Stains of Time II
Nauséeux, fatigué, affaibli et confus, il parvient à peine à rester conscient la moitié du temps. Sa vision n'est pas mieux lotie : c'est tout juste si il réussit à différencier les couleurs et les formes devant lui. La douleur, moins intense qu'avant, lui laisse suffisamment de lucidité pour qu'il parvienne à se tirer petit à petit de son engourdissement. Même si ses yeux verts, perdus et complètement dénués de leur habituel calme et sang-froid, remplacés par une confusion presque enfantine, parcourent la pièce dans laquelle il se trouve à la recherche de la moindre information, il ne trouve rien. Il remarque que sa capuche est descendue, et que sa tête est à l'air, ce qui lui fait se sentir étrangement mal à l'aise, mais rien ne lui paraît étrange, en dehors de la sensation devenue habituelle de déchirement dans sa jambe. Il tente d'appuyer sur l'autre pour se relever ou au moins reprendre un peu le contrôle d'un corps devenu lourd et pesant, sans succès, mais il persiste en grimaçant. Il est coincé sur une chaise dont il ne peut pas se séparer. Pourtant, rester inactif n'est pas quelque chose qu'il peut accepter dans sa situation, même sans avoir la moindre idée de vers quoi il cherche à se mouvoir.
D'une certaine façon, il aurait dû se douter que quelque chose clochait. Cette sorte de vieille pièce de maison détruite, remplie de fractures, de poussière et de gravas disait clairement que personne ne pouvait vivre ici, il aurait dû commencer à s'inquiéter de ce qui maintenait ses poignets attachés. Mais son cerveau est encore trop loin, trop perdu dans les limbes d'une inconscience dont il parvient tout juste à s'échapper.
« … 'tori ? »
Le mot lui a échappé dans un grognement pâteux. Il ne sait même pas ce qu'il signifie, s'il s'agit d'un prénom ou de quelques syllabes balbutiées au hasard. Peu importe au fond, car une voix finit bien vite par lui répondre.
« Tu es réveillé ? C'était un peu long, je dois l'avouer, mais bon, au moins j'ai eu le temps de travailler avant. »
Il remarqua enfin la femme à l'air avenante qui lui souriait d'un air paisible et calme, et qui était quelques secondes avant assis sur une chaise. Athéris, bien que méfiant, se permit alors de croire qu'il était peut-être tombé sur quelqu'un d'étrange, mais au moins à peu près sain d'esprit. Ce fut une odeur nauséabonde, toutefois, qui attira son attention et lui fit sentir que quelque chose clochait définitivement dans le sourire de son interlocutrice.
« Donc, on commence ? »
Quand ses yeux épouvantés se posèrent enfin sur les neufs cadavres qui se trouvaient alignés derrière elle et la flaque de sang dans laquelle ils baignaient, il comprit instantanément que le destin, si il existait, avait décidé de lui jouer un tour plus que cruel.
-
« Tu sais, si tu me donnais ton nom, je n'aurais pas à prendre autant de temps. »
La première réponse du soigneur fut un crachat en plein visage, qui lui valut un coup de pied dans les côtes. La femme aux yeux bleus soupira et leva les yeux au ciel, en rajustant une nouvelle fois ses cheveux noirs tâchés de petites taches rouges ici et là. Elle ne devait pas avoir plus de trente ans, de ce qu'il voyait.
« J'ai juste besoin de l'inscrire en bas de ton dos. On ne voudrait pas que tu sois confondu avec quelqu'un d'autre, n'est-ce pas ? »
Les dents serrées, l'adolescent ne répondit rien, décidé à garder les yeux fixés sur le sol pour ne pas faire plaisir à cette garce qui semblait presque jubiler de sa position de supériorité temporaire. Il se fiche bien des coupures qu'elle lui avait fait sur le bras et le torse, ou bien même de ses menaces dites d'un ton décomplexé et décontracté, comme si tout cela était parfaitement normal. Il ne comprenait toujours rien à ce qu'elle racontait. Elle avait déblatéré quelque chose au sujet d'art, des conneries sans aucun sens qui se contredisaient à chaque minute, mais il ne l'écoutait déjà plus, bien conscient de ce qui lui allait lui arriver.
