It's a beautiful lie

Évolution de Sören

Elle se mord les lèvres. Elle veut partir. C'était une mauvaise idée dès le départ, de toute façon : elle aurait dû renoncer quand elle en avait encore l'occasion, bien avant que ses doigts traîtres n'écrivent ce maudit message. Elle aurait peut-être dû, mais maintenant qu'elle y réfléchit, aurait-elle vraiment pu fuir plus longtemps ?
Bien sûr que non, pense-t-elle alors qu'un rictus amer étire ses lèvres et qu'elle se sent déglutir. Fuir ne permet pas de se débarrasser de personne. Fuir ne permet que d'éloigner son regard de ce qui nous dérange, jusqu'à ce que les problèmes ne nous rattrape ou que nous abandonnions, trop fatigués par la course incessante entre nos désirs et la réalité. Katya n'était pas lâche, mais elle avait osé espérer pouvoir obtenir un peu de répit. Un peu de répit entre tous ces soucis qui s'amoncellent, un peu de bonheur dans ce capharnaüm de haine et de douleur, mais la jeune fille n'avait jamais été trop naïve pour croire que cela aurait été permanent. Après tout, quand la vie vous offre un bonbon, c'est pour vous le reprendre ou vous laissez vous étouffer avec. Est-il vraiment utile de dire que dans toute cette histoire, vous n'avez pas le choix ?
Katya connaît le sens du mot 'haine'. Oh, Arceus, combien de fois a-t-elle maudit ceux qui traînaient son visage dans la boue pour leur amusement puéril et égoïste ? Combien de fois a-t-elle craché leurs noms comme des insultes suintant la rancune ? Combien de fois a-t-elle lu dans leurs regards empoisonnés toutes ces émotions contradictoires et bouillonnantes, qui ensemble, formaient une haine qui la laissait toujours muette tant elle était incompréhensible pour elle ? Ainsi, elle avait eu l'occasion de la voir sous toutes ces formes, même les plus subtiles. Elle avait su, dès qu'elle avait vu cette étincelle briller dans les yeux de ses parents, qu'ils étaient devenus tout comme eux aussi. Elle avait vite compris qu'il n'y avait plus de retour en arrière une fois que la haine enflammait les cœurs. C'est pour cela qu'elle sait que ce qui provoque sa colère lorsque son œil rencontre les yeux bleus de Nova n'est pas de la haine.
C'est de la rancune.

« Katya ? »

Sa voix est tout aussi posée qu'avant, et bien que la jeune fille l'ait déjà entendu il y a peu de temps au téléphone, quand elle a dû l'appeler pour lui demander de venir, mais Arceus, rien que l'entendre met de l'huile sur le feu de sa colère. Mais elle ne veut plus parler de ce maudit accident, plus jamais. La brune soupire et accepte enfin de répondre. L'expression attristée de Nova ne l'amadoue pas : elle attrape brusquement sa tasse de thé et en prend une grande gorgée. La boisson coule dans sa gorge et laisse une brûlure punitive qui la ramène brusquement à la réalité. Elles sont assises, seules, éloignées du reste des Peterson qui avaient accepté de leur laisser un peu de temps pour parler. Katya ne veut pas parler, mais ce n'était pas comme si elle avait le choix, ici. Ce foutu premier janvier a tout chamboulé, et a également ramené Nova dans sa vie, chose qu'elle aurait préféré éviter.
Elle ne la hait pas. C'est ça, qui la frustre le plus. Elle n'en a pas le droit, elle le sait : Nova n'est en rien responsable, au final.

« Oui ? » répond-t-elle d'une voix neutre et vide.

Sören, sur ses genoux, se love un peu plus contre elle. Cette affection est inhabituelle pour la Héricendre, mais Katya ne s'en plaint pas. La chaleur l'aide à oublier un peu.

« Comment va Isaac ? »

Un sujet comme un autre, en somme, mais Katya sait bien que tante Elin a déjà dû lui donner tous les détails. Elle sait que cette question ne sert en outre qu'à amener un sujet de conversation pour en débuter une, mais elle n'a pas la puérilité de lui faire remarquer. Elle soupire. En un sens, il est sûrement bon de le répéter : cela ne peut que l'aider à réaliser que oui, son cousin est bien rentré vivant de l'enfer. Qu'il n'est pas mort et que son cœur bat encore, qu'il n'est pas encore parti rejoindre Felicia et Lucy. Les lèvre de Katya forment une ligne fixe alors qu'elle tente de ne pas rencontrer les yeux de Nova, parce ce qu'elle sait que si elle voit le remord qui se cache dans les prunelles bleues de l'autre jeune fille, elle craquera.

