De l'art de l'entêtement II

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Le chemin du retour est long, ou du moins passablement maladroit. Aucun d'entre eux n'ose parler, ou du moins Isaac semble avoir perdu tout courage de trouver un sujet ou même d'essayer de discuter avec la jeune femme qui s'est muré dans un silence à la fois méprisant et solitaire. Il a déjà eu l'habitude de traiter avec ce genre de comportement, mais c'est légèrement différent des patients avec qui il doit discuter dans son cabinet. D'une part il ne peut pas se distancer comme il le voudrait, et donc il fait des erreurs qu'il ne ferait jamais dans un autre contexte. D'autre part, Nagisa n'est pas quelqu'un qui cherche de l'aide. Ou du moins si elle lui a laissé une opportunité de discuter, il a bien compris que c'était soumis à réserve si jamais il allait trop loin. Le problème était donc de savoir ce qu'il pouvait bien dire sans l'énerver.

« Donc, euh... T'étudies quoi, en fait ? »

Oh seigneur, que c'est awkward. Pestant intérieurement contre sa stupidité, il fut surpris de voir qu'elle ne l'envoya pas directement paître, bien que le haussement de sourcils auquel il avait eu le droit valait son pesant de cacahuètes. Au moins, elle répondit, même si le suédois se doutait que c'était davantage parce qu'elle s'ennuyait que parce qu'elle accordait une véritable importance à cette conversation.

« Informatique. Toi t'es psychiatre, c'est ça ?
- Psychologue.
- Y'a une différence ?
- Ben, euh... Techniquement je suis moins qualifié. »

Alors oui bien sûr il exagérait et sa famille l'aurait trucidé si ils avaient entendu cela, mais c'était quelque chose qu'il s'était habitué à dire pour dissiper les malentendus. Nagisa fit un 'hm hm' qui signifiait assez subtilement que la différence lui importait assez peu, au final. Leurs pas, assez lents, ne faisaient que rendre toute cette conversation relativement embarrassante et Isaac se demanda même si il ne valait pas mieux qu'il se taise, au final. Qu'est-ce qui lui avait pris de se mêler de tout ça, hein... ? Il devait avoir un problème ou deux, forcément. Au moins trois.

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Peut-être qu'il allait finir par faire des progrès, avec un peu de chance. Peut-être même, et là il s'emportait sûrement, qu'il allait réussir à avoir une conversation cordiale avec la nippone. Bon, il ne s'attendait pas à ce qu'elle finisse par lui sourire et à lui raconter ses états d'esprit, mais il y avait quand même chez lui un désir de pacifier l'état des choses, ne serait-ce que pour qu'ils ne passent pas les prochaines minutes dans un silence aussi awkward et casse-pieds. Le problème était qu'il ne pouvait pas aborder des masses de sujets, et que la majorité étaient plus ou moins tabous, d'ailleurs
Mais pour le sauver de sa situation on ne peut plus maladroite, un Polichombr facétieux pouvait bien lui servir de motif de discussion. Facile et franchement un peu nul de jouer sur ça, mais Isaac se laissa volontairement tomber. Ce n'est pas dans son ordinaire d'être fourbe, mais il y a des fois où il vaut mieux ça que d'avoir l'impression de se trouver dans une série animée stupide ou d'un espèce de sitcom aussi drôle que son arrière.
Évidemment et comme il l'avait prévu, sa chute avait bien fait rire la jeune femme qui n'avait pas retenu ses gloussements. Pour la forme, le suédois se permit même une remarque faussement offensée.

« Hééé ! Te moque pas, c'est une sale race ce Polichombr !
- En même temps si tu joues la victime facile...
- Je suis pas une victime ! »

Le regard vaguement blasé, un poil méprisant et hautain de Nagisa (bonjour à son frangin d'ailleurs, une vraie copie conforme de son expression) lui suffit comme réponse et il grogna théâtralement. Même si il jubilait intérieurement d'avoir réussi son coup et ainsi rendu l'atmosphère moins tendue, n'empêche que son popotin lui faisait mal. Il se releva donc en se massant l'arrière-train et fit la moue, remerciant tous les dieux de lui avoir laissé quelques dons d'acteur.

« Arrête de geindre, on dirait une mémé en pleine crise d'arthrite.
- Les mémés ont pas de derrières aussi majestueux.
- Les pancakes c'est pas à la mode dans les maisons de retraire, en effet. »

Le psychologue grogna et leva les yeux au ciel, soudainement conscient de la douleur que devaient subir tout ceux qui supportaient Nagisa en permanence. Mais il devait avouer qu'elle avait quand même de la répartie, mine de rien.

« Touché.
- Wow, un compliment. Ça a dû t'écorcher la bouche.
- Ah non, recommence pas ! J'ai pas envie de devoir recommence mes discours, moi.
- Oui non effectivement, on va éviter de descendre de nouveau le QI moyen de l'humanité... »

Isaac se contenta de geindre, pas franchement enjaillé par son statut de 'nouvelle victime de Nagisa'.

