Stains of Time III

« Faust, bouge ! »

Isaac saisit sans ménagement son meilleur ami par l'épaule pour le faire brusquement reculer sur la gauche, tandis que Merlin, son Gallame, se plantait devant eux pour les protéger. Le souffle court, le suédois poussa un grognement en constatant que le conseiller n'avait pas mouché, et n'avait même pas esquivé un mouvement pour se défendre. Il tenta de le sortir de sa torpeur par des coups sur la tête, mais rien y fut : le hérisson le regardait simplement avec des yeux vides, un air fatigué et las, un rictus jaune sur son visage.

« Hé bien quoi ? C'est une réaction normale, ça.
- Elle a essayé de te tuer, putain de merde, espèce de pauvre débile ! Qu'est-ce qui t'as pris ?! »

Faust ne protesta pas, mais n'eut pas l'air d'avoir envie de se défendre. Le psychologue, agacé, pesta et dirigea de nouveau son regard vers leur agresseuse. Si Merlin la retenait bien, avec des difficultés quand même, ils ne faisaient que gagne du temps. Bien sûr que le Gallame était un pokémon de combat, donc avec plus d'expérience que son adversaire, mais elle compensait ce qu'il lui manquait en expérience par de la rage pure. Le jardin de la maison était devenu un véritable champ de bataille.

« Kaede, arrête ! »

La Jungko qui se tenait devant eux n'avait rien de la femelle, certes distante et moqueuse, mais prévenante et sage qui se tenait autrefois toujours dans l'ombre de son dresseur. En l'observant toujours d'un œil attentif, elle était prête à devenir sa lame dès qu'il le demanderait, sans qu'il ne l'ait pourtant jamais fait. Une sorte de guerrière dévouée, protectrice mais respectueuse et admirative qui veillait autant sur la sécurité des proches que des connaissances. Dès son enfance, elle avait séché les larmes et apaisé les explosions de rage d'un gamin fatigué et blessé, l'avait accompagné dans ses changements et ses efforts, l'avait ramené à la raison quand il commençait à perdre le fil, sans jamais faiblir. Si elle prenait un coup, elle se relevait, se débattait comme un diable avec l'énergie du désespoir et s'arrangeait pour s'en sortir. En un sens, c'était devenu un modèle de force pour beaucoup dans l'équipe de l'éleveur, voir même pour l'adolescent lui-même qui se trouvait toujours revigoré par la détermination phénoménale de la Jungko.
Mais cette détermination, justement, paraissait se concentrer sur un tout autre objectif. Les yeux brûlants de colère et de rancune, ses lames affûtées illuminées par un éclat menaçant, ses iris verts meurtriers sont fixés sur le conseiller, et aucun mot ne semble l'atteindre. Sans laisser la moindre seconde de pitié à son opposant, elle enchaîne les attaques, toutes aussi puissantes les unes que les autres. En voyant Merlin reculer, l'air fatigué, l'homme aux cheveux noirs grimaça. Il hésitait, mais devant l'urgence de la situation, il ne pouvait pas éternellement rester pacifiste. Sans plus attendre, il décrocha une autre des balls à sa ceinture et en libéra son Lucario. Si le renard parut confus par ce qu'il voulait, il cessa vite de se poser des questions quand il vit la Jungko se précipiter vers eux.

« Dégage. C'est à moi qu'elle en veut.
- Par pitié, si tu fermes pas ta gueule de pseudo victime-héros brave c'est moi qui vais finir par te buter ! »

Le cri furieux du suédois fit grimacer le conseiller qui eut au moins le mérite de fermer son clapet. Ils entendirent alors un grondement mauvais qui les fit tressauter par réflexe, et Isaac jura plusieurs fois.

