Versus

Enodril vs Legrand

- Laisse tomber, Aloïs; tu ne rêves pas.

Le Champion ne veut pas l'écouter. Il s'obstine à se dire que ce n'est qu'un rêve et qu'il en sortira bientôt, d'une manière ou d'une autre. Ikaël hausse les sourcils et lève les yeux au ciel, visiblement dépité par le comportement de l'autre blondinet qui ne cesse de se taper la tête contre le mur. Aloïs ne veut pas y croire; il ne peut pas y croire. L'Enodril est mort, ce n'est plus une nouveauté, maintenant ! Et il n'a jamais entendu parler de morts revenus à la vie, ça n'existe pas ! Mais alors pourquoi et surtout comment le prisonnier pouvait se trouver là ?... Il est sûr pourtant de voir parfaitement et...
Puis, il déglutit. Peut-être avait-il mal vu, ce jour-là. Peut-être que la lame de ce couteau s'était planté juste à côté du cœur. Peut-être que le père de Sam avait fait croire aux soldats du Régime qu'il était mort pour être sûr qu'on le relâche. Peut-être qu'en vérité, il avait rêvé ce qu'il avait fait une semaine après la libération. Peut-être qu'on lui ment depuis le début. Ce n'est pas possible autrement, alors Aloïs en est sûr, maintenant. Là, tout ce qu'il peut affirmer, c'est qu'il est bien réveillé et parfaitement conscient. Pas d'alcool pour lui brouiller le cerveau, pas de Pokémons pour provoquer chez lui une quelconque illusion, et il ne sent pas la présence d'une troisième personne dans la pièce. Peut-être qu'il arrive trop vite à des conclusions; mais en rentrant chez lui, il ne s'était pas du tout attendu à trouver un zombie. Enfin, zombie... façon de parler, vous l'aurez compris. C'était juste... hallucinant ! N'importe quelle personne saine d'esprit continuerait à croire à un songe, néanmoins. Mais Aloïs est tout sauf sain d'esprit, ça, tout le monde le sait. Il se permet donc de croire qu'il y ait effectivement possible qu'il y ait peut-être des chances qu'Ikaël soit effectivement toujours en vie. Mais cela reste quand même une histoire assez invraisemblable et le blondinet cherche encore une explication à ce brusque retour. Si ce n'est pas un cauchemar, alors qu'est-ce ? Si c'est la réalité, alors comment ? S'il devient fou, alors pourquoi ? Si on lui joue un tour, alors qui ?...

- Tu crois que j'ignore ce qui s'est passé ?...

Le Champion sursaute quand il remarque que l'autre s'est approché de lui et qu'ils ne sont séparés que par quelques petits centimètres. Il sent son souffle sur lui. Une illusion pourrait-elle vraiment avoir un tel effet de réel ? Probablement pas. L'Enodril est imposant, mine de rien, et le cuistot se sent défaillir. Il ne comprend pas ce qu'il veut dire par là; ou du moins, il a peur de comprendre. S'ils parlent bien de la même chose, alors cela explique la panique progressive qui atteint le coordinateur tandis qu'il sent sur lui ces deux yeux couleur or le glacer tout entier.

- La libération... Tu crois que j'ignore ce que tu as fais ?!

Les paroles du plus âgé sont tranchantes et le déchirent de l'intérieur. Celui au sourcil arqué à horriblement honte de lui, pas la peine de le cacher. Ce qu'il a fait à un certain adolescent ce jour-là reste malgré tout dans sa mémoire et persiste à le traumatiser jusque dans son sommeil. Il croyait s'être débarrassé de ce mauvais souvenir mais il faut que ça le suit encore jusqu'ici. Bordel, mais que va-t-il faire ? Que peut-il faire face à ce fantôme du passé plus vrai que nature ? Et que veut ce revenant, exactement ? Ce qu'il a gardé ? Veut-il récupérer le bien qu'Aloïs a soigneusement gardé ? Veut-il sa mort, pour venger son fils martyrisé par le Régime ? Le sourire rassurant qui abhorrait les lèvres d'Ikaël est devenu carnassier et on peut lire dans ses iris cette lueur vengeresse qui tétanise le cadet. Relativement, l'Enodril était quelqu'un de bien; pas foncièrement meurtrier et loin d'être sadique. Mais lorsqu'on éveillait son instinct de combattant, les chances de survivre étaient infiniment minimes. Ce n'est pas pour rien qu'il était un des vingt premier Souffles. Il était également particulièrement doué et avait une vue extrêmement précise qui lui permettait de ne rater aucun de ses tirs. Le maniement du flingue n'avait, de ce fait, aucun secret pour lui. Il était persuadé que son fils avait ça dans le sang, quelque part; mais il n'a jamais désiré en faire un guerrier et il a donc préféré lui apprendre le dressage de Pokémons dans l'espoir qu'il n'ait jamais à se servir d'une arme un jour ou l'autre.
La respiration d'Aloïs est irrégulière et il peine à contrôler la terreur qui l'habite. Lui, qui n'a peur de rien, en principe, que lui arrive-t-il ? Pourquoi a-t-il un mauvais pressentiment, accompagné d'une mise en garde dont il n'arrive pas à déterminer la cause ?...
Il lui suffit cependant d'un regard sur le côté pour comprendre. Il ferme les yeux et tente de se concentrer. Aveugle, il enfouit sa main dans sa poche et en ressort un collier où est accroché une plume aux jolis reflets arc-en-ciel. Il serre dans sa paume l'objet, jusqu'à avoir une marque sur sa paume et saisit la poigne de l'autre pour y déposer le pendentif. Enfin, il revoit à nouveau et ses pupilles océan reflètent alors toute sa détermination retrouvée. Cependant, il ne peut retenir une larme qui coule le long de sa joue, conscient parfaitement l'erreur qu'il a commise ce jour-là.

