« Je pense vraiment que je…. Je ne peux pas… Steven je… les larmes de mes éméraude indulgentes du temps passé me… »

Zzzzzzzz. Oh, merde, non, Steven, c'est moi, je dois rester éveillé, même si j’ai la sensation que la voix de google trad de mon interlocuteur essaye de me faire parvenir des somnifères oraux. Mon regard se perd dans les feuillages de la jungle où nous tournons depuis près de 6 heures désormais.

« Il le faut… Tout ça je le fais pour… Je sais que les prismes de tes sentiments des occultes falaises de troublent encore mais… »

Je crois vraiment que je vais m’endormir debout. Je suis censé me retourner vers lui en cabotinant comme un gros beauf digne du pire des Santa Barbara, car c’est un peu beaucoup ce qu’est ce Telefilm, on va pas se mentir. Sauf que justement, actuellement, tout ce qui me vient naturellement, en restant dans mon personnage, en plus, c’est de soupirer exagérément sans même lui jeter un regard.

« NAGEEEEEEEEEEEEEL!! Bordel de merde, quand est-ce que tu t’en tiendras au script?! »

Oui, je sais que j’étais censé faire une tirade sur la beauté voluptueuse des fleurs dont l’odeur me rappelle les jours de pluie de mon enfance lorsque mon oncle Roberto préparait du porridge au petit matin.. Mais, en fait, je crois que.. C’est de la merde! Respires Alex, respires. Tu aimes ce métier, tu l’aimes presque autant que tes autres loisirs, pas vrai? D’ailleurs, en ce moment-même, n’imagines-tu pas des tonnes de trucs morbides à faire subir à ce connard de directeur débile? Oui, et ça fait un peu de bien.

« Arhem, sauf votre respect.. » Je commence vraiment bien à le contrôler, ce sourire de faux-cuil et ce faux self-control, à force. « …Ça fait environ 2h et 56 minutes qu’on est sur cette scène, que je suis votre script, et que vous êtes insatisfait, M’sieur Delabroutte-- »
« DELABROUETTE! COMME UNE « BROUETTE »!! »
« … Certes. Je me suis dit que je pourrais innover pour.. »
« Innover? ! Tu te fous de ma gueule?! Tu crois que tes caprices de petite diva capricieuse ont ta place ici, pauvre con? Arrêtes de te prendre pour Tarantino alors que t’as à peine l’envergure d’Uve Boll.. Ah si, pour le coup, oui, j’avais oublié que t’étais allemand. Tu crois vraiment avoir des conseils à me donner, à moi, Delabrouette, le roi qui surfe sur le succès de « La Villa des Fleurs Bleues des Jardins de ma Jeunesse », le show débile le plus regardé d’Enola?! »

C’est moi la petite diva prétentieuse, paraît-il, donc. Hm. Cette théorie est intéressante. J’ai beau faire des efforts, je crois que je n’arriverais pas à tenir bien longtemps. C’était effectivement une très belle opportunité de jouer dans ce truc ultra regardé sur l’île, et pour ça, je devrais juste le laisser causer et m’insulter autant qu’il le désire pour satisfaire son égo démesuré.

« Estimes-toi déjà chanceux qu’on t’ait pas recalé au casting avec tes airs de bobo cultivé… On s’en tape que tu aies une culture aussi grande que ta capacité à te la péter, et un pseudo-talent, pauvre péquenaud! On fait du fric! Tu as certainement des idées formidables, mais c’est pas avec ça qu’on perce, dans ce monde! Tu n’es personne, tout le monde t’as déjà zappé depuis l’an dernier! »

Et blablabla, si je n’ai pas réussi cette année c’est certainement la fin de ma carrière à moins que je me tienne tranquille aujourd’hui. Alors, peut-être que dans ses largesses, il me laisserait une autre chance (non.), et que grâce a lui (je crois qu’il vient de jouir trois fois), je pourrais peut-être avoir un millième d’espoir pour continuer. Hm… Parfois je me demande si j’étais aussi insupportable que ça, avant.

« Ok. »
« Quoi? »
« Comptez sur moi pour ne pas avoir de carrière, s’il faut que cette dernière repose sur votre dernier neurone actif. Oh, et sur réserve que je passe sous votre bureau, aussi, car tous le monde le sait, ce que vous en faites, de vos starlettes, sur le tournage, personne ose juste le dire. Je préfère encore tapiner à 5 Opals la passe dans un camping car moisi. En tout cas, merci pour cette leçon de cinéma édifiante. »

J’ai encore du calme artificiel à revendre, mais passé un mois ou deux, je sais déjà pertinemment ce que je ferais cet enfoiré. Du moins, là ou j’en suis actuellement. Je croiserais certainement d’autres défis bien plus gratifiants d’ici là. Car là… je ne sais même pas si ça en vaut la peine. En ignorant les nouvelles engueulades à base de « pour qui tu te prends petit prétentieux, tu n’as plus aucune chance dans ce monde, j’ai le bras très long, je vais te faire radier de tous les castings, etc… », je ramasse ma veste que je pose sur mon épaule et tapote la balle dans laquelle se cache Wagner, qui se contente de gueuler à ma place un bon coup et faire taire l’imbécile.

