Prendre son envol
Évolution de Natalia
L'anxiété est quelque chose que Katya connaît très bien.
Après tout, la peur immense qui nouait sa gorge, ses poumons, ses lèvres et qui paralysait chacun de ses muscles, elle l'avait connu à chaque journée de son enfance et de son adolescence. Chaque matinée où elle se réveillait, dès que son regard se posait sur son sac de cours et que son cerveau ensommeillé comprenait qu'elle allait devoir quitter son refuge pour cet enfer, cet étau fin mais robuste se mettait à la compresser, à lui donner envie de se terrer de ne jamais sortir de ses draps, de son bain où de stupides pensées morbides avaient souvent occupé son esprit, de sa chambre qui avait été pendant longtemps le seul endroit où elle pouvait enfin être en paix.
Lorsque Isaac avait été enlevé, elle avait encore ressenti l'emprise de cette terreur sur son corps et son esprit, sur chacune de ses actions ou de ses paroles. Ici, sur l'île, il n'y avait que peur et colère, parfois illuminées par un rayon d'espoir qui était immédiatement écrasé. Alors bien sûr, comme tout le monde, elle redoute une attaque. Elle redoute d'ouvrir les yeux un jour et qu'on lui dise que ses proches ont disparus ou qu'ils sont même morts, elle est terrorisée par l'idée d'avoir à revoir Faust venir lui annoncer qu'une chose horrible était arrivée à celui qui a toujours été un frère pour elle.
Alors bien sûr, elle en connaît un rayon sur la peur. Elle la côtoie depuis sa plus tendre enfance, depuis que, toute petite encore, elle avait commencé à comprendre ce que signifiait la perte progressive de sa vision. Elle est devenue une partie intégrante de sa vie, de son âme même, latente et distante mais pas pour autant moins présente ou menaçante. Ainsi, lorsqu'elle sent sa gorge se nouer alors qu'elle achève de fermer son sac, elle ne s'en inquiète pas plus que ça.
Emrys et Natalia sont silencieux après d'elle, leur présence rassurante se sentant même jusqu'à son esprit. Le Psystigri, toujours aussi fidèle après toutes ces années, la suit au pas, son regard toujours aussi fixe et immobile, mais Katya n'a pas besoin de voir les émotions d'Emrys sur son visage pour les connaître et les ressentir.
Seule Natalia ne bouge pas. La suédoise se retourne vers la Scrutella, intriguée, et sent alors le besoin de s’accroupir devant l'air étrangement sérieux de Natalia. Natalia qui n'a jamais cessé de l’impressionner, a été, est et sera toujours une grande force dans sa vie. Elle se sent bien chanceuse d'être l'amie d'une pareille Scrutella, et lorsque son œil rouge se pose sur le regard de la femelle, elle sait déjà ce qui va arriver.
Elle n'est pas surprise lorsqu'une vive lumière blanche, éblouissante et aussi pure que mystique, se met à entourer Natalia. Elle se contente de sourire, ses pommettes se relevant un peu, ses traits semblant se détendre. Son visage paraît s'illuminer. La Mesmerella qui se tient maintenant devant elle fait naître tant d'émotions en elle qu'elle se retrouve perdue, incapable d'exprimer ce qu'elle ressent. Pourtant, au vu de la légère courbure des lèvres de la Mesmerella nouvellement évoluée, Katya sait qu'elle n'a pas besoin de mots et qu'elle n'en aura jamais besoin. Elle lui adresse un salut rapide avant de la rappeler dans la pokéball et de ranger celle-ci dans son sac.
« Tu viens, Emrys ? »Le Psystigri la suit sans aucune hésitation. Lentement mais sûrement, elle descend les escaliers puis prend le chemin de la porte. Devant l'entrée de la maison, trois personnes l'attendent. Faust, accompagné de Dalhia, lui envoie un sourire plein de dents et un salut rapide de la main, Isaac lui sourit gaiement, bien qu'elle peut percevoir un peu de nervosité dans ses gestes. Elle sait bien qu'il n'est pas le premier à apprécier l'idée, et Katya ne peut que l'apprécier un peu plus pour avoir respecté son souhait.
