♕ Emilio Rainbow & Yuna Utako ♕

On était lundi matin, et mis à part quelques pokémons KO que j'avais dû soigner, il n'y avait pas énormément de choses à faire. J'avais passé le week-end à continuer mes recherches sur l'ADN, et force m'était de me dire que je devrais bientôt faire un petit voyage dans l'île pour voir si certains des lieux pouvaient réagir sur des cellules. Comme cette roche moussue dans la forêt de Vestigion, et la pierre glacée près du Mont Foret. Pourquoi ces lieux et notamment ces rochers permettaient des évolutions, et pas d'autres ? C'était curieux, et j'avais hâte d'en savoir plus là-dessus. En attendant, je faisais quelques expériences avec les pierres évolutives. Loki le noctali se prêtait avec obéissance à mes ordres, et je l'en récompensais comme je pouvais. Je songeais parfois à mes collègues avec nostalgie, mais je gardais le moral avec optimisme. J'étais sur une superbe île, et j'étais peut-être à même de faire changer certaines choses - dans certains domaines ...

« Isabelle, est-ce que nous avons des clients ? »
« Non, Miss Utako. Il n'y a personne. »

Bon. Hé bien, j'avais du temps libre. Je montais à l'étage, pour pénétrer dans ma salle de laboratoire. La pointe de la technologie se trouvait là, et j'étais spécialement fière de tout ça. Je m'approchais d'un microscope et observais les cellules se diviser, encore et encore, se reformer, et approchais donc une pierre feu d'elles. Soudainement, elles semblèrent s'embraser, s'illuminer, et ce furent d'autres cellules qui se tenaient là. C'était fascinant, comme curiosité. Je me plongeais dans un fauteuil, me tirais en arrière, repoussais mes cheveux. Leur couleur rose s'était un peu fondue dans ma couleur originelle rousse, et cela donnait des reflets d'un rose plus ou moins foncé, parfois orange sanguine. Je les attachais, trouvant qu'ils me gênaient, me tombant dans les yeux, et j'allais m'apprêter à continuer mes expérience quand Isabelle arriva, apparemment assez paniquée.

« Mademoiselle Utako, un jeune homme est arrivé ! Il a besoin de votre aide !  »

M'emparant de ma blouse, je la mis en dévalant les escaliers, manquant de tomber sur la dernière marche. Je me rattrapais à la porte, et m'avançais dans le hall, les joues roses. Un jeune homme blond se tenait là. Je lui souris doucement et m'approchais de lui en m'exclamant, essayant d'avoir l'air sûre de moi :

« Bonjour, je suis Yuna Utako, gérante du centre. En quoi puis-je vous aider ?  »

Il venait sûrement pour un de ses pokémons. D'un geste de la main, un Noctali apparut près de moi, alors que je remettais à ma ceinture sa pokéball. Orné de cercles bleus, sa démarche et son regard fier démontraient à quel point sa rareté le rendait impérieux. Il s'approcha, renifla l'inconnu, puis se tourna et monta sur le bureau de l'accueil, où deux petites têtes étaient apparues : assis sur mon fauteuil, leurs pattes enchevêtrées, Thor et Freyja n'avaient que leurs têtes qui dépassaient, leurs petits museaux reniflant eux aussi, curieusement. Je savais que Thor ne mettrait pas longtemps avant de vouloir s'approcher et de faire des bêtises. Loki, assis sur le bureau, semblait les surveiller - il semblait surveiller tout le monde, en fait, comme un roi au sommet de son trône.

♕ Emilio Rainbow & Yuna Utako ♕

Le pauvre garçon semblait totalement paniqué. J'essayais de le rassurer d'un coup d'oeil maternel et d'un sourire jovial. Je remarquais le rouge cerclant ses paupières, son nez tout aussi rouge ; il reniflait. Avait-il pleuré ? Grands dieux. Une empathie incroyable me submergea : j'étais incapable de résister aux gens qui pleurent. Je hochais la tête durant son discours vaguement décousu, puis pris la pokéball de son scarhino. Un saignement à la tête, hm ? Je réfléchissais, tout en marchant en direction des salles de soins. J'invitais d'un geste de la main le jeune homme à me suivre ; nous pénétrâmes dans un couloir blanc, puis dans une série de pièces à divers effets : une salle de chirurgie, une salle d'attente pour les pokémons, puis une salle de repos, et enfin la salle que je voulais atteindre, celle des consultations.

