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Éclosion d'Yvain
« Me dis pas que tu vas me faire la leçon, toi aussi ? » Les bras croisés autour de sa taille, le Gardevoir continuait de le considérer avec ce même air agacé. Si Clive savait qu'annoncer à ses plus proches compagnons la naissance à venir n'allait pas être une partie de plaisir en permanence, il n'avait toutefois pas été si pressé que ça de découvrir la réaction de Castiel. La fée, et c'était prévisible, n'était pas particulièrement enchantée par ce qu'il apprenait au sujet de son dresseur. Et si il y avait une chose que Clive savait au sujet de Gardevoir, c'était que malgré sa douceur exceptionnelle et sa timidité, il était capable d'être particulièrement entêté quand il le voulait. Et mine de rien, vu qu'il le connaissait parfois bien mieux que les autres, il était tout à fait capable de le mettre face à ses propres contradictions, ce qui n'était pas pour plaire au hérisson. Toutefois, contrairement à ce qu'il aurait pu croire, nulle remarque ou reproche ne vint. Clive plissa les yeux en remarquant que le Gardevoir s'éloignait peu à peu, sans raison apparente.
« … Attends, pourquoi tu fais cette tête ? Castiel, reviens ic- ! »Trop tard. La fée était plus rapide que lui, et le Donovan ne put que le suivre entre les murs de la maison, grimpant les escaliers à sa suite. En remarquant qu'il se dirigeait vers la chambre de Natsume, Clive plissa les yeux. Son cousin étant parti faire il ne savait quoi il ne savait où, il n'était pas sûr que s'introduire ici soit une bonne idée.
« Hé, Cas ! Il est pas là, on ne va pas rentrer sans son autorisation ! »« J'emmerde son autorisation », semblait dire le Gardevoir sans même avoir à parler. En grommelant, l'ancien officier ne put s'empêcher de se demander quand exactement est-ce que l'adorable petit Tarsal qui se cachait derrière lui était devenu une créature aussi entêtée. Il entra donc à la suite, sans savoir sur quoi il allait tomber.
Comme d'habitude, la chambre de l'asiatique était impeccablement rangée. Ce n'était d'ailleurs pas ce qui l'intéressait : le seul détail qui attirait son attention était l'endroit où se trouvait Castiel, qui s'était arrêté devant le lit. Curieux, l'ancien officier se rapprocha lentement, sans trop oser, en se rendant compte qu'il y avait forcément une raison au geste soudain de son compagnon. Et là, devant les yeux du compétiteur, se trouvait un œuf verdâtre dont il n'aurait pas pu saisir l'origine au premier regard.
Maintenant qu'il était à côté de lui, Castiel posa une de ses mains sur son épaule, et Clive sursauta. L'éclat d'un sentiment intense et confus venait de le percuter. Une étincelle de crainte et d'appréhension qu'il ne saisit qu'après plusieurs instants de silence, mélangé à une étrange excitation qu'il n'aurait pas réussi à définir. Il lui faut un certain temps pour saisir que ces sentiments sont ceux du Gardevoir dont le regard comme toujours impénétrable s'est fixé sur l'oeuf sans oser s'en détacher. Castiel est d'apparence robotique, lui a-t-on dit parfois. Mais c'est simplement une apparence, un mensonge qui tend vite à se défaire dès lors que l'on apprend à connaître le Gardevoir davantage. Simplement, il est semblable à son dresseur : incapable de réagir comme on l'attendrait, perdu dans une timidité et une solitude qui le poussent à se replier sur des façades, encore plus pour un pokémon de son espèce, centré sur les émotions. Mais ce ne sont que des façades, encore une fois, et Clive le comprend plus que bien.
Maladroitement, la main de son dresseur se pose sur son épaule. Le métis reste immobile, imperturbable, mais considère l'oeuf du regard durant un instant. Si il ne voyait rien dans l'expression de Castiel, les émotions qu'il ressentait d'ici racontaient une toute autre histoire. De l'appréhension, de la peur, de l'anxiété... Clive ne pouvait pas poser le doigt sur un sentiment exact, mais il était persuadé de les connaître tous par cœur.
« Toi aussi, alors ? »La même mélodie résonnait dans son esprit depuis trois mois, après tout. Trois mois passés à tenter de calmer ces angoisses bruyantes et imposantes, qui refusaient de démordre de leur proie maintenant qu'elles pouvaient s'en donner à cœur joie. Il n'était parvenu à les faire taire que grâce à son arme favorite : le surmenage. Toujours utile pour épuiser ses neurones jusqu'à ce qu'elles ne puissent plus le torturer à cause de la fatigue, ce n'était toutefois pas sans conséquences. Et évidemment, il savait qu'il ne pourrait pas échapper à la réalité plus longtemps. Son temps d'insouciance était compté, après tout. Clive soupira lourdement.
