Sur le pont d'Avignon ♫

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Décembre approche. Il fait pourtant déjà froid, ici. La neige ne tombe pas, ou du moins pas encore, mais tu frissonnes, et chacun de tes souffles est accompagné d'une petite brume blanche que tu t'amuses à provoquer pour la regarder disparaître. Tu es peu couverte, étrangement. Tu ne pensais pas que l'hiver arriverait si vite, surtout dans la capitale où la pollution s'occupe de réchauffer peu sainement les rues. Toutefois, ce n'est pas ce qui te préoccupe. On t'a encore blessé, tout à l'heure. Il s'est excusé l'instant d'après, mais ça ne suffit pas. Tu t'en étais douté, que ça se finirait comme ça. Dès l'instant où tu as vu cette bouteille d'alcool, tu aurais dû le pressentir. Pour ton âge, tu es loin d'être bête. Pourtant tu ne peux pas le détester. Tu ne peux pas détester cet homme qui a toujours été là, et avec qui tu as passé tes moments les plus heureux. Tu n'as nulle part où aller, de toute façon, et ta mère compte probablement sur toi. Tu ne peux plus le savoir. Tu as hérité de sa maladie. Mais ça, tu ne le sais pas non plus. Tu te contentes d'avancer dans les rues de Paris en rentrant de chez l'épicier, espérant que ton retour à la maison se fera plus calme que lorsque tu en es partie. Volontairement, tu as pris d'autres chemins que celui habituel pour ne pas rentrer trop tôt. La ville lumière est si belle, la nuit... En plus, il n'y a personne. Il est si tard... Seul un silence, que quelques voitures passagères brisent de temps à autre, occupe l'espace. Et ce n'est pas plus mal. Tu te sens bien, en solitaire. Treize ans, et pourtant ton regard est déjà si triste.


« Thomas Clavet. Mais il me semble que je vous ai déjà parlé de lui, non ?
- Ving-cinq ans, brun aux yeux marrons, sérieux mais jovial, drôle, attachant et possède un Beagle qu'il appelle 'Choupi' ? Non, connais pas. »

Karin rougit légèrement, avec toujours cet air paisible au visage. Elle ne parle pas souvent de ce jeune homme qu'elle a commencé à fréquenter depuis presque un an, bientôt. Au début, elle ne s'intéressait pas à lui. Mais elle a fini par tomber sous son charme, et ça a l'air de plutôt bien marché, entre eux. Si mon assistante n'en est pas à son premier prétendant, il s'agit de sa première relation, et sérieuse, qui plus est. À quelques fois seulement je lui avais demandé de m'en dire plus à propos de cet étudiant qui travaille à la même faculté de psychologie qu'elle et qui est de deux ans son aîné. Elle m'a montré une photo, un jour, suite à de nombreuses demandes de ma part. Il a l'air gentil, c'est tout ce que j'avais pu tiré de cette photographie. Son physique n'était pas si mal non plus, mais ce n'est pas de quelqu'un de spécialement beau, dont elle a besoin. Enfin... Elle n'a besoin de personne pour se débrouiller toute seule ; elle est même bien meilleur que moi dans ce domaine. Mais je considère que le plus important est l'esprit. Je ne lui ai toujours souhaité que quelqu'un de sincère et de bienveillant pour s'occuper d'elle. Ce n'est pas faute d'avoir essayé de me le présenter, son Thomas ; mais c'est moi qui n'ai pas voulu. Il est préférable qu'il ne me rencontre pas ; je n'ai pas envie de faire mauvaise figure ou impression, et je ne veux pas qu'il se mette à imaginer des choses non plus. Elle m'a boudé pour ça, désireuse que je fasse sa connaissance. Pourtant je ne peux plus m'immiscer dans sa vie. Elle mérite de trouver le bonheur auprès de quelqu'un qui saura la combler, et ce n'est pas en restant avec moi que ça arrivera. Je dois moi-même m'en détacher ; si elle travaillera toujours pour moi en passant à l'Amphithéâtre, je sais qu'un jour elle devra prendre totalement son indépendance et au moins quitter la demeure.
Notre sortie d'aujourd'hui consiste à ce que nous profitions de davantage de moments ensemble avant qu'elle ne me quitte pour de bon. Mine de rien, je ne l'ai jamais vraiment remercié pour tout ce qu'elle a fait, alors qu'elle m'a beaucoup aidé depuis le jour où je l'ai recueillie, et je ne serais peut-être plus ici si seulement elle n'avait pas été là pour m'empêcher de faire une énorme bêtise le jour où Judith s'est éteint. Je vais mieux, maintenant, enfin je crois. Mieux que depuis la mort de ma petite sœur, en tout cas. Ce n'est pas encore tout à fait ça, mais le contact avec mes enfants m'est également d'un grand secours, et c'est toujours pour eux que je fais mes plus beaux sourires. Ceux dirigés vers les caméras ne sont pas encore aussi naturels que ce que je souhaiterais : mes fans finiront par le remarquer, et je n'ai pas envie de les décevoir. Pourquoi les terres fertiles, je l'ignore. C'est elle, qui a choisi. Mais elle devait avoir une bonne raison.