« Ne vous inquiétez pas, je vais m'en occuper. Loki ? Va chercher Isabelle, elle doit traîner dans le coin. Thor, Freyja, ramenez moi le charriot deux, s'il vous plaît. »

Obéissants comme une même entité, lorsqu'il s'agissait de mes petits malades, ils firent comme j'avais dit ; l'ombre noire et bleue du Noctali s'élança en direction de l'accueil, tandis que le Lixy et la Nidoran retournaient dans une salle précédente chercher ce dont j'aurais besoin. J'ouvris la pokéball, et fit apparaître le Scarhino inconscient sur la table recouverte d'un papier hygiénique. Effectivement, un peu de sang sourdait. Je devais tout d'abord savoir de où. Tout en m'approchant de lui, après avoir enfilé une blouse blanche et des gants, je pris en compte la peur et l'affolement du dresseur. Je devais le rassurer.

« Il y a une petite plaie au-dessus de son oeil. Peut-être s'est-il cogné violemment contre quelque chose. Les plaies à la tête, que ce soient celles chez les humains ou les pokémons, sont toujours impressionnantes car elles saignent beaucoup. Ne vous inquiétez pas, monsieur. »

Un bruit de roulement me parvint, et le chariot deux arriva, supportant des compresses, des pansements, divers objets pour soigner. C'était cependant le chariot des cas bénins. Tandis que, sortant d'une pochette stérile une compresse tout aussi stérile et que je la badigeonnais de désinfectant, le Lixy et la Nidoran s'approchèrent du jeune blond. Curieux, Lixy s'assit en face de lui, presque défiant, tandis que Nidoran, peureuse, allait se cacher sous la table. Isabelle revint à ce moment là, accompagnée du Noctali, attendant mes recommandations.

« Voudriez-vous boire quelque chose ? Isabelle va vous servir à boire, ou à manger si vous désirez. »

Mes paroles furent accompagnées d'un hochement de tête d'Isabelle. Quant à moi, je pressais contre la plaie la compresse. Le scarhino poussa un petit gémissement, puis ouvrit les yeux, peut-être sous l'effet piquant du désinfectant. Il eut l'air un instant désarçonné de voir une jeune femme qu'il ne connaissait pas, mais un regard vers son dresseur sembla le rassurer.

« Bonjour toi ! Je suis Yuna, du centre pokémon. Tu as dû te cogner, car tu t'es évanoui avec une blessure à la tête. Je n'en ai plus pour très longtemps, d'accord ? »

Ma voix était aussi rose que mes cheveux et mes yeux. Une fois la plaie désinfectée à fond, j'y jetais un oeil : elle n'était pas profonde. Un pansement, et ça irait tout de suite mieux. Je sortis donc un sparadrap, le posait sur la blessure, et voilà !

« Comme neuf !  » fis-je avec un sourire en donnant une petite caresse sur sa corne. « Et comme tu as été très sage, tu as le droit de choisir un bonbon. »

Je sortis de sous la table un petit récipient pleins de bonbons aux goûts divers et variés. Lixy, au mot bonbon, se tourna vers moi, sa petite queue au bout étoilée frétillante d'envie. Je souris, lui en lançais un à l'orange - ses préférés - tandis que Nidoran sortait de sous la table, non pas pour les bonbons mais pour se serrer contre mes jambes, rassurée par ma présence. Je me tournais vers le jeune homme, contente que tout cela se soit bien fini.

♕ Emilio Rainbow & Yuna Utako ♕

Voir un dresseur s'inquiéter autant pour un petit bobo, c'était mignon. J'en voyais passer, des dresseurs qui me filaient leurs pokémons à soigner avec autant de douceur que s'il s'agissait de meuble IKEA et autant d'empathie que s'ils étaient en granit. Ces petites créatures combattaient pour eux, et ils ne se donnaient même pas la peine de s'inquiéter pour elles. Enfin, moi je leur donnais tout l'amour dont ils avaient besoin, en soin. Je laissais le jeune homme rassurer son scarhino alors que je finissais mon travail, et finalement, ce fut bonbon pour tout le monde. Isabelle avait ramené du thé et des gateaux. Elle déposa le tout, et s'éloigna, le rouge aux joues. Les hommes lui faisaient peur, pauvre petite.