Il n'arrivait ni à s'apitoyer sur son sort, ni à avoir si peur que ça, maintenant qu'il y pense. Oh bien sûr, il n'était pas assez arrogant et déconnecté pour se prétendre sans aucune crainte du trépas douloureux qui l'attendait maintenant, mais il devait avouer que la mort sonnait bien moins menaçante à ses yeux maintenant. Une vie sans but, sans repères ni la moindre connaissance n'était pas une vie, bien que la partie de lui-même qui persistait à vouloir vivre lui hurlait le contraire. Mais dans sa position, entre sa jambe blessée, la difficulté qu'il avait à respirer et son esprit en lambeaux, tant sa mémoire que ses neurones, difficile de penser de façon optimiste. L'une des seules choses qu'il pouvait bien faire à l'heure actuelle, c'était donner un coup de tête à son assaillante. Peut-être tomberait-il alors de la chaise où il était retenu, mais après ? Hormis faire durer le tout, il n'y gagnerait rien.
Alors pourquoi donc ne pas lui donner ce qu'elle voulait ? Il ne savait pas quelle foutue idée elle avait derrière la tête, mais il se doute bien, à la vue des instruments coupants et brillants sur la table qu'elle ne compte pas lui cuisiner une soupe au potiron. L'odeur de sang et de mort causées par l'empilement de cadavres, plus loin, ne lui permet pas de se mettre à espérer. Oh, il pourrait parler et la laisser se mettre à son travail, mais il ne sait pas ce qui le retient. Peut-être un reste de sa fierté, pourtant annihilée par les événements de ces dernières heures, ou même une simple volonté de savoir qu'il aura tenu. Une satisfaction personnelle, en quelque sorte, dans une situation où il est entièrement perdant. Puéril et inutile, en somme. Il n'ira pas le nier. Mais il doit y avouer qu'il y a quelque chose dans cette expression frustrée qui le satisfait largement assez pour qu'il puisse se dire que cela en vaut le coût.
« Demande à ta mère, elle le connaît bien à force. »
Son ricanement est de courte durée, puisqu'il est récompensé par un coup dans le plexus solaire qui lui fait expirer brutalement, et tenter de reprendre sa respiration, rendue aiguë et hachée par les coups répétés. Il ne tiendra pas longtemps, à ce rythme, il en est conscient. Le cliché du héros qui tient bon jusqu'au bout, ça n'est souvent vrai que dans les fictions, et il n'est pas un héros. Qu'il ne sache rien de lui-même ne veut dire pas dire qu'il n'a pas deviné ça tout seul.
Cela fait plus d'une heure qu'il s'est réveillé de son sommeil, et il aimerait tellement que cela soit à un cauchemar, mais non. Chaque entaille réalisée lui fait serrer les dents et mordre ses lèvres maintenant complètement ensanglantées, à force des morsures continuelles. Un cauchemar, au moins, on s'en sort vivant. Et il a l'intime conviction que ce n'est pas ce que l'on lui réserve aujourd'hui.
« Tu m'agaces, mon chou. »
Le ton dangereux qu'a pris sa tortionnaire, si il ne l'effraie pas, a au moins le mérite de l'alerter que quelque chose a changé. Suffisamment pour qu'elle abandonne durant quelques instants son air faussement sympathique. Lorsqu'il la vit se diriger vers l'arrière, dans une pièce juste voisine à celle où ils se trouvaient, il ne comprit pas tout de suite. Mais quand il la vit ramener avec elle un Scarabrute à l'air mauvais, il sursauta. Ce qui lui fit écarquiller les yeux et pâlir d'horreur n'était pas vraiment l'insecte en lui-même, mais plutôt le pokémon qu'il avait coincé entre ses pinces, et à qui un seul faux mouvement coûterait la vie, si jamais le Scarabrute décidait de couper. Le Majaspic coincé avait cessé de se débattre, mais bougea frénétiquement pour se libérer lorsqu'il l'aperçut, un air paniqué et empli d'effroi sur son visage.