Sur le pont d'Avignon ♫

That's a stick

Où tu es, où tu vas... Tu ne fais même plus attention. Tout ce qui t'importe, c'est que tu sois seule. Personne pour te disputer. Personne pour te dire quoi faire. Personne pour te critiquer. Une solitude que tu ne peux avoir qu'à l'école, cet endroit qui constitue une sorte de liberté, tant qu'on ne pose aucune question sur les marques que tu t'efforces de cacher sous autant de vêtements que tu peux. Tu n'es pas mauvaise en classe, mais tu rêves d'autre chose. De t'envoler loin de chez toi pour mener ta propre vie. Puis, en levant la tête, tu crois voir tout à coup des ailes, au loin. On dirait un pégase. Tu espères presque qu'il puisse t'emmener avec lui. Mais il est doré de partout. Impossible qu'il quitte son socle. Pourtant, tu le trouves si beau... Alors tu avances vers lui, tout en portant ton regard sur le pont que tu es en train de franchir. Et à cet instant, tu crois marcher dans un rêve, car il est magnifique, avec toutes ces lumières et ces décorations en or qui datent d'une autre époque, à présent lointaine. Tu ne te souviens plus de son nom, mais il s'agit du pont Alexandre III, l'un des plus beaux de la capitale française. Il te semble l'avoir emprunté peu souvent, et tu n'as jamais pu y faire beaucoup attention à cause des touristes, mais tu te permets ce soir de l'admirer, alors que tu le franchis en souriant, émerveillée, ton petit sac de courses entre les mains qui t'empêche d'exécuter quelques uns de tes pas de danse classique. Tes cheveux blond vénitien, mi-bouclés, sont balayés par un léger vent frais, mais elle n'arrive pas à ternir cette petite lueur qui s'est allumé dans ton regard noisette, le premier depuis une éternité.


« Vous êtes sûr de ne pas vouloir le rencontrer ?
- Pourquoi faire ? S'il fait ton bonheur, c'est le principal. Tu es une adulte, tu n'as pas besoin de moi. »

Je sais pourquoi elle m'en parle. Elle veut probablement me montrer à tous prix que ce mec est cent pour cent réglo. Mais que pourrais-je y faire, de toute façon ? Je ne suis pas son père. Et même si c'était le cas, jamais ça ne me donnerait une quelconque légitimité pour décider à sa place qui elle devrait choisir pour partager sa vie. Ce n'est pas pour rien que c'est mon assistante, après tout, et qu'elle gère mes comptes ainsi qu'une partie de ce qui concerne mes Concours, à savoir parfois l'argent que je mets dedans -afin d'offrir des spectacles toujours plus grandioses- et les événements importants que je ne dois pas oublier. Elle a toujours été un peu comme une petite sœur, à mes yeux, une sorte de pilier qui a su me maintenir en vie quand je broyais du noir chez moi. C'est toujours près d'elle que je m'autorisais à pleurer, quand les choses n'allaient pas et que je devais pourtant faire bonne figure devant les caméras afin de n'éveiller aucun soupçon, même si bon, mes autres collègues étaient bien assez les cibles des paparazzis, si on compte en plus les nombreux changements de champions qui ont été faits chez mes voisins quand mon Amphithéâtre ne changeait pas de gardien malgré les années. Enfin, vous me direz, je suis pas plus mal, sans Catherine. Mais euhm... Bien sûr c'est un exemple comme un autre, hein.

« Mais j'estime que vous en parler et le voir en vrai, c'est différent.
- J'insiste, je n'ai pas envie de le rencontrer. Je te fais confiance, je suis sûr qu'il est très bien.
- Je ne peux pas vous forcer, mais vous êtes sûr de vous ?
- Le tutoiement, Karin, s'il te plaît. Je ne suis pas si vieux, et depuis le temps, quand même... »

Elle ne va pas plus au-delà de sa demande, sachant qu'elle aura le droit à une réponse négative de toute manière. Elle sait bien qu'elle ne peut pas me forcer, quand bien même elle voudrait me le présenter pour une raison symbolique. Après tout, comme famille, je n'ai qu'elle. Un jour, oui, je ferais sa connaissance, mais seulement lorsque je serai sûr qu'elle voudra le garder un peu avec elle. Je ne veux pas m'avancer si jamais elle change vite d'avis à son sujet.

« C'est plutôt paisible, ici. »

Je change un peu le fil de notre conversation, mais ce n'était même pas intentionnel. Je n'avais juste jamais trop fait attention aux terres de l'Est, et c'est bien plus calme et agréable à regarder que ce que j'aurais pu imaginer. Cela me rappelle un peu les campagnes françaises. Une familiarité que j'apprécie, puisque ma terre natale est de loin l'une des plus belles du monde, mais cette vue me ramène toujours des souvenirs nostalgiques et teintés aussi d'une certaine tristesse. Distraitement, je frappe avec mon pied dans une petite pierre qui se trouvait sur la route que nous empruntons, au milieu de grands champs jaunes et verts.
Mais c'est un léger coup sur le talon qui me sort de mes pensées un instant. Surpris, je me retourne pour apercevoir un Chuchmur, en train de me donner de légers coups avec un bâton. Il s'est arrêté une seconde quand je l'ai remarqué, mais il a très vite recommencé. Si je suis quelque peu perplexe, cela faire rire la brune qui ne s'attendait pas à cette compagnie. La créature rose nous contourne pour récupérer le caillou dans lequel j'ai shooté un peu plus tôt, soufflant dessus comme pour enlever la poussière qui s'y trouvait. Puis, le Pokémon finit par serrer son caillou contre lui avant de me dévisager en grognant, récupérant son bâton qu'il me tend comme pour me défier, tel un chevalier.

