Oiseaux tombés du nid

Appel < Solène

Treize heures quarante-sept. Le téléphone sonne. Faust, dans la douche, pousse un juron coloré. Il s'est endormi à sept heures du mat', à peu près, pour se réveiller aux alentours de midi, alors la fatigue avait quelque peu réduit ses capacités de réaction. En entendant sa sonnerie, sa réaction fut, après avoir récité une bonne partie de sa liste d'insultes personnelle, fut de sortir à la-va-vite pour se sécher et rappeler la personne qui avait bien pu l'appeler à une heure pareille. Enfin, une 'heure pareille', pas qu'appeler dans l'après-midi soit mauvais, mais disons qu'il aurait préféré ne pas être dérangé aujourd'hui. Après avoir enfilé des vêtements très rapidement, il décrocha et le son de la voix de son interlocutrice lui permet de l'identifier dans la seconde.
Solène. Immédiatement, toutes les protestations qui voulaient sortir de sa gorge se turent. Il l'écouta en silence, et il sentit sa respiration se bloquer dans sa gorge tandis qu'un nœud se formait dans son estomac. Faust pouvait presque entendre toute la tension dans sa voix, et l'anticipation quant à ce qu'elle allait lui dire le fit se taire et retenir tous les mots qu'il voulait dire. Il passa un coup de sèche-cheveux sur la massa indomptable qui régnait sur sa tête, et manqua de lâcher ce qu'il tenait lorsqu'il entendit ce que Solène voulait apparemment lui dire.
Bordel. Putain de merde, c'est pas vrai... Il ne savait même pas si il avait dit cela à haute voix ou non, en français ou en japonais, tant ses pensées se bousculèrent soudainement dans sa tête. Il aurait presque pu entendre un gigantesque 'boum' dans sa tête tant le choc fut rude. Il dû s'accrocher au lavabo pour ne pas tomber et se blesser grièvement. Le code était simple, et heureusement qu'il le fut : il n'y avait pas à douter qu'il aurait été incapable de la comprendre, tant l'hypothèse que... Que... Putain. Il n'arrivait même pas à y penser.

Deux semaines. Deux semaines de chaos passées à écumer tout Enola à la recherche des disparus. Isaac, Tel', Samaël, Yumi, Azmitia même, parce qu'il savait qu'elle était celle que le Régime cherchait avec tant d’insistance et que cela lui aurait brisé le cœur de savoir que la jeune femme avait été enlevée elle aussi. Deux semaines passées à éviter le reflet dans son miroir pour ne pas avoir à penser à Clive, deux semaines passées à cuver son malheur dans la vengeance. En toute discrétion. Personne dans la résistance n'était au courant de ce qu'il avait fait, car il se doutait qu'il aurait eu droit à quelques remontrances, et il n'était pas d'humeur à ça. Alors qu'ils aient été libérés maintenant... C'était presque humiliant, pour lui. Parce qu'il avait fallu qu'il attende que le Régime se décide à les libérer. Et qui sait s'il était en vie.
Parce que oui, si le Régime avait décidé d'en libérer une grande partie... Cela ne voulait pas dire que tous sortiraient. Ni que tous auraient survécu. L'idée lui donna la nausée et Faust dû retenir la bile qu'il voulait recracher à l'idée de tomber sur le cadavre d'un de ses proches. Il prit une grande inspiration, tentant de retrouver un peu de Noctis dans le chaos de son esprit.

« Ne bouge pas. J'ai quelqu'un à prévenir. »

Il claqua des doigts en arrivant dans le salon et l'attention de Katya se porta sur lui. Il lui jeta un regard significatif et dans l'instant qui suivit ce signe, Katya fut téléportée à Zazambes avec ses affaires par le Gallame d'Isaac. Celui-ci sachant très bien qu'il devait revenir dans l'immédiat, ce ne fut donc pas une surprise de le voir quelques secondes après à ses côtés. Dalhia s'approcha, inquiète, sans toutefois forcer son maître à s'expliquer maintenant. Il décida finalement de reprendre la conversation. Quinze secondes avait dû passer, tout au plus. Heureusement qu'il était sur ses gardes.

« Dis-moi où aller, Solène. J'y serai dans dans les minutes qui suivront.  »

Il se mit à préparer les pokéballs qui allaient être nécessaires.