« Je l'ai trouvé en train de fouiner par derrière... Il nous a suivi quand nous t'avons trouvé. Vu vos réactions, il est à toi, je présume ? »
Il n'en sait rien, au fond. Peut-être était-ce juste un pauvre serpent trop curieux, qui était malheureusement tombé au mauvais endroit au mauvais moment. Aucun moyen de le savoir, et pourtant, vu la manière dont le Majaspic le regardait, quelque chose lui disait que ce n'était pas le cas. Son air désespéré et apeuré ne paraissait pas juste dirigé vers sa propre personne, mais surtout vers le soigneur endommagé, mais toujours vivant, retenu à quelques mètres de lui. De plus, il ne pouvait nier qu'il avait eu l'impression de le reconnaître, de retrouver un visage familier dans celui de ce reptile, et qu'il avait senti son cœur bondir dans sa poitrine en le voyant dans une position pareille. Il le connaît, et il le sait. Il tente de se souvenir de son nom, sans succès, et plisse les yeux, cherchant de manière frénétique ce qu'il a sur le bout de la langue. Tout à l'heure déjà, il le cherchait.
« Hatori ? »
Le reptile vert releva son regard vers lui, l'air plus paniqué que jamais, en découvrant l'état presque catatonique de son dresseur. Il poussa un cri semblable à un geignement, fut obligé de se taire lorsque le Scarabrute raffermit sa prise, lui coupant le respiration durant quelques instants. La femme haussa les sourcils et une moue méprisante s'étala sur son visage, l'air satisfaite en voyant le visage auparavant plutôt calme et apathique du soigneur se décomposer. Il déglutit.
« … Athéris.
- Hé bah voilà ! Tu vois quand tu veux, c'est tout de suite plus agréable de travailler en équipe. Par contre, lui, il va rester ici si ça ne te dérange pas. Il ne faudrait pas que tu recommences à faire la tête. »
Le résistant serra les dents, retenant du mieux qu'il le pouvait l'envie de répliquer mais resta silencieux, conscient qu'il ne ferait que causer des soucis au serpent si jamais il l'ouvrait, maintenant. Il refoula comme il le pouvait l'impression d'être encore plus humilié et dégradé, en priant justement mentalement pour que tout cela finisse vite, maintenant.
Pourtant, son interlocutrice n'avait pas l'air de vouloir la même chose que lui. Voilà qu'elle attrapait un des corps entassé plus loin pour le rapprocher, sans se soucier des longues traces de sang qu'elle laissait derrière elle. Elle le retourna pour que le soigneur puisse en voir le dos, et celui-ci manqua de s'étrangler tant la nausée qu'il ressentit à cet instant fut intense.
« Tu vois comme c'est bien fait ? Franchement, j'étais fière de moi, pour la neuvième ! »
Le gigantesque « IX » tracé sur son dos au couteau était encore sanguinolent. Les plaies, plus ou moins profondes, témoignaient toutes du temps que la lame avait passée à être enfoncée dans leur peau, puis retirée encore et encore. De ce qu'il voyait d'ici, tous les autres étaient dans le même cas, avec des chiffres romains différents, certains plus « propres » (et oh que le terme le dégoûtait) que d'autres, où on reconnaissait à peine la peau.
La femme reposa avec délicatesse et douceur le cadavre à sa place, avant de se rapprocher de lui. Elle saisit un des couteaux qu'elle avait posé sur une sorte de petite table chirurgicale et se mit à l'émousser, un sourire jovial sur son visage étrangement angélique malgré tout.
« En fait, tu vas faire partie des chanceux ! Quatre traits, c'est déjà bien moins que pour le septième... Ah, le septième... Tu l'aurais entendu hurler ! Il était vraiment magnifique, celui-là, je me suis tellement appliqué... Des traits impeccables. Pas plus d'une rature. Ah, je dois avouer qu'il m'arrive aussi de faire des erreurs, tu sais... Alors il faut parfois que je m'y reprenne à plusieurs fois pour que la lame tranche bien et laisse une belle marque. Si ça ne découpe pas assez la chair, mon travail aura été inutile, tu comprends... ? »
L'adolescent ne lui répond pas, préférant se murer dans un silence qui est devenu sa seule défense, maintenant. Incapable de répliquer de crainte que le Majaspic n'en paie les conséquences, il ne peut plus que tenter d'oublier tout ce qui lui arrive et l'entoure.
Il essaie d'imaginer ce qui a bien pu l'amener à finir ici. Ce qui a pu le motiver, dans cette vie dont il ne connaît plus rien, à se dire qu'un tel risque était supportable. Trouver se révèle bien plus compliqué qu'il n'aimerait que ce le soit. Mais au fond, ce n'est pas aussi important que cela. Qu'il sache qui il est aujourd'hui importe très peu. C'est même ce qui devrait être la dernière de ses priorités. Il expire lourdement.