« Ouais bah ça va, Gollum, je vais pas le prendre, ton 'précieux'.
- Ha ha ! De toute façon vous n'avez pas intérêt, je crois que ce petit serait prêt à mordre ! »

Tiens, tout à coup ce machin me rappelle le Granbull de quelqu'un... J'ai jamais eu de Pokémons agressifs dans mon équipe, maintenant que j'y pense. Quoique... Marie est très capricieuse, quand elle s'y met, et lorsqu'elle n'a pas tout de suite quelque chose qu'elle veut, cette Skitty peut être une vraie teigne.

Sur le pont d'Avignon ♫

Squalala

En plein milieu du pont, au cours de ta petite danse, tu t'arrêtes. Ton regard s'est figé, comme perdu dans le vague. En vérité, tu es attentive au bruit de l'eau que tu entends couler, juste en-dessous de toi. Tu penches ta tête au bord du pont pour voir, à travers la barrière, la Seine, ce fleuve si célèbre qui passe par tout Paris. Quelques lumières s'y reflètent, mais son flux est noir et sombre, comme si des spectres y habitaient. On raconte même qu'un Léviator rouge s'y trouverait, mais ce n'est qu'un mythe infondé. Tu sais bien toi-même que ce n'est qu'une légende, mais cela te plaît de l'imaginer, toi aussi. De te dire qu'un aussi grand Pokémon pourrait surgir de ces eaux, alors que jamais rien ne s'y passe, mais qu'on prétend que des corps y seraient cachés. Tu ne sais pas si c'est vrai. Il s'agit d'une histoire un peu plus morbide qui ne t'amuse pas, mais elle te semble un peu plus réaliste. Tu te penches encore un peu plus, lâchant inconsciemment le sac en plastique qui contient tes courses. Quelque chose t'attire dans ce fleuve trouble. Tes bras bougent, te hissent jusqu'à la rambarde sur laquelle tu t'assois. Tu as déjà vu des tas de gens le faire. Tu as toujours voulu essayer. Donc ce soir, tu t'y risques. Personne n'est là pour s'inquiéter de ta vie. Tu es déjà peu sûre que quelqu'un s'en soucie réellement et consciemment. C'est dangereux, tu le sais bien. Mais tu ne comptes pas y rester indéfiniment de toute façon, n'est-ce pas ? Tu vas descendre, reprendre tes affaires, et rentrer chez toi. C'est ce que tu veux. C'est ce que tu veux, alors pourquoi est-ce que tu restes ? Pourquoi vas-tu jusqu'à te mettre debout alors que tu pourrais tomber de l'autre côté à chaque instant ? Tu ne sais pas. Tu es comme habitée par quelque chose qui te pousse à te lever, te rapprocher du précipice, attirée par cette Seine. Que veux-tu ? Plonger dedans ? Ou peut-être t'envoler ? Alors vas-y.
Envole-toi.


« Il nous suit toujours ?
- Affirmatif. »

Je soupire. Bah, de toute façon, peu importe. S'il veut se faire un kiffe, soit. Je ne vais pas être le premier à shooter dans un Chuchmur parce que celui veut s'assurer que nous quittions bien son domaine sans toucher à son pitit caillou. Quand il comprendra que nous ne sommes pas une menace pour lui, il partira de lui-même. En attendant, je crois qu'il aime un peu trop me 'brutaliser' avec son bâton. Pas qu'il me fasse mal, hein, mais comprenez qu'à la longue, c'est vaguement agaçant. Je suis presque sur le point d'appeler un de mes Pokémons pour qu'il nous en débarrasse, mais j'ai un peu la flemme, et surtout ça m'ennuierait de les déranger pour si peu. Je n'ai plus qu'à espérer qu'il s'en aille vite fait bien fait, que nous puissions continuer notre route. Enfin notre route... Pas que nous allions spécifiquement quelque part, après. C'est Karin qui a voulu m'emmener ici, mais je ne lui ai même pas encore demandé pourquoi. Pas que je n'aime pas ces espaces, mais disons que ça me change de chez moi, ce qui n'est pas si mal, au fond. Et puis les paysages sont agréables à regarder, au moins, et l'air y est plus frais que dans les grandes villes, évidemment.

« On ne sort pas si souvent... Pourquoi vouloir faire une balade, d'un seul coup?
- Parce que justement, comme vous le-.. »

En voyant mon regard insistant quant à ma demande ultérieure concernant son vouvoiement que je trouve excessif depuis un bail, mon assistante s'éclaircit la gorge. Mais il faut dire qu'elle a encore des efforts à faire là-dessus.

« Comme... Tu l'as dit, nous ne sortons pas souvent. Et puis j'avais quelque chose à y faire.
- Ah oui ? Quoi donc ?
- Ça, il faudra attendre encore un peu pour le découvrir. »

J'aime pas quand elle joue les énigmatiques. Enfin, d'un côté ça m'amuse, mais venant d'elle, je ne sais pas comment je dois le prendre. Devrais-je m'inquiéter ? Elle peut être si imprévisible, parfois...
Mon attention est toutefois reportée autre part lorsque mon regard se pose sur une grosse pierre aux abords d'une mince rivière, à quelques mètres de nous. En plissant les paupières, je crois reconnaître un Pokémon qui s'y trouve. En m'approchant discrètement pour l'observer de plus près, Karin sur mes talons, je me mets tout à coup à sursauter.

« Un Mystherbe !
- Tiens, oui, c'est un Mystherbe... Hé, où allez-vous ? »

Je ne lui réponds pas, me mettant à accélérer le pas de manière soudainement bien pressée.

Sur le pont d'Avignon ♫

Qu'est-ce qui est petit et marron ?

