| Malgré le mode de vie que menait Jake, il avait toujours cette innocence qui le protégeait certainement de bien des choses qui en auraient fait trembler plus d’un. Le jeune homme avait beau ne pas avoir un emploi de rêve, et vivre une vie de misère chez sa mère, il trouvait toujours une raison de sourire, et en cette journée ensoleillée, il avait trouvé le nécessaire en terme de bonne humeur pour aller faire un tour au parc. Le châtain n’avait pas souvent des journées de congé, mais comme il s’en était vu octroyée une, il avait sauté sur l’occasion pour y venir s’amuser. Et bien entendu, il ne fallait jamais grand-chose pour amuser le jeune soldat. Si bien des jeunes se voyaient dans l’impossibilité de passer un bon moment sans leur téléphone portable ou leur console, le jeune homme, lui, ne s’était rendu au parc qu’avec ses Pokémon, et un ballon de mousse que lui avait offert l’un de ses camarades, lors de l’un de ses anniversaires. L’objet avait beau être terriblement usé, Jake s’était dit qu’il serait le jouet parfait pour passer le temps, et il semblait d’ailleurs avoir visé dans le mille, puisque, même deux heures après son arrivée, le châtain semblait toujours autant s’amuser.
-Moi je suis le gardien, et vous vous devez marquer des buts!
Rayonnant, le jeune soldat réclamait une nouvelle fois ce même scénario à ses alliés, qui semblaient quant à eux commencer à se lasser de ce jeu plus que répétitif. Parce que, bon, jouer au ballon une heure, ça pouvait être amusant. Deux heures, ça pouvait toujours passé. Mais après, ça commençait à être redondant. Et pourtant, malgré quelques soupires, les alliés du châtain avaient finit par accepter, même s’ils savaient pertinemment que cette nouvelle période de jeu allait sans-doute se montrer tout aussi pénible que les précédentes. Parce que oui, Jake était de bonne humeur, et ce jeu de ballon l’amusait autant qu’il était possible d’amuser le garçon, mais ses alliés savaient pertinemment que, la seconde où ils marqueraient un but, le jeune homme se mettrait à trouver mille et une raisons pour faire comprendre à ses amis que « non, celui-là de but, il compte pas! », et ce, peu importe comment les Pokémon réussissaient à marquer les buts. Depuis qu’ils étaient arrivés, aucun de leurs buts n’avait compté, et c’était sans-doute l’une des raisons pourquoi ils commençaient à avoir marre de ce jeu. Et malgré tout, ils avaient accepté de se plier une dernière fois aux requêtes du soldat, se mettant cette fois d’accord pour qu’aucun ne marque de buts, afin d’éviter les chicanes. Bien sûr, le jeu en devenait moins intéressant, mais c’était toujours mieux que de se taper une crise de la part du jeune déficient. D’autant plus que, si leur dresseur revenait chez lui en pleurant, ils auraient tous droit à l’une des crises de la mère, qui n’était déjà pas fan des alliés de son fils.
Ne faisant donc aucun effort, les Pokémon se passaient la balle, s’assurant toujours de frapper avec douceur pour permettre au jeune châtain d’arrêter le ballon à chaque fois. Mais après encore une bonne demi-heure à jouer ainsi, malgré les protestations du garçon, les Pokémon durent lui faire comprendre que cette fois, ils en avaient assez, et Jake dû donc se résoudre à changer de jeu, pour cette fois se diriger vers les modules du parc, où jouaient déjà d’autres enfants. Bien sûr, le jeune homme eu droit, comme à son habitude, aux regards incertains des parents et des enfants, qui trouvaient de toute évidence étrange de voir un garçon si vieux jouer tel un enfant. Hormis quelques familles qui reconnurent le jeune homme, qu’ils voyaient de temps à autre venir jouer sur le terrain de jeu, la majorité des mères s’empressèrent de reprocher au garçon de prendre tant de place dans un endroit qui était réservé aux enfants. Ainsi chassé par des parents un peu trop protecteurs, le châtain n’eut d’autres choix que de quitter les glissoires, pour se diriger vers les balançoires, où il prit place, une mine déconfite au visage. Il en fallait beaucoup pour mettre à terre le moral du jeune homme, mais ce genre de jugements cruels avait toujours le même résultat. Jake avait beau avoir une déficience intellectuelle qui l’empêchait d’être comme les autres à plusieurs niveaux, cela ne l’empêchait pas de comprendre lorsqu’on le ridiculisait, et lorsqu’on le méprisait. Il avait beau souvent continuer de sourire malgré les commentaires des autres, au fond, ce genre de choses le blessaient énormément.
