L'étincelle combative qui traversa le regard de la rose me fut suffisant à deviner sa décision, avant même qu'elle n'ouvre la bouche pour m'annoncer, d'un frêle murmure si bas que je me demandais si d'autres que moi purent l'entendre, qu'elle allait tenter le coup. Mon sourire s'étira légèrement, doux, & je pressais sa main brièvement juste avant qu'elle ne s'éloigne. Rejoignant Faust, elle déclara qu'elle allait nous laisser un peu de temps, de repos avant que d'autres visiteurs ne viennent voir la petite ; & malgré mon air rayonnant de jeune maman comblée, je ne pus qu'être reconnaissante, quand même, de cette pensée bienveillante. Même si je devinais sous cette bienveillance un besoin de s'éloigner pour faire le vide & se reprendre ; peu importait, je lui avais promis de ne poser aucune question, de la laisser tranquille avec ces tourments que j'avais devinés mais qui lui appartenaient tant qu'ils ne la mettaient pas en danger. Pour l'heure, je ne retenais donc que le fait que seule l'intention comptait, & l'intention, ou l'attention peu importait, restait de nous laisser ce temps de repos qui ma foi allait m'être bien utile.. Je ne l'admettrai certainement pas à voix haute, même sous la menace, mais malgré mon euphorie l'épuisement de l'accouchement commençait à se faire ressentir. & je lui étais reconnaissante d'en tenir compte. Point, final.

Après, je n'irai pas dire que capter un hochement de tête & un sourire apaisant de Faust, signifiant clairement qu'il veillerait sur elle dans la mesure du possible tout du moins, ne me rassura pas un petit peu, au fond. Ce serait fort hypocrite, malgré toute ma bonne volonté quant au fait de respecter ce secret ; ma meilleure amie ne pouvait m'empêcher de m'inquiéter pour elle, même si j'avais promis ma discrétion & que de fait je dissimulais cela sous un sourire tranquille, un regard paisible. Ils quittèrent alors la pièce, & la porte se referma sur eux, nous laissant seuls en famille. Mon mari vint alors s'asseoir sur le bord du lit, récupérant la petite avec une grande délicatesse ; & bientôt s'éleva dans la chambre une mélodie familière, fredonnée par mon compagnon à l'intention de Céleste. Une mélodie qui ne manqua pas de la faire réagir & s'agiter vivement, interpellée par la voix bien connue de son père. Douceur & émotion devaient se lire sur mon visage en cet instant, alors que silencieuse j'observais non sans tendresse ce touchant tableau présenté par deux des êtres les plus chers à mon cœur. Amusée moi aussi devant l'énergie débordante de la nouvelle-née, qui ne manqua de faire rire plusieurs fois Damien, je luttais un peu pour ne pas m'endormir ; tout en sachant qu'en réalité, même si je l'avais voulu, je n'aurai su trouver le soleil. Trop euphorique & heureuse. Trop absorbée par la scène qui se jouait juste sous mes yeux.

Le bonheur, c'est ça. Profiter d'un simple instant de joie, si éphémère soit-il. Ne pas penser aux lendemains pour se concentrer uniquement sur une douceur du présent, & tant pis pour les tourments & le chaos au dehors. C'était notre bulle d'amour & de paix, un instant pour oublier tout le mal qui nous avait été fait mais qui n'avait jamais su nous briser. Qui n'avait jamais su nous éloigner. Seulement nous rendre plus forts, renforcer ces liens qui nous unissaient déjà avant. Ensemble, Damien & moi serions inébranlables, pour nos filles nous serions invincibles. Cette conviction m'était une certitude absolue, car rien n'importait plus que notre petite famille fondée malgré vents & marées qui étaient contre nous. Un fin sourire se dessina sur mon visage à cette pensée, alors que je fermais finalement les yeux. Uniquement pour les reposer un peu, hein, je ne m'endormis pas, pas même une petite seconde ; je me souvenais d'absolument chaque instant, chacune des notes fredonnées par mon époux à notre petite dernière. Ce chant si doux qui la marquerait sans doute à jamais, elle aussi. Tendresse était dans mon regard, lorsqu'après quelques instants de silence, mon compagnon prononça quelques mots qui me firent ouvrir les yeux pour les plonger dans les siens.

- Si, absolument.

Rien ne pouvait effacer mon sourire en cet instant. Ni la fatigue présente & à venir, ni les dangers au dehors, ni les incertitudes des lendemains. J'étais heureuse, simplement heureuse. & même si notre vie n'avait pas été facile, loin de là, j'estimais que oui, nous étions des parents réellement chanceux. Les plus chanceux du monde. N'avions-nous pas deux filles merveilleuses, après tout, deux petits rayons de soleils pour illuminer même les plus sombres moments?