« Ne vous inquiétez pas. Je devais prendre une pause, de toute façon. Il m'arrive parfois d'oublier de manger, pendant toute une journée, et Isabelle me gronde, après. Parce que je travaille trop. »

Je m'assis dans un des fauteuils de la pièce, invitant le jeune blond à faire de même, tandis que le scarhino s'endormait. Lixy et Nidoran F se chamaillèrent pour un gâteau, et Loki, plus futé, vint sur mes genoux, croquant dans chaque chose que j'apportais à ma bouche. Quel gourmand celui-là ! Je caressais son pelage chromatique, puis me tournais vers le jeune homme, curieuse. Je bus une gorgée de mon thé, tout d'abord, me brûlais un peu la langue, la passais sur mon palais, puis demandais un zozotant un peu :

« C'est gentil za. Au fait, puis je vous demander votre nom ? Et puis, je pense que nous pouvons nous tutoyer. Nous devons avoir sensiblement le même âge. Appelez moi Yuna, alors.»

Je souris, toujours de façon amicale, et donnais à mon noctali le gâteau qu'il guignait depuis tout à l'heure - un de ces petits gâteaux secs, fourrés au chocolat. Il l'avala tout rond, toussa, but une lampée de thé, se brûla, se roula en boule, et s'endormit aussi sec, tout ça d'un coup. Mais moi, je n'y faisais plus attention ; j'observais l'inconnu devant moi. Il m'avait fait un compliment sur mon centre, il était gentil, et puis je brûlais de curiosité à son égard.

« Tout à l'heure, il me semble vous avoir ... T'avoir entendu parler d'élevage. Tu es éleveur ? » demandais-je avec curiosité, en mettant en place notre tutoiement.

Je m'intéressais beaucoup aux élevages de la région. Je ne manquais pas de faire des visites routinières assez souvent dans certains d'entre eux, dont les pokémons trop nombreux ou massifs ne pouvaient venir faire leurs vaccins ou leurs tests au centre. Mais je ne connaissais pas tous les élevages. Je songeais qu'il me faudrait bientôt, d'ailleurs, réserver une journée pour aller donner leur piqûre de rappel aux Ecremeuh d'un fermier. Ma main droite tenant le thé que je bus à petites gorgées, ma main gauche caressait la fourrure noire et bleue du noctali assoupi. Freyja s'était cachée sous une table avec le paquet de bonbons, et Thor s'était éloigné je ne savais où pour faire des bêtises. Ah, ceux-là ! J'allais devoir leur apprendre la discipline, notamment au lixy qui n'en faisait qu'à sa tête, fier de son statut de premier et meilleur ami. Hélas, son énergie m'épuisait parfois. Le scarhino ronflait comme un bienheureux près de nous, et j'étais content qu'il se repose. Il n'avait pas l'air maltraité, juste fatigué.

♕ Emilio Rainbow & Yuna Utako ♕

Il se présenta sous le nom d'Emilio Rainbow. La liste de ses surnoms me fit sourire : on l'appellait réellement Mimil ? Pour moi, ce serait Emilio, voilà tout. Je n'allais quand même pas me verser tout de suite dans des familiarités, bien que je me sentis à l'aise avec le blond. Il m'indiqua sa maison, et en réfléchissant, je trouvais de laquelle il voulait parler. J'étais déjà passé devant, mais il était vrai que je n'y étais jamais allé.

« Avec plaisir. N'hésite pas à me dire si tes pokémons ont besoin de vaccins, ce genre de choses. Je me déplace facilement, et je serais ravie de visiter ton élevage. Des pokémons insectes ? Tu en as beaucoup ? Mes préférés sont les Papillusions et les Charmillons, j'aime beaucoup leurs couleurs. Par contre, j'ai peur des pokémons aux allures trop méchantes, comme les insécateurs. »

Et même les petits, mais bon, comme ça faisait un peu idiot de le dire, je me tus, et souris doucement, avec un air un peu timide. J'étais contente d'avoir un peu de compagnie : les gens venaient beaucoup ici, mais ils rentraient comme ils sortaient, rapidement. Peu de monde me faisait une vraie conversation. Oh, je ne me plaignais pas : je savais que beaucoup étaient des dresseurs et que leur temps devait être utilisé pour faire des choses utiles. Alors je leur souriais, avec gentillesse, et je prenais ce qu'ils me donnaient, un sourire, quelques mots par-ci par-là, et je m'en contentais avec joie. Le ronflement du Scarhino faisait plaisir à entendre ; il avait besoin de repos, et ce n'était pas moi qui irait le réveiller.