« Sais-tu si les oiseaux ont été libérés ensemble ou s'ils ont été disséminés ? »

Oiseaux tombés du nid

Appel < Solène

Faust n'avait pas le même sang-froid que Solène. Il ne l'avait jamais eu. C'est pour cela que sa respiration était plus rapide, malgré le fait qu'il arrivait à maintenir sa voix plus rauque. Ça, ça lui permettait de rester calme. Noctis, c'était ce qui lui permettait de ne pas s'effondrer, parce que l'autre partie de son esprit était en train de hurler. La voix du maître dresseur était suffisamment posée pour lui permettre de ne pas la perdre de vue et de se noyer dans ses pensées.

Zazambes, Anula et Amanil. Pour Zazambes... Il pourrait y passer plus tard. Si Isaac s'y trouvait, il serait forcément retrouvé par sa famille qui devait sûrement écumer les rues à sa recherche maintenant. Pour Anula... Plus tard. Bordel, il savait qu'il n'était pas supposé penser comme ça, qu'il n'était pas commencé à faire des suppositions alors qu'il était tout à fait possible que Yumi, Sam, Tel et Isaac soient disséminés aux quatre coins de l'île. Il aurait pu laisser ses pokémon fouiller par eux-mêmes, mais il pouvait difficilement se séparer de l'un d'entre eux maintenant. Dalhia refuserait de partir, et Arthur... Il aurait besoin de l'odorat de l'Arcanin. Peut-être qu'Hadès était le seul qui pourrait se débrouiller seul, sous sa supervision évidemment. Ses pensées s'emmêlaient. Il préférait largement penser à ce qu'il devait faire plutôt qu'à ce qu'il allait trouver. L'idée même de retrouver Isaac, Tel, Sam ou même Yumi... Bon sang, il arrivait à peine à imaginer ce qu'ils avaient pu endurer. Si ils étaient toujours vivants.
Merde, merde, merde. Combien de temps ça allait encore durer, tout ça ? Jusqu'à ce que le Régime se lasse ?
Oh non. Ça, il ne l'accepterait jamais, et il savait que la vengeance viendrait un jour. Il saurait se montrer patient. Clive attendrait. Ils attendraient tous.

« Je... Je vais prendre la direction d'Amanil. Je te laisse Anula. Est-ce que Kirito est prévenu ? » répondit-il, sa voix laissant transparaître son inquiétude vers la fin.

Parce que oui, la colère de Kirito quant à la disparition de sa sœur était une autre préoccupation. Il pouvait le laisser retrouver Yumi. Il savait que le conseiller ne s'arrêterait pas et ne serait pas en paix tant qu'il ne l'aurait pas retrouvé. Il pouvait le comprendre, oh que oui, mais ce n'était pas le moment pour se mettre à plaindre tout le monde. Il plaindrait les libres après ; il y avait d'autres oiseaux à soigner, et il ne dormirait pas tant que leurs ailes ne seraient pas libérées à jamais des griffes du Régime, et qu'ils seraient en sécurité. Tous. Et après ça... Il ferait en sorte que cela n'arrive plus. Il trouverait un moyen, peu importe les conséquences. Il valait mieux pour les tortionnaires qu'ils aient couvert leurs arrières. Il était loin d'être innocent, et Arceus seul savait qu'il avait une imagination très fertile. Il prit une grande inspiration en enfilant des vêtements. Un vieux manteau, sa sacoche. Il risquait probablement d'être tâché, alors...

« Solène, si... Si tu LE vois, si tu LES vois... Préviens-moi. S'il te plaît. » demanda-t-il, arrivant difficilement à cacher le désespoir qui commençait à se sentir dans s voix.

Isaac. Sam. Yumi. Ceux qu'elle connait.
Il n'avait pas pu s'en n'empêcher. Solène ne lui devait rien, mais il devait lui demander cela, parce qu'il en avait besoin.
Il devait au moins penser un peu à elle, dans cette histoire. Elle l'avait prévenu, il avait donc une dette envers elle. Et Faust ne reculait jamais devant une dette, sauf pour... Sauf pour Clive. Mais c'était une toute autre histoire.

« Merci de m'avoir prévenu, So'. Si tu as besoin de mon aide, dis-le moi. »

Thalie et Merlin vinrent se placer à côté de lui, prêt à partir dès que le signal leur serait donné. Ce qui ne tarderait pas à arriver. Il aurait pu partir sur les ailes de son Corboss, mais il ne ferait ça qu'une fois arrivé là-bas.

'Zac, Sam', Tel'... J'arrive.