Délaissé sur sa balançoire, le jeune homme n’avait plus vraiment envie de jouer, et commençait à avoir hâte de rentrer, ne serait-ce que pour éviter de se faire dévisager d’avantage. Il sentait bien qu’un commentaire de plus serait suffisant pour faire couler les larmes sur son visage pourtant habituellement radieux. Mais avant qu’il ne puisse se relever, et se diriger vers le chemin menant à son bloc appartement, le jeune homme sentit une poussée dans son dos, le faisant légèrement sursauter sur sa balançoire. S’attendant à voir derrière lui un vilain garnement venu pour prendre sa place, le soldat prépara une moue attristée, mais à sa grande surprise, ce ne fut ni un garçon, ni une fille qui venait de lui offrir cette poussée, mais bien une Kangourex au regard attendri, qui ne tarda pas à lui offrir une nouvelle poussée, puis une autre, et encore une autre. Il fallu bien quelques instants pour que le jeune homme comprenne que la femelle n’était pas là pour l’agresser, mais bien pour s’occuper de lui, de la manière dont les mères de ces enfants s’occupaient de leur progéniture. Et alors qu’il le comprit enfin, le garçon laissa paraitre sur son visage ce sourire qui le caractérisait si bien. Sous le regard attendri de ses alliés, Jake se laissa balancer, tantôt doucement, tantôt avec force, pour le faire voler plus haut que n’importe quel enfant de ce parc, attirant chez le garçon des rires comme il n’en avait pas connu depuis un petit moment, déjà. En fait, la dernière fois où il avait ressenti ce genre d’euphorie, le châtain était encore à l’école primaire. Et depuis, il n’avait plus jamais eu la chance de ressentir ce que seule une présence maternelle était en mesure de lui offrir.
Ne portant plus aucune attention aux enfants autour de lui, Jake se laissa ainsi bercer pendant des heures, jusqu’à ce que le soleil se couche, et qu’il ne réalise que le parc avait été déserté, tant il était tard. Il était déjà temps de rentrer, et déjà, le jeune homme se mit à redouter ce moment où il devrait dire au-revoir à sa nouvelle amie au regard tendre. Freinant son élan à l’aide de ses pieds, le jeune homme mit fin au jeu pourtant si amusant, pour porter un regard triste sur la femelle, qui compris aussitôt la signification. Si Jake n’en avait alors aucune idée, la femelle connaissait bien ce regard, celui des adieux. Elle l’avait déjà vécu, à deux reprises déjà. Elle avait vu ses dresseurs la libérer, et lui offrir ce même regard attristé avant de la laisser à elle-même. La Kangourex n’avait jamais fait preuve d’une grande force physique, ce qui n’avait de toute évidence pas plu à ses dresseurs précédents, qui avaient préféré ne pas continuer le voyage à ses côtés. Mais même si elle avait déjà vécu ce rejet à deux reprises déjà, la femelle ne pouvait pas s’habituer au rejet, et ne pu s’empêcher de baisser le regard, à son tour, attendant les paroles qui lui briseraient le cœur à nouveau.
-Tu habites où, toi? Tu vis dans le parc? On pourrait jouer ensemble, à nouveau?
Le jeune homme n’avait de toute évidence aucune idée de ce qu’avait pu vivre la Kangourex. Il ne pouvait bien entendu pas se douter que la femelle n’avait en fait pas d’endroit où habiter, et que, depuis un petit moment déjà, elle se contentait d’errer, à la recherche d’un endroit où passer la nuit. Voyant la naïveté du garçon, et se doutant qu’il ne devait pas avoir les mêmes capacités mentales que d’autres jeunes de son âge, le Pokémon tenta tant bien que mal de camoufler sa peine, en tentant un sourire faux, mais même Jake ne pouvait pas être berné. Se doutant bien que, malgré le sourire et les hochements de tête de la femelle, celle-ci n’avait aucun endroit où rester, Jake ne pu s’empêcher de décrocher une balle à sa ceinture, et de la montrer à la créature, qui parut d’abord surprise par cette offre qui sortait un peu de nulle part.
-Si t’as pas de maison, tu peux venir avec nous! J’aurai qu’à te cacher dans ma chambre, comme ça, maman en saura rien! Mais faudra pas faire de bruit, hein! Parce que sinon elle va me chicaner, encore...
