sur mon triste sort. Je ne suis pas responsable de la mort de ces personnes. Ce ne sont pas les premiers innocents à mourir dans cette guerre ni les derniers. Je me redresse malgré mon épuisement, attrapant Hayim pour la caler contre mes genoux.

«Vous devez me visiter bientôt. Je paierai le voyage s’il le faut.»

«J’aimerais beaucoup ma puce. Je suis en train de considérer nos options, ce n’est pas facile de prendre congé. Mais c’est dans les plans.»

«Et papa?»

«Je… je ne sais pas.»


Depuis que mon père a quitté Enola en juin dernier pour rejoindre ma tante en France, nous n’avons échangé que quelques mots insignifiants. Encore aujourd’hui, la culpabilité me prend aux tripes à imaginer que j’ai peut-être causé la destruction de notre relation, et pour de bon cette fois. Aussi frustrée puis-je être contre lui, aussi fondamentalement déçue de son départ, de son abandon au moment où j’avais désespérément besoin de lui, je souhaite encore le voir revenir près de moi, nos rapports s’améliorer. Pour la deuxième fois de notre échange, mon cœur se serre et le souhait de retomber en enfance me parvient. À cette époque, je n’avais pas à subir le jugement de ma propre famille. Il ne m’importait aucune responsabilité autre que celle de grandir et m’épanouir. Aujourd’hui plus que jamais cette tâche me semble impossible, inaccessible. Je ne sais toujours pas qui je suis.

«Nous viendrons, tous. J’y travaille ma chouette. Tu m’inquiètes. Je sais que tu n’aimes pas que m’angoisse pour toi mais c’est le cas. Je t’ai vu grandir et je sais que tu préfères qu’on te laisse tranquille avec tes problèmes. Je sais aussi qu’une fois que tu décrocheras ce téléphone, tu t’en voudras d’avoir pleuré devant moi. Mais c’est ainsi, Cassey. Je suis là pour toi et tu vas devoir t’y faire. Et laisser les gens qui t’aiment venir à ton secours lorsque tu en as besoin. Et toi, de t’autoriser à pleurer lorsque tu te sens dépassée. Ce n’est pas une faiblesse.»

«Les grandes filles ne pleurent pas. Papa me l’a assez répété.»

«Ton père avait tort. Les grandes filles pleurent aussi. On se fiche bien de ce qu’on peut en penser.»


Je secoue la tête. J’essaie de me dire qu’elle est dans l’erreur, qu’elle ne me connaît pas si bien et qu’au final, je raccrocherai de cet appel la tête haute, sans aucun regret. J’essaie d’attiser cette colère, enfouie profondément en moi, à son sujet. Arceus sait que les frustrations à son endroit sont nombreuses et bien ancrées, mais je ne parviens pas à animer la machine. Je n’en ai plus la force ou le désir.

«Alors je suis supposée faire quoi? Pleurer comme une imbécile? Ça ne sert à rien.»

«Pleurer sert à te soulager. Pour le reste, c’est à toi de te prendre en main et de trouver des solutions. Je ne sais pas ce qui se passe, ma belle, mais je sais que tu te voiles la face avec ta souffrance, tu préfères ne pas la voir pour ne pas te sentir vulnérable mais personne ne te la reprochera.»


Oui, il y aura toujours moi. Moi pour me reprocher cette souffrance que je semble m’infliger. Au moins lorsque je prétends qu’elle n’existe pas, j’ai un sentiment de contrôler sur celle-ci. Je repense aux paroles de la prêtresse Mère Isolde que j’ai rencontrée dans une église de la ville à l’anniversaire de la mort d’Aimee. Elle m’a dit que la rédemption passerait par le pardon. Me pardonner de souffrir?

«Je ne sais pas comment faire.»

Impuissante, j’enfouis mon visage entre mes mains. Il s’agit des mêmes paroles que j’ai offertes à la prêtresse alors qu’elle a tenté de m’indiquer mon chemin vers la lumière. Je ne sais pas pardonner, je n’ai jamais su. Je n’ai jamais su regarder ma douleur en face. À quoi bon? Je la sais plus forte que moi, solidement ancrée depuis la mort de mon amie et rien ne saura l’éponger des tréfonds de mon être. Admettre ma faiblesse devant ma tante m’est difficile. Je m’attends presque à ce qu’elle m’offre une solution toute prête, une qui me soulagera, ce soir, de toutes ces questions, violentes, qui me hantent sans trouver réponse. Les paroles du Résistant me reviennent alors, comme si c’était hier : «Tu as oublié le goût que ça avait. Je veux dire que vivre ce n'est pas être en vie. Vivre c'est bien plus complexe. Il faut savoir doser ses sentiments... Une grande quantité de bonheur pour quelques gouttes de malheurs, des montagnes de joie pour chaque larme versée. Et le plus dure dans tout ça, c'est que ça doit être naturel, tu ne dois pas provoquer ton bien être, il doit venir à toi de son plein gré. Cependant, si tu t'enfermes dans ta bulle et que tu refuses qu'il s'approche... Alors il n'insistera pas et il te laissera seule avec ce qu'il te restera d'humanité. Parce que les sentiments sont si compliqués à appréhender, il ne faut pas compter sur les autres pour te les enseigner, juste te guider. C'est à toi et à toi seul de les découvrir ou redécouvrir et d'y prendre goût.». Je dois trouver mon propre chemin, ma tante me le rappelle une nouvelle fois. Mais je ne vois aucune option devant moi. Simplement un grand vide dépourvu du moindre sens. J’ai peur de tomber.

