Il est à peine 9 heures, et le téléphone sonne. Julianne grogne et il lui prend toute les peines du monde à se trainer jusqu’au fixe qui ne veut plus s’arrêter de lui hurler dans les oreilles… Quelle idée de lui avoir mis le générique d’Evangelion version Nightcore pour être certaine qu’elle l’entendrait même complètement absorbée dans ses activités. Au moins, on peut dire que ça marche, et que c’est tellement casse-pied, que l’ingénieure va au moins décrocher à coup sûr pour que la torture s’arrête. La voici qui décroche, et dans un élan de générosité… qui commence à s’adresser à la personne dans le tuyau du combiné.

« Allocchéki? »
« Ah, bah je savais bien que tu décrocherais! »
« ….. »

Oh non…

« … P’pa, qu’est-ce que tu veux, là? Il est même pas 9h du mat... »
« Quoi, tu n’es pas réveillée?! »
« Jour de congé, p’pa... »

Non, non, non.
La Julianne a vraiment un très mauvais pressentiment. Pas parce que son père l’appelle, ça c’est de temps en temps. Mais il y avait ce ton sournois caractéristique dans la voix de Zlatan qui laisse très facilement présager qu’il a quelque chose derrière la tête, et ce qu’il dirait prochainement ne serait pas spécialement une bonne nouvelle. Ou alors, une bonne nouvelle, mais qui arriverait vraiment trop tôt pour l’ingénieure enceinte.

« Bah, le jour appartient à ceux qui se lèvent tôt, allez, debout, je t’attends en bas. »
« QUOI?! EN BAS? OU CA EN BAS?! »

Clac. Julianne fixa le combiné avec le regard le plus furieux du monde à cette heure ci avant de se poser la question logique de « qu’est-ce qu’il fout là, cet abruti? ». Elle pourrait aussi bien se rendormir et ignorer ce coup de fil. Mais l’autre serait capable de rentrer quand même, du peu qu’elle le connaît. Non, il le ferait. A-t-elle vraiment le choix, donc? Enkidudu vint jusqu’à la chambre pour interroger sa maitresse sur les cris qu’il avait pu entendre. Julianne se leva péniblement en tenant d’une main son ventre arrondi, comme de peur qu’il ne tombe dans ses chaussettes, et fila se réveiller sous la douche. Sortie en dix minutes, elle prépara son café en compagnie de ses Pokémon, tout en demandant à Laputa d’aller surveiller si son énergumène de père se trouvait vraiment au bas de l’immeuble. Car elle avait l’espoir qu’il se soit trompé, et qu’elle n’ait pas à lui tomber dessus juste en sortant.. Et que lui tombe sur sa condition de futur papy tout de suite, et commence a lui poser des milliards de question. Car Rei avait eu la discrétion de ne pas être trop curieuse (donc elle avait quand même été) mais Zlatan, disons que c’est une tout autre histoire. Julianne se crispa donc quand l’Airmure revint pour lui rapporter une réponse affirmative. Par la cicatrice d’Albator, elle est dans de beaux draps... Et, finalement, de furent Ekidudu et Gat, ses plus vieux alliés, qui la poussèrent vers la sortie une fois qu’elle fut prête, et Buster lui tendit son sac de sortie qu’il avait préparé, conformément aux habitudes de sa maitresse, avec encore plus de soin maintenant qu’elle est enceinte. La jeune femme borgne eut beau implorer qu’il la laisse, qu’elle ne voulait pas y aller à la façon d’une enfant de 8 ans, mais les Pokémon savaient bien ce qu’il lui importait le plus, même si son courage était tombé dans ses chaussures.

Et en quelque minute la voici en bas, et on dirait que le psychologue ne l’a pas vue arriver, trop occupé à parler de relativité du temps avec sa Xatu, visiblement lassée. L’ingénieure sursauta et se réfugia derrière Enkidudu quand son père se retourna vers elle. Ce dernier ne sembla pas découvrir la « chose » gênante  tout de suite car il commença par lui sauter au cou pour faire à Julianne la plus grosse honte de toute sa vie. Et c’est là qu’il remarqua que sa fille avait « un peu grossi ». Son regard commença a fixer le ventre, et fit des allers-retour entre le visage de sa fille et la protubérance, embarrassant encore plus cette dernière.