- Arrête. Tu es mort et je le sais.

Ikaël pousse un sifflement exaspéré avant de le prendre par le col et le plaquer contre le mur. Néanmoins, il tient toujours la main de l'autre fermement dans la sienne, comme par peur de lâcher cet objet si précieux. Furieux, son tec est sec et cassant quand il parle.

- Comment peux-tu dire ça ?!

Le Champion Coordinateur serre son autre poing de sa main libre mais tient tête face à son opposant. Il est confiant et sûr de lui. Du moins, c'est qu'il essaye de faire croire... Mais qu'en est-il réellement ? Il aimerait être certain de ce qu'il avance, mais le doute l'assaille et il peine à garder contenance. Il réitère ses propos malgré tout et continue sur sa lancée.

- Parce que je t'ai enterré moi-même après avoir été cherché ton corps.

Tout à coup, le visage de l'Enodril se décrispe et il finit par lâcher prise. Il libère la main d'Aloïs mais garde contre lui le pendentif qui lui appartient. Enfin, les prunelles dorées d'Ikaël se posent une dernière fois sur lui. Puis, sans mot dire, il disparaît comme par magie petit à petit, tel une âme errante, et fait un ultime sourire apaisé avant de s'éclipser complètement. Aloïs retient son souffle au moment où il aperçoit la silhouette de Samaël derrière celle de son père qui a fini de s'évaporer. L'adolescent a les yeux clos, mais un sanglot paraît bien visible sur son visage enfantin. Il se décide enfin à soulever ses paupières et à se dresser contre l'aîné.
Alors le cuisinier avait raison : c'était bel et bien une illusion. Mais le jeune garçon est tout seul. Il se demande alors comment il a bien pu faire pour brouiller ainsi son cerveau et faire croire, à lui et à ses alliées, que son père se trouvait bien ici ?
Il sait au moins que les sensations étaient authentiques, mais que Sam s'était juste caché derrière une image de son père.

- Ça, c'est ce que je n'ai pas arrêté de voir tout le temps où j'étais chez toi.

Des reproches. L'Amphithéâtre de Baguin a été un souvenir assez perturbant pour l'adolescent. Il était donc normal qu'il ait eu envie de revenir ici pour affronter celui qui fut son ennemi et vaincre les peurs qui l'ont submergé après la libération.
Une aura assez mystique entour le petit brun. Ce n'est qu'après qu'Aloïs se rend compte que Sam a bien grandi; dans le corps et dans l'esprit. Il n'a plus rien à voir avec le prisonnier qu'il a recueilli chez lui. Plus fort, plus mûr, seuls son regard d'or peut lui certifier qu'il s'agit bien du dresseur qu'il a connu autrefois. Il ne savait pas que la prison, et surtout la mort d'un proche, changeait quelqu'un à ce point. Inconsciemment, le Régime a forgé chez lui un mental bien plus... résistant.
Le blond tente de s'approcher de lui mais, d'un coup, il disparaît lui aussi. Il réapparaît toutefois quelques mètres plus loin. De la téléportation. Aloïs ne sait pas comment il fait, mais aucun doute qu'il use ici d'une technique de déplacement instantané. L'utilisation d'un Pokémon aux pouvoirs psychiques est nécessaire, pour cela; or, le gamin n'en a pas.

- Faut être chtarbé pour donner à son fils le nom d'un ange déchu...
- Je ne suis pas venu ici pour écouter tes commentaires.
- Qu'es-tu venu faire, alors ?
- Récupérer ce qui m'appartient et découvrir au préalable où est mon père.
- Et ça, t'aurais pas pu le faire directement au lieu de placer un fantôme juste sous mon nez ? Tu sais bien que je t'aurais laissé faire.
- Mais voyons, ce n'est pas drôle si tu ne souffres pas en même temps. Je sais ce qui te fait peur.
- Je n'ai pas eu peur.
- Ce n'est pas à moi que tu feras croire ça.

