Le trajet a été très long. Ou très court, je ne sais pas vraiment. Je ne l'ai pas réellement vu passer, en vérité, plongée dans mes pensées tout le long du trajet à pied de la Jungle à Anula même si là j'étais tout de même disponible & aux aguets en tant que Ranger que je suis, puis perdue dans mes pensées dès l'instant où mes trois pokémons & moi-même sommes montés à l'arrière du taxi appelé pour nous ramener à Baguin. Occupée à me demander ce que je pourrai bien dire une fois arrivée, une fois face à Eugène désormais que je sais, désormais que j'ai décidé de vivre cette vie éphémère à fond & de tenter ma chance, j'ai passé tout le voyage vers le nord à regarder le paysage défilant par la fenêtre en l'interrogeant silencieusement, caressant distraitement la tête de Bambi sur mes genoux. Je n'ai pas dû être de très bonne compagnie pour le chauffeur, mais il a respecté mon silence avec un grand professionnalisme ; & puis le fait que Mélodie soit montée sur le dossier du siège passager pour chantonner quelques airs qui ont donné le sourire à l'homme au volant a dû grandement rattraper mon impolitesse. En tout cas lorsqu'il m'a déposée sur une place fréquentée du Centre des Musées, il ne me l'a pas reprochée, se contentant de me sourire, d'adresser un clin d'œil à la petite Etourmi, & de repartir. Un brave homme que celui-là, sans aucun doute. Un léger sourire s'esquisse sur mon visage que les secondes passant rendent plus soucieux à chaque instant. Je suis sûre de moi, de mes sentiments, de ma décision, mais plus le moment fatidique approche & plus j'angoisse de les révéler. Comment lui dire?.

C'est plus par automatisme qu'autre chose que mes pas se dirigent vers le Centre Pokémon de la ville. Flynn & Bambi m'emboitent le pas aussitôt, alors que Mélodie va se poser sur le dos du Vivaldaim plutôt que sur mon épaule comme d'habitude. Me laissant mon espace & mes pensées, mes interrogations silencieuses. J'ai peur qu'il me repousse ; & pourtant après sa culpabilité d'hier quand il m'a volé mon premier baiser, le long moment sans paroles que nous avons passé ensuite main dans la main, le silence qui nous a rendus muets depuis.. Pourrait-ce être plus explicite? J'ai peur quand même. J'ignore comment lui dire, je n'ai jamais fait ça, je n'ai encore jamais connu ce genre de sentiments.. Je ne sais pas comment je suis censée faire. J'étais la bonne élève à l'école, un peu coincée aux yeux de ceux qui ne pensent que "débauche", ne perdant pas son temps à découvrir le sexe opposé au travers d'amourettes sans importance ; j'avais un but, je l'ai suivi, j'ai réussi. J'ai jamais connu ça. Je doute, même si je suis sûre de ce que je ressens maintenant que je l'ai admis, même si j'ai choisi de suivre mon cœur. J'ai peur de tout, qu'il me rejette, de ne pas trouver les mots, de nous murer un peu plus dans ce silence gêné ; & le Centre Pokémon en vue ne m'apaise pas. Quand j'en passe les portes j'ai l'impression d'être dans un autre monde, irréel. J'entends à peine ma sœur, la saluant brièvement d'un signe de la main. Mes pokémons me dépassent pour aller vaquer à leurs occupations, me laissant seule car je ne peux faire cela que seule. Bambi & Flynn ne me laissent pas le choix en somme, même qu'ils demandent à Méryl où se trouve Eugène avant de partir. Un faible sourire sur mon visage je tente de me donner du courage, puis me dirige vers le Jardin que m'indique la Méganium en souriant.