« Hé ! Qu'est-ce que tu fais ?! »

Revenue à la réalité, tu te retourne brusquement. Tu es toujours sur le bord du pont ; mais quelqu'un a saisi ton poignet et t'attire vers lui de telle sorte que tu es obligée de redescendre, ce que tu fais en poussant toutefois un hoquet de surprise. Tu te retrouve alors à nouveau derrière la barrière, et non plus dessus. Tu reprends peu à peu tes esprits, avant de poser tes yeux sur l'horizon, les baissant légèrement pour qu'ils soient centrés sur le fleuve dans lequel tu as bien failli tomber. En sursautant, tu te demandes tout à coup ce à quoi tu as pu penser pour arriver à de telles extrémités. Honteuse, tu baisses tes prunelles vers le sol, gênée. C'est à ce moment-là que tu constates que tu as lâché ton sac de courses sur le pavé.

« Oh, mon sac !
- 'Oh, mon sac' ! Mais c'est pas vrai, revois un peu tes priorités, idiote ! Tu t'rends compte de c'que t'allais faire ?! »

Immédiatement, tu t'empresses de le ramasser. Mais tu es mal à l'aise devant ton interlocuteur qui a volontairement pris une voix suraiguë et stupide pour t'imiter sous une forme de moquerie, comme si tu avais dit une gros bêtise. Lentement, tu relèves un peu les yeux pour l'observer. Il est légèrement plus grand que toi, mais seulement de quelques petits centimètres ; avec les lumières des lampadaires, tu peux apercevoir la blondeur de ses cheveux qui te rappellent la couleur des citrons dont tu aimes tant l'odeur ; une mèche qui cache son œil gauche ; l'autre, le droit, est d'un beau bleu océan. Contrairement à toi, il porte des vêtements chauds, en prévision du froid. Mais tu n'es pas étonnée : il n'y a que toi pour sortir sans même un manteau alors que la température n'est pas loin des chiffres négatifs. Ce garçon ne doit pas être bien plus âgé, même si sa seule pupille visible est dirigée vers toi avec cette lueur sévère et grave. Il semble en colère. Mais ne fais-tu pas ce que tu veux, après tout ? Quand bien même tu n'étais pas totalement consciente de ce que tu faisais, pourquoi est-ce qu'il est aussi énervé après toi ? Tu n'as sans doute plus l'habitude qu'on s'inquiète de ton bien-être, il faut dire. Alors tu es surprise. Confuse, tu ne sais pas quoi dire. C'est donc à lui de reprendre la parole plus calmement après avoir poussé un profond soupir.

« C'est pas prudent, de rester ici. Viens, je te raccompagne chez toi. Où est-ce que tu habites ?
- Je... Je n'ai pas le droit de vous le dire, Monsieur.
- Mons-... Hé, ho, calmos, j'ai que treize ans, moi ! »



Mystherbe est un Pokémon que j'avais déjà envisagé, lorsque j'ai commencé les Concours. Mais celui que j'ai bien failli capturer un jour m'a filé entre les doigts, et je le regrette encore. Mine de rien, c'est un Pokémon avec lequel il est très intéressant de faire équipe, et je pense que je pourrais tirer pas mal de choses de ses combinaisons. Surtout que le bougre a pas une, mais deux évolutions. Au-delà de son aspect esthétique, ses capacités peuvent faire de merveilleux mélanges, et les Pokémons Plantes en général sont, quelque part, assez fascinant par la grâce que certains dégagent. Si un jour je décide de faire un peu le tour des Amphithéâtres, qui sait ? Il est possible que je puise mon inspiration de cette petite merveille... Si seulement elle veut bien m'accompagner. Enfin 'il', en l'occurrence. Pas que cela me dérange que ce soit un mâle, mais je n'en ai encore jamais eu dans mon équipe. Ce serait une première, si j'arrive à mettre cette jeune pousse de mon côté. Cependant, si toute mon attention est désormais portée vers lui, malgré les attaques répétées du Chuchmur, le concerné n'a pas l'air d'avoir grand intérêt pour moi. Il me regarde même avec un air agacé, me demandant implicitement de dégager de sa vue parce que je lui fais de l'ombre.

« Je crois qu'il veut que nous le laissions tranquille.
- Eh bien moi, je le veux dans mon équipe !
- Et la notion de consentement, ça vous parle ? »

Apparemment, non. Mais au pire c'est pas grave, je n'ai qu'à lui faire changer d'avis ! Lui montrer que c'est vraiment génial d'être avec moi, même si je manque d'arguments convaincants à lui donner. Le Pokémon sauvage semble campé sur ses positions, qui plus est. Allongé sur son rocher, il profite de son bain de soleil, ne se souciant guère que nous soyons dans les parages. Je ne compte toutefois pas abandonner aussi vite. D'un geste innocent, je lui tapote son ventre rond avec l'index, décidé à le ramener de mon côté.