« Juju, pourquoi tu ne m’as pas dit que j’allais être papy? »
« …. Ta gueule, pas de commentaires. »
« Eeeeeeeeh! »
« J'ai besoin de me réveiller, j’t’expliquerais plus tard! »
« Maieuuuuuh…. »
« Demandes à ton piaf de nous téléporter, plutôt, j’ai besoin de prendre l’air. »
« Hein? Mais tu veux aller où? »
« J’en sais rien. Un endroit ou y’a un plage et la mer. »
« Oh, on peut aller à Nuva Eja?! »
« …Si tu veux. »

Content comme un chiot, le psychologue transmis le message à la Xatu ,et Julianne l’informa de l’endroit où ils iraient. Les voici donc arrivés sur le littoral de l’île de la compétition, et Julianne fit quelques pas pieds nus dans le sable pour se détendre de la présence intrusive de son paternel.

« Donc, je peux poser mes questions, maintenant? »
« NON! Deux minutes, bordel! Laisses-moi respirer, t’es relou! »
« Roooooh, pfff… Au moins j'ai demandé... »

S’il y avait un moyen de débarrasser son père de ses cordes vocales pour qu’il cesse de parler et de poser des questions sans cesse, Julianne exploiterait la chose ici et sans délais. Honnêtement, ce type prend visiblement toutes les peines du monde à se taire quelques minutes. Alors que Julianne, elle, au contraire préfère se taire pour ne rien laisser paraître et réfléchir par elle-même. Comment Zlatan peut-il assumer à point de nommer tout ce qu’il lui passe par la tête de la sorte, n’a-t-il pas honte, à la fin? S’il a tant d’idées, il ferait mieux de les garder pour lui quand ça n’intéresse pas les autres… Ou que ces derniers n’ont pas envie d’être la cible de sa curiosité. La vue d’un Tentacool en train de nager avec application détourna un peu l’ingénieure encore dans le cirage des facéties de son paternel intense. Ironiquement, ce fut elle qui posa les questions en première, finalement.

« Mais qu’est-ce que tu fous là, toi, d’ailleurs? »
« Et j’ai pas le droit de poser des questions, moi? »
« Mes questions à moi sont pertinentes, alors réponds! »
« Tout est relatif, tu sais. Honnêtement les questions sur ton ventre sont tout aussi pertinentes. »
« Je ne veux pas répondre à ces questions. »
« Donc ce n’est pas du jeu. Je ne réponds pas à tes questions si tu ne réponds pas aux miennes d’abbord. »
« … Inutile, je crois que j’ai compris. »
« Hein? »

L’ingénieure exaspérée se laissa aller à un rire sournois et hautain en observant Zlatan qui ne semblait pas très bien prendre la situation, mains sur les hanches et fixant sa fille biologique avec un regard et une moue de reproche dissimulé derrière ses mèches de cheveux.

« Ta copine t’a encore fichu dehors, c’est ça, hein? T’es vraiment qu'un emmerdeur, ça m’étonne même pas! »
« Et toi alors, tu fous pas tout le monde dehors depuis que t’es enceinte?! »

Julianne fusilla le psychologue du regard et se détourna de lui pour tracer sur la place, le dos vouté et le regard rivé au sol. Dent pour dent, hein? Si cette discussion devait tourner au dialogue de sourd (comme dans 97% des dialogues qu’on a avec Zlatan ou Julianne Eriksen, ne nous voilons pas la face), soit. Mais la future jeune maman n’en avait pas envie.

« Qu’est-ce que t’es con, des fois. »
« Hem... Juju? »
« FOUS-MOI LA PAIX, TOI! »

Le psy ouvrit la bouche pour dire quelque chose et se reçut imédiatement un regard de mirador en furie. Julianne surveillait le moindre de ses propos irritants au tournant, prête à lui sauter au visage si il continuait d’être aussi casse-bonbon.