« Oh c'est vrai, on avait pas besoin de celui-là non plus... »

La façon dont le Luxray avançait ne leur disait rien de bon. Hayato poussa un grognement sourd et menaçant, fusillant du regard la Jungko qui n'accordait pas vraiment d'importance à son air  mécontent. Le lion de foudre gronda dangereusement, des étincelles d’électricité se faisant déjà voir à quelques centimètres de son pelage ébouriffé.
Si Isaac avait déjà vécu des situations bien plus dangereuses que ça, il devait avouer qu'il y avait quelque chose d'effrayant à voir ces deux colosses suintant de puissance s'affronter pareillement par leur simple langage corporel, sans pour autant faire le pas, à l'air presque inévitable maintenant, qui les emmènerait vers un conflit direct. Faust fronça les sourcils.

« Qu'est-ce que tu fais là, Hayato ? T'as pas envie de me buter non plus ? Pourtant, tu- »

Furieusement, le Luxray gronda sur le conseiller, l'air colérique. Il poussa un rugissement grave et débordant de hargne, faisant immédiatement taire le dresseur. Si tout le langage corporel du pokémon électrique, que ce soit ses dents découvertes, son museau renfrogné, la lueur colérique dans son regard ou même le fait qu'il semblait lui ordonner de se taire, criait qu'il était agacé et énervé, celui-ci ne fit pas de pas en direction du hérisson. Il avait apparemment juste voulu provoquer son silence. Isaac ne put s'empêcher un rictus jaune.

« Même le taré excessif pense que tu racontes des conneries. Wow.
- Ferme-la, Peterson. »

Il avait dit ça sur le ton de la plaisanterie, mais Faust n'était pas d'humeur à l'humour, et hormis un regard noir auquel le suédois était habitué, il n'avait fait naître chez lui aucun rire. Le nœud dans sa gorge n'a pas disparu, son visage s'est fait inexpressif et ferme tandis que ses yeux suivent la Jungko. Son mutisme ne rassure pas le suédois qui soupire, fatigué de tout ça. Sa patience arrive à son bout, et il serre les poings, exaspéré de toute cette stupidité, épuisé par l'inquiétude, de devoir tenir tout le monde à bout de bras, de devoir faire comme si il allait bien, d'assurer un peu de stabilité pour des imbéciles qui se croyaient capables de résister.

« T'as fini ton délire de macho-man, on peut parler maintenant ?
- J'ai dit-
- Rien à foutre, tu vas m'écouter.. »

Près d'eux, Ulysse et Merlin se virent repoussés par des étincelles en provenance d'Hayato. Le Luxray grogne, refusant catégoriquement qu'on se mêle de ce combat. La Jungko pesta face au lion de foudre, lui ordonnant par un seul air de bouger, ce qu'il refuse de faire. Pour accentuer la provocation, il fit un pas vers elle, les dents visibles.
Isaac expire.

« J'en ai ras le cul de tes putains de conneries, Donovan. Tu peux faire le fort en essayant de faire croire à tout le monde que tu supportes mais t'es tellement putain de pathétique que t'espère presque qu'elle te frappera, c'est ça ?
- ...
- Ouais, bien sûr. MONSIEUR Faust le sauveur, le grand, le brave, il ne pleure pas et il n'est pas faible. Mais il va provoquer une Jungko désespérée pour avoir une excuse qui lui permettrait d'évacuer sa douleur en se faisant tabasser.
- Je-
- Je t'ai dit de fermer ta gueule, oui ou non ? J'en ai MARRE. Marre de te voir faire le fort quand t'es tout aussi putain de paumé et déprimé que nous. Alors soit t'arrêtes tes conneries et tu assumes, soit je me casse. »

La menace parut faire effet sur le conseiller, vu que celui-ci écarquilla les yeux, surpris, et au grand bonheur d'Isaac au moins un peu horrifié, de ce qu'il voyait dans ses iris.
Je vais peut-être réussi à lui faire comprendre quelque chose. Foutu miracle.
À côté, la Jungko avait fini par se jeter sur le lion, lames en avant, un grognement sourd résonnant dans sa gorge. Le Luxray la saisit avec ses dents afin de la renvoyer en arrière. Elle ne fut pas si surprise que cela et retomba sur ses pattes avec une agilité digne des membres de son espère, prit de l'élan et se projeta sur Hayato. En même temps, elle avait fait naître dans ses mains une boule brunâtre, débordante de puissance. Le pokémon électrique fut envoyé en arrière par une attaque Exploforce aussi brutale qu'elle en avait l'air. Quand Ulysse voulut intervenir, un éclair tomba à quelques centimètres de lui, le condamnant à l'immobilisme.