« Hé, dis, dis... Tu veux bien que je devienne ton dresseur ? Alleeeeez ! Ce sera hyper marrant, tu verras ! »

Je souris bêtement, m'étant presque attendu à l'avoir motivé pour me rejoindre. Toutefois, je crois que je l'ai plus énervé qu'autre chose. Oups. En effet, il semble très peu content d'avoir été déranger pendant sa sieste au chaud. De son air teigneux et renfrogné, il pousse un petit cri contrarié et commence à agiter ses feuilles. Me préparant au pire, je sursaute et cligne des yeux, avant de faire un mouvement de recul. Manque de bol, je finis néanmoins par trébucher sur le Chuchmur juste derrière moi et tombe au sol, me massant mon postérieur endolori par cette chute non prévue. Mais je crois avoir été le plus chanceux, finalement ; car juste après avoir été contrarié, le Mystherbe s'est mis à se concentrer pour libérer de sa Poudre Dodo, que j'évitais de justesse mais qui ne manqua pas le Pokémon rose et bruyant qui me suivait depuis tout à l'heure. Le Chuchmur sauvage, aussitôt qu'il eut reniflé la poudre, s'endormit tout de suite. Bon, au moins une bonne chose de faite, je n'aurais plus à m'en préoccuper. Mais cela ne règle toujours pas mon problème.
Alors que je m'apprête à faire une nouvelle tentative, je sens le Mystherbe se figer brutalement. Dans son expression, sa colère disparaît peu à peu pour laisser place à de la surprise et... de la curiosité ? Je ne saurais dire. En tout cas, ça y ressemble un peu. Mais je ne comprends pas vraiment ce qui le captive tout à coup à ce point. Si au départ j'ai cru qu'il me dévisageait, c'est en réalité un point derrière moi qu'il fixe intensément depuis plusieurs secondes. Toujours par terre, je détourne la tête pour suivre le regard du Pokémon et tombe nez à nez avec une Chlorobule. La mienne, en l'occurrence.

Sur le pont d'Avignon ♫

Une noisette, ducon

« …
- Qu'est-ce que... Qu'est-ce qu'il y a ? »

Tu as fini par lui donner ton adresse, car tu te sais perdue dans cette grande ville. Tu as pris ce soir des chemins dont tu n'avais pas l'habitude, mais cela t'a porté préjudice. Heureusement que ce garçon passait par là, car il a l'air de bien mieux connaître le quartier que toi. Mais en te voyant trembler légèrement, quand bien même tu essayais de le cacher pour ne pas paraître aussi frêle qu'on pourrait le croire, le jeune garçon blond s'est mis à te fixer, neutre. Au bout de quelques secondes, il soupire, puis se débarrasse de sa veste chaude pour la poser sur tes épaules, ce qui te fait sursauter.

« Qu-... Oh, non, non !.. Non, ne me la donnez pas, je n'ai p-
- Tais-toi et garde-la. J'ai pas envie d'avoir ta mort sur la conscience si jamais tu crèves d'hypothermie. Tu peux marcher ?
- Oh, euh... Oui, je crois. »

Le ton de l'inconnu est ferme, mais il ne semble pas méchant ou même hostile. Tu as encore un peu froid, mais son vêtement te procure une bouffée de chaleur que tu n'attendais plus. Cette montée de température ne vient toutefois pas seulement de ce qu'il vient de te donner, mais du sentiment qui t'anime quand tu le considères. De la gratitude, ça doit être ça. Ton cœur se réchauffe autant que ton corps en sachant que quelqu'un qui ne te connaît pas t'a empêché de faire une erreur amèrement regrettable. Tu ne sais pas pourquoi exactement il a fait ça, car rien ne le poussait à agir de la sorte. Tu ne l'as jamais vu de ta vie, mais aveuglée par sa gentillesse -qu'il cache sous des airs durs- il y a quelque chose chez lui t'attire. Tu souris légèrement, sans même t'en rendre compte, lorsqu'il te prend subitement la main. Sa paume est aussi froide que la tienne, mais elle reste douce, et se resserre lentement, comme si l'autre avait peur que tu t'échappes. En silence, le mystérieux blondinet te guide en dehors du pont, puis à travers les rues de Paris pour aller jusqu'à chez toi. Il se plaint que tu te sois aussi dangereusement éloignée, mais tu ne fais pas attention à ses remarques ; tu es trop occupée à te demander encore pourquoi il t'a sauvé.


Je ne comprends tout d'abord pas comment Eve a pu se retrouver là, mais il n'est pas si difficile de le deviner. Sa Poké Ball a dû tomber de ma ceinture quand j'ai trébuché sur le Chuchmur endormi. Déboussolée, la Chlorobule fait le tour des environs avant de s'arrêter sur ma personne et de sursauter, me rejoignant pour voir si je n'ai rien. Comme je suis à terre et qu'il y a un Chuchmur allongé près de moi, elle doit probablement se poser des questions. Mais voyant que je n'ai pas de mal, elle pousse un soupir de soulagement, avant de relever les yeux sur le Mystherbe, toujours sur son rocher. Le mâle Plante est immobile depuis que la femelle de son type est apparue. Austère et capricieux, s'il faisait sa diva jusque là, la présence de la Chlorobule semble le perturber un peu. Oh... Serait-il tomber sous son charme ? Il faut dire que les Chlorobules sont adorables, y'a pas à dire. Mais Eve est un ange, elle ne ferait pas de mal à une mouche ; c'est de loin la plus calme et l'une des plus gentilles de toute mon équipe. Elle contraste fortement avec Marie, qui est sans doute la plus agitée. Je ne qu'observer avec amusement le Mystherbe sauvage contempler mon alliée. Bouche bée, il n'a plus l'air de nous ignorer. Remarquant qu'on la fixe, Eve, curieuse, n'ose pas s'approcher pour autant du Pokémon inconnu. Elle reste près de moi, attendant peut-être que je lui demande quelque chose. Elle se fait généralement toujours discrète mais se trouve être la première à être disponible pour rendre le moindre service. Dès que j'ai ouvert son Oeuf la première fois que je me suis inscrit à la Compétition d'Enola, je suis automatiquement tombé sous le charme. Mais si on peut craquer facilement pour Eve, cette dernière ne s'en rend pas toujours compte, et pire encore, n'en a pas grand chose à faire.
Le Mystherbe pourtant tente sa chance auprès de sa comparse, et s'avance d'une démarche assurée dans sa direction. Il place ses feuilles en arrière pour prendre une attitude cool et décontracté, un sourire qui se veut enjôleur sur son visage, il n'arrive qu'à attirer un rire de la part de sa 'cible' qui ne le trouve que plus ridicule, ce qui surprend le dragueur et casse totalement son trip. Il affiche une mine dépitée, ne s'étend probablement pas attendu à ce qu'on se moque de lui. Moi-même je ris de la scène, ne pouvant m'empêcher de me dire qu'il l'a mérité, quelque part. Ce n'est certainement pas d'un Don Juan dont Eve pourrait se préoccuper ; ça ne l'intéresse pas du tout.