« J'ai vraiment aimé le septième. Mais après ça... J'ai été assez déçu, oui. Le sixième a failli s'échapper, mais après quelques heures, je l'ai retrouvé. Tu sais, après avoir perdu autant de sang, c'est dur de s'enfuir... C'est vraiment un travail dont je ne suis pas si fière. Mais le huitième m'a redonné espoir, et toi... Tu es une bonne façon d'achever mon œuvre, je crois. Mais tu sais, ce sont souvent ceux qui croient qu'ils resteront silencieux qui hurlent le plus. Je suis persuadé que tu vas me réserver de bonnes surprises. Et puis tu as le dos complètement intact, c'est parfait. Pas une seule cicatrice ou tâche de naissance, on ne verra que mon œuvre ! »
Il ne l'écoute plus depuis un bon moment, déjà, fatigué de toutes ces idioties. Il essaie de garder ses yeux fixés sur le Majaspic qui plus loin, l'observe d'un air impuissant et effondré. Le soigneur tente ce qui est censé être un sourire, mais qui ne ressemble plus qu'à un rictus maintenant. Le discours incessant de sa tortionnaire, toutefois, lui attise les nerfs bien plus que tout ce qu'elle pourrait bien lui infliger.
Arrête avec ton laïus et finis-en, putain.
Si il est au courant de quelque chose sur lui-même, rien que maintenant, c'est qu'il déteste la grandiloquence et les longs discours. Bizarrement, cela lui hérisse plus le poil que les cadavres qui traînent à quelques mètres. Peut-être y était-il habitué, en un sens, et son instinct lui confirme que oui.
« Ah, voilà. Parfait. La lame est bien claire ! »
Lorsqu'il l'entend se lever, l'adolescent serre ses doigts dans sa paume et tente d'apaiser son rythme cardiaque frénétique. Le grincement du sol sous ses pas ne le fait même pas sursauter.
Athéris n'est pas un surhomme, loin de là. Les peurs, il en a à foison, mais la règle qu'il s'est imposé est de ne jamais montrer que quelque chose le perturbe ou le déconcentre, le rend vulnérable et faible d'une quelconque façon : ce serait quelque chose qu'il abhorrait. Ainsi, ce masque de calme, de sang-froid et d’imperturbabilité qu'il s'impose est sa meilleure arme. Silence et maître de soi avant tout et dans n'importe quelle situation. C'est comme une protection, une défense parfaite pour s'éloigner de tout et ne pas laisser court à ses craintes, à des émotions trop instables et puissantes.
Mais à l'instant, avec un couteau chauffe à blanc qui s'enfonce dans sa peau, il ne peut pas retenir le hurlement qui s'échappe de sa gorge. La peau est déchirée, lacérée ; de longs sillons rouges s'en échappent alors que l'adolescent retient comme il le peut ses cris en se mordant les lèvres, quitte à se faire souffrir davantage par ce fait. Et il sent la lame revenir sur son travail, s'enfonçant davantage ; parfois il lui laisse une seconde ou deux de répit, durant lesquelles il espère naïvement que son supplice va s’arrêter, mais l'instant d'après, le couteau plonge à nouveau dans sa peau et lui arrache un hurlement qu'il n'a pas pu retenir, et ce malgré métallique dans sa bouche, résultat des innombrables morsures qu'il s'est infligé pour se forcer à se taire.
Il ne sait pas combien de minutes passent. Il a même fini par arrêter de regarder le Majaspic, concentré sur le fait de ne pas recracher l'intégralité du contenu de son estomac tant la douleur lui déchire les entrailles. Il ne crie plus, vu que sa gorge irritée le brûle et lui fait encore plus de mal que ce que hurler lui amène comme soulagement. À peine conscient, sa vue se floute et se brouille.
« Ah ! Là, c'est déjà mieux. Tu veux voir, mon chou ? »
Elle ne lui en laisse pas le choix. En sortant un miroir qu'elle lui présente fièrement, l'adolescent voit enfin le résultat de cette dernière heure. Il n'a même plus la force d'être révulsé par ce qu'il voit ; les deux et larges traits qui barrent son dos, formant une sorte de 'X', laissent dégouliner de larges bandes de sang tout le long de son corps. Aucune réaction ne s'affiche sur son visage, en contraste total avec la joie pure et dure qui illumine le visage de la tortionnaire.