« Les humains et les pokémons doivent s'entraider. Si il a vu que vous vous surmeniez, il a sûrement voulu vous aider et n'a pas fait attention à lui. Je trouve que c'est une belle preuve d'amour. Il faudra juste lui apprendre où situer ses limites » fis-je avec un léger rire, en songeant que c'était tout à fait mon genre à moi aussi de m'épuiser à la tâche pour quelqu'un que j'aimais.

Les soudaines questions d'Emilio me firent rosir de plaisir. Qu'il s'intéresse à moi, à mes sujets d'intérêt, c'était agréable. Je n'avais pas l'habitude, et je baissais les yeux, un peu intimidée, un peu gênée aussi de parler de moi aussi franchement.

« Hé bien, je suis venue à Vanawi pour prendre le poste d'infirmière, mais aussi parce que c'était un bon coin pour faire mes recherches : vous avez sur l'île des ondes qui favoriseraient l'évolution. Peut-être à cause de toutes ces effusions avec les festivals ... En tout cas, mon sujet d'étude en tant que scientifique, c'est l'évolution et l'ADN. Pourquoi tel pokémon évolue à tel niveau, et pourquoi en de telles conséquences et pas en d'autres. Notamment, j'ai beaucoup étudié mon ami ici là. L'évoli était un pokémon clé pour mes recherches, et son chromatisme m'a tellement émoustillée de curiosité ... »

Je rougis de nouveau, me rendant compte que je devais ennuyer le pauvre jeune homme avec mes babillages ennuyants sur l'ADN. Ce genre de choses n'intéressaient habituellement que les chercheurs, et encore. Je me grattais la joue, et Loki renifla, ouvrit un oeil, le referma. Il sentais qu'on parlait de lui, et j'eus un petit sourire.

« Excuse-moi, ce doit être assez ennuyant tout ça. Dis-moi plutôt, pourquoi avoir choisi les insectes ? C'est assez particulier comme type. Et puis, du coup, tu participes à des festivals, des trucs du genre ? »

Ma curiosité était naturelle, et puis les questions allaient toutes seules. Le jeune homme était amical, et c'est tout naturellement que j'avais envie d'en savoir plus sur lui.

♕ Emilio Rainbow & Yuna Utako ♕

J'avais hâte de visiter sa ferme. Quand il parlait des pokémons - et notamment des siens - il avait son regard qui s'illuminait. Je souriais, doucement. J'aimais bien l'entendre parler, il avait une jolie voix, en plus de sembler sympathique. Et puis, il n'était pas du genre à monopoliser le dialogue ; on se renvoyait la balle, chacun son tour. C'était franchement chouette. J'apprenais des choses, en plus ; le type insecte n'était pas mon favori, et ce qu'il me disait, je le notais dans un coin de ma tête. Je le regardais caresser Loki, qui, surpris, vint cogner son front contre la main de l'inconnu sans faire plus de chichis. Même sous sa forme d'Evoli, il n'avait jamais été un grand timide, au contraire, il adorait se faire remarquer.

C'était fascinant. Alors comme ça, il avait vécu dans une famille d'éleveurs. J'avais aussi vécu dans une telle famille ; ça nous faisait des points communs. Je comprenais parfaitement son ressenti. Le fait d'élever des pokémons pour le plaisir, de voir leur évolution au fil des jours, leurs coutumes, leurs habitudes ... C'était magnifique.

« Oh non, ça me fait plaisir. Je n'ai pas souvent l'occasion de discuter avec les gens qui viennent au centre. Et puis, ça m'intéresse, tout ça. J'ai vraiment hâte de venir visiter ta ferme. Si tu veux, je passerais dans quelques jours. Officiellement, pour voir l'avancée du rétablissement de Nono, et plus officieusement, pour te faire le bonjour.  »

Je ne savais quand je serais libre, mais je m'arrangerais pour me faire une plage d'heures. Et puis, se bouger un peu ne me ferait pas de mal. Je caressais la tête de Loki quand j'entendis les cris d'Emilio. J'avais à peine levé les yeux qu'il retirait son T-shirt, dévoilant son torse. Une trace rouge et luisante se formait, là où il s'était brûlé avec sa tasse. J'étais sûrement aussi rouge que la brûlure ; Loki poussa un petit bruit et, se relevant, s'éloigna. Je ne savais pas quoi dire. Pourtant, j'avais déjà soigné des gens, c'était mon métier, même si ces derniers temps j'avais plus soigné des pokémons. Les joues d'un rouge tomate, je clignais des yeux bêtement. Puis, je réagis.