« Bah, c'est pas grave. Peut-être que si elle apprenait à mieux te connaître, elle pourrait t'apprécier, qui sait ? »

Je pose une main compatissante sur le Mystherbe qui me scrute avec un regard soudainement illuminé par une sorte de lueur d'espoir, comme si je venais de lui apporter une solution. Tiens, je n'aurais pas cru que cette idée le séduirait à ce point. Aurait-il un coup de foudre, par hasard ?

« Oh, attention ! »

Etonné, je me tourne soudainement vers Karin, qui pointe actuellement quelque chose du doigt. En apercevant la Coxy qui fonce maladroitement sur nous, je sursaute et fait un bond sur le côté en prenant les deux Pokémons de type Plante avec moi. Nous avons évité de justesse une jeune Coxy qui n'avait pas l'air d'avoir toute sa tête. Après avoir foncé contre ce rocher où était posé le Mystherbe tout à l'heure, l'insecte tombe dans les vapes, sonné. Inquiète, Eve s'échappe de mes bras et vient s'inquiéter de l'état de la nouvelle venue, tandis que je dépose son compère au sol.

« Eh bien ! Il semblerait que nous attirions les Pokémons, aujourd'hui. »

En effet, ce qui n'est pas pour me déplaire, vu que le contact extérieur avec ces créatures me manquait. Pas que mes propres compagnes ne me suffisaient pas, mais je crois que sortir me fait le plus grand bien. D'ailleurs, cela me permet aussi d'oublier un peu le message que j'ai reçu récemment et auquel je préfère ne pas y penser tout de suite, même si je le sais important.

Sur le pont d'Avignon ♫

Pims

« Dis... Est-ce que tu es un prince charmant ? »

Le garçon s'est arrêté en t'entendant prononcer ces quelques mots. Tu as peur, l'espace d'une seconde, de l'avoir énervé. S'il semble agacé, il n'est pourtant pas sur le point de t'abandonner, ce qui est une bonne chose pour toi. Toutefois, son ton cassant te surprend toujours, même s'il ne te choque pas. En se retournant vers toi, tu comprends que tu viens de demander quelque chose qui peut lui paraître stupide, mais qui te semblait anodin.

« Faut vraiment être très naïf ou complètement stupide pour croire encore au prince charmant. Descends de ton nuage, ma pauvre, t'as failli les rejoindre y'a même pas dix minutes. »

Il reprend sa marche, pendant que tu le laisses te guider. Il a l'air de savoir où il va, comme s'il connaissait les rues de Paris comme sa poche. Même s'il est sec et dur avec toi, tu te fiches bien de ce qu'il vient de te dire. Pour toi, c'est un prince. Un prince comme tu en vois dans les films et les contes de fées. Un prince comme tu en as si souvent rêvé. Il n'a peut-être pas de cheval blanc et de manières nobles, mais le souci qu'il s'est fait pour toi t'a marqué plus que tu ne pensais. Il t'a ramené à la raison pour que tu ne sautes pas, t'a prêté sa veste pour que tu ne prennes pas froid, et t'accompagne jusqu'à ta maison pour que tu ne te perdes plus. Tu n'es pas difficile, cela te suffit largement pour lui être plus que reconnaissante. Cette perspective a quelque chose de triste, pourtant. Tu soupires légèrement en te rendant compte qu'une telle gentillesse était devenue bien rare, ces temps-ci. Cela te manquait terriblement, il faut le croire. Tu as en plus que besoin, en ce moment. Alors cela te réchauffe le cœur de savoir que même un parfait inconnu peut s'inquiéter pour toi. Il va encore te traiter d'idiote, mais tu ne peux t'empêcher de sourire un peu, resserrant même sa paume dans la tienne. Croyant qu'il allait la séparer suite à cela, c'est avec étonnement qu'il n'en fait rien, ou alors c'est qu'il ignore ton geste délibérément. Au moins, il ne te repousse pas. Il a beau faire froid, sa main dégage une douce chaleur qui t'envahit. Sa veste sent bon. Serait-ce son odeur ?.. Tu te le demandes. Mais jamais tu ne lui poserais la question, évidemment. Il te croirait folle, si ce n'est pas déjà le cas. Ou alors très mièvre, ce qui l'ennuierait certainement encore plus.