« C'est terrifiant, hein … ? Je croyais que j'étais le seul à le penser. Visiblement, j'avais tort. »Castiel ne répondit pas, mais l'ancien officier crut voir une étincelle d'hésitation dans les pupilles rouges du Gardevoir, synonyme chez lui de conflit interne. Le métis n'irait pas tenter de remuer ce qui était déjà douloureux, mais il ne pouvait toutefois pas se résoudre à abandonner ainsi son ami à ses pensées. D'autant plus que, si il avait encore du mal à admettre l'hypothèse que Castiel allait devenir père, il ne pouvait que trop bien comprendre ce que ressentait la fée. Et encore. Son cas était bien pire : il n'avait situation stable, n'était pas capable de se dire sorti du marasme sentimental dans lequel il continuait de se noyer et par dessus tout, il passait entre hauts et bas sans jamais parvenir à se fixer.
Il ne pouvait pas mentir en disant que le futur ne le terrifiait pas. Qu'il ne se sentait pas piégé dès lors qu'il y réfléchissait durant l'espace d'une seconde. Mais c'était bien plus compliqué que tout ça, et à chaque fois qu'il se sentait prêt à claquer la porte, il se forçait à tenir. Même sur une seule jambe, si il le fallait, pour ne pas tomber. Maladroitement, le hérisson se sentit obligé d'intervenir. Le malaise du Gardevoir était trop grand pour qu'il se contente de regarder ailleurs, comme il le faisait d'ordinaire.
« Mais peut-être qu'on peut s'en tirer, hein ? Je sais pas, ça ne doit pas être si compliqué, au fond... »Il avait parlé sans réfléchir, le regard fixé sur l'oeuf sans qu'il ne soit pour autant la cible de ses yeux. Son ton manquait d'assurance, et il paraissait lancer ses paroles comme pour lancer une question dont il n'obtint pas la réponse. Il sursauta toutefois, suivi par Castiel, quand l'oeuf se mit à gigoter et à trembler. Le moment fut rapide et bref. Plus que d'autres avant lui, le jeune pokémon ne semblait pas d'humeur patiente, et il donna de petits coups de tête contre sa coquille pour s'en libérer. Une jambe, puis deux, puis la tête. Et enfin, avec beaucoup de difficulté, un premier bras. Finalement, le Tarsal releva ses yeux pour voir la lumière du jour pour la première fois, et son attention se porta instantanément vers le Gardevoir. Celui-ci, animé par un pic de crainte que Clive avait ressenti jusqu'ici, recula d'un pas. Avec douceur, son dresseur posa une main dans son dos pour le retenir et l'inviter à s'avancer. Un sourire plus doux sur ses lèvres, il restait néanmoins moins sûr de lui qu'il ne voulait le faire croire.
« Qu'est-ce que t'attend ? C'est le tien, après tout. »Castiel ne recula pas davantage, mais il n'était clairement pas plus à l'aise. Toutefois, vu que son dresseur n'allait pas le laisser faire l'erreur de s'enfuir face à cette situation qu'il ne maîtrisait visiblement pas, il ravala sa salive et se retourna en direction du tout jeune Tarsal. Celui-ci, ayant déjà saisi qu'il avait au moins un rapport avec le Gardevoir, agitait ses bras en direction de son paternel. Avec lenteur et beaucoup de patience, la fée finit par saisir son enfant dans ses bras. Si il restait un peu de tension dans ses membres, il finit toutefois par se détendre progressivement, sans s'en rendre compte lui-même. Un sourire attendri finit même par se dessiner sur son visage lorsqu'il se rendit compte que le nouveau-né s'était endormi dans ses bras. Amusé, Clive se permit un léger rictus joueur.
« J'crois qu'il ne va pas te manger, au final. »Comme seule réponse, Castiel frappa légèrement le crâne de son dresseur, l'air faussement indigné malgré son sourire. Clive ne s'en plaignit pas, plus occupé à admirer le Tarsal dans les bras de son vieil ami. Toutefois, alors qu'il l'inspectait, il se mit à plisser les yeux et jeta des coups d'oeil réguliers entre le père et le fils, rendu perplexe par quelque chose. Sa voix s'était d'un coup fait plus hésitante.
« Donc, euh... Qui est la mère, du cou-AÏEUH ! »Le coup, cette fois, avait été plus fort, tellement que Clive se vit obligé de masser la zone affligée en poussant un geignement de douleur après coup. Visiblement agacé par quelque chose, comme si il n'avait pas saisi quelque chose d'évident, le Gardevoir poussa des grommellements exaspérés. En voyant que son enfant s'était réveillé, il s'éloigna petit à petit, comme gêné par le sujet. Et ce n'était certainement pas Clive qui allait deviner pourquoi : il le réalisait bien assez tout seul.
« Mais, mais... Qu'est-ce que j'ai dit encore ?! Castiel, reviens ici ! »Inutile de l'appeler, toutefois. Il s'était sûrement déjà téléporté il ne savait où, et le hérisson poussa un soupir exaspéré devant cette constatation. La chambre de Natsume avait retrouvé son calme et était toujours intacte, hormis les morceaux de coquille disséminés sur le lit de l'éleveur qu'il devrait par conséquent débarrasser. Exaspéré par le fait qu'on lui laisse la partie la plus ingrate du travail, il se mit à la tâche en retenant quelques grognements fatigués.
Au moins, il a l'air rassuré.Et indirectement, peut-être que lui aussi.