« Si tu dis un seul truc sur mes hormones, je te jures que je te tue. »

Pour une fois, son paternel ne répondit rien. Il lui avait fallu du temps pour comprendre le moment de tranquillité que lui demandait sa fille, mais voila qu’il se résignait finalement, s’arrêtant de marcher à ses côtés pour lui laisser du large, geste que Julianne sembla apprécier malgré tout. Zlatan n’a jamais été très habile avec les relations humaines, au point d’en devenir totalement envahissant, cela sans s’en rendre compte avant de pousser les gens un peu à bout de nerfs. Un gaffeur professionnel comme lui, c’est mieux de le recaler d’une bonne engueulade. Pas qu’il aime ça, mais il a du s’habituer à supporter ce genre de revers, et en cela, il comprend bien l’attitude de Julianne à son égard. Après tout, c’est la première fois… enfin, techniquement la deuxième fois qu’ils se rencontrent en face à face. Lui et sa manie de déclencher des rencontres improbables avec son caractère souvent un peu trop insouciant et rentre dedans. Voir tout d’un coup son père apparaitre devant elle devait être difficile à avaler pour sa fille, désormais devenue une jeune femme de 28 ans, et enceinte jusqu’aux dents. Pourtant, c’est elle la première qui brisa le mur de silence derrière lequel elle s’était planquée une nouvelle fois.

« On aurait du se rencontrer plus tôt, tu sais… »
« Probablement, oui. Ce n’est pas ta faute, hein. »
« C’est la faute à personne, j’ai suffisamment eu du mal à digérer le truc pour finir par me résigner à plus rejeter la pierre sur… Enfin, tu vois. »

Il se sentait un peu coupable quand même… Mais le psy est le genre de type qui se sent coupable pour bien peu de choses, et qui est capable de ruminer des nuits entières sur ce genre de culpabilité, trop sensible pour son bien probablement… Tout comme sa fille. Sauf qu’elle, elle avait décidé de se murer dans la torpeur. Mais, lui aussi avait fait bien des choses stupides par le passé pour tenter de se placer dans ce monde où il n'arrivait pas à se sentir à sa place, il ne pouvait pas juger Julianne, avec un tel passé.

« Tu le savais, avant de venir, pour le bébé? »
« Non. Tu vas trouver ça bête, mais j’ai eu le sentiment que c’était le moment pour nous de… »
« J’avais peur de te l’annoncer, en fait, de passer ce cap. C’est quand même dingue, j’aurais jamais commencé à faire cet ordre dans ma vie si j’avais pas eu ce gosse. »
« Fallait bien que ça arrive. »
« ...J'immagine. »

Julianne baissa les yeux sur son ventre. Ses humeurs jouaient aux montagnes russes en ce moment même. Enfin, ce n’était pas une nouveauté, elle avait toujours été ainsi, lunatique. Mais là, elle avait juste envie de pleurer. Finalement, ces retrouvailles étaient un peu l’accomplissement de tout ça. Ou du moins, c’en était une conséquence. Pendant que Julianne enfermait son visage embrumé de larmes, son père posa une main réconfortante dans son dos, le premier contact paternel qu’on offrait à Julianne depuis le début de son existence.

« J’ai peur, Zlatan, bordel… »
« Si tu veux je euh… Je peux être là pour.. enfin, tu sais, je jour ou il.. ou elle arrivera. »
« ... Bah... j'pense que ça me ferait plaisir... peut-être? »

Là, la jeune future maman ne put retenir un sourire entre deux sanglots. Zlatan avait beau être d’une maladresse insupportable, il était le premier à éviter de prononcer les fameux mots qui la mettaient si mal à l’aise.