« Roh, même pas un sourire ! Bon, je reconnais qu'il manque encore le nom et les deux traits du haut et du bas pour faire un vrai '10', mais... Allez on va terminer tout ça. »
Le soigneur inspire pour tenir juste quelques secondes de plus. Il est presque sûr que perdre autant de sang doit bien amener à l’inconscience au bout d'un moment et il se demande par quel miracle il peut encore tenir debout. Pendant quelques secondes, ses pensées vont vers le résistant qui a risqué sa vie pour le sauver, et qui en a payé le prix fort. Un rictus sardonique, fatigué et las étire ses lèvres.
À quoi ça servait de me faire survivre si c'est pour que je crève comme ça, au final... ?
Il en est à prier pour que l'hémorragie finisse par l'achever. Tout serait déjà mieux que le supplice affreux qu'elle lui fait subir, et par réflexe, sa gorge se noue en sentant le couteau effleurer une nouvelle fois sa peau déjà découpée.
Le prochain cri qu'il entend n'est pas le sien, mais celui d'Hatori. Il voit une ombre violette surgir d'il ne sait où, dans un sifflement rageur, et renverse le Scarabrute qui tombe en arrière, libérant le Majaspic tuméfié et affaibli.
L'Arbok enroule son corps autour de l'insecte qu'il piège dans une constriction étouffante et impitoyable. Ses crocs se couvrent de flammes et se plantent dans le corps de son adversaire, tandis que le serpent vert se relève difficilement, rampant avec lenteur vers son dresseur. Athéris resta muet, incapable de prononcer un mot en voyant le petit reptile violacé dominer sans mal et avec une férocité impressionnante le Scarabrute.
« Fran... ? »
A l'entente de son nom, l'Arbok éloigna son regard rouge meurtrier de sa cible pour qu'il se pose sur le résistant affaibli, et il perdit immédiatement de sa rage, soudain plus tranquille. L'interpellé relâcha peu à peu sa prise sur le pokémon qui tomba au sol tel une pierre, inconscient.
La tortionnaire, paniquée, voulut fuir. Mais bizarrement, l'Arbok ne tenta pas de la retenir, se contentant de l'observer d'un air méprisant et mauvais, en serrant sa propre queue contre le premier truc qu'il trouva au sol, le brisant. Le Majaspic lui lança un regard confus, perdu, et Athéris ne bougea pas. Incapable de comprendre ce qu'il voyait, et même l'air surpris et presque inquiet d'Hatori, il resta muet, de toute façon incapable de parler dans son état actuel.
Il put entendre la femme aux cheveux noirs prendre une inspiration effrayée. Au départ, il ne comprit pas vraiment. Ce ne fut que lorsqu'il remarqua enfin la silhouette d'un Séviper à l'air incroyablement fou de rage qu'il eut cette impression presque rassurante de voir enfin le trio au complet. Il se permit un sourire discret.
Ils... Ils vont bien.
Cette crainte, qu'il avait eu depuis qu'il avait reconnu Hatori, lui permettait de se retirer le nœud qui s'était formé dans sa gorge en imaginant ce qui avait pu leur arriver. Il sait qu'il n'est rien sans eux, et l'idée même qu'il ait pu leur arriver quelque chose sur le champ de bataille l'avait horrifié. Si l'air furieux du nouveau venu l'intrigue, il se doute toutefois de ce qui va arriver, et il n'a pour l'instant pas la force de l'arrêter.
En une minute, tout devint chaotique. Le Séviper cracha un épais suc violacé sur le visage de la tortionnaire qui tomba au sol en hurlant de douleur. Elle tenta de porter ses mains à son visage brûlé et sanguinolent, tandis que le serpent violet, sifflant de rage, rampait vers elle, l’œil mauvais. Le reptile fixa son regard rouge sur sa proie nouvellement trouvée et son rictus s'agrandit, tandis qu'une lueur cruelle dansait dans ses iris. Réfléchissant déjà à la manière dont il allait faire lentement mourir sa victime, le plus douloureusement possible de préférence, Byakuran glissait autour d'elle avec une lenteur délibérément arrogante, la narguant un peu plus à chaque seconde.