Il s'y trouve bel & bien, revenant du terrain d'entraînement où il a probablement mené un dresseur désirant s'occuper en attendant des nouvelles d'un allié. Il est seul, ne m'a pas encore remarquée. Je le vois d'un tout autre œil aujourd'hui, & de la même manière à la fois. Comme avant, tout en étant consciente de la raison qui affole mon cœur. Quelles étaient mes interrogations déjà, de quoi doutais-je en rentrant?.. Je ne me souviens plus. J'ai tout oublié. Le voir me suffit je crois, peut-être, mes débuts de discours foireux se sont envolés. Il ne reste plus que lui, vers qui je me dirige sans attendre, mes pas me portant d'eux-même vers lui. Plus aucun doute dans mon attitude, seulement mes yeux qui étincèlent alors que je vais vers lui d'un pas soudain sûr & déterminé. Mon sourire est revenu, tout comme la légèreté qui m'a prise dans la Jungle lorsque j'ai fini par admettre qu'il n'a jamais été pour moi un simple ami, toujours plus. J'ai fait mon choix, celui de tenter le coup, de tout lui dire d'une manière ou d'une autre, de vivre même si ça fait mal parfois, même si ça fait peur parfois. Lorsque ma voix m'échappe pour l'appeler, dans une exclamation qui fait tourner quelques regards vers nous, j'ai oublié tout le reste du monde. Il n'y a que lui à qui je dois la vérité, & moi, il n'y a plus que nous.

- Eugène!

Il sursaute, lève les yeux, me regarde avec un air surpris qui s'accentue alors que je cours désormais vers lui. Une surprise qui ne le quitte pas plus quand je me jette dans ses bras sans hésitation, pour lever vers lui un regard déterminé, assuré. Cette fois-ci c'est moi qui l'embrasse, lui qui reste incrédule ; & comme moi hier, il ne tarde pas à s'abandonner, à mon grand soulagement. Son émotion est palpable alors qu'il m'enlace, me serre fort contre lui, osant approfondir ce baiser & prenant de l'assurance alors que je ne le repousse pas, au contraire. Au contraire. Nos langues dansent un ballet passionné, nous nous découvrons d'une nouvelle manière loin de me déplaire. Sur l'instant, dès à présent, je sais que j'ai pris la bonne décision en choisissant de vivre chaque seconde malgré mes peurs. D'accepter mes sentiments, de l'aimer. Craindre pour lui en sachant pourquoi, & être à ses côtés. Le baiser doit bien prendre fin à un moment donné faute de nos respirations courtes, mais je ne m'écarte pas pour autant, je le retiens près de moi, me blottis contre son torse. Son cœur bat aussi vite que le mien, ses bras m'entourent, & oh que je suis émue, si heureuse.

- Pardon Eugène, j'aurai dû comprendre plus tôt..

Un léger rire doux le secoue, puis il dépose un baiser sur mes cheveux en me serrant un peu plus contre lui. Il tremble quelques peu, & je devine son sourire sans le voir ; ce même sourire sans doute qui m'a toujours charmée, même quand je ne le réalisais pas moi-même.

- Ce n'est rien. C'est tellement plus que ce que j'osais espérer..

Sa voix tremble elle aussi, d'une émotion égale à la mienne. Je souris aussi, un peu amusée, un peu désolée aussi qu'il ait cru n'avoir pas d'espoir ; mais rien ne saurait altérer vraiment, ne serait-ce qu'un petit peu, le bonheur qui m'étreint à me trouver dans ses bras, à découvrir l'amour auprès de lui. Ce sentiment qui gonfle ma poitrine, me fait sourire d'un air un peu niais probablement, qui me donne des ailes. Je suis bien ainsi, juste bien. Pleinement heureuse.

- Je t'aime, je t'aime..

Ce murmure qui m'échappe, brûlant de sincérité & de tendresse, un peu frêle, me semble tellement insignifiant face à la réalité de ce qui m'étreint, face à l'émotion de cet aveu d'un sentiment devenu tellement évident. Mon cœur s'accélère de nouveau du simple fait d'avoir prononcé ces trois petits mots. L'index du jeune homme glisse sous mon menton, & il relève mon visage vers lui doucement, avant de me voler un bref baiser.

- Je t'aime aussi Judy.

Ses yeux étincellent tellement que si j'avais pu douter un seul instant auparavant, cela ne m'est définitivement plus permis. Une léger rire euphorique m'échappe, un peu stupide peut-être mais tellement franc quant à mon état d'esprit du moment. Je suis simplement heureuse, passant mes bras autour de son cou pour ne surtout pas m'éloigner de lui alors qu'il pose son front contre le mien, un sourire magnifique sur son visage si près du mien, brillant du même bonheur que celui qui m'anime. Arceus, si c'est un rêve, ne me réveillez jamais.