Douter
Solo
Il versa à nouveau une dose généreuse de café corsé et bourré de sucre dans sa tasse. Il posa sa thermos sur le côté du bureau de bois ciré et poussa un long soupir fatigué. Il s'étira et geignit lorsque ses muscles endoloris vinrent lui rappeler qu'il avait besoin d'une longue et bonne nuit de sommeil sous une couverture bien chaude. Toutefois, la blancheur immaculée de la page sur laquelle il travaillait le ramenait durement à la réalité, lui rappelant qu'il devait rattraper tout le retard qu'il avait accumulé pour son prochain roman. Son éditeur lui avait déjà acheté le roman, et lui avait donné trois mois pour le terminer et le peaufiner. Malheureusement pour Faust, l'inspiration se faisait bien silencieuse ces temps-ci et il ne pouvait qu'écrire des banalités sans noms qui lui donnaient envie de se poser des questions quant aux qualités littéraires inexistantes de ses bouquins.
La lumière blafarde de l'écran de son ordinateur lui fatiguait les yeux et il ne voulait pas se regarder dans un miroir, persuadé que ce qu'il verrait serait assez effrayant. En effet, il n'avait pas tort : des demis-cercles sombres se trouvaient sous ses yeux remplis de fatigue, ses traits étaient tirés et son visage était livide. Ses yeux étaient rougis il marmonnait des jurons incompréhensibles dans sa barbe imaginaire. La page blanche qu'il fixait depuis maintenant une demie-heure semblait le narguer et il aurait cru en devenir fou. Vraiment, il avait l'impression de n'arriver à rien. Son cerveau paraissait être bloqué sur ce seul et unique chapitre qui le tourmentait. Il saisit sa tasse et prit une gorgée de café. Il sentit le liquide lui réchauffer la gorge et les entrailles. Il se demanda, en voyant que sa thermos était déjà à moitié vide, s'il arriverait véritablement à dormir ce soir avec la quantité de café qu'il avait ingéré, bien que s'empêcher de s'endormir ait été le but premier.
« C'est pas vrai... » grommela-t-il en se frottant les yeux tandis que ses doigts jouaient nerveusement avec un stylo.
L'hôtel où il s'était installé aujourd'hui était relativement confortable. Malgré l'activité continue de Zazambes, ce coin de la ville était plus paisible et il pouvait ainsi être en paix. Toutefois, l'ironie de la chose voulait qu'il avait mis son casque et que celui-ci diffusait une musique relativement charmante, ressemblant plus à du doom metal qu'à un joli petit extrait de jazz instrumental. Il devait écrire un passage où le personnage principal de son roman découvrait le cadavre ensanglanté de son fils sur le paillasson de son appartement, ce qui avait été le résultat d'une trahison d'une personne à l'apparence innocente. Bien évidemment, cela donnait lieu à beaucoup d'angoisse et de drame, mais aujourd'hui, Faust était incapable d'écrire la moindre ligne sur son sujet favori (c'est-à-dire le tragique). C'en était désespérant.
Un grognement vint rauque vint résonner derrière ses oreilles et il sursauta, renversant son café sur le clavier de son ordinateur et sur son t-shirt, au passage. Il jura et pesta. Magnifique : une gigantesque tache brune décorait dorénavant son haut et il était trempé. Il soupira. Il retira son casque et tourna sur sa chaise. Les yeux de Dalhia, intransigeants, étaient fixés sur lui. Faust, fait comme un rat, rougit comme un enfant attrapé en train de faire une énorme bourde.
« Dalhia, par pitié... Il faut que je termine, laisse-m... »Il n'eut pas le temps de finir sa phrase. La chienne infernale attrapa le bout du t-shirt de son maître dans la gueule et le tira vers le lit. Elle le poussa et le força à s'asseoir près de son oreiller. Elle se planta devant lui et s'assit, son regard dur et glacé. Faust soupira.
« Écoute, c'est rien. C'est juste beaucoup de boulot d'un seul coup et en suite ça sera fini. Je sais que je ne t'ai pas beaucoup vu ces temps-ci, mais je te promets que demain, on ira faire un tour en forêt ensemble. » dit-il d'un ton qui se voulait jovial, mais la fatigue révélait la sonorité mélancolique qui s'y cachait.
Dalhia ne parut pas satisfaite, sa queue battant l'air frénétiquement. Faust se sentait mal à l'aise, sachant pertinemment qu'il ne pouvait absolument rien cacher à sa vieille amie. Celle-ci refusait de montrer quelque chose d'autre qu'un agacement très prononcé. Le conseiller se gratta la nuque, profondément gêné. Il ne peut pas la regarder dans les yeux : la honte le submerge.
« Je... Arrête, s'il te plaît, Dalhia. J'en peux plus. »Il sentait ses yeux s'humidifier. Sa gorge se bloqua et ce ne fut que lorsque le museau de la Démolosse passa sous son cou qu'il réussit à prendre une grande inspiration et à retenir les larmes qui menaçaient de tomber. La chienne démoniaque monta sur le lit et vint se lover contre lui, lui prodiguant la chaleur nécessaire pour réchauffer son cœur fêlé. Elle poussa un petit geignement attristé qui força Faust à se mordre les lèvres pour empêcher un sanglot étranglé de sortir de sa gorge.