« Au fait, comment tu t'appelles ? 
- J't'en pose, des questions ? »

Tu n'insistes pas. Il ne doit pas être du genre à donner son nom à n'importe qui. La preuve qu'il est plus intelligent que toi. Tu le sais, que tu ne dois pas faire confiance aux étrangers. Pourtant, tu aurais été prête à lui donner le tien sans hésiter. Tu es trop naïve, il a raison. Tu l'admires, mais il ne doit te trouver qu'idiote, en fait. Ce n'est pas grave. Tu ne le reverras plus, de toute façon. Il est juste là pour éviter qu'on ne vienne t'embêter. Et il accomplit sa tâche à merveille. En peu de temps, vous vous retrouvez devant la porte de chez toi. Tu pries Arceus pour que ton père soit déjà en train de dormir. En principe, oui, mais tu ne peux jamais être sûre. Tu voudrais garder ce jeune prince avec toi encore un peu plus longtemps, mais c'est impossible. Tu lui rends alors sa veste, le remerciant pour l'aide qu'il t'a apporté toute la soirée.

« … Aloïs. »

Tu sursautes. C'est la première fois qu'il s'adresse à toi avec une voix aussi calme, mais tu ne comprends pas ce qu'il dit.

« Comment ?..
- Je m'appelle Aloïs.
- Oh... Je trouve ça très joli.

Ton compliment fait relever son regard sur le tien. Il a l'air surpris. Mais cela ne dure qu'une seconde, à peine, avant qu'il ne reprenne son expression grognon, et s'en aille pour de bon, ne souhaitant probablement pas te tenir compagnie encore longtemps.

« Refais pas de bêtise, idiote. J'te rattraperai pas, la prochaine fois. »

Tu ris doucement, t'imaginant qu'il s'agit d'un mensonge. Tu n'arrives bizarrement pas à te dire qu'il pourrait vraiment te laisser tomber si jamais il te voyait de nouveau ainsi. Mais peut-être voulait-il dire que tu n'auras pas deux fois la chance qu'on vienne te sauver, et tu sais qu'il a raison. Tu ne dois plus désespérer. Il faut que tu avances. Que tu sois, la prochaine fois, celle qui viendra sauver les autres. En attendant, tu le regardes s'éloigner. Tu pousses un hoquet en te souvenant que tu ne lui as même pas dit ton nom. Mais il est trop loin pour qu'il t'entende, maintenant. Alors tu te contentes de sourire de nouveau en essayant de te rappeler le parfum qui se trouvait sur le vêtement qu'il t'a prêté.

« Merci, Monsieur le Prince ! »

***

« Pauvre Coxy... J'espère qu'elle n'a rien. »

Karin s'empresse d'aller porter secours à la nouvelle venue qui s'est vautrée sur le rocher, mais apparemment, elle a juste l'air d'être un peu étourdie. Plus de peur que de mal, en somme, mais ça aurait été dommage que ça nous arrive à la tronche ; ça pèse quand même une dizaine de kilos, ce machin. Face à l'attention que la Coxy maladroite reçoit tout à coup de la part de mes deux amies, il se met à ronchonner, comme s'il boudait. Jaloux, le Mystherbe ?

« Dis, pourquoi tu ne viendrais pas avec moi ? »

Bon, d'accord, l'engager simplement parce qu'il a l'air d'avoir eu le coup de foudre pour Eve n'est pas une méthode particulièrement intelligente. Actuellement, je ne suis qu'un gros profiteur qui se trouve chanceux d'être tombé sur un kéké Mystherbe qui préfère que toute l'attention soit reportée sur lui. Ma proposition, si elle ne l'enchantait pas d'abord, semble tout à coup porter un intérêt nouveau pour lui. Il y réfléchit même, et c'est là que je garde en moi l'espoir que cela suffira à le convaincre. Ou plutôt, qu'il sera assez naïf pour que cela le satisfasse. Pour dire vrai, je ne crois pas qu'il réussira à attirer la Chlorobule. Elle n'est pas assez stupide pour tomber dans les feuilles d'un grognon pareil, c'est évident. Je ne sais même pas si elle s'intéresse à ce genre de chose, d'ailleurs. Elle est très différente de Marie sur ce plan-là, puisque la Skitty, au contraire, fait la difficile mais peut facilement s'éprendre d'un Pokémon 'viril' (pas de Wailord, merci). Eh oui, ce n'est rien de moins qu'une midinette qui aime regarder des films romantiques, mais qui continue pourtant de faire la dure, quand elle le veut. Fleur bleue peut-être, mais étrangement assez forte pour un Pokémon de son espèce et de sa taille. Assez maligne, aussi, même si elle adore me faire tourner en bourrique dans toute la maison quand je ne cède pas à un seul de ses caprices.
Mais le Mystherbe finit par refuser après une longue réflexion. Je le sens avoir envie, mais peut-être n'est-il pas prêt à accompagner un humain, qui sait.

« Hé, le Mystherbe ! Un duel contre moi, ça te dit ? »

[i]Gné ?
La jeune femme s'est dirigée vers nous. Il y a eu une période où Karin aimait bien faire des combats. De rue, très souvent, quand elle était adolescente, mais je crois que ça lui plaisait. Toutefois, cela fait bien longtemps que je ne l'ai pas vu mener un vrai combat comme celui-là. Car le Pokémon Plante relève le défi, pensant probablement attirer l'attention de la Chlorobule. Une lueur toute nouvelle dans le regard, Karin sourit malicieusement, avant de sortir une Rapide Ball pour en extraire le Pokémon qu'elle a choisi pour être l'adversaire du jeune mâle. Enfin... C'était ce que je pensais. Mais au lieu d'appeler un de ses alliés ou bien même un des siens, Karin envoie sur le Mystherbe une Rapide Ball vide qui l'engloutit à l'intérieur dans une lumière rouge bien caractéristique. Surpris, j'écarquille les yeux, ne m'étant pas attendu à ce qu'elle lui fasse un coup pareil. C'est assez inhabituel, les tromperies, chez elle. Mais j'avoue que c'est une tactique ma foi qui se révèle assez ingénieuse sur le coup. En trois clics, la plante bleue aux feuilles vertes se fait capturé, et voilà Karin devenue sa dresseuse. Je pousse un sifflement, impressionné et amusé par son comportement.