« … Mieux qu'avant. On a fait appel à un vieil ami, un soigneur. Il est dépassé, mais au moins, Isaac n'est plus en danger de mort. Il a encore besoin de temps pour se reposer, mais il va beaucoup mieux que lorsqu'on l'a récupéré. »

Et oh, Arceus, dans quel état ils l'avaient récupéré ! Le visage blanc, les yeux fatigués, la voix lasse et brisée, arrivant à peine à se concentrer et confondant noms ainsi que visages. Malade et épuisé, il n'avait pas prononcé beaucoup de mots, et il n'était pas rare qu'il se réveille en ne se rappelant plus où il était. Il avait fallu deux ou trois jours pour que Isaac comprenne qu'il était en sécurité et qu'il n'était pas mort. Il avait été assez horrible de le voir parler de Felicia alors que sa mère était encore à côté de lui. Katya avait tenté de lui rendre visite, la première fois, mais dès qu'il l'avait cru, il s'était immobilisé, comme effrayé par le simple fait de la voir. La jeune fille n'avait pas posé de questions et avait attendu huit jours avant de retourner le voir.
Du poison, ou 'des' poisons plus exactement. Le verdict était tombé dès qu'ils avaient vu qu'aucune cicatrice et qu'ils s'étaient rendus compte que le sang d'Isaac était bourré de saletés. Un rapide examen (et Arceus merci au large réseau de connaissance d'Elin Peterson, cette femme était terrifiante d'ailleurs) avait vite vérifié cette hypothèse.

« Oncle Lukas pense qu'il s'en sortira vite. D'ici une à deux semaines, un peu près, il devrait pouvoir reprendre une vie un peu près normale.
- Je vois. »

Nova respecte son silence. C'était une chose qu'elle avait appris à faire avec le temps ; Katya n'avait jamais aimé les longues conversations enflammées, après tout.

« Et toi ? »

Ah. Un rictus étire les lèvres de la jeune femme alors qu'elle entend ces deux simples mots. La question est si simple, et pourtant Katya sent une telle amertume se dégager en elle en l'entendant. Nova est calme, mais la brune peut sentir ses yeux qui inspectent ses traits avec curiosité et confusion.

« Et moi ? Il n'y a rien à dire. Je ne fais que voyager, rien de plus.
- Katya, écoute...
- Nova. » l'interpella l'autre, son regard se faisant dur et glacial.

Son ton est sec, cassant. C'est un avertissement, et pourtant, les yeux bleus de Nova, tempétueux, rencontrent le sien et le défient avec toute l'insolence et la force de caractère qui est la sienne.

« Non. Il faut qu'on parle. J'attends que tu te décides à en parler depuis novembre, mais tu fuis à chaque fois. S'il te plaît. Tu sais que je suis désolée et que...
- J'ai dit non. » proteste Katya, une lueur de colère dans ses yeux.

Katya ne hausse jamais le ton. C'est une de ses règles. Sauf qu'elle vient de le faire, parce que la simple énonciation, même indirecte, de ce foutu accident lui fait oublier ses propres règles. Où en est-elle, dans tout ça ? Sören, sur ses genoux, relève le regard vers la cause des soucis de Katya et lui accorde un coup d’œil qui vaut tous les éclairs du monde.

« Je ne veux pas en parler. Le sujet est clos, Nova. »

Le sujet est toujours clos. Toujours. Nova serre les dents. Le mépris que la jeune fille aux cheveux bleus peut lire dans l’œil rouge de Katya lui donne la nausée et c'est en grommelant un « merci pour le thé » qu'elle quitte la table avant de claquer la porte derrière elle. Sans un mot, la brune finit sa tasse et se lève à sa suite avant de rejoindre sa chambre, sans même accorder un regard à sa tante et à son oncle qui l'observent, inquiets. Sören la suit, silencieusement et discrètement. Katya la laisse rentrer dans sa chambre improvisée et sûrement temporaire avant de se poser calmement sur le bord de son lit. Son visage est vide de toute émotion, son regard fixe un point indéfinissable sur le mur. Elle pense. Elle a peur. Elle se sent seule. Elle regrette.
Tant d'émotions la parcourent et pourtant elle n'a aucun mot à donner.
La Héricendre s'approche et se love contre sa maîtresse, amenant à Katya la chaleur qu'elle désire maintenant. Elle a si froid.

« … Merci. »

Et parce qu'un mot peut dire bien plus que des discours complets, Sören pousse le but de son museau dans le cou de Katya avant d'inspirer profondément. Une vive lumière blanche l'entoure et très vite, une Feurisson prend la place de la petite Héricendre fragile. Katya voit la force et la détermination dans les yeux de Sören, et elle se demande si quelque part, l'émotion qui parcoure la Feurisson n'est pas la même que la sienne.
Peut-être qu'un jour, elle arriverait à pardonner à Nova. Bientôt, peut-être. Elle devait encore accepter. Elle devait grandir.
Elle aussi, un jour, elle devra évoluer.