« Ça suffit. »

Kaede siffle, menaçant d'un regard son compagnon de se tenir éloigné, avec une menace qu'elle ne prend même pas la peine de formuler. Le Luxray se relève, pourtant, grommelant, son regard doré fixé sur son adversaire. La foudre gronde derrière lui, et des éclairs éclatent dans le silence de la soirée, perçant le fin voile de calme qui existait encore.

« Ce n'est pas ta faute, Faust. Ça ne l'a jamais été. »

De la fourrure du Luxray s'échappent plusieurs fils d’électricité qui pourchassent alors la femelle. Celle-ci tente d'esquiver, mais alors même qu'elle saute vers l'arrière, son regard de combattante aguerrie posée sur ceux-ci, elle se fait surprendre par des éclairs venant dans son dos. Elle sursaute et pousse un cri de douleur, surprise, avant de serrer les dents. Mauvaise et rancunière, elle feule en direction d'Hayato qui lui répond par un rictus arrogant, fier. Même si elle le cache avec un courage et une fermeté exemplaire, l’électricité statique qui la parcoure ne ment pas : la paralysie s'est bien installée.

« Tu ne peux pas continuer à te croire coupable. »

Le châtain ne répond plus depuis quelques minutes déjà. Le regard baissé, il ne semble pas montrer de signe qui pourrait faire croire qu'il a même entendu ce que lui dit son meilleur ami. Le suédois l'observe avec des yeux lourds, fatigué, beaucoup moins agressif qu'il ne l'était tout à l'heure. Il regrette toujours cette méthode, mais il y a jamais eu avec Faust d'autres moyens de lui faire entendre raison. En tous cas, si il en existe, il aimerait les connaître, car il déteste la sensation de culpabilité qu'il ressent à chaque fois qu'il aperçoit cette lueur dans les yeux de son vieil ami.
Kaede et Hayato se sont ralentis. Si la Jungko semble toujours aussi enragée, ses mouvement sont plus lents à cause de la paralysie, et elle expire et inspire lentement, essoufflée. Le Luxray esquive sans trop de mal une Tempêteverte qui n'est qu'un échantillon de ce qu'elle pourrait être à pleine puissance. Le lion électrique semble s'être calmé, observant avec lassitude la femelle qui peine à rester debout.

« C'était ma responsabilité, 'saac. »

Le brun cligna des yeux, surpris, avant que toutes traces de colère et d'agitation ne disparaissent définitivement de son visage, remplacées par une peine palpable.  
Hayato s'avança lentement vers la Jungko, et quand il fut près d'elle, posa son museau contre sa tête, ignorant ses blessures et les tremblements dans ses jambes fatiguées. Kaede croassa piteusement, et n'essaya même pas de porter de nouvelle offensive.

« Ce n'est pas de ta faute si Natsume a disparu. »

Il ne sait pas si Faust avait besoin de l'entendre ou si il avait suffit que cela arrive à ses oreilles pour que quelque chose éclate, mais il était presque sûr que c'était à ce moment même que ce qui lui restait de défenses venaient de s'écrouler. Il le voit rien qu'à sa gorge qui se noue, à ses yeux qui se ferment hermétiquement, à ses muscles qui commencent à trembler, et Isaac poussa un long soupir.

