« C'est toi ou moi, l'un de nous est de trop! »

''Dégage'', de Bryan Adams.
 

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 Nuclear [OS]

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Clive G. Donovan
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MessageSujet: Nuclear [OS]   Nuclear [OS] EmptyJeu 17 Mar 2016 - 22:34



Nuclear

« Et celui-là, c'était quoi ?
- Sonate au clair de lune, Clive. Je sais que je suis débile, mais là tu me prends quand même pour un sacré demeuré. »

L'homme aux cheveux hérissé hocha de la tête tandis qu'un sourire tranquille étirait ses lèvres. Il siffla paisiblement un air plus vif et énergique, en tapotant avec ses doigts aux teintes bleues, abîmées, contre le sol glacé. Au bout de quelques secondes, une sorte de mélodie paraissait être née de ces notes pourtant très simples.

« Celle-ci ? 
- Aucune idée.
- Rachmaminov. Un peu de culture, Mikael.
- Te fous pas de ma gueule, personne est foutu de retenir son nom hormis ceux qui en jouent. »


Le cadet ne lui répondit pas et haussa les épaules, dos au mur, en continuant de siffloter comme il le faisait juste quelques secondes auparavant. L'autre homme le regardait avec pitié et fatigue, incapable de savoir si oui ou non il devait prendre au sérieux ce qu'était en train de lui dire son vieil ami. Les derniers jours ont été tellement chaotiques qu'il serait bien capable de croire que tout cela n'est qu'une mauvaise blague, dont le plus jeune est l'orchestrateur brillant mais complètement fou. Il aimerait bien que ce soit le cas, néanmoins.

« Tu ne vas toujours rien expliquer, hein ? »

L'autre ouvre les yeux et le regarde sans amorcer un mouvement, sans la moindre étincelle dans ses iris bleus, dénués de leur fausse apparence dorée maintenant. On pourrait presque croire qu'il n'a pas entendu à première vue, mais c'est entièrement faux et ils sont tous les deux au courant. Une sorte de message silencieux passe, un accord tacite et muet, avant que l'homme debout ne finisse par soupirer lourdement. Mikael n'a pas besoin d'entendre réponse à sa question qui n'était que rhétorique.

« Si tu le prends comme ça... »

Le plus âgé s'éloigne et s'approche de la porte de sortie non sans jeter un regard à l'autre, une lueur de détermination dans son regard, visible rien qu'à son langage corporel.

« Je reviendrai quand je le pourrai. 
Je sais que t'as rien fait.

- Ne perds pas ton temps.
Il y a des choses plus urgentes.

- Je sais ce que j'ai à faire. »


L'homme aux cheveux noirs teintés de reflets châtains soupira. La tête posée sur son bras, il le considérait d'un air nonchalant, sans se rapprocher.

« Je sais.
Imbécile.

- Je connaîtrai bien vite toute l'histoire.
Je vais te sortir de là. 

- Si tu le dis. »


Lorsque Clive entendit la porte de sa cellule se fermer, il eut presque l'impression d'entendre cette promesse résonner à ses oreilles sous la forme du grincement qui résonna pendant de longues secondes. Puis il n'y eut plus que le froid du sol sur lequel il était assis ainsi que l'éternel et étouffant silence dans lequel il était plongé depuis trois jours maintenant.

-

Parfois, les interrogatoires sont calmes. Parfois ils ne le sont pas. Cela dépend entièrement de la personne qu'il a en face de lui, et il serait bien incapable de dire par quelle logique tordue on a choisi ceux qui allaient le harceler de questions à longueur de journée. Il semble tantôt incapables, désarçonnés ou persuadés du bien fondé de leur progrès alors qu'ils ne font qu'avancer dans des murs. Et il les regarde d'un air amusé ou empli de pitié alors qu'ils mettent tous leurs efforts pour lui sortir des vers qui n'ont jamais été dans son nez. Honnêtement, à force, il s'était même mis à s'y habituer.