Il ne sait plus où il en est, il ne sait plus s'il est supposé être Faust, le gosse perdu, ou Noctis, le résistant au but qu'il est lui-même incapable de discerner. Il veut être Faust, pour pouvoir oublier ses responsabilités de combattant, mais il veut être Noctis pour s'émanciper de l'amour fraternel qui l'enchaîne aux vies de ses frères. Chaque fois qu'il se regarde dans le miroir, c'est le visage de Clive, le vrai, pas celui qu'il se forge, mais celui qui le fixe et qui n'est que le reflet de ses propres ombres. Il peut voir ses démons rirent dans ses yeux et leurs ricanements sonnent à ses oreilles comme le glas du désespoir. Le souffle de Dalhia est chaud contre son ventre et ses yeux rouges observent son visage, cherchant chaque signe de détresse.
« Je ne sais plus quoi faire. Je ne sais même pas s'il est encore en vie. Eliott m'a dit qu'il était parti il y a deux ou trois jours et je... »Il déglutit. Sa voix se fait plus las. Il se pince l'arrête du nez.
Il est fatigué. Fatigué de ces conneries qu'il doit être, au final, le seul à devoir à assumer. Il entend encore chaque nuit les pleurs d'Eliott et les reproches de Clive. Le regard de Felix, ombrageux par tous les reproches qu'il contient, est un souvenir qui ne le laisse jamais vraiment seul. Lui était plus maîtrisé, plus calme que Clive. Lui disait milles et uns mots par la seule force de son regard rempli de colère froide. Les cris de sa mère ne furent que des mots là où le silence de Felix fut plus tranchant que la lame d'un couteau. Et Eliott, pauvre Eliott, qui par son innocence et sa naïveté fut la seule véritable victime de cette pathétique fumisterie.
Dans la cour du roi, il était le bouffon. Il n'était ni marionnettiste ni pantin : il n'était qu'une poupée bonne à jeter. Il n'entendit pas le son pourtant connu de l'ouverture de plusieurs pokéballs.
Il entend le bruit de pas gracieux se rapprocher et avant même qu'il n'ait pu se retourner, un corps chaud et blanc vint se poser derrière lui. Fae se tenait derrière lui, et de son regard bienveillant l'incita à poser sa tête dans sa fourrure de neige. Fae, de ses yeux émeraudes, doux et chaleureux, remplis de connaissances qu'il pouvait à peine imaginer, observa son maître s'allonger avec une patience incommensurable. Dalhia prit son drap dans la gueule et le poussa jusqu'au cou de Faust. Elle vint se lover contre lui, sachant pertinemment qu'il n'avait rien d'autre à faire.
Elle en avait l'habitude, après tout. La main du châtain se pose sur la tête de sa vieille amie et la caresse avec douceur et amour.
« Désolé, ma belle. Je sais que je suis censé être plus fort que ça. »La Démolosse poussa un grognement qui devait sûrement dire quelque chose comme 'ferme-là, abruti'. Foutus humains et leur incapacité à laisser aller leurs émotions.
« Je ne sais pas, Dalhia. » avoue-t-il dans un murmure qui se veut secret.
Dalhia sait. Elle geint, son regard se faisant peiné. Elle sait ce qu'il veut dire, et elle sait pourquoi le regard de son vieil ami est distant et brille de cette lueur détestable qu'est celle de la culpabilité. Parce que Faust s'enterre seul, et qu'elle sait que cela sera sa perte. Elle sait que sa générosité finira par l'amener au fond du trou, et elle ne peut qu'essayer de le retenir avant que la terre ne finisse par revendiquer son corps. Dalhia ne peut que lui offrir ce qu'elle lui a toujours offert et ce que Clive ne pu jamais lui donner : de l'affection.
Faust est perdu.
Il pense. Il pense à John, ce dresseur qu'il a rencontré il y a de cela un certain temps déjà et qu'il a aidé à progresser, il pense à cette journée où il livra ses premiers combats avec Arthur, il pense à ce jour où il rencontra Matsuo, il pense à cet entraînement avec Sky où le doute s'installa insidieusement dans son esprit durant les quelques minutes où il fut seul avec lui-même. Il pense, il pense et il ne trouve pas la réponse, s'il en existe une. Arthur, silencieusement et timidement, s'installe dans son champ de vision et s'installe à côté de lui, entre Fae et Dalhia. Le jeune chien de feu lui jette un regard qui se veut méfiant, mais sa présence seule rassure Faust quant à sa volonté.
Il pense à ces moments qui lui donnèrent chacun une nouvelle façon de voir le monde, à ces souvenirs si différents les uns des autres. Aux murs de ses horizons qu'il pousse un peu plus à chaque fois, au monde qu'il découvre, bon ou mauvais. Il n'y a ni bon ou mauvais, toutefois, dans un monde régi par l'égoïsme.
Renonce à toi-même, et tu abandonnes le monde. Le monde s'arrête et commence avec toi.L'ordinateur est depuis longtemps abandonné. Faust enlève son t-shirt taché qu'il jette dans un coin de la pièce et s'enfonce dans son drap, réchauffé par la chaleur corporelle de ses pokémon, ses compagnons les plus fidèles.
Faust n'a pas de réponse, mais il peut oser en cette nuit espérer un futur moins sombre.
Il se demande si il finira bouffon ou chevalier, mais au fond la réponse lui est connue : il n'est qu'un pion sur l'échiquier du monde.
Ses paupières se firent lourdes et il sombra dans les bras de Morphée. Les cauchemars ne firent pas de lui leur victime, cette fois.