« Ca va ? Attends, je vais te chercher une compresse fraîche. »

Je me levais, me tournais tel un automate vers les armoires et cherchais avec force bruits. J'étais embarrassée, et ça me ramenais quelques temps en arrière. Quand j'avais soigné cet homme blessé, au fond du jardin. L'épaule. J'avais dû voir son torse, à lui aussi. Mais ça n'avait pas été pareil ; sa blessure était un peu plus grave - mais pas mortelle. Je l'avais soigné en bavassant. Je me souvenais encore de la chaleur de sa peau sous mes mains. Je chassais le souvenir qui faisait battre mon coeur plus vite, et repoussais les pensées concentrées sur un jeune homme à la barbe taillée et aux yeux d'or pâle, pour me tourner vers Emilio et lui tendre une compresse emballée. C'était le genre qu'on utilisait pour les brûlures, ça permettait de rafraîchir la peau et de soulager la douleur.

« Je. Tiens. Je. Mets. Je ... Là. »

Je désignais la tâche rouge sur sa peau. Ca n'avait pas l'air grave, et je me rassis, les yeux baissés sur mes mains. Je ne voulais pas voir son torse. Je ne voulais pas me souvenir. Secouant la tête, mes cheveux vinrent cacher mon visage et j'eus un petit soupir.

« Ca devrait anticiper une brûlure plus forte. Il suffit de coller le pansement, et la compresse va agir toute seule. Je ...   »

J'étais troublée. Emilio n'était pas laid du tout, au contraire, il avait même une espèce de charme enfantin, mais c'était à un autre homme que je songeais bien malgré moi. J'avais envie de m'enfoncer sous terre. D'arrêter mes pensées. J'entendis un petit cri et des bruits de pas précipités : Isabelle avait dû voir Emilio et s'était enfuie. La pauvre. Elle devait se demander ce que l'on faisait. Je n'avais pas été très professionnelle, et je m'en excusais, gardant les yeux baissés.

« Je suis désolée. Je ... Ca ... Je n'avais pas ... J'ai été surprise. »

Et lui aussi, idiote. Ce n'est pas comme si il s'était renversé la tasse sur lui par volonté. Qu'est-ce que j'étais cruche des fois. Je me levais, voulus récupérer les tasses et les ranger, mais je me pris les pieds dans la moquette, et m'étalais de tout mon long. Et voilà, maintenant j'étais gênée ET blessée. Chacun son tour. Je m'étais cognée la joue contre la table basse, et je sentais ma pommette me lancer. J'essuyais un peu de sang ; je m'étais ouverte. Je grimaçais.

« Dé ... Désolée ... »

J'épongeais le sang avec la manche de ma blouse, honteuse. J'avais juste envie de pleurer un bon coup, là. Ca faisait trop d'un coup ! Loki vint se frotter contre moi, en couinant d'un air interrogateur. Alors, pour chasser ma tristesse, je me forçais à rire un peu.

« Je suis très maladroite quand je m'y mets.  »

Et les souvenirs de cet homme qui continuaient à me hante ... Je me mordillais la lèvre, sentant un mal de crâne poindre, alors que ma joue me faisait bien mal.

♕ Emilio Rainbow & Yuna Utako ♕

J'étais vraiment une cruche, moi. Je me sentais bête, assise par terre, avec ma joue qui me faisait mal et ma tête grosse comme un stade de rugby. Le pire dans tout ça, c'est que ça mit Emilio dans tous ses états. Il s'approcha de moi, et quand il remarqua ma joue blessée, me soigna comme un vrai pro. J'avoue, je me laissais faire. Pour une fois que ce n'était pas moi qui m'occupait de quelqu'un mais le contraire, c'était un peu agréable. Par contre, cela n'arrangeait en rien ma gêne : il était toujours torse nu, et je sentais l'odeur de sa peau, la chaleur qui émanait de lui.

Je finis par arrêter de saigner. Isabelle avait dû s'enfuir se terrer dans les quinzièmes sous-sols des égouts, trop surprise et effrayée d'avoir vu un homme torse nu. Moi, je me sentais juste ridicule. Je me poussais à me lever, à reprendre un sourire, même factice. Mais aujourd'hui, ça ne marchait pas. Mon sourire faux ne voulait pas venir, je n'arrivais pas à faire semblant. Alors, quand le bras amical d'Emilio vint se poser sur moi, par réflexe, je me nichais contre lui, un sanglot étouffé dans la gorge. Je ne savais même pas pourquoi j'étais triste. A cause de lui ? Et par lui, je n'entendais pas Emilio mais cet inconnu qui avait débarqué dans mon jardin et ne m'avait laissé qu'un pseudo ... Ou bien était-ce le régime qui me faisait peur, ma propre lâcheté et ma propre faiblesse qui m'agaçaient, le fait que je ne sois pas capable de me défendre seule ? J'avais un trop plein.