La Jungko, vidée de toute énergie agressive, laissa le Luxray l'aider à se relever, l'air morose et épuisée. La colère qui était auparavant visible sur le visage du lion avait disparue elle aussi, remplacée par une expression de pitié et d'empathie douloureuse.

« Moi, par contre, j'ai deux mots à te dire. »

La voix venimeuse et mauvaise qui parvint à leurs oreilles n'était pas méconnue. Surpris, ils se retournèrent tous plus ou moins brusquement pour remarquer enfin la présence de Nagisa, dont l'air assassin était fixé sur le Donovan. Quand celle-ci se rapprocha, les dents serrées, Isaac n'attendit pas qu'elle soit prête à frapper pour saisir son poing dans la volée. La plus jeune tenta bien de se débarrasser de la prise du psychologue, mais celui-ci siffla rapidement Ulysse pour qu'il s'interpose. Si Nagisa ne paraissait pas contre l'idée folle de s'opposer à un Lucario à l'heure actuelle, avec son visage déformé par la rage, Même la présence de Merlin ne paraissait pas l'effrayer. Isaac savait bien qu'il lui avait au moins fait comprendre qu'elle n'arriverait à rien. Faust s'interposa.

« Laisse-la-
- Faust, si tu l'ouvres encore, c'est moi qui vais t'en coller. Voir deux. »

La japonaise n'en menait pas large, avec ses yeux que l'on voyait rougis rien qu'à deux mètres de distance. Mais elle persistait à ne rien laisser paraître hormis une expression de rancune pure.

« Combien de temps ? »

Le suédois ne lui demande pas de préciser sa question. Il a parfaitement compris.

« Deux semaines. On a essayé de le contacter, mais son téléphone est resté dans sa chambre, et il n'a embarqué aucune affaire avec lui. »

La nouvelle porte un nouveau coup à la jeune femme qui oublie d'inspirer pendant quelques secondes. C'est la première fois, depuis le moment où il l'avait  brièvement entrevue après les événements de décembre 2014, qu'il voyait une expression autre que la colère et l'aigreur sur son visage. Elle grimace, détourne le regard, rassemblant toutes ses forces pour rester neutre et ne pas exprimer sa douleur. La brune se retourna brusquement, sûrement pour qu'on ne voit pas ses yeux qui s'étaient humidifiés pendant quelques secondes.

« Putains d'incompétents. »

Elle paraissait prête à partir, mais Isaac se senti obligé d'intervenir.

« Nagisa, attends ! »

Par miracle, elle s'arrêta quelques secondes, lui adressant un regard furieux et empli de peine. Sa voix acide et glacée laisse comprendre qu'elle ne pardonnera pas qu'on la dérange pour un rien.

« Quoi ?
- Juste... Si tu veux venir avec nous pour essayer de le trouver... On organise des recherches régulièrement, alors si on est plus nombreux... »

Il laisse sa phrase en suspension, sans émettre la moindre formulation qui pourrait l'énerver davantage. Elle mit quelques secondes à répondre.

« J'y réfléchirai. »

Il n'était pas sûr depuis quand est-ce qu'elle avait un Neitram à ses côtés, mais il ne le remarqua que quand il la téléporta au loin, les laissant de nouveau seuls, dans un silence lourd et pesant qui ne faisait que leur appeler la situation dans laquelle ils étaient. Kaede et Hayato s'aidèrent mutuellement pour se déplacer jusqu'à Faust et Isaac. Lorsque le regard du conseiller rencontra celui de la femelle, le hérisson hocha négativement de la tête pour lui faire signe qu'il ne lui en voulait pas. La Jungko baissa le regard. Isaac se décomposa lorsqu'il vit que le plus jeune avait commencé à trembler.
Sans plus attendre, il attira l'autre dans ses bras, et fit de son mieux pour ne pas pester lorsqu'il entendit le premier sanglot résonner dans ses oreilles. Sans nul doute que c'était là le premier de beaucoup pour les semaines qui allaient venir.