Reniflant encore, Julianne fini par se calmer et par sortir de sa mauvaise humeur matinale, et à devenir plus naturelle. Bon, elle ne serait jamais aussi naturelle que son andouille de père, mais bon, l’essentiel c’est qu’il ait fini par comprendre son besoin d’espace vital personnel. Le psy était de tout évidence quelqu’un d’assez tactile et démonstratif, tout l’inverse de l’ingénieure qui avait lutté toute sa vie pour se renfermer dans sa bulle et ne plus rien ressentir, tout en construisant des machines dénuées d’émotions. Voir que vivre sans craindre les remontrances et les jugements d’autrui était possible la remplissait à la fois d’admiration pour les personnes qui sont capables d’une telle prouesse, et la faisaient aussi regretter d’avoir vécu si fermée pendant tout ce temps. Mais les choses avaient changé, depuis ces quelques mois, et une sorte d’acceptation étai née en Julianne. Probablement une réaction empathique au fait d’avoir un être vivant en elle, ça aide. Mais cela ne lui déplaisait plus autant qu’avant, elle avait même hâte, désormais. Enfin, pas à l’accouchement, hein, juste ce qu’il y aura après… Quoique, non, pas vraiment. Disons… dans un mois et demi. Donc pas tout de suite. Ah, ça risque d’être un peu long. Mais peut-être un peu moins si elle est accompagnée par des gens qu’elle apprécie et prêts à l’épauler dans ses débuts en tant que maman.

« … JUJU! Regardes, c’est Ctuhlu! Ctuhlu te regarde! »
« Arrêtes de crier, je comprends rien! »
« S’il te regarde c’est que ton heure est proche! Tu ne dois pas donner naissance à cet enfant! »
« Non mais tu te fous de ma gueule?! C’est un Tentacool! »
« C’EST CTUHLU! »
« Bah, je vais le capturer, comme ça c’est pas sur moi qui jettera son dévolu, mais sur toi, et t'arrêteras de nous casser les pied! »
« Eeeeeeeeh! »
« Et je l’appellerais Tentacle-sempai. »
« MAIS C’EST CTUHLU! »

« Tu pourrais arrêter avec tes blagues glauques alors que je suis dûe dans peu de temps! »
« Roh, si on peut plus rigoler! »
« Ouais, bah, tu veux être papy oui ou non? »
« Ouiiiiiiiii! »
« Eh bah si tu veux l’être, fermes ta gueule! »
« … Pas cool Juju… Pas cool du tout. »

Oups. Étrangement, Julianne ne s’en veut absolument pas, sur ce coup-ci. Mais dans tous les cas, elle fit appel à Aldébaran, son allié d’acier, pour s’occuper de ce Ctuhlu a l’air pas si pervers ou méchant que cela. Maintenant que l’on s’intéressant à lui, il avait plutôt l’air timide et assez mignon, en fait. On a jamais dit que la définition de « mignon » chez Julianne était la même que chez les autres. Enfin. Le Galegon sauta sur le Tentacool en prenant garde à ne pas le blesser au passage, pour faciliter la capture à sa dresseuse qui ne pouvait pas faire trop d’efforts en raison de son état actuel. Celle-ci les rejoint d’un pas pressé, essoufflée au bout d’une dizaine de mètres, la sphère bicolore en main. Le Tentacool était totalement pétrifié, et ses yeux brillaient tels ceux d’une héroïne de manga niais, comme pour supplier la pitié de ses deux « assaillants ». Pourtant, quand elle vit la grand dame au ventre rond comme un ballon, la petite méduse bleue eut un moment d’hésitation, comprenant qu’on ne lui voulait pas tant de mal qu’elle le pensait. Et faire la route aux côtés de cette petite bande lui plaisait assez, il se laissa donc absorber sans mal dans la Rapide Ball lancée par l’ingénieure. Satisfaite, celle-ci retourna vers son paternel en train de dessiner des fantômes dans le sable tout en grognant.

« Oh, je fais ça aussi, des fois! »
« Cool pour toi. »
« Tu fais la gueule, là? Mais t’as quel âge! »
« J’ai 45 ans, et c’est bien trop jeune pour être grand-père!! »
« Quel rapport? »
« Si j’avais voulu passer la journée à me faire engueuler comme un chien, bah je serais resté chez Soltan et Shizune! Quelle grosse poufiasse, celle-là, d'ailleurs! »
« T’as fini de faire ton Calimero? »
« Et en plus, ma propre copine m’a chassé. »
« Roh, tu m’ennuies. Viens, on fait des dessins sur le sable, plutôt. »
« … Mouais. Mais-- »
« Zlatan? »
« Hm? »
« Je t’aime bien mais tais-toi un peu. »