Oiseaux tombés du nid

Appel < Solène

« J'le ferai. Promis. »

Toutefois, il s'agissait d'une promesse qu'il faisait sans vraiment connaître le futur, et l'idée que ses recherches n'aboutiraient à rien était plus horrible que celle où il s'imaginait ce que ses proches pouvaient et avaient bien pu subir sous les griffes du Régime. Autant dire que pour noyer ces pensées, il avait fallu plus d'une bouteille, mais après le mal de crâne phénoménal et l'état pathétique dans lequel il se trouva au matin, il se promit d'arrêter de fuir de cette façon, voir même de fuir tout court. Il se promettait tant de choses, il s'était promis tant de choses, mais si il serait mentir que de dire qu'il avait une idée d'où pourrait bien se terminer tout cela. Alors quand il promettait ceci à Solène... Il faisait ça sans avoir la moindre idée de ce qu'il ferait. Serait-il même capable de saisir son téléphone ?
Serait-il capable de saisir son téléphone et de l'avertir s'il les retrouvait, quel que soit leur état ? Serait-il capable de saisir son téléphone s'il devait s'avouer vaincu, après avoir remué ciel et terre pour pouvoir les voir encore une fois ? Il espérait presque Solène en retrouverait avant lui. Faust était loin d'avoir le sang-froid du maître dresseur dans ce genre de cas.
En même temps, son sang-froid était partie en fumée au moment même où la silhouette de Clive s'était dessiné dans le creux de ses iris.
Elle raccrocha.  Arceus qu'il se sentait inutile.

Parce que c'était ce qu'il avait été, et il aurait été immature de sa part de le nier. Tout ce qu'il avait fait. Ses recherches, ses nuits blanches passées à interroger ses connaissances, ses petites affaires moyennement acceptables, ses sides-jobs de voleur en échange d'une once d'info quand à l'endroit où l'état des prisonniers... Tout ça pour rien. Tout ça pour que le Régime finisse par être le seul à décider de ce qui arriverait, comme bien trop souvent à son goût maintenant. Si la colère, la rage, la rancune et le désespoir régissaient son cœur et son esprit depuis ce foutu premier janvier, il pouvait sentir la lassitude et la fatigue devenir des compagnons tout aussi cruels que les précédents. On lui avait toujours dit que le pire, c'était d'abandonner tout espoir, mais Faust commençait à croire que l'on lui avait menti.
Non. Le pire, c'était de le perdre, parce que dans ce cas-là, on a aucun contrôle sur ce que notre cœur a déjà décidé, et pour l'amour de tout ce qui était bon, il savait que ses pensées n'étaient pas si éloignées de ce chemin-là.

Mais il se l'était promis. Il s'était promis qu'il les retrouverait, quoi qui puisse lui arriver, même s'il devait être emporté à leur place. Il accepterait tout, à compter qu'il puisse leur offrir autre chose que le malheur dans lequel ils avaient été sûrement plongés. Parce qu'il n'avait pas été assez fort, encore. Parce qu'il était toujours le gamin de dix-huit ans qui, après avoir vu son père mourir devant ses yeux et qui avait senti son sang couler et peindre ses mains de rouge, s'était terré dans son désespoir et qui n'avait jamais eu la force de trouver un moyen de se venger. Parce qu'il n'était pas comme Sam, qui désirait juste sauver son père avec une grandeur d'âme qui étonnait le châtain, parce qu'il n'était pas comme Isaac, qui savait comment oublier, et par dessus tout, parce qu'il n'était pas comme Clive. Parce qu'il ne pouvait pas se détacher de tout, même s'il le voulait, parce que ce n'était pas dans sa nature, et putain que ça faisait mal, tout ça.
Toute cette douleur sans véritable explication. Comment est-ce que l'on pouvait promettre un monde meilleur aux enfants, alors ? Était-ce une façon de se moquer d'eux ?
Il prit une grande inspiration et après avoir vérifié qu'il avait toutes ses affaires, claqua des doigts. Il se sentit être téléporté à l'entrée d'Amanil.

Il expira profondément et libéra son Corboss de sa pokéball. L'oiseau d'ombre étira ses longues ailes  de nuit, et après que Faust lui ait murmuré quelques ordres, s'envola vers le ciel. L'ombre d'Hadès ressemblait à un présage de mauvais augure ; le croassement rauque et puissant qui sortit de sa gorge fut comme un avertissement.
Quatre noms. C'était ceux-là qu'il devait retenir et qu'il retiendrait à jamais, jusqu'à ce qu'ils soient en sécurité.
J'suis bientôt là. C'est fini.

La Gardevoir à ses côtés s’agita soudainement et Faust dû prendre une grande inspiration pour ne pas tomber. Cela voulait dire qu'elle avait ressenti sa présence dans les environs et... Et...
Isaac. J'arrive.