« Pardon, je ne voulais pas t'inquiéter. Ca va aller.»

Je n'avais pas le droit de craquer. Je n'en avais pas le droit. Des gens comptaient sur moi. Même si je ne pouvais compter sur moi-même. Je n'osais pas toucher à ma joue qui me lançait encore un peu. J'avais les yeux baissés, pour ne pas croiser ceux d'Emilio ou bien son torse à la peau pâle. Ne pas penser au Lion. Ne pas penser à lui. Mais, bizarrement, plus j'essayais de le chasser de mes pensées, plus il me hantait.

« Est-ce que tu connais quelqu'un qui serait surnommé le Lion ? »

Cette question m'avait échappé. J'étais tellement curieuse à son sujet, et pourtant, j'avais bien compris qu'il était dangereux. Les hommes qui ne sont pas dangereux ne se retrouvent pas à deux heures du mat dans le jardin de quelqu'un avec une balle dans l'épaule. C'était évident. Et pourtant, quand je songeais à son regard acéré, à sa façon de sourire comme si il ne savait pas comment faire, à sa maladresse pour parler comme si il avait plutôt l'habitude d'être seul ... Quand je songeais à tout ça, je me sentais toute chose.

Je toussotais. Je devais arrêter de penser à ça, ou j'allais avoir des coeurs qui allaient me sortir des oreilles. Non pas que je fus amoureuses, ou une bêtise du genre, hein ! Je retournais m'asseoir, me levais, allais ouvrir une fenêtre, me rassis, me relevais, la refermais. Je ne savais pas quoi faire de mes mains. Je ne savais pas quoi faire du tout. J'étais nerveuse, tout à coup. J'en avais marre des secrets, des cachotteries ! J'en avais marre d'avoir le coeur plein de mensonges - bon je n'en avais pas tellement que ça ... Ils se comptaient sur les doigts d'une main et étaient relativement inoffensifs - mais même !

« Est-ce que je peux t'avouer quelque chose ?»

Bizarrement, je ne connaissais pas ce garçon, mais j'avais envie de lui faire confiance. Après tout, il se trouvait à demi-nu devant moi, et forcément, ça rendait certaines amitiés intimes, non ? Et puis ... Il avait l'air gentil. C'était un homme. Peut-être pourrait-il m'aiguiller. Je me frottais les yeux. J'hésitais ; était-ce réellement une bonne chose que d'avouer à ce garçon que j'avais trouvé un mec et l'avais soigné ? Il pourrait en déduire la même chose que moi - que le Lion était un résistant ... Tant pis. Autant faire les choses jusqu'au bout.

« J'ai peur du Régime. Leur violence, je l'exècre. J'ai peur de leur façon de faire, et par certains côtés, j'ai toujours supporté la résistance, sans jamais oser faire quoi que ce soit pour eux. Je me sentais lâche, mais me mouiller dans leurs histoires ? Je risquais d'être blessée ... Et puis, il y a un mois et demi, environ ... J'ai trouvé un homme dans le jardin. Il était blessé. Je l'ai ramené ici, je l'ai soigné. Je crois que je lui racontais des trucs tout bêtes, pour le rassurer, un peu comme on fait avec les pokémons nerveux ... Il me faisait un peu peur au début, avec ses yeux d'aigles et sa stature imposante ... Et puis, j'ai réalisé qu'il n'était pas méchant. Au contraire, il était poli. Un peu distant, un peu maladroit, mais c'était mignon. Il n'avait rien à voir avec les brutes du régime que javais pu croiser. Je l'ai laissé partir. Je crois qu'il était de la résistance. Je ... J'aimerais le recontacter. Mais ... Je ne sais pas si j'ai envie de me battre à leurs côtés ; je ne suis pas assez courageuse ....»

J'avais débité tout ça d'un filet de voix, menu et mélancolique. Mais à présent, je me sentais faible. Pas physiquement, mais toute entière. Je n'étais pas capable de prendre une décision ; étais-je une enfant pour avoir peur comme ça ? Je soupirais et secouais la tête ; qui voudrait d'une femme incapable de défendre ce qu'elle chérissait ? J'en avais oublié la présence d'Emilio ; l'idée qu'il fut du Régime ne me vint pas à l'esprit. J'étais surement trop naïve pour croire qu'un garçon aussi gentil puisse être du côté des méchants. Trop naïve, tellement naïve même ... Je ne savais pas me méfier des gens. Et j'étais sûre qu'avant longtemps, cela me jouerait des tours.

