Deux jours, deux jours que j'ai rejoint la Résistance avec Eugène. J'ai toujours aussi peur, toujours autant d'incertitudes à son égard, mais en un sens, je suis bien contente qu'il soit à mes côtés. On forme une équipe désormais, & je ne doute pas qu'ensemble nous serons efficaces ; il est jusqu'à présent l'un des rares capables de m'apaiser un peu après tout, de contenir mon impulsivité, & moi je crois que je parviens un peu à l'aider à refouler sa haine envers le Régime, cette même haine qui l'avait empêché de se joindre au mouvement avant qu'on ne se rencontre. Il dit aussi que je lui donne le courage qui lui manquait.. Arf, rien que d'y repenser, voilà que je rougis de nouveau. Baissant les yeux vers Bambi qui ricane doucement en me regardant, je croise son regard moqueur avant de lui tirer la langue. Oui bon, ça va hein. Je sais bien que je suis totalement paumée concernant Eugène, que j'arrive pas du tout à dire ce qu'il est exactement pour moi, mais c'est pas une raison pour en rajouter! Pour bien montrer à mon ami que c'était la moquerie de trop, je grimpe vivement dans un arbre, sachant que le cervidé qu'il est ne pourra me suivre là. Puérile je suis? Oui, je sais, & sincèrement peu m'importe. Je suis réfléchie & mature en général, au point d'avoir toujours su le métier que j'exercerai, ou encore au point de rejoindre en toute âme & conscience un camp dans une guerre qui pourrait me tuer à tout instant, mais quand même.. J'ai le droit d'agir parfois comme la gamine que je suis censée être à mon âge que diable! Les gens oublient trop souvent en me voyant que je ne suis même pas majeure, je crois. Enfin.. C'est ainsi, & c'est pas comme si ça me dérangeait souvent non plus. J'suis pas vraiment une gamine au fond, juste une chieuse totalement assumée.

De mon perchoir, j'ai une bonne vue tout autour de nous, malgré les autres arbres & la végétation parfois dense de la Jungle où mes pokémons & moi-même faisons une petite excursion ce matin en notre qualité de Rangers. Tout semble calme, ma foi. Au pied du tronc, le Vivaldaim lâche un couinement piteux, suppliant ; une excuse & un appel tout à la fois. Je commence par l'ignorer, boudeuse, le laissant recommencer une ou deux fois avant de daigner baisser le regard vers lui, qui se tient sur ses deux pattes arrières, les antérieurs appuyés au tronc pour mieux me voir. Croisant son regard implorant & sincèrement désolé, je me sens fondre, incapable de lui en vouloir plus longtemps ; même que c'est sachant pertinemment que je lui pardonnerai très vite que je n'ai pas réagi tout de suite à sa supplique. Un soupir m'échappe, je lève les yeux au ciel avant de hocher brièvement la tête en lui offrant un petit sourire. Pardonné vieux frère, sans rancune. & il se laisse retomber sur ses pattes, effectuant quelques ruades joyeuses au pied de l'arbre en guise de remerciement. Je ris légèrement, amusée, jusqu'à ce qu'il s'immobilise soudain, tous sens en alerte. A quelques pas de lui, Flynn, qui somnolait contre un rocher, se redresse soudain en fixant la même direction que le faon.. Ni une ni deux, sans chercher à comprendre plus longtemps, je saute de la branche où je m'étais assise & me réceptionne souplement sur la terre ferme, avant de venir me planter au côté de Bambi, cherchant ce qu'il a repéré. Je trouve de quoi il s'agit au moment où mon Elekid nous rejoint à son tour, deux ou trois secondes plus tard. Il s'agit d'un bruit de pas lourds & irréguliers, étouffés par l'herbe moelleuse, mais semblant provenir d'un unique être vivant.. Qui doit probablement être blessé, pour marcher ainsi. Je commence à faire des suppositions quand à l'être en question, à aller à sa rencontre pour l'aider, en bonne Ranger que je suis, quand il apparait soudain, franchissant le mur végétal pour se figer à quelques pas de nous.

Il s'agit d'un Elekable, immense & impressionnant, avec une affreuse plaie sanglante au flanc, mais qui nous adresse tout de même un faible sourire en fixant mon Elekid. Inutile de réfléchir un seul instant pour comprendre de qui il s'agit ; l'exclamation interloquée de Flynn me suffit. Cet Elekable n'est nul autre que son père disparu, son père qu'il pensait mort. Aujourd'hui mortellement blessé, revenant vers lui tant bien que mal, au prix d'un effort probablement immense, sans doute pour lui transmettre ses dernières paroles. & en effet le paternel de mon ami lui adresse quelques mots dans leur langage ; je comprends à son ton posé qu'il s'agit d'explications. Le regard triste de Bambi à mes côtés m'aide à en supposer le sens ; ce ne fut pas par choix, le père a été séparé de sa famille par la force & sa compagne a conclu à sa mort, probablement, avant de mourir elle-même de maladie -cela j'en suis certaine-, laissant derrière elle leur fils seul au monde. Le Vivaldaim me lance un bref regard qui signifie tout. Le Régime, par Arceus, encore le Régime. J'ignore comment, mais ils sont intervenus dans la disparition du père de mon ami ; à en juger par l'expression douloureuse du pokémon en question, je devine que cela n'était pas dans une optique des plus sympathiques. J'ignore ce qu'il a pu vivre ou subir auprès du Régimeux qui l'a capturé ou à qui on l'a confié, mais cela a été visiblement difficile, traumatisant. Enfin.. Dans tous les cas, le voici de retour des années plus tard, grièvement blessé à cause de sa fuite sans doute, portant contre lui un tout petit œuf rouge que je remarque pour la première fois. Un petit œuf qu'il confie à son fils aîné avec une simple parole que j'interprète sans aucun mal comme une plate excuse, avant de lever brièvement les yeux vers moi & de sourire faiblement en me voyant acquiescer sans hésitation ; puis il tourne le dos & part en courant sans crier gare, loin & seul.

- Kiiid!

Il veut s'élancer à sa suite, mais en deux pas je suis à ses côtés, le serrant contre moi pour l'empêcher d'y aller. Je sens qu'il lui faut beaucoup de volonté pour ne pas activer son Talent, pour ne pas m'attaquer de manière à poursuivre son père. Il sait au fond de lui qu'il est plus sage de rester derrière, de ne pas suivre ce pokémon réapparu juste le temps de lui confier cet œuf qui, je suppose, est celui de son demi-frère ou de sa demi-sœur. Finalement après quelques minutes à se débattre de la seule force de ses bras, n'osant pas user de vraie attaque de crainte de me blesser, il renonce & s'écroule. Il sait lui aussi, la raison de cette fuite. Son père veut juste lui épargner l'inévitable ; le spectacle de sa mort. Même après des années d'absence, bien que celle-ci ait été forcée, il continue de le protéger. Il nous a confié son autre enfant, signe qu'il a dû avoir une autre compagne pendant que le Régime le tenait. J'ai vu son bref regard dans ma direction, j'ai vu cette demande tacite à la dresseuse de son fils aîné. Cette demande de prendre soin de lui, & de son second petit qu'il ne verra pas naître ni grandir. Cette demande de veiller sur eux. Cette demande que j'ai acceptée, & que je me fais le serment muet d'accomplir, quoiqu'il advienne. Je veillerai sur eux, ils deviendront grands & forts, fiers, il ne leur arrivera pas ce qui lui est arrivé.