« Je ne te savais pas si fourbe, Karin.
- La fin justifie les moyens. Et je n'allais tout de même pas le laisser s'enfuir après notre balade.
- Tu voulais tant que ça un Mystherbe ?
- Il n'est pas pour moi, gros bêta. »

Je cligne des yeux, cherchant ce qu'elle veut dire par là, avant de comprendre finalement. Elle veut le donner à son Thomas, j'ai pigé. Vrai que c'est pas bête, puisque les Pokémons ont le don de rapprocher les humains. Je ne crois pas que Karin ait besoin de ça, mais je trouve ce procédé attendrissant. Tant pis, pour le Mystherbe ; j'aurai l'occasion d'en capturer un autre. Il semblerait toutefois que je me sois fourvoyé quant aux attentions de mon amie. Celle-ci me tend la Rapide Ball qu'elle vient d'utiliser.

« C'est bien peu, comparé à tout ce que vous-... Enfin, tout ce que tu as fait pour moi. Mais consi-... considère ceci comme une sorte de remerciement.
- Tu l'as capturé... Pour moi ?
- Je nous ai conduit ici parce que je sais qu'il y a un Pokémon que vous recherchez en ces lieux. Ce n'était peut-être pas un Mystherbe, mais j'ai bien compris votre intérêt pour ce Pokémon. Alors voilà. »

Elle a encore du mal avec le vouvoiement, mais je ne lui en tiens pas rigueur. Son cadeau, si je ne m'y attendais pas, me touche. J'aurais d'abord sûrement dû demander au jeune mâle s'il voulait m'accompagner, plutôt que de le forcer à rentrer dans la boule. Mais j'imagine que j'aurais tout le temps d'en discuter avec lui après. Je pense que mon assistante a senti mon hésitation pour faire le premier pas. Je préfère éviter les combats en général si cela n'est pas nécessaire, mais aurais-je été jusque là ?.. Qu'est-ce qui décide exactement un Pokémon à se laisser attraper au cours d'un match à l'état sauvage ? Si ce Mystherbe n'est pas ressorti de la ball, est-ce que ça veut dire qu'il était d'accord pour y aller ?
Elle me parle de remerciements, mais je sais qu'il n'y a pas que ça. J'esquisse un sourire doux, dans le but de la rassurer. Elle me cache quelque chose depuis des jours, mais je la connais trop bien pour ne pas l'avoir remarqué depuis un bail. Sans doute attendait-elle le bon moment. Cependant, je ne veux pas qu'elle patiente simplement parce qu'elle n'arrive pas à trouver un moyen de me le dire.

« Il y a autre chose... N'est-ce pas ? »

Mon interlocutrice sursaute, avant de baisser légèrement le regard. J'ai visé juste.

« C'est Thomas. Il veut qu'on emménage ensemble. Je trouvais que cela faisait un peu tôt, mais je lui ai promis d'y réfléchir.
- C'est ce que je voulais entendre.
- Monsieur ?..
- Cela ne sert à rien que je te retienne plus longtemps dans mon Amphithéâtre. Tu as le droit de vivre et d'être indépendante.
- Mais vous ne m'avez jamais empêché de faire quoi que ce soit, Monsieur.
- Peu importe. Je dois apprendre à vivre seul, moi aussi. Je ne pourrais pas toujours compter sur quelqu'un pour être sûr de garder une stabilité mentale. Tu as bien dit que tu me laisserais quand le moment serait venu, pas vrai ? Bientôt, il viendra.
- Faites-vous référence au message de Makenzie, Monsieur ? »

Oups, grillé. Quoique non, je me souviens lui en avoir parlé. Mais elle a touché dans le mille. Moi-même j'ai un peu honte d'avoir si peur d'une invitation de la part de la King, mais je n'y peux rien. Je ne sais pas absolument pas ce qui va se passer à ce dîner, dans quelques jours. Tout ce que je sais, c'est que ce sera un tournant décisif. Je refuse de lui mentir sur mes sentiments si je découvre qu'ils ont disparus pour de bon. J'espère prendre la bonne décision à ce moment-là ; quelle que soit le futur de notre relation, je n'ai pas envie de faire subir à Noah et Maëlle une séparation difficile entre nous deux.

« Entre autre. Il faut bien que je me reprenne en main, après tout. Mais ne me prends pas en compte pour ton propre choix ; je n'ai pas envie de t'influencer. Fais ce que te dit ton instinct, je le sais fiable. »

Alors que ma Chlorobule se rapproche de moi, je lui offre des caresses dont elle n'a pas souvent l'occasion de profiter. La jeune femme reste muette face à mes paroles, encore hésitante. Si elle avait encore eu des sentiments à mon égard, ça aurait été plutôt compliqué pour la suite. Mais si elle a trouvé son bonheur auprès de quelqu'un d'autre, j'en suis très heureux pour elle. Son regard bleu se fixe dans le mien, mais si elle tente de parler, aucun son n'accompagne le mouvement de sa bouche. Elle peine à trouver ses mots.

« Il va commencer à se faire tard...
- Monsieur...
- Nous reparlerons de tout ça un autre jour. Rentrons à la maison. J'ai hâte de faire connaissance avec mon nouvel allié. »