Tough girl
I'm in pain
It's lonely at the top
Blackouts and airplanes
I still pour you a glass of champagne
I'm a tough girl
Whose soul aches

«Cassey?»

«Oui tatie?»

«Arrête de t’inquiéter. Laisse le bonheur venir à toi.»


J’hoche la tête, les yeux humides. Elle ne peut pas voir ce geste, mais je crois qu’elle l’a deviné. Vador disait aussi que je ne dois pas le chercher, pas chercher le bonheur. Je me demande s’il possède les réponses auxquelles j’aspire. Je me demande si moi, je les dénicherai un jour. Lucy soupire à l’autre bout du fil. Elle prend une grande inspiration avant de s’avancer :

«Écoute-moi, ma belle. J’ai un cadeau pour toi. Il devrait être arrivé à ta porte depuis quelque temps déjà, j’espère qu’il n’est pas trop tard.»

Je me redresse aussitôt. Une surprise pour moi? Un sourire se dessine contre mes lèvres et je cours vers la porte d’entrée, me faufilant dans mon désordre en évitant de me briser les os au passage. Alors j’ouvre la porte à la volée, récupérant la boîte qui s’y trouve sagement. Quelques trous perforent le carton, comme pour laisser entrer de l’air à son habitant. Après avoir refermé vivement derrière moi, j’ouvre la boîte (ou la déchire plutôt, ce serait plus juste) et en retire un Œuf à la coquille brunâtre, semblable à celle qui abrita Ren. J’observe avec attention l’objet, satisfaite de voir qu’il n’a pas eu le temps d’éclore avant son arrivée à ma porte d’entrée. J’aurais détesté voir ce bébé naître sans quelconque présence autour de lui. Ainsi calée devant la porte d’entrée, je l’observe sous toutes ses coutures, cherchant à percer le mystère de l’espèce qui l’entoure. Hayim vient le renifler à son tour tâchant de déchiffrer cette énigme. Aucune d’entre nous ne parvient à une théorie qui se tient. Les éclats crème que prend la coquille à certains endroits me laissent pantoise.

«Qu’est-ce que…?»

«C’est un Œuf que ta tante a gagné. Comme ta cousine n’en a pas voulu, nous avons pensé te l’offrir.»

«Tu sais de quoi il s’agit?»

«Oui, mais je préfère t’en laisser la surprise.»


Au moment où elle prononce ces mots, l’œuf se met à étinceler de façon très vive, annonçant la naissance prochaine de son occupant. Ren, Zeek et Sia qui dormaient contre le sofa s’empressent de nous rejoindre, leurs petits minois endormis, pour saluer la venue au monde de ce nouvel être. Nous nous pressons les uns contre les autres alors que la coquille se dissout pour former une sorte de lapin aux oreilles repliées. Un Laporeille! J’observe la jeune créature qui nous scrute tour à tour, une étincelle méfiante au creux de ses prunelles animées. Je viens caresser son petit visage pour la rassurer. Aucun d’entre nous n’ira lui faire le moindre mal. Le bébé me regarde et le brun mordoré de ses iris se détend finalement, se mettant à onduler d’un éclat joyeux et animé. Cette petite a du mordant, sans l’ombre d’un doute, même qu’elle se redresse déjà dans mes bras pour observer les autres, repoussant même Sia dont la curiosité l’a poussé à l’approcher un peu trop au goût de la nouvelle venue. Je ris en caressant la tête de la pauvre lionne qui fait la moue. Elle aura d’autres occasions de se lier d’amitié avec cette lapine énergique.

«Elle… elle est magnifique. Merci tatie, je vais en prendre grand soin.»

«Je n’en doute pas un sens instant. Je te laisse faire connaissance avec elle et je te rappelle dans deux jours.»

«D’accord, à plus tatie. Merci pour tout.»

«Merci à toi. Ne te décourage pas d’accord?»

«Je vais essayer.»


Je raccroche avec un léger sourire, surveillant la Laporeille qui explore déjà les horizons autour d’elle. Je la prends dans mes bras et elle se laisse faire, m’observant avec un mélange d’appréhension et de curiosité. Celle-là ne sera pas facile d’approche contrairement à l’Elekid qui s’accroche à présent à mon pantalon mais j’ai toute la vie devant moi pour apprendre à la connaître. Avec un sourire, je décide de l’appeler Juno, comme le film préféré de ma tante. Je complète sa capture et renvoie tout le monde au lit avant de m’avancer vers mon balcon à nouveau. Aussi difficile pour moi soit cette tâche ce soir, je n’ai pas le choix. Ma tante, Vador ils ont dit… De laisser venir à moi le bonheur, de cesser de m’y couper. J’ignore encore ce que cela veut dire. Je sais par contre que je n’ai pas fini de pleurer parce que ce sont ce que les grandes filles font quand elles ont mal.

I may cry, ruining my makeup
Wash away all the things you've taken
I don't care if I don't look pretty
Big girls cry when their hearts are breaking
Big girls cry when their hearts are breaking
Big girls cry when their heart is breaking

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