Je parcoure ainsi un bon kilomètre à travers les bois jusqu’à bien me perdre, et m’arrête pour gueuler à mon tour à m’en casser la voix. Mais quel monde de merde.

Probablement n’aurais-je pas du faire ça, en effet. C’est certainement un très mauvais choix, après cette année passée bien trop vite, de compromettre une pseudo-carrière pour un pauvre connard persuadé d’être un génie. J’imagine que je suis trop orgueilleux, et que je ne peux décemment pas m’écraser quand je sais que je vaux mieux que ça. Enfin, mon ego, je ne peux pas vivre sans, ça se saurait sinon. Je veux bien que ces histoires de castings, de séries Z et de téléfilms, ça demande de se mettre de côté. Je travaille dur pour ça, mais je n’ai pas bénéficié des opportunités que j’espérais et que je poursuis depuis plusieurs mois. Et je viens probablement de me flinguer tout seul par orgueil. Tout passe trop vite, j’ai pris ce qu’on me donnait, et j’ai fait le maximum, mais je n’ai pas tellement avancé. Je ne peux pas juste inventer sans rien.

Peut-être est-il temps de faire le point sur cette dernière année. Stagnation, une fois de plus. Stagnation familiale, avec Ludwig et Riku ; stagnation professionnelle, cette dernière expérience en est la preuve. Et pas seulement là, au Régime, aussi, on ne peut pas dire que ce soit la joie de bosser en étant fliqué à ce point depuis des mois. On me retire des libertés au boulot, je n’exerce plus comme avant, j’ai la sensation d’être au milieu d’un étau que les supérieurs s’appliquent à resserrer avec subtilité. Il se trame quelque chose et si je ne remets pas en question mon engagement dans ce travail, je commence à trouver que ça pue, et qu’il faudrait penser, même si ça ne me plaît pas, à trouver une échappatoire. Le souci, c’est que maintenant il y a aussi un gamin de 6 ans en jeu, tant qu’il m’en coûte de l’admettre. Et faire le con devant une caméra n’est pas forcément la bonne idée non plus. Quelle brillante initiative de m’afficher quand des tonnes de gens veulent ma peau. J’en ai déjà subi les conséquences, heureusement que j’ai toute une armée sur laquelle je peux compter.

J’ai envie de continuer. Au pire, on verra bien, peut-être que tenir tête à une telle « personnalité » (le mot est un peu flatteur) jouera aussi en ma faveur. Un tel type a forcément des ennemis dans le milieu. Je préférerais toutefois être engagé pour mon talent, mais être engagé pour sa grande gueule, c’est pas trop mal non plus. Et à propos de grande gueule…

« ‘Vooool! »
« Eh bien, mon frère. Ta petite personne prétentieuse n’est pas du genre à descendre sous les arbres, d’ordinaire! »

Chris roule des yeux en se pendant à un des arbres de la jungle, imitant les airs que je me donne avec mes grandes phrases. Ca fait toujours plaisir de le revoir après parfois plusieurs semaines d’escapades. Finalement, c’est toujours lui qui vient me trouver le premier. Wawa congratule son senpai grande gueule en aboyant bêtement, et ils discutent en se piaillant dessus, et moi, je regarde passer les Zigzatons défoncés. Sans transitions, il faut que je continue de mieux assurer mes arrières. Je sais que Ludwig ne risque rien actuellement, il est chez ses tonton et tata fermiers favoris pour le week-end. Soltan fait toujours la gueule quand je leur laisse pour plus de 48h, l’air de dire que je n’assure pas franchement. Possible. Je ne peux pas être inactif à juste surveiller un gamin, moi, il me faut bouger de mon côté. Pas comme si le gamin était à plaindre non plus, et il faudra bien qu’il apprenne l’indépendance et supporte la solitude, un jour, même si pour lui, c’est encore un peu tôt.