« Je répète ma question. Où étiez-vous le 9 février à quatorze heures ?
- En train de comploter, comme je l'ai déjà dit plusieurs fois, avec des collègues résistants. »

La femme en face de lui lui adresse un regard froid et fatigué. Elle nota quelques mots sur son carnet avant de reprendre la parole.

« Le problème, monsieur Donovan, et pour la sixième fois, c'est qu'à ce moment-là, contrairement à ce que vous continuez de raconter, vous étiez en train de gérer le régiment B7-12 de Vanawi.
- Selon ma dépos-

- Selon les caméras de surveillance et vingt-sept autres témoignages. »


Pour appuyer ses propos, elle sortit de son sac une grande quantité de paperasse qu'elle laissa claquer sur la table. La salle, grisâtre au possible et vide hormis pour les quelques meubles qui se trouvaient en son centre, était déjà moins glauque que ce à quoi on habituait les prisonniers « normaux ». Mais là encore, c'était un simple privilège de son titre, et il était au courant que c'était simplement pour éviter les protestations, puisque sa culpabilité ne pouvait pas encore être avérée. Contrairement à ce qu'il persistait à raconter, il n'y avait tout simplement rien contre lui.
Si il avait compté, sûrement aurait-il remarqué qu'il y avait en réalité au moins une trentaine de dossiers et non le chiffre qu'elle avait donné. Mais il ne le fit pas, et haussa les épaules d'un air désintéressé et vaguement ennuyé.

« Ah. Me suis trompé donc, ça arrive.

- Oui, pour la-
- Seizième fois en neuf jours. »

Elle s'arrête, surprise, et le considère d'un air un peu ébahi. L'ancien officier, une moue moqueuse sur son visage. Sûrement ne s'attendait-elle pas à ce qu'il devine combien de jours s'étaient écoulés depuis son enfermement ; c'était à près tout une technique de torture mentale comme les autres que de faire disparaître la notion du temps à un prisonnier, pas moins utile que les coups et les menaces qui étaient devenues son quotidien. Mais il avait vite pris ses repères, connaissant ces vieilles méthodes et toutes leurs petites fourberies, par des repères et des oreilles grandes ouvertes. Il a conscience qu'il marche en terrain glissant, en titillant la patience de la jeune femme qui l'interroge aujourd'hui. Elle n'a après tout pas, à contrairement à certains de ses collègues, choisi de faire usage de la manière forte. Sans doute a-t-elle compris que ce serait inutile, et qu'il n'a rien à dire. Si c'est le cas, Clive lui accorderait le bénéfice du doute quant à son intelligence. Ou alors elle n'avait tout simplement pas besoin de torturer des gens pour avoir l'illusion de se sentir forte. C'était possible aussi.

« En effet. Une déclaration à faire pour alléger votre peine ? »

La phrase n'est là que pour la forme. Tous deux savent bien ce qui arrivent aux traîtres dans le régime, et ceux qui avouent en premier finissent par être tués très rapidement. Mais il faut bien conserver les apparences, comme d'habitude. Clive se permit même de bailler, un peu déconnecté de tout ce qui se passait à l'heure actuelle.

« Les petit-déj manquent de sel. »

Il s'étira alors, en prenant bien soin de montrer ses poignets libérés qu'il levait en l'air, un sourire narquois sur son visage.

« Et dites à vos subordonnés d'apprendre à menotter correctement, on dirait vraiment du travail d'amateur. »

-
Après une grande expiration longue et pénible, Clive ferme les yeux quelques secondes pour tenter de reprendre une respiration à peu près normale. Il est habitué à la douleur. Elle l'a accompagné depuis le moment même où il a rejoint l'armée, loin de à ce quoi son enfance et son adolescence idyllique l'avaient habitué. Sans être une constante, il n'y avait pas une journée où il ne ressentait pas le poids de la fatigue et de l’éreintement de ses muscles. Il ne sait toujours pas par quel miracle il a pu tenir tout ce temps avec un rythme pareil, d'ailleurs, mais sûrement était-ce l'obligation ; on ne se pose pas vraiment de questions sur ce qu'on peut accepter quand il n'existe pas l'opportunité de choisir.