L'adulte détourne le regard, gêné. Oui, il a eu peur; très peur, même. L'ourson a bien failli lui faire croire qu'on pouvait redonner vie aux morts et voir même la représentation d'Ikaël lui a fait froid dans le dos. La panique l'a pris, sans vraiment savoir s'il avait une bonne raison à cela; peut-être parce que "Golden Eyes" était vraisemblablement plus puissant que lui. Mais il n'oubliera jamais l'expression désespérée de cet homme alors qu'il avait déjà planifié sa mort.
Le regard que lui lance Sam, sombre et ténébreux, est empli d'éclairs qui ne demande qu'à foudroyer son adversaire sur place.

- Où est-il ?
- Sur la falaise, au bord de la plage. J'ai pensé... que c'était mieux que le cimetière.

Il a cessé de pleuvoir. Bientôt, la nuit fait place à l'aube naissante qui défile à l'horizon. Le soleil se lève petit à petit, et il est temps pour le plus jeune de partir, maintenant qu'il a eu ce qu'il voulait. Les iris de celui-ci se sont tournés vers la fenêtre d'où il est possible de voir la colline, justement. De ses yeux perçants, il voit effectivement la croix en bois installée exprès. Du point de vue de Sam, il trouve cela mieux qu'une pierre tombale.
Au moment il s'apprête encore à se téléporter, Aloïs l'arrête.

- Sam !... Je... je suis vraiment désolé pour tout ce qui est arrivé. Je n'ai jamais voulu que cela se passe comme ça. Tu ne méritais pas la prison, et ton père non plus. Je tiens à te présenter mes excuses pour mon comportement envers toi après la libération.

Tant pis, si Maelys le déteste, tant pis s'il s'est mis la Ligue à dos, tant pis s'il se retrouve tout seul au final, pour ce qu'il a fait. Il sait qu'il n'aurait jamais été vraiment tranquille s'il ne s'était pas excuser auprès de Sam. Il n'a pas été très juste avec lui, et il s'en est voulu depuis. C'est dommage, les conséquences que son manque de maturité à engendré au niveau de ses relations, mais il ne peut s'en prendre qu'à lui-même et espère peut-être au fond de lui pouvoir un jour se racheter comme il se doit, quitte à y perdre la vie.
Sam ne répond rien. Il hoche simplement la tête se place devant la fenêtre. Mais juste avant de s'en aller, il se tourne vers Aloïs, un sourire innocent sur son visage.

- Aloïs ?
- Hm ?...

Le coup qui suit, le Champion ne l'avait pas du tout prévu. Il eut à peine le temps de voir le jeune dresseur sortir un revolver que la balle était déjà partie tout droit dans son épaule. Samaël lui a tiré dessus.
Un gémissement de douleur s'échappe de lui et Aloïs tombe à genoux, choqué par la vivacité du petit brun et la souffrance qu'il endure à cause d'une simple balle.
Le Coordinateur secoue la tête et essaye de comprendre. Mais, en fait, la réponse lui paraît évidente. Il se venge de toutes les fois où il lui-même menacé. Enfin, ça, c'est ce qu'il croit. Il est tout aussi surpris de ce qu'il dit ensuite.

- Ça, c'est de la part de Faust. J'ai pas non plus tellement apprécié ta petite blague téléphonique.

Sur ce, l'Enodril se téléporte une ultime fois et s'efface à la vue du Coordinateur qui cherche un moyen d'arrêter les saignements en continue de son épaule.
Samaël se retrouve devant le tombeau de son père et s'assoie en tailleur, calme et pensif. Il laisse la brise caresser ses cheveux et s'empare de son sac pour laisser sortir le petit Kirlia qui était caché à l'intérieur et qui lui permettait de se téléporter au simple souhaite de son ami par la pensée. Synkro se blottit dans les bras du petit ours et tous deux attendent que le matin se lève doucement. Brusquement, alors que de tristes gouttes se remettent à perler au coin de ses yeux et menacent de couler, son Pokémon fouille sa mémoire à la recherche de tous les souvenirs heureux qu'il a eu avec son père pour les lui renvoyer. Le jour où il lui a appris à marcher, la fois où il lui a ramené son tout premier Pokémon, les matins où son père lui faisait des remarques sur ses cheveux en bataille, ou encore les nuits qu'il passait à la belle étoile pour scruter le ciel pendant qu'Ikaël lui racontait toutes sortes de mythes sur les Pokémons légendaires.
Alors qu'il se rappelle de tous ces moments magiques qu'il a passé en compagnie de son géniteur, il sursaute légèrement quand Synkro se met à s'illuminer. Sa forme change et grandit pour laisser bientôt place à un beau Gardevoir, plus grand que lui. Samaël ne tarde pas à faire un nouveau sourire, sincère cette fois-ci, avant de laisser sa tête reposer contre son nouvel ami évolué. Il a enfin récupéré le collier de son père. Maintenant, il peut désormais rejoindre la Résistance.