Avec toute sa naïveté, le jeune homme offrit un sourire à la Kangourex, qui ne put s’empêcher de sourire à son tour. Attendrie par cette offre, la femelle s’apprêta à poser sa patte sur la balle, mais se reteint à la dernière seconde, stoppée dans son mouvement par un petit couinement provenant de sa poche, où se trouvait un petit bébé, qui avait relevé le regard vers sa mère, pour lui communiquer une information qui crispa la mère. Bien sûr, le petit, tout comme elle, avait vécu ces abandons déchirants qui avaient déjà failli les tuer. Alors risquer de nouveau de s’habituer au confort qu’avait à offrir un jeune dresseur, pour ensuite se faire rejeter telle une vieille chaussette? D’un bond, la femelle recula, craignant de voir le scénario se répéter. Elle avait déjà assez souffert ainsi, et ne pouvait se résigner à faire vivre d’autres douleurs à sa progéniture. Après tout, il valait mieux vivre dans la misère que de risquer le rejet une nouvelle fois, et peut-être même la mort. Baissant de nouveau le regard, la Kangourex s’éloigna de quelques pas, prête à disparaitre comme elle était venue. Mais avant qu’elle ne puisse s’éloigner, le jeune homme posa une main délicate contre sa peau rugueuse, la faisant sursauter.
-Attends, je voulais pas te faire peur, hein... Ma maman, elle crie beaucoup, et elle aime pas quand je ramène des nouveaux amis, mais elle te fera pas de mal, hein... Elle a peur des Pokémon, alors elle te touchera jamais. Faut pas que t’ais peur d’elle, tu sais.
Le pauvre jeune homme ne comprenait décidément pas ce qui stoppait la Kangourex. Ce n’était certainement pas cette « maman » qui l’empêchait d’accepter cette offre, comme elle savait pertinemment qu’aucun humain ne pourrait la blesser physiquement. La femelle avait beau ne pas posséder cette puissance que cherchent souvent les dresseurs, elle savait bien qu’une femme ne pourrait jamais risquer de lui faire du mal. Du moins, pas physiquement, et là était justement le problème. Ce n’était pas de se faire punir que craignait la créature, mais bien les douleurs du cœur, qu’elle connaissait déjà bien.
-T’es pas obligé de venir, hein, mais... Moi j’aimais bien quand tu me poussais... C’était comme avoir une maman derrière moi...
À son tour, le jeune châtain baissa le regard, songeant qu’il aurait effectivement bien aimé continuer à avoir cette maman de substitut avec lui. Évidemment, la Kangourex ne remplacerait jamais sa propre maman, qu’il aimait malgré tout comme n’importe quel enfant aime sa maman. Mais il aurait bien aimé avoir sa maman, et avoir une véritable présence maternelle pour compenser le manque de douceur et d’amour que lui témoignait sa propre mère. Mais si la femelle ne voulait pas le suivre, alors il devait s’y faire. Il devrait rentrer chez lui, retourner vers ce foyer froid et empli de violence, avec cette mère qu’il allait tout de même câliner dès qu’il rentrerait, même si cette mère allait sans-doute lui hurler au visage qu’il n’avait pas à rentrer à cette heure tardive, d’autant plus qu’il avait oublié de lui acheter des cigarettes comme elle l’avait ordonné avant qu’il ne quitte l’appartement. Il irait probablement se coucher sans manger, et sans bonne nuit. Et alors, dans son lit, il ne pourrait que repenser à ce sentiment qu’il avait ressenti en se faisant balancer avec douceur, par cette Kangourex qui aurait préféré continuer son chemin seule.
-J’espère juste qu’on se reverra un jour...
Échappant une larme, le jeune homme rangea la balle qu’il avait sortit, et s’apprêta à tourner le dos à la femelle, quand, cette fois, ce fut elle qui l’arrêta dans son mouvement. C’était peut-être risqué, mais la femelle était prête à essayer. À tenter sa chance avec ce jeune homme qui respirait la bonté. Elle avait beau ne le connaitre que depuis quelques heures, la Kangourex avait un certain pressentiment à son sujet. Peut-être était-il le bon? Peut-être que, sous cette allure de garçon à l’esprit un peu faible, se cachait le dresseur qu’elle avait cherché toute sa vie? Elle n’avait aucun moyen de le prouver, et pourtant, elle y croyait, dur comme fer. La mère échangea un regard avec son bébé, et comme celui-ci ne sembla pas s’y opposer, le Pokémon porta d’elle-même sa patte sur la balle vide du garçon, pour s’y faire aspirer. Et aussitôt, elle senti une chaleur l’envahir. Elle venait de trouver une maison. Et le jeune homme, lui, venait de trouver plus qu’une amie.
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