« Pour une fois que tu fermes ta grande gueule... »

Il ne fait pas un geste pour les arrêter lorsqu'un couteau est plongé dans sa jambe. Tout juste retient-il sans succès un long hurlement alors que celui-ci est remué dans la plaie à plusieurs reprises. Néanmoins, il ne prononce pas un mot. Ni une insulte, ni de protestations, et il ne se débat même pas. Ce serait inutile, de toute façon, et il a conscience qu'il ne ferait qu'affaiblir davantage son corps. Même lorsqu'ils s'amusent à appuyer ou à frapper encore et encore, que ce soit à la mâchoire, au thorax, au plexus ou même à la gorge pour voir si il finirait par vomir, Clive se démène à rester le plus silencieux possible. C'est peine perdue évidemment ; les durs qui ne hurlent jamais de douleur, ça n'existe que dans les films, mais le reste de fierté qui lui reste ne lui permet pas d'abandonner aussi facilement que cela.

« Les traîtres, on les fume. Tu fais moins le malin maintenant, hein ? »

Il ferma les yeux de nouveau, comptant dans sa tête chaque seconde qui le séparait du moment où, fatigués, ils finiraient par le laisser à se vider de son sang, comme à chaque fois.

-
« T'as pas l'air d'aller bien.
- Mais non, je me fais une cure de jouvence et j'essaie un nouveau fond de teint. »


Le sarcasme acide du hérisson fait à peine réagir le barbu qui soupire d'un air exaspéré. Dès qu'il reposa de nouveau ses yeux sur le visage épuisé de son ami, sur la faiblesse évidente de son corps qui perdait de plus en plus en force avec le temps, il comprit que la situation devenait urgente. Si, accoudé contre le mur avec cette expression calme sur son visage, Clive aurait pu faire croire qu'il contrôlait la situation, Mikael comprenait bien vite que non. Le sang qui, répartis en plusieurs tâches disséminées sur les murs et sur le sol de la cellule, n'avait toujours pas été nettoyé et il doutait qu'il le serait. C'était toujours impressionnant pour ceux qui venaient après.

« Clive...
- Viens en au fait. Qu'est-ce que tu fais là, déjà ?
- On a pas beaucoup de temps. J'ai fait jouer de mes relations pour nous assurer un peu de temps, et les caméras et micros ont été désactivés temporairement. Du coup, il va falloir faire vite. »


Le médecin s'approcha rapidement et libéra les poignets du cadet qui étaient entravés par une corde. Mais même libéré, le châtain n'amorça pas un seul geste. Il se contente de fixer l'aîné, las.

« Tu te doutes qu'ils vont la remettre dès qu'ils le pourront.
- Ça dépend. T'es tombé sur de sacrés fils de pute ces derniers temps. »


Clive haussa les épaules, comme si tout cela ne lui importait plus depuis un bon moment déjà. Il fallait dire que ses tortionnaires ne redoublaient jamais d'inventivité ni d'originalité.

« Ils perdent patience et savent que je ne leur apporterai rien. C'est la dernière étape avant qu'ils ne me tuent, nan ?
- C'est pas encore décidé, ça. Tout le monde se doute que y'a plus que ça sous cette histoire, et puis ton emprisonnement a foutu un bordel monstre. »


Le chercheur se permit un ricanement mesquin.

« T'aurais vu ton régiment, sérieux ! Ils se sont rebellés des dizaines de fois depuis ton arrestation, pas un seul remplaçant n'a pu les maîtriser. Ils sont tous partis en pleurant après que tes soldats les ai rendus tarés. Et même Radius y a mis son grain de sel : ce sale petit con a délibérément mélangé TOUS les dossiers ! »

L'expression neutre de Clive se fendit d'une esquisse de sourire amusé alors qu'il imaginait la scène.