♕ Emilio Rainbow & Yuna Utako ♕

Dire que j'étais embarrassée par ce que je venais de dire, cela aurait été un euphémisme. Mes joues étaient roses, et soudain, j'avais peur que Emilio ne me dise que j'avais tord, qu'il ne soit pas du même avis que moi. Il s'était rhabillé, pendant que je parlais comme une pie, et je préférais ça. La nudité, même passagère, d'autrui me mettait mal à l'aise. Je me grattais la tête, ne sachant que dire pour m'excuser de mon emportement, mais ce fût Emilio qui prit la parole.

Et, Arceus, comme je fus soulagée d'entendre de telles paroles ! J'avais eu un serrement de coeur en imaginant sa situation : son frère, son ... Son bien-aimé - l'idée qu'il fut homosexuel ne me gênait pas outre mesure, en fait, j'acceptais cela comme tout naturellement - ils pouvaient être en danger, et quand j'imaginais que le Lion pouvait l'être aussi, j'avais envie d'être utile. Si je pouvais empêcher qu'il ne meure, ou que d'autres ne soient blessés inutilement, j'avais envie de le faire. Mais j'étais trop lâche, trop pleutre pour prendre une décision. En fait, j'adorais me complaire dans ma faiblesse. Au lieu de trancher, je pleurnichais sur moi-même. Mais maintenant ... Emilio était là. Son contact sur ma main, sa présence. Je me sentais en confiance. Nous partagions bien plus qu'un simple sourire de façade en commun. Des êtres que nous aimions étaient en danger. Je serrais ses doigts entre les miens, et inspirais, me remettant à sourire un peu. La tristesse n'était jamais bonne, qu'elle tire des larmes ou non. Je devais positiver.

Et puis, si Emilio pouvait ... Pouvait parler à son frère ... Cette idée me plaisait bien. Je pourrais au moins lui reparler un peu, à ce monsieur mystère. J'en étais là de mes pensées, quand la brusque question de mon nouvel ami me fit tousser. Que que quoi ?! Mes joues étaient passées instantanément du rose au rouge pivoine, et j'avais écarquillés les yeux, en secouant mes mains devant moi, maladroitement, idiotement, manquant de tomber moi-même dans mon recul.

« Oulalalalalala ! Non ! Non non non non ! C'est pas ça du tout ! Ca serait idiot que je sois amoureuse de lui ! Je ne le connais même pas, je ne connais même pas son prénom ahahah.» Le rire était forcé, et j'avais l'air un peu paniquée. Allons, déstresse ma grande. Voila. Inspire, calme-toi. Ou panique encore plus, voilaaa. « Et puis il est effrayant ! Ouuuh ! Il est suuuuper grand ! Et très musclé ! Trop musclé même ! Et puis avec son bouc, ses pattes à ses joues, ses yeux jaunes comme un aigle ... Lui manque plus que des crocs et voila ! »

J'avais mis mes deux index pour former deux crocs à mes lèvres, en essayant de montrer à Emilio combien cet homme pouvait être un vrai monstre. Je réalisais combien je n'étais pas crédible et eus un petit rire gêné. Je repoussais une mèche de cheveu rose, déglutissant. Je haussais les épaules, souriant vaillamment.

« De toute façon, tu sais ... Combien même je ... Je pourrais bien l'aimer, hein. Lui c'est un résistant. Un combattant. Il n'a pas besoin de quelqu'un comme moi dans ses pattes, tu vois ? Mais c'est mieux comme ça ! Je ne suis pas triste du tout ! On s'est rencontré, je l'ai aidé. Rien qu'à cette pensée, je suis contente. »

Et c'était vrai. Rien qu'à la pensée d'avoir pu l'aider, j'étais heureuse. Ce souvenir était gravé en moi comme au fer rouge. Je n'étais pas amoureuse de lui, non. Mais j'étais irrémédiablement attirée par lui. Par son charme brut, par son regard acéré et franc, par ses rares sourires, par sa voix grave. J'inspirais, et changeais de sujet brusquement.

