« Le Chevalier Noir »

Le quartier des technologies était mon terrain de jeu : je venais souvent y jouer les grosses brutes ou les justicières histoire de me faire un nom. Et mon côté garçon manqué ne cessait d'en étonner plus d'un. Néanmoins, aujourd'hui était une journée spéciale : l'anniversaire de mon papa ! J'étais loin de lui, mais j'avais décidé de lui trouver quelque chose aux divers marchés futuristes qui parsemaient les rues de Amanil. Royal sur l'épaule, Astérie dans mon dos, et Chevalerie le poussifeu portant sur son dos mon oeuf qui ne cessait de remuer, toute la troupe était là - toute, sauf ma magicarpe, restée dans son grand aquarium à la maison. Comme quoi, avoir des pokémons poisson, ce n'était pas toujours rigolo.

Chantonnant tout bas, je me mis à arpenter les rues d'un air tranquille et rêveur. Je menais petit à petit ma vie de dresseuse, et même si la compétition était trop avancée pour moi cette année pour que j'y participe, je prenais plaisir à prendre des nouvelles de ceux qui réussissaient ... Ou tombaient, les ailes fauchées par la puissance de leurs adversaires. J'ignorais tout ce qui concernait la résistance et le régime ; je préférais toujours autant me tenir loin de ces deux factions agressives, juste bonnes à faire du mal à l'île.

« Bon, je sais que papa adore les montres. Maman m'a assuré qu'une nouvelle lui plairait. J'ai mis exprès de côté l'argent qu'ils m'envoient, alors voyons voir ce que nous pouvons leur acheter ! »

J'étais fière et heureuse de pouvoir offrir un cadeau à mon père. J'adorais mes parents, et être loin d'eux me faisait autant de mal que de bien - avec mon caractère bien trempé, il était sûr que la cohabitation avec moi était difficile. Alors que je regardais les étals, Royal se mit à pépier sur mon épaule, et s'envola pour me guider. Je le suivis, nonchalante. Je n'étais pas pressée ; j'avais prévenu Naga que je sortais. Le jeune homme m'en voulait toujours pour ma sortie nocturne de la dernière fois : je retins une grimace en songeant au savon qu'il m'avait passé.

« Bonjour. Excusez-moi, est-ce que vous auriez une montre digitale, un peu futuriste s'il vous plaît ? » demandais-je à un stand d'horlogerie.

L'endroit était agréable : l'étal était couvert d'une espèce de tissu argenté aux motifs de lune et de soleil ; l'endroit fleurait bon l'encens de santal, et l'homme qui s'en occupait était un homme entre deux âges à l'air affable et gentil. Il m'indiqua les montres qu'il avait, et j'eus un coup de coeur pour l'une d'elle : le bracelet était chromé, et les aiguilles du cadran étaient gravés. L'objet était superbe, mais le prix également, et je soupirais en songeant que jamais je n'aurais assez d'argent.

« Tu sembles la désirer ardemment. Est-ce pour toi ? »
« Non, à dire vrai, c'est un cadeau pour mon père, mais je n'ai pas assez d'argent pour vous la payer ... »

Le regard que je lui lançais ne voilais rien de mes intentions : se risquerait-il à me baisser le prix ? Mais l'homme se contenta de hausser les sourcils, un sourire entendu sur le visage. Soit il ne voyait pas où je voulais en venir, soit il se fichait de mes espérances. La deuxième option était sûrement la plus viable. Je m'éloignais du stand, quand un craquement significatif se fit entendre. Je me retournais pour voir un pan de bois retenant un autre étal s'effondrer sur lui même. J'écarquillais les yeux, et sans savoir pourquoi, m'élançait vers l'homme en dessous, bloqué par son propre étal. Un nuage de poussière et de débris de bois m'entoura, alors que j'empoignais ce qui traînait et le tendais devant moi. Je surplombais le vendeur, de manière à le sauvegarder des débris.

Le nuage finit par s'étendre et disparaître, et quelle ne fut pas ma surprise de voir, enroulé autour de mon poignet droit, le ruban d'une garde de Monorpale ! J'écarquillais les yeux ; mes cheveux étaient pleins d'échardes, j'avais l'épaule et le genou droit douloureux, à cause d'un morceau de poutre qui m'avait heurté. L'homme était aussi amoché, mais nous étions tous deux vivants.

« Oh, Vérité, c'est grâce à ta force et à ta vivacité que nous sommes vivants » fis-je d'une toute petite voix.

Le monorpale sembla vibrer dans mes mains, comme pour me répondre ; sa garde était tiède, vivante, et je me sentais comme complète. La sensation était étrange et douce, comme si j'avais retrouvé un membre dont on m'aurait amputé. Le chevalier venait de trouver son épée ...

« Je crois bien que sans vous, j'aurais été aplati sans autre forme de procès ... Prenez la montre. Je vous dois bien ça ! » s'exclama le vendeur en riant, alors que la foule effrayée venait voir comment nous allions.

J'insistais cependant pour lui offrir le prix que je pouvais lui donner, même si c'était à peine la moitié. Je n'étais pas du genre à être soudoyée ; à présent que Monorpale était pendu à ma ceinture, semblant s'y plaire, comme si ça avait toujours été sa place, je me sentais plus que jamais être la Lame de la Justice. Paquet en main, ma troupe de pokémons vint voir si j'allais bien, et accueillit avec joie la naissance du pokémon. Poussifeu avait quelques morceaux d'oeuf, là où le monorpale avait jaillit au secours de l'homme et de moi.

Ce jour fut l'un des plus heureux de ma vie ; je m'en souviendrais toujours comme de la journée où non seulement est né Vérité, mais celui où je me suis sentie complètement guerrière. L'âme d'un chevalier.