« C'est pas mon genre, mais perds pas espoir. Je vais trouver un truc, je t'ai dit.
- Faut en avoir avant d'en perdre.
- Tais-toi. Je me suis pas fait chier à contacter ton connard de jumeau pour que tu abandonnes. »


À l'entente de cela, l'attention du métis fut immédiatement captée. Celui-ci releva la tête vivement, les yeux bien ouverts, comme si il buvait maintenant les paroles de son interlocuteur. Satisfait d'avoir réussi à réveiller quelque chose chez lui, un sourire satisfait naquit sur le visage du barbu.

« Tu...
- Il m'a contacté, ouais. Tu vas vraiment me dire qu'il est en train de se démener pour rien ? »


Mikael espère presque naïvement pouvoir réveiller son vieux coéquipier par ses paroles. Sûrement est-ce trop visible, vu qu'il étudie presque consciencieusement le visage de Clive à la recherche d'une simple petite lueur d'optimisme, et qu'il grogne en constatant qu'elle se refuse à apparaître.

« Je ne peux pas sortir, de toute façon. Si jamais je-
- Je sais, je sais. Mais je m'en contrefous. Laisse-moi juste un peu de temps. Gagne-en.
- Comment veux-tu que-
- Donne-leur des pistes. L'illusion qu'ils ont oublié quelque chose, que tu caches encore un truc. N'importe quoi qui pourrait leur faire oublier l'idée de t'exécuter tout de suite. »


Un rire jaune échappa alors au châtain qui passa une de ses mains sur son visage pour au final empoigner une partie de ses cheveux, qu'il serra dans sa paume avec l'unique but de se défouler.  L'air fatigué et désabusé, lles lèvres tordues en un rictus triste, il semble à peine saisir tout ce qui se passe autour de lui.

« Tu sais ce qui va m'arriver si je fais ça, Mikael ? »

Silence. La lourdeur de ce que Clive insinuait s'imposa dans l’atmosphère déjà pesante. Le médecin grimaça, conscient de la difficulté de la situation et de la tension palpable qui s'était installée. Incapable de répondre sur le moment, il laissa au cadet l'occasion d'expliciter ce qu'il venait de dire quand celui-ci déboutonna un peu sa chemise pour montrer durant jusques quelques secondes son torse couvert de cicatrices et de marques de brûlure encore fraîches.

« Pas que j'apprécie pas l'attention et l'infinie patience qu'ils ont, mais je crois pas que mon corps puisse tenir longtemps.
- ... Ils t'ont pas raté, hein. 
- N'importe quel débile peut faire ça. Faut pas être un génie, te mets pas à croire que c'est exceptionnel. »


Clive tenta de reboutonner sa chemise, mais ce fut sans succès. Mikael comprit bien vite quand il vit que ses doigts étaient bleutés ; sûrement que les os n'avaient toujours pas récupéré de leurs fractures. Le plus vieux déglutit, au moins un peu mal à l'aise. En le remarquant, le châtain gloussa amèrement.

« Quoi, moi qui croyait que tu demandais que ça, de me voir à poil ?
- J'ai pas de kiff sado-maso, tu devrais le savoir. »


La plaisanterie le fit au moins un peu rire, mais c'était plus pathétique qu'autre chose. Il s'agissait avant tout d'un rire triste et fatigué.

« Je suis fatigué, Mika. J'ai plus envie de me battre.
- S'il te plaît. »


La demande eut le mérite d'étonner l'ancien officier qui fixa le barbu d'un air ébahi, n'arrivant pas à croire qu'il ait pu entendre cela. Mais étonnement, il ne voyait qu'un air déterminé et résolu sur le visage de son ami.