« Ce n'est pas trop dur d'avoir de la famille dans la résistance ? Je ne sais pas si tu as beaucoup de contacts avec lui mais ... Je crois que si je veux aider la résistance, je le ferais en tant qu'infirmière soigneuse. Je pourrais panser les blessés, les soigner, ou bien traiter leurs pokémons, les soigner eux aussi ... En tout cas, je ne pourrais jamais combattre à leurs côtés. Je suis maladroite comme personne, et tête en l'air avec ça. Mais ... Mais je suis sûre que si l'on veut les aider, il y a un moyen. Même si notre décision prends beaucoup de temps ... On finira par trouver un moyen d'aider ceux que l'on aime.»

J'avais voulu mettre un peu de légèreté, mais c'était raté. Le thé avait refroidi, depuis tout ce temps. Loki était allongé dans un coin, et plus aucun bruit ne venait de sous la table. Freyja avait dû partir. Je souris doucement en croisant mes mains sur mes genoux. Mes yeux d'un rose pâle ne quittaient plus Emilio.

« Je suis désolée d'avoir flanché devant toi. Ce n'est pas dans mes habitudes. Mais ... Je suis très contente de t'avoir rencontré. Nous avons beaucoup en commun. Et je t'apprécie déjà beaucoup, c'est bizarre de dire ça comme ça, mais c'est vrai.»

Je n'étais pas quelqu'un qui mâchais ses mots. Je souris délicatement, en pensant chaque mot que je disais. J'appréciais déjà Emilio, et je n'avais qu'une hâte, le revoir le plus tôt possible dans son élevage. J'espérais avoir de bonnes choses à lui dire, la prochaine fois. Qui sait ?

♕ Emilio Rainbow & Yuna Utako ♕

Je crois que même à moi, je ne pouvais cacher que j'avais envie de le revoir. Je hochais la tête, presque timidement. Oui, j'en rêvais, même. Comme je rêvais de ses yeux, de ses sourires, de sa peau. De ses cheveux, de ses rires, de sa voix. Je soupirais ; de toute façon, moi, je ne pouvais pas faire grand chose. Il avait les cartes en mains ; il savait qui j'étais, où j'habitais. Peut-être que de son côté, ça n'avait pas été réciproque ce coup de foudre cette espèce d'attirance.

J'imaginais quand même l'inquiétude qui devait le ronger. En imaginant le Lion risquant sa vie, j'en avais des palpitations. Et sa soeur avait été dans le régime ? Grand Arceus ! Quelle famille. En tout cas, ses paroles me faisaient du bien. J'y croyais à tout ça. Il avait raison ; quoi que l'on fasse, si on aidait la résistance, même un peu, c'était déjà ça, non ? Je reprenais courage, à chaque mot qu'il prononçais. Quand il évoqua nos noms de super héros, j'eus un petit rire : je nous imaginais parfaitement en combinaisons moulantes et capes, masques sur le nez, en train de flanquer une rouste aux méchants. Je savais, en tout cas, que ça plairait à Thor et à Loki.

« Je suis tout à fait d'accord avec toi : même nos petites actions comptent. Je suis sûre qu'on peut faire pleins de choses. Par exemple, on pourrait ... »
« Mademoiselle Yuna ? Il y a des gens qui attendent vos soins. »

La petite voix d'Isabelle m'était parvenue, interrompant mes délires imaginatifs. Je fus soudain levée, et je m'inclinais vers Emilio, perdant mon côté familier pour redevenir l'infirmière de Vanawi. Je remis en place ma blouse en lui offris un petit sourire.

« Je dois y aller. J'ai été ravie de faire ta connaissance. Je passerais dans la semaine pour les vaccins de tes pokémons, ça te convient ?»

Je jetais un oeil à son Nono : peut-être avait-il pressenti le départ ? Je le voyais qui clignait des yeux, doucement. Après m'être incliné une dernière fois envers mon nouvel ami, les joues roses du plaisir de l'avoir rencontré, je me détournais et retournais à l'accueil. Deux personnes attendaient, visiblement impatientes. Ils grommelèrent, disant que je n'avais pas à les faire attendre, que j'étais là pour soigner leurs pokémons.

« Je suis navrée de vous avoir fait attendre» fis-je d'une voix polie, tout en prenant leurs pokéballs.

Néanmoins, je n'étais plus triste ou perdue. J'étais contente. J'avais trouvé un ami avec qui partager pleins de choses. Il était comme moi. Je me sentais bien avec lui. Et je n'avais qu'une envie : être déjà à ce jour où j'irais soigner ses pokémons et où je pourrais aller chez lui.