Je pense que je ne vais pas m’attarder plus que ça à faire le point sur ces 12 derniers mois. Je l’ai déjà trop fait en ruminant et en désirant retourner dans le passé (désolé pour Ludwig), et àa chaque fois, ça me sape le moral et me fait des fois regretter ma liberté passée. Mais la liberté n’allait pas sans une forme d’insouciance assez stupide et immature. Cette absence de méfiance me man que des fois, car je ne profite pas des choses de la même façon ? Mais probablement est-ce un peu ça, devenir adulte, juste un peu. Sans me remettre en question, j’ai du recul sur mes actes, plus de contenance et de raisonnement. Ludwig a certainement pu m’apporter tout ça, indirectement. La vie change, c’est tout, il faut que je m’y fasse, le monde ne va pas tourner selon mes désirs, contrairement a ce que j’imaginais encore, il y a deux ans, après avoir été trimballé dans la boue par une certaine Solène Weber.

Et quand je vois Chris, je me au contraire, que certaines choses restent aussi comme elles ont toujours été, et ça me rassure. C’est un peu paradoxal de dire que la présence de ce scorpion volant débile et anthropophage me rassure, mais bon, qu’est-ce que la logique, dans le cerveau d’un Nagel. En sentant mon regard fixé sur lui, Christopher se retourne et me jauge étrangement, interrogatif. Se soucis-t-il de moi, maintenant? Je ne me fais pas d’illusions s’il me voyait mort, je crois qu’il penserait à son estomac en premier lieu. Je me relève pour repartir à travers bois, esquivant de justesse un Tarsal-Tarzan, qui se ramasse finalement dans la tronche de Chris. Oh. Je ne donne pas cher de la peau de cette pauvre bestiole innocente. Je continue mon chemin en me berçant des bruits et des cris glauques provenant de derrière moi. Chris lâche ne plus un rot très sonore qui me fait l’observer d’un air faussement blasé. Tout ça me fait penser que je retournerais bien aller me faire une exploration sauvage de survie quelques temps. Eh, qui sait, ce trouillard de Ludwig accepterait peut-être de faire du camping, si c’est avec moi, pendant les vacances! Je camoufle un sourire satisfait. Peut-être pourrais-je trouver un terrain d’entente et d’équilibre avec ce gamin, finalement.

Je trouve Chris récemment drôlement jouasse. S’il reste une affreuse bestiole bête et méchante, il a de ces périodes ou il semble tout guilleret. N’allez pas imaginer qu’il se met d’un coup à être tout câlin ou quelque chose du genre. J’ai des bestioles atrocement tactiles parmi mes alliés, mais celui-ci n’en fait pas partie. Quoique élastiquement, mis à part Irma qui est du genre maternelle et affectueuse avec tout le monde, et Lizbeth et Elijah, surtout adorables avec Ludwig (oh, et Berthold, mais lui, c’est dans un autre style), mes Pokémon sont un peu tous comme moi : des gros paumés coincés du bulbe. Ou des brutes qui se la jouent insensibles. Oui, en effet, ils sont exactement comme moi. On peut dire que je les ais bien choisis.

Le Scorvol se lasse vite, néanmoins, et tout comme moi, le calme ne lui convient pas longtemps. Vivement, un éclair passe dans son regard, comme s’il venait de sentir un gibier intéressant. Je cligne des yeux en le regardant s’envoler de nouveau. Puis, alors que mes pensées vagabondaient ailleurs, je perçois à mon tour une présence. Avec mon attitude nerveuse réactive habituelle, je fais volte face, ma main instinctivement portée à ma ceinture. Puis, j’ai un nouveau clignement d’yeux en apercevant là.. Un humain. Hm. Je m’attendais à tout sauf à ça, pour tout vous dire, ça doit être mon côté associable.

« Ah, content de vous retrouver, vous êtes parti un peu vite tout- »
« Mais t’es qui, toi? »

Ma mémoire des visages est assez irrégulière. C’tait un type présent sur le tournage de tout à l’heure, j’imagine? Sinon, il ne parlerait pas de mon départ. Je plisse les yeux, non sans perplexité. Cela m’étonnerait que Delabroutte ait demandé à ce qu’on aille me chercher, vraiment. Aucune chance.

« Normal que vous m’ayez pas remarqué, haha! Je suis un des types qui se planque toujours derrière sa caméra et… »
« Qu’est-ce que tu veux? »
« … Ce que je.. euh… »

Je lève les yeux au ciel. Que veut cet empoté? Pas envie d’une situation awkward de plus. Je repars sur mon chemin au côtés de Wagner qui ne prête pas plus attention que ça à l’arrivant au regard naïf.

« .. Eh… Attendez, m’sieur Nagel! Laissez-moi vous parler de deux-trois trucs! »

Le ralentis le pas, et dirige mon regard sur lui, pour le fixer. Il a interêt à ce que ce soit intéressant.

« T’as 7 secondes 64 centièmes. »
« Non mais, c'est… »
« 6 secondes 25 centièmes. »
« …! »

En le voyant ainsi déstabilisé, je ne peux m'empêcher d'afficher un sourire amusé.