« Je vais te sortir de là, j'ai dit. Tu vas survivre et tu vas enfin pouvoir refaire ta petite vie de nerd chiant et lourd. Mais tu vas pas crever, tu m'entends, Clive ? »

L'interpellé n'arrivait pas à détacher son regard de l'assassin, qui parlait d'un ton ferme et assuré, sans la moindre trace d'hésitation sur son visage. Si sa propre survie ne l'intéressait pas tant que ça, il n'arrivait pas à ne pas être surpris de voir Mikael s'investir autant dans quelque chose. Ce n'était pas habituel ; si il le connaissait depuis six ans, il ne l'avait que très rarement vu mettre de sa personne dans une tâche. Il n'aurait pas dû être étonné, car il a conscience que leur relation est devenue au fil du temps une amitié solide, mais il est touché, sans vraiment oser se l'avouer.

« Qu'est-ce qui t'es arrivé pour que tu sois devenu aussi niais ?
- Ferme ta gueule et tiens le coup, c'est tout ce que je te demande. Et je suis pas le seul à le vouloir. »


Le médecin ne s'attend pas à une réponse dans l'immédiat. Il observe attentivement le visage livide et épuisé de Clive,  le moindre de ses tics et gestes qui pourraient révéler qu'un minimum de bon sens s'est fait entendre. Tendu, il dissimule l'angoisse de le voir refuser et abandonner pour de bon, ce qui condamnerait alors toutes ses tentatives à devenir des échecs. Puis finalement, Clive prit la parole, la tête cachée entre ses bras.

« J'essaierai. »

Mikael expira profondément, l'air presque rassuré.

-
Il ne saurait pas dire ce qu'il déteste le plus. Les coups, les coupures, les brûlures, les os cassés, tout cela est devenu quotidien. Si il essaie de se retenir de hurler la plupart du temps, cela peut parfois devenir tout particulièrement difficile, mais il serait bien incapable de dire exactement ce qui lui donne le plus envie de vomir et de crier sa douleur. Au bout d'un moment, c'était tout son corps, cassé et abîmé sur tous les plans, qui ne cessait plus de se rappeler à lui. Mais au final, peut-être que ce qui le dérangeait le plus était les os cassés et fracturés. Lorsque ses tortionnaires finissaient par se lasser de leur petit jeu et qu'ils le laissaient couvert de sang et ecchymoses dans sa cellule, il était alors incapable de bouger par lui-même. Et c'était sûrement ce qui le frustrait le plus dans tout ça.

Il poussa un long soupir lent quand le calme fut enfin revenu. Enfin, seulement dans cette pièce évidemment ; les hurlements et les les cris déchirants continuaient de résonner dans tout le bâtiment. Ils ne le touchent plus, maintenant. Il se contente seulement d'être un peu étonné quand ils s'arrêtent brusquement ; une part de sa curiosité morbide se demande alors si ils ont vu leurs souffrances abrégés ou si ils se sont simplement évanouis. Il arrive un moment où le corps lâche, de toute façon. Le tien ne tenait que grâce aux années d'entraînement militaire qu'il avait supporté, et vu les tremblements qui agitaient ses muscles quand il essayait de bouger ne serait-ce qu'un peu, il commençait à douter de sa ténacité sur le long terme.