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C'était une méthode comme une autre de faire passer la pilule et de rendre leur conversation un peu plus aimable, en fin de compte. Si il n'était pas très fana du fait de se faire victimiser (une grande sœur c'était déjà suffisant, merci), cela avait au moins eu le mérite de la faire ricaner. Il avait cru que ce serait mission impossible mais il semblait que non, pour son plus grand bonheur car il aurait vraiment détesté rester coincé cette bulle de tension. Même avec la patience d'un moine tibétain en pleine méditation, il aurait fini par craquer. Il ne prétendait pas réussir à faire oublier à la jeune femme l'état actuel des choses et la disparition de plus en plus pesante sur leur moral à tous de son petit frère, mais l'espoir d'apaiser les tensions le comblait. Vraiment, si il pouvait avoir un tout petit peu moins de poids sur ses épaules ces derniers temps, il en serait le plus heureux des types un peu paumés de la galaxie. Ou du moins dans son humble avis dont on se fout un peu.
Laissant donc à Nagisa le plaisir de pouvoir ricaner de lui, il jeta un regard circulaire aux alentours, toujours autant charmé par le calme paisible de Nuva Eja en soirée. Bien plus tranquille que le mouvement permanent de Vanawi ou l'incessante festivité de Zazambes (qui, passé 25 ans devenait juste insupportable), la ville avait au moins le mérite d'apparaître comme coupée du reste du pays. Pas étonnant me direz-vous quand la majorité de la population est aussi bourrée de fric qu'un américain moyen de graisse saturées, ou plutôt âgée, mais il était impossible de nier que ce n'était pas agréable. Dans son côté lointain par rapport aux troubles l'île, il y avait quelque chose de relaxant.

Mais ce qui attira son regard à ce moment-là, ce fut l'adorable bouille d'une Rattata qui venait s'excuser pour le comportement du Polichombr un peu stupide, qu'elle réprimanda à coups de regards noirs à en faire pâlir un mort. Oui oui, jeu de mots non volontaire pour le coup. Le spectre s'enfuit donc sans demander son reste tandis que la souris leur offrait ce qui semblait être un... Sourire ? Ou du moins c'en fut un jusqu'à ce que le museau d'une Léopardus ne passe à quelques millimètres d'elle pour la renifler. Surprise, la Rattata s'immobilisa et cligna des yeux lorsqu'elle sentit la féline se frotter contre elle en ronronnant comme un moteur. Isaac haussa les sourcils, tout comme Nagisa.

« Elle est détraquée celle-là ? C’est pas censée bouffer ce genre de bestioles, un chat ?
- Faust m'a dit qu'elle n'était pas vraiment logique, mais, euh... »

Contrairement à ce que ferait tout prédateur normalement constitué devant un casse-croûte si bien présenté, la Léopardus semblait davantage chercher à mettre à l'aise la nouvelle venue. Visiblement, elle avait trouvé sa nouvelle peluche et ne paraissait pas vouloir la quitter, ce qui intriguait plus que cela ne dérangeait la souris. Le regard et le sourire que Wiwi offrit à Isaac le fit grimacer. Oh, il voyait déjà où ça allait les amener, tout ça...

« Non mais... Je peux pas décider pour lui moi ! Fin j'peux pas lui imposer de prendre un pokémon, ça se trouve il- »

Il n'eut même pas besoin du regard blasé de la Léopardus pour comprendre que ce qu'il disait était un non-sens total. Faust étant Faust, il n'allait sûrement pas refuser. Bordel, c'était vraiment sa soirée de victime.

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Ce fut donc dans un soupir un peu exaspéré qu'Isaac consentit à capturer la Rattata, en ayant pleinement conscience qu'il faudrait trouver un moyen d'expliquer à Faust pourquoi il lui refourguerait un pokémon capturé à l'extérieur. Mais bon, pour l'instant, les caprices de la Léopardus de son meilleur ami n'étaient pas vraiment ce qu'il y avait de plus urgent dans sa vie. Au pire, le conseiller ne lui en voudrait pas trop, et sa nature de bonne poire rendrait aisé le fait de lui faire avaler la nouvelle. Ce n'était pas de sa faute, de toute façon ! Ou du moins c'était une excuse tout simplement géniale qu'il n'allait pas se gêner à utiliser.
Maintenant que la bestiole était capturée, il n'y avait toutefois plus rien pour les distraire de la situation actuelle. Nagisa s'était contentée d'observer sans rien, un peu déconcertée, mais ne paraissait pas davantage portée sur l'idée de relancer la discussion pour parler de la pluie, du beau temps et de toutes ces choses ma foi bien sympathiques quand on les opposait à un silence lourd et pesant.

« Bon, bah euh, du coup... »

Silence. Silence très awkward, puisque la nippone le regarda quelques secondes avant de porter son attention sur la première chose venue, comme si de rien n'était. Le suédois pesta intérieurement et se dit qu'au pire, il pourrait se permettre de rentrer maintenant, mais laisser Nagisa comme ça ne lui plaisait pas vraiment. Pas qu'il soit vraiment inquiet pour elle, c'était peut-être celle pour qui il avait le moins d'inquiétudes vu sa capacité à encaisser et tenir debout sans fondre en larmes, mais il savait qu'il allait culpabiliser si il ne faisait rien. Et puis il se voyait mal partir comme ça, sans rien dire, et avec la délicatesse d'un camion benne.

« Tu veux aller bouffer un truc ? Je sais que y'a un type qui fait des bons burgers, pas loin, parce que là j'ai quand même sacrément faim. »

C'était peut-être un peu gros, de l'inviter à venir avec lui alors qu'elle l'assassinait du regard il y a peu. Et en fait, il s'attendait sûrement à ce qu'elle refuse, ce qui lui aurait d'un côté donné une excuse pour partir. Mais contrairement à ce qu'il pensait, elle se contenta de hausser les épaules d'un air désintéressé, pas franchement enjouée mais pas non plus contre l'idée, visiblement.

« Ça a intérêt à être bon, c'est tout. »

Jésus marie joseph, vive les miracles.