Ses crocs bien aiguisés déchiquetteraient sa gorge en un seul coup si il le désirait ; mais là encore, où était l'intérêt ? Où était la rétribution, après ce qu'elle avait cru pouvoir faire en toute impunité ? Non, le Séviper a un tout autre projet. Si il faisait bien attention et qu'il coupait là, puis ici, et enfin qu'il continuait lentement jusqu'à ce point-ci...
« Byakuran. »
La voix lente et rendue plus aiguë par sa respiration fatiguée de son dresseur le sortit de ses considérations morbides. Le Séviper redirigea son regard vers le soigneur, qui s'était déplacé jusqu'à eux, en s'appuyant sur une chaise qu'il utilisait pour soutenir son poids, en dépit de la douleur affreuse qu'il devait sûrement ressentir. Le serpent hésite. Il n'est pas dans son habitude de s'inquiéter pour cet idiot, mais la situation était tellement urgente, il avait tant craint de devoir ramener un cadavre que... Pour une fois, l'envie de plonger ses crocs dans une gorge n'était pas uniquement causée par son seul sadisme. Son esprit hurlait vengeance, tout simplement, et il avait tous les moyens de la donner, et bien plus encore.
Mais pour une fois, au lieu de se précipiter pour faire ce qu'il veut en dépit de la volonté de l'éleveur, le Séviper s'est arrêté. Il l'observe d'un air calme et neutre, cherchant dans chacun de ses tremblements et dans toutes les gouttes de son sang qui coulaient encore une raison de ne pas se jeter sur la pauvre imbécile qui gise encore à terre, à gémir sur son visage sûrement défiguré, maintenant.
Son prénom, qu'il avait longtemps refusé de considérer comme le sien, résonne comme une plainte à laquelle il ne peut faire offense. Celui qu'il lui a donné lorsqu'il l'a accepté dans son équipe malgré ses innombrables défauts, en lui donnant un peu plus tous les jours une petite raison de croire qu'il peut toujours exister quelque chose de bon dans un cœur. Byakuran répond à la supplique de son dresseur sans même que celui-ci n'ait eu le temps de la finir. Sa queue se pose au sol, ses yeux se ferment, et il expire lentement, fatigué.
« Arrête. »
Hatori le soutient comme il le peut, tandis que Fran, épouvanté et horrifié par ce qu'il voit, se colle contre lui en cherchant presque désespérément à le garder éveillé. Si l'Arbok avait vite eut fait de le détacher, il avait mis un certain temps avant de hausser le ton, mais c'était fait maintenant. Le Séviper donne un dernier coup de queue à la femme au sol, par simple principe et mesquinerie, en ricanant des geignements qu'il entend, avant de ramper lentement vers son dresseur. Lui aussi, doucement, colle sa tête contre son ventre et sa taille pour le soutenir.
Le soigneur s'approche. Lentement, il finit par arriver au dessus de sa tortionnaire et la contemple d'un air méprisant, froid et dépourvu même de haine, tant il la trouve pathétique maintenant qu'elle est dans cette position, à se tordre dans tous les sens. De ce qu'il voit, même ses yeux ont été touchés ; une ironie magnifique pour une « artiste ». Il ne ressent même pas de haine ni de colère, mais juste une profonde envie de l'arrêter. Athéris pose sa propre main sur sa nuque, et serre les dents en sentent son sang réchauffer sa paume. L'idée qu'elle recommence un jour lui donne envie de vomir. Mais en même temps...
Je ne sais pas qui j'étais, avant, mais...
Il attrapa dans l'une de ses mains son manteau qui était posé tout près d'ici pour en saisir quelque chose dans une de ses poches, un objet qu'il sait être là. Il ne sait pas trop comment il sait, à l'heure actuelle, ce qui est là ou pas ; il est juste au courant, et il n'a pas la tête à questionner le peu de choses qu'il sait. La fiole glisse presque naturellement dans ses mains, et il la met dans une seringue en quelques secondes à peine d'une main presque experte, ce qui lui fait se dire qu'il ne s'agit pas de la première fois qu'il le fait. Il fait signe à Hatori de retenir le bras droit de la femme au sol, et le Majaspic s'active. Les trois regards curieux des serpents se posent sur leur dresseur alors que le soigneur plante sans aucune forme de douceur l'aiguille dans la première veine qu'il trouve.