Son regard bleuté délavé s'est fixé sur les quelques gouttes de sang qui continuent de descendre le long de ses bras. Inexpressif, il les observe sans vrai but, se contenant de s'occuper comme il le peut par des pensées vagues et éparses. Son sacrifice a-t-il servi à quelque chose ? Ou comme chacune de tes décisions, n'a-t-elle servie à rien ? Il n'aura pas de réponses à sa question, contrairement à ce que croit savoir Mikael. Clive le laisse se démener si il le souhaite, et i lui accordera du temps pour que celui-ci ne se sente pas coupable éternellement, mais cela fait longtemps qu'il n'a plus un seul gramme d'espoir. Il n'en a jamais eu, en réalité, et c'est d'ailleurs pour ça qu'il a accepté de rejoindre le Régime quand la situation de sa famille était déjà catastrophique. Il savait sur quoi tout cela allait déboucher et ne considère maintenant plus que comme spectateur de ce qui lui arrive. Fatigué, il posa son menton sur son bras le moins affaibli pour tenter de se distancer de tout cela, d'imaginer quoi que ce soit de plus agréable mentalement.
L'odeur rassurante des petits plats de son père, la douceur du chant de sa mère lorsque celle-ci avait encore le cœur de le faire, les gazouillis joyeux de Felix et d'Elliot quand ils n’étaient même pas en âge de se mêler d'un quelconque conflit politique. La voix enjouée de Faust qui lui proposait une autre activité potentiellement dangereuse et irresponsable, et les beuglements d'Isaac, noyés sous son accent encore trop fort pour qu'on puisse comprendre ne serait-ce qu'une seule phrase. Il n'avait jamais vécu dans le passé, mais il avait toujours espéré pouvoir le retrouver ne serait-ce qu'un peu. La réalité avait toutefois le talent de se rappeler à lui bien rapidement, ne serait-ce qu'à leurs anniversaires.  Et malgré ses tentatives, il ne pouvait pas non plus oublier ce qui était en train de lui arriver.

La porte de la cellule s'ouvrit. Nullement surpris, Clive fronça néanmoins les yeux ; le médecin qui venait se charger de vérifier les plaies des prisonniers ne passait pas directement après, normalement, il faisait sa ronde à une heure précise seulement. Et il doutait que ce soit Mikael, puisque celui-ci devait à chaque fois utiliser de moyens retors et ingénieux pour arriver à le rejoindre ne serait-ce que durant une dizaine de minutes. Non, il s'agit d'un simple soldat qui portait sur lui une bassine d'eau et quelques serviettes à l'air relativement propres et sèches ; un miracle par ici, où tout avait la sale tendance à être couvert de sang. Néanmoins, lorsque le soldat releva son masque, Clive ouvrit de grands yeux ébahis puisqu'il put enfin reconnaître le nouvel arrivant. Les cheveux blancs auraient dû tout lui indiquer dès le départ, mais...

« Radius... ? »

Son assistant lui offrit un maigre sourire triste. La lueur peinée dans son regard ne disparut pas lorsqu'il aperçut les innombrables traces de blessures sur le corps de son collègue. L'albinos s'approcha lentement et se mit à genoux pour être à la hauteur des yeux du prisonnier.

« Salut, m'sieur Nero. »

Un rictus caustique se dessina sur le visage de l'ancien officier.

« Ne m'appelle pas 'monsieur'. Je ne suis plus ton supérieur hiérarchique. »

L'expression indignée sur le visage du plus jeune à l'entente de cette proposition eut le mérite de faire rire le châtain, au moins.

« Hors de question ! Ce n'est pas parce que vous êtes faussement accusés que je vais me mettre à vous enfoncer ! 
- Tu ne devrais pas être là.
- Pas vraiment, mais... »


Le soldat eut l'air gêné, un peu mal à l'aise, alors qu'il baissait les yeux.

« En fait, les gars et moi on a décidé que quelqu'un devait venir, et c'est tombé sur moi. On voulait juste, enfin... »

Tandis qu'il parlait, il demanda par un regard rapide si il pouvait nettoyer ses plaies, ce que Clive lui accordait d'un simple mouvement de tête. Il paraissait chercher ses mots et le hérisson n'allait pas le pousser, vu son état de fatigue, à s'exprimer plus rapidement.

« On croit en vous, m'sieur.
- J'ai dit de ne pas-
- On est sûr et certain que vous avez rien fait. Alors on voulait juste vous aider au moins un peu. »


Perplexe, il ne put s'empêcher de sourire un peu, attendri par toute l'affection qu'il voyait. Bien sûr qu'il était fier d'eux et de ce qu'il avait fait de ces soldats tout aussi perdus que lui, mais il n'aurait jamais osé penser qu'ils auraient contredit la hiérarchie par simple sympathie pour sa misérable personne.

