Je n'avais jamais craint les rues de Zazambes, même les plus délabrées ; il s'agissait de ma ville natale après tout, je l'avais toujours parcourue sans hésiter, d'aussi loin que je me souvienne. Les soldats du Régime, ici, ne m'effrayaient pas le moins du monde, c'était en quelques sortes mon territoire, j'y étais bien plus à l'aise qu'eux en tout cas. Capable d'y être forte, ou bien furtive selon les circonstances, car je connaissais ces rues comme ma poche. Malgré tout, l'attaque dont mon père avait été victime en se rendant au Centre Pokémon quelques jours plus tôt commençait à me faire craindre un peu que la ville de mon enfance ne soit plus aussi sûre qu'avant. & je voulais en avoir le cœur net, au plus vite, savoir pourquoi mon père, Hôte tout de même influent de la Pension de la ville avait été ainsi agressé en pleine rue ; d'où la raison de ma présence à Zazamnes ce matin-là. Déambulant silencieusement dans les ruelles de la ville, aux aguets, je poussais un long soupir repris en écho par la Lockpin à mes côtés. Venue avec uniquement Louna, Zuko qui se tenait invisible grâce à son Illusion cachant également ma grossesse, & Mory blotti sur mes épaules, tâchant de rester discrète, je m'en allais chercher à en savoir plus sur les circonstances ou les causes de cette attaque sur mon père, qui à cause de cela ne pourra pas garder son rôle d'Hôte, tout de même. Nous n'étions plus qu'à quelques rues de celle où avait eu lieu l'agression, quand se posta devant nous un homme tout de blanc vêtu, masqué.. Un soldat. Ou, non, un officier, si j'en croyais les distinctions sur son uniforme. Un claquement de doigts de sa part, & l'immense Crocorible à ses côtés bondit sur Louna pour la plaquer au sol, profitant de son avantage physique sur elle, sans qu'elle n'ait le temps de réagir.

Serrant les poings, je regardais impuissante mon alliée, ma sœur pokémon, immobilisée & incapable de se défendre ; le crocodile écarlate gardait une patte sur sa gorge, prêt à serrer, à la tuer sans remords, si jamais elle tentait le moindre geste pour lui échapper. Pour la première fois, toute première, je me sentais en position pour le moins délicate dans ma ville natale, le moindre faux pas pouvant entraîner des conséquences bien lourdes, des pertes inestimables ; mieux valait rester sur nos gardes, & réfléchir avant d'agir, attendre le bon moment pour pouvoir libérer Louna & disparaître aussitôt, en sécurité. Les investigations sur l'agression de papa seraient pour plus tard, pour l'heure trouver une issue & en sortir sans dommages était bien plus important. Discrètement, je donnais un petit coup de talon sur le sol de la sombre ruelle, indiquant ainsi à Zuko de rester dans l'ombre autant que nécessaire ; heureusement, ce son léger fut couvert par un strident cri d'oiseau. Le cri d'un Poichigeon plus précisément, venant se poser sur l'épaule de l'homme. Sur la défensive, je me préparais à me battre si nécessaire pour protéger mes alliés, pour protéger mon bébé, quand je remarquais une balafre franchement pas très belle à voir sur la joue du piaf gris, une balafre pour le moins reconnaissable.. Un flash me vint aussitôt & je me rappelais, horrifiée, un oiseau de cette espèce, portant exactement la même balafre, voletant autour de moi avant de lâcher un petit papier & disparaître. Un papier.. Ou plutôt une photo.. Cette horrible photo de mon fiancé en prison, celle qui malgré tout avait mené à enfin le retrouver. Rien que repenser à ce cliché me fit frémir, d'horreur, & je me tendis presque imperceptiblement.

- Le Poichigeon voyageur..

Sitôt ces mots soufflés, un rictus parut sur les lèvres du dresseur, qui ôta tranquillement son masque blanc. Derrière, se trouvait un homme du style beau brun ténébreux aux yeux d'acier, au corps d'Apollon ; un homme qui plairait à bien des femmes, mais moi il ne m'avait jamais attirée, ni par le passé ni même aujourd'hui. Pourtant, il avait essayé. Mon regard devint froid, & mon ton tout autant.

- Tobiéric.

Rencontré au collège, il n'avait eu de cesse de me courir après, haïssant Damien dès qu'il avait compris que je n'aimais que lui. Il avait toujours été sombre & mystérieux, presque inquiétant. Il faisait peur à Angie, & moi je me tenais loin de lui, lassée de repousser ses avances. Au fond je l'avais toujours redouté dangereux, il m'avait toujours paru dérangé ; mauvais pressentiment qui devait être réel, au fond. La preuve en images, juste devant moi, hein? Son sourire doucereux ne me disait rien qui vaille ; bien plus inquiétant encore que son uniforme immaculé d'officier du Régime.

- Content de voir que tu te souviens de moi, chère Solène.

Inutile de dire que le plaisir n'était pas partagé, hein? Sur mes gardes, je portais un regard vers l'arrière, vers ma chère Louna plaquée au sol, incapable de se défendre de ce pokémon qui gardait une main sur sa gorge, menace bien trop claire hélas. L'homme s'approchait pendant ce temps de moi, lentement, prenant son temps tout en parlant, comme se délectant de chacune de ses paroles qui me dégoûtaient.

- J'espère que tu as bien profité de ton bonheur, ma belle.. Car il est temps de m'offrir le mien.