J'aimerais pouvoir me dire que je n'étais pas comme elle.
Il se relève sans un mot. Son regard vert vide et las se pose sur sa victime, consciente, qui se met à convulser et se tordre de douleur. Celle-ci, se rendant compte de ce qui lui arrive, se met à crier comme elle le peut, dans des grognements étouffés. Le soigneur prit alors la parole d'un ton froid et détaché.
« Tu ne vas pas mourir. »
Que je n'étais et ne serai pas un tueur.
Il refoule comme il le peut l'envie de vomir en la voyant paraître presque soulagée. Cela aurait été tellement facile, d'en finir. Des bulles d'air dans les veines, trop de poison d'un seul coup, un simple coup... Les occasions n'avaient pas manqué. Et il pourrait le faire, si jamais il s'en sentait l'envie, mais voilà le souci : elle n'est pas là. Il ne sait pas si il doit s'en vouloir pour une présupposée faiblesse ou être soulagé, mais sa décision est déjà prise.
« Mais tu ne pourras plus... Jamais te déplacer comme avant, ou même vivre normalement. Si ça ne te paralyse qu'un seul membre, ce sera déjà un miracle. »
Il ne se souvient même pas de pourquoi il avait quelque chose d'aussi horrible dans les poches. Quelques images lui apparaissent, sans qu'il ne puisse poser de mots dessus. Il se voit dans une pièce semblable à un laboratoire, à regarder un erlenmeyer d'un air anxieux et presque craintif. Puis avec une femme sans visage, qui lui parle d'un ton froid et sans concession, et enfin se rappelle de quelques petits mots, qu'il entend dans son esprit comme une formule presque suppliée.
Seulement dans le pire des cas.
Le pire des cas, il était sûr et certain de l'avoir vécu il y a quelques secondes. Et il veut s'en éloigner le plus rapidement possible. Sans plus attendre, il se tourne dans l'autre sens et se dirige vers la sortie, qu'il emprunte avec bien du mal. L'endroit avait l'air d'être une sorte de partie désertique d'une ville en ruines, qu'il aurait bien du mal à nommer.
Il continue de marcher jusqu'à une autre maison écroulée, plus loin, et s'accoude à un mur, essoufflé. Les trois serpents le suivent, en essayant de le maintenir et en le rattrapant lorsqu'il manque de trébucher.
Sa respiration est sifflante, irrégulière, lente et pénible. Sa poitrine se comprime douloureusement. Livide, il n'arrive même pas à comprendre comment il peut tenir debout alors qu'il tangue et peine même à rester conscient. Sa vision est déjà floutée et incomplète. Le sang continue de couler en longues traces rouges tout le long de son dos, sur ses jambe, jusqu'au sol. Il s'accroche difficilement au mur, qui devient vite son seul appui, sous le regard inhabituellement inquiet du Séviper qui grogne pour qu'il se ménage au moins un peu, surtout maintenant. Fran pousse des couinements aigus, apeuré.
« Besoin... De rester éveillé. »
Les serpents poussèrent des sifflement paniqués et lorsque les muscles affaiblis de l'humain finirent par le lâcher, le Majaspic se précipita vers lui pour le récupérer sur son corps. Sans se préoccuper des tâches rouges qui commençaient à salir ses écailles, il poussa un sifflement rapide et agressif, ordonnant à ses camarades d'aller chercher de l'aide sur le champ. Même Byakuran, qui aurait d'ordinaire pris cela de la pire des manières, ne protesta pas et se dirigea dans une direction opposée à celle de l'Arbok.
« 'ri... »
Le geignement de son dresseur comprima le cœur du Majaspic qui serra avec douceur sa prise sur lui, priant mentalement pour quelque part, ils ne trouvent rien qu'une lueur d'espoir. Empli de frustration d'être aussi impuissant, il ferma les yeux, vérifiant régulièrement son pouls de crainte qu'il ne disparaisse subitement. La seule chose qu'il pouvait faire, pour l'instant, était de lui offrir au moins un peu de chaleur, pour que son somme provisoire ne devienne pas définitif. Tout reposait maintenant sur Byakuran et Fran, encore une fois. Rageusement, il poussa un gémissement plaintif et inspira une nouvelle fois, en poussant sa tête contre le cou de son dresseur déjà perdu dans l'inconscience.