« Azazel nous a même laissé envahir les supérieurs de lettres et de réclamations. Vous auriez dû voir Voyce ! Elle a carrément tagué des murs ! »


Son sourire était devenu plus mesquin cette fois ; il ne pouvait tout simplement pas dissimuler le fait qu'imaginer la jeune femme se démener comme un diable pour pourrir la vie de quelques bureaucrates l'amusait plus qu'un peu. Pour avoir été la victime de ses offensives, il ne savait que très bien à quel point elle pouvait se montrer convaincante quand elle le voulait... Et il aurait presque eu pitié des pauvres fous qui se trouvaient sur son chemin. Presque, si il n'était pas actuellement en train de se faire torturer tous les jours dans ce qui aurait pu être appelé l'enfer sur terre.

« Enfin, euh, elle l'a vite payé ça mais... Si nous on lâche pas, faut que vous teniez !
- Depuis quand est-ce que vous écoutez Azazel, vous tous... ? »


Le rire joyeux de Radius fut la première chose qui le tira de sa torpeur, et lui fit se dire que peut-être, peut-être seulement, qu'il commençait aussi un peu à y croire.

-

C'est le troisième compagnon de cellule qui ne revient pas, cette semaine. L'odeur du sang lui agresse toujours les narines, si bien qu'il a l'impression de ne plus rien sentir d'autre. Même la bouillie infâme qu'on lui donne comme nourriture ne lui permet pas de se distraire de cette puanteur métallique.  Mécaniquement, il a pris l'habitude de compter les minutes parfois, ou d'utiliser tout ce qui reste pour tapoter sur les murs et la porte. Ses cuillères ne sont pas des instruments de musique parfait, mais elles ont au moins le mérite de lui permettre de se divertir juste un peu. Et sachant qu'il ne peut absolument rien faire, c'est déjà ça.

Sa résistance mentale commence à faiblir, il le sait. Il a perdu le compte du temps qui passe depuis quelques jours déjà ; de ce qu'il sait, il s'est écoulé au moins quinze jours. En comptant le fait que certains tortionnaires ne venaient qu'une fois, que ce soit le matin ou le soir (un cadeau de 'bonne nuit', en somme), il a supposé que l'attention qu'on lui accordait commençait à faiblir. Malgré ses provocations et ses tentatives pour leur faire croire qu'il y avait encore anguille sous roche, ils devaient peu à peu se rendre compte qu'il ne faisait que se foutre d'eux. Seuls ceux qui avaient vraiment envie de lui faire mal personnellement finissaient par rester ; tous ceux qui '''travaillaient''' avec un but professionnel seulement étaient bien vite partis.  
Il a conscience que si son corps ne lâche pas en premier, c'est son esprit déjà bien endommagé qui finira par craquer. Il ne sait même pas par quel miracle il parvient encore à conserver un certain sens de la réalité, d'ailleurs. Sûrement que s'emmitoufler sous des tonnes de protections mentales et de défenses à longueur de temps avait fini par l'endurcir bien plus qu'il ne l'aurait pensé.

« Donovan. »

Il n'ouvre qu'un seul œil alors qu'une femme rentre dans la cellule, accompagnée d'un chariot sur lesquels se trouvent une demie douzaine d'objets contondants et tranchants. Clive leva les yeux au ciel.

« Apprenez au moins à vous concentrer sur une spécialité, quitte à échouer à la tâche. On ne vous a pas appris ça durant votre service ? »

Comme seul réconfort il trouvait un tout petit peu de plaisir à narguer ses geôliers ; c'était peut-être la seule chose qui lui restait. Et là encore, ça ne durerait qu'un temps. Un rictus jaune s'afficha sur son visage alors qu'il entendait un couteau gratter l'acier pendant que la jeune femme se préparait.
J'espère pour toi que tu seras pas trop déçu, Mika, mais je crois que je commence à manquer de volonté.
Au moins, il allait tenter de se retenir de hurler cette fois, si il y arrivait.
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