Oh, je ne savais que trop bien ce qu'il voulait dire par là, ce qu'il attendait de moi, & si plaisant qu'il soit aux yeux de la plupart des femmes, cela m'horripilait tout autant. Il fallait vraiment qu'il revoie ses techniques de drague, aha.. Son index effleura ma joue, & je grimaçais de dégoût, réfléchissant pour chercher une issue, au plus vite. Plus vif qu'à l'accoutumée, le Parecool accroché à mon cou tendit le sien, tentant de mordre le doigt de Tobiéric qui recula sa main, lâchant un rire à faire froid dans le dos. Mory gronda, comme pour le mettre en garde, alors qu'il continuait comme si de rien n'était.

- Oh je ne te demande pas grand chose princesse.. Juste l'Eternité.
- Plutôt crever!
- Haha.. Je m'y attendais un peu, j'avoue. Mais c'est pas comme si tu avais le choix, hein? Ton père n'est pas le seul que je puisse blesser pour te le prouver..

Mon père.. Que.. J'écarquillais les yeux, horrifiée, en comprenant le sous-entendu, aveu flagrant. Oh, je savais bien que cet "accident" dans une rue proche d'ici était loin d'en être un, que ce n'était pas le cran de sécurité d'une qui avait sauté sans crier gare mais bien un acte délibéré, mais de là à imaginer que le Régimeux mentionné dans les descriptions vagues de mon père se rappelant à peine l'agression, soit quelqu'un que je connaissais.. Oh, il savait délibérément ce qu'il faisait lors de cette agression, il savait qui il visait. Ce n'était pas le Régime qui attaquait mon père ou ma famille, ce n'était même pas contre lui.. J'étais seule concernée par cet acte purement personnel, c'était pour donner des arguments à son chantage immonde, pour me convaincre qu'il ne plaisantait pas. Cela expliquait que papa soit la seule victime aussi, alors qu'il n'était pas seul dans la rue où il avait été agressé. Tobiéric s'en était pris à mon père.

- Monstre..

Une fois encore, il ricana, visiblement peu touché par ce mot que ma voix venait de souffler à son égard. Comme si cela était un beau compliment, plutôt qu'une insulte. Mais sans doute était-ce le cas pour lui, hein? Tranquillement, il vint remettre en place une mèche rousse tombant sur mon front, reprenant son ton mielleux si agaçant pour continuer de proférer ses menaces, ou du moins préciser l'idée qu'il en avait. Comme si c'était nécessaire.

- Voyons Solène, pense à ta fille, à ton cher Damien, ou même à tes sœurs. Tu ne voudrais pas qu'il leur arrive quelque chose, hein?

Sans parler de Louna, toujours maintenue à terre par son Crocorible, hein? Une pointe de douleur & de panique me traversa le cœur, à l'idée qu'il puisse toucher un seul cheveu de Crystal, à l'idée de perdre encore Damien.. Qu'il arrive quelque chose à mes sœurs, ou à l'enfant que je portais.. Dont il ne semblait heureusement pas avoir deviné la présence, merci au Zoroark invisible qui attendait encore le bon moment pour agir.. Mais quand? Quand serait le bon moment? Je commençais sérieusement à m'inquiéter, bien que mon attitude n'en montre encore rien, ou du moins rien hormis ma respiration hachée par le stress, bien que mon regard reste froid & défiant, & mon ton acide.

- Tu es complètement fou.
- N'est-ce pas? Dégage, le paresseux.

Un geste agacé de son poignet chassa Mory de mes épaules, le faisant tomber lourdement au sol. Le Parecool, grognant plus méchamment encore, se redressa aussitôt, dardant un regard haineux sur l'homme qui ne prêtait déjà plus attention à lui. Il ne se méfiait pas assez, était moins prévoyant qu'il voulait le faire croire.. & agissait en solo ; hormis ses deux pokémons je n'avais vu personne, il n'avait mentionné aucune aide extérieure, pas même le Régime dont il faisait partie & dont tous les soldats, surtout des gradés comme lui, faisaient miroiter la puissance dans leurs chantages. C'était son projet qu'il remplissait seul, comme toujours depuis que je l'avais rencontré. Au moment où je repérais, ou plutôt me rappelais, ce point faible rendant ses menaces bien moins effrayantes, une lueur aveuglante se répandit dans la sombre ruelle ; & l'instant d'après, Tobiéric avait lâché mon poignet, maintenu au sol par un Vigoroth au regard empli de rage, grondant sur lui autant qu'il pouvait. Aussitôt Zuko sortit des ombres, se jetant sur le Crocorible maintenant Louna, pour permettre à cette dernière de se relever & l'aider à maîtriser ledit reptile rouge. Il ne me fallut pas plus d'une seconde suite à ces deux événements quasi simultanés, pour réagir à mon tour, tirant vivement un revolver de l'étui à téléphone à ma ceinture pour le pointer sur l'homme à terre. Qui laissa échapper un rire mauvais en me voyant.

- Tu tireras pas.

En effet, ce n'était pas dans mes habitudes, d'abattre ainsi une personne désarmée.. Mais je ne pouvais prendre le risque qu'il reprenne le dessus, qu'il nous prouve être assez dérangé pour s'en prendre à ceux que j'aime dans le seul but de me faire céder à son chantage. Il pensait me connaître? Pas assez, visiblement. Exactement ce que je pensais ; pas assez méfiant, pas assez prévoyant, solitaire & trop sûr de lui. Un sourire en coin s'esquissa sur mon visage, glacial, alors que Mory le lâchait, s'écartant de la zone de danger, me laissant le champ libre tout en restant assez proche pour l'empêcher de faire quoi que ce soit. Il n'en fallut pas plus à Tobiéric pour perdre aussitôt de sa superbe, alors que j'armais le revolver.

- Tu aurais dû y réfléchir à deux fois, avant de t'en prendre aux miens.