Nova l'attend, là, sur sa moto. Son sac doit probablement être rangé dans le petit coffre au bout de l'engin. Il avait fallu longtemps à Katya pour accepter la proposition de Nova, c'est-à-dire de partir explorer l'île avec elle. Elle aurait pu refuser. Après tout, elles commençaient à peine à se parler de nouveau, mais elle avait vite compris que cela serait le seul moyen pour convaincre Isaac de la laisser partir visiter un peu le reste de l'île sans avoir supporter sa surveillance à longueur de temps. Et de toute façon, elles avaient besoin de parler, et Katya ne pouvait pas se permettre de traiter Nova avec une telle amertume plus longtemps, surtout vu qu'elle avait eu l'occasion de constater que sa vieille amie se sentait bel et bien extrêmement coupable.
Les 'au revoir' ne sont pas si difficiles qu'elle aurait pu le croire. Faust lui dit au revoir comme si elle serait de retour le soir-même. Isaac, bien qu'il résiste à l'envie de protester, ne peut pas cacher ses yeux qui brillent un peu.
« Ce n'est pas définitif, Isaac. Tu sais que je reviendrai régulièrement.
- Tu promets de nous appeler souvent, hein ? Et si tu appelles le matin -
- 'Continue jusqu'à ce que Faust en ait marre d'entendre la sonnerie et se réveille', je le sais. »Elle lui adresse un petit sourire amusé. Isaac soupire avant de l'attirer une dernière fois dans ses bras, et elle en profite pour prendre une grande inspiration, profiter de son odeur et de la chaleur de ses bras qui vont définitivement lui manquer. Il finit par la relâcher au bout d'une minute entière, longue et silencieuse, mais pourtant elle ne peut pas dire qu'elle n'en avait pas besoin aussi. Il n'est pas le seul que cette séparation va affecter, loin de là.
Elle rappela Emrys dans sa pokéball et, avec assurance, monta sur la moto, juste derrière Nova et enserra sa taille.
Isaac adressa un regard équivoque à la jeune femme aux cheveux bleus.
« Prends soin d'elle, ou sinon... menaça-t-il, ne terminant volontairement pas sa phrase.
- Vous n'avez pas à vous inquiéter pour ça. » répondit l'autre, sa voix ne manquant pas d'assurance alors que ses lèvres se tordaient en un sourire amusé.
Elle lui avait fait trop de mal pour même oser penser à le refaire une fois.
Katya aurait pu rabrouer son cousin pour cet élan de protection inutile, mais sa tête était ailleurs, et loin, très loin de la tension qui existait entre ces deux-là.
Elle inspira un grand coup, et tenta de calmer son cœur qui tambourinait dans sa poitrine.
« Tu te sens prête ? » lui demanda Nova, son ton doux et chaleureux, laissant transparaître une gaieté qui lui avait définitivement manqué.
Il y a quelques années, Katya aurait répondu que non. Qu'elle avait trop peur.
Mais elle a fini d’obéir à sa peur, et elle refuse de redevenir la petite fille faible qu'elle a été, celle qui aurait fui devant l'aventure pour se cacher dans un coin sombre et ne jamais en sortir.
Oh, elle avait encore peur du monde. Elle en était terrifiée même, mais que pouvait-elle faire d'autre que d'avancer ? Si il le fallait, elle ferait claquer la porte qui dans son esprit menait aux voix et aux murmures insidieux qui la hantaient, pour pouvoir enfin poser un pied dans la lumière qui l'attendait. Et si elle ne pouvait pas marcher sur le chemin de la lumière maintenant, si elle ne pouvait pas faire un pas dans l'ombre sans s'y noyer, alors elle divergerait et partirait sur les routes de l'aube.
« Tu veux l'entendre ?
- J'ai attendu beaucoup de temps pour ça, oui.
- Si tu le désires tant que ça... Plus que jamais, Nova. »Peut-être avait-elle tort. Sûrement, même. Mais, honnêtement ?
Elle n'en avait rien à foutre, parce qu'elle avait passé bien trop de temps à ruminer le présent pour pouvoir se permettre de perdre son futur aussi.
Et, qui sait, peut-être que l'aventure a déjà commencé.