Brother |PV John|

♦ BROTHER ♦feat. John Lewis Armstrong

J'ai repoussé ce moment jusqu'au jour où les lettres du dossier ont dansé devant mes yeux. Je ne peux plus faire marche arrière à présent. Je dois honorer ce que Teigon a fait pour moi en cette nuit particulière où je me suis introduite dans un des bâtiments du Régime. Cette nuit, j'ai failli y laisser ma peau, pour un fragment de vérité. Vérité jamais révélée au final puisque par manque de courage, je n'ai jamais réussi à ouvrir ce dit dossier. Combien de doutes m'habitent à présent? Encore une fois je suis prête à tout annuler, à quitter mon appartement pour rejoindre Wesotn et faire comme si. Oh mais elle est douée la Mercy avec ses faux-semblants, ses mensonges. Je n'en peux plus de vivre dans cette attente. Le moment fatidique viendra et je saurai. Sauf je vis avec l'impression grandissante que certaines vérités ne sont pas toujours bonnes à savoir. Peut-être que l'existence que je vis à présent s'avère plus tranquille, calme, que celle dans laquelle je connais tout de mon passé. Je n'ai jamais véritablement cherché à savoir qui j'étais véritablement. Mes parents adoptifs ont toujours été les miens dans mon esprit, même si lors de mon adoption j'étais encore assez vieille pour m'en souvenir. Je fais ce pas aujourd'hui, un pas qui va à l'encontre de ce que je me suis jurée des années plus tôt, de ne jamais poser la question et de respecter mon bonheur.

Or, je me rend compte que je n'ai jamais été véritablement heureuse et qu'une part de moi manque, tel un trou béant qui me consume jour après jour. J'ignore si la réponse à mes douleurs se trouve dans ces quelques pages, cependant je sais qu'après aujourd'hui rien au monde ne me paraîtra pareil. Je soupire en me relevant, détachant mon regard du dossier sur la table, allant fouiller dans mon armoire pour y dénicher des tasses. Une douce odeur de biscuits flotte dans l'air, odeur qui me rappelle ma première rencontre avec le jeune homme qui doit arriver d'un moment à l'autre. J'ai rencontré John à Vanawi, et depuis nous avons gardé régulièrement contact. J'adore lui parler. Il m'était comme un petit frère avant que je ne découvre la vérité à notre sujet. Nous sommes en effet frère et soeur, du moins à demi, comme nous partageons le même père. Une information qu'il ignore, bien évidemment, et je dois lui confier aujourd'hui. Je retire les biscuits du four en me demandant comme j'arriverai à tout lui raconter sans m'effondrer. Depuis plusieurs semaines, je ne réponds pas à ses appels ou textos, je fais comme s'il n'existait pas. Il m'en voudra certainement pour cette distance, que j'ai moi-même brisé la veille en lui demandant de venir chez moi, à Baguin, pour discuter.

Mon appartement est un peu sans dessus-dessous. Plusieurs boîtes s'agglutinent dans le salon, en prévision de mon déménagement. J'ai récemment fait l'acquisition de la fameuse maison d'Anula, et je compte y déménager sous peu, juste avant de rentrer au Canada. Je ne me soucie que peu de la décoration cependant. Je prépare de l'eau à chauffer pour proposer un peu de thé à John une fois qu'il sera présent. Seule Wanda, la petite Carapuce que je viens tout juste de capturer, m'accompagne aujourd'hui, assise sagement sur la table en train de jouer avec des blocs de style lego. La jeune tortue adore cette activité, et comme elle est calme en y jouant, je la laisse faire avec plaisir. Elle me lance constamment des regards intéressés, se demandant probablement ce qui peut bien me prendre et pourquoi je suis si nerveuse. Lorsque les coups retentissent à ma porte, je cours en sa direction, avant de m'arrêter d'un coup net. J'ouvre la porte avec hésitation et offre un pâle sourire au jeune homme brun.

«Hé John... Je t'en prie, entre. Je t'ai préparé des biscuits et l'eau chaude est presque prête. J'a toutes sortes de thé, je crois que tu y trouveras quelque chose de bien... Vert, noir, au gingembre, à l'orange... Enfin, fouille dans ma boîte, je l'ai posée sur la table, tu y trouveras certainement un truc à ton goût...»

Voilà que je joue les moulins à parole encore une fois. Ma nervosité est palpable, mes mains tremblent et mon regard est fuyant. Je n'ai même pas demandé à mon invité s'il voulait du thé, en fait... Je m'assois à la table et prend une grande inspiration, avant de me lancer.

«Écoute, John... Je suis une idiote. Une vraie idiote. Je t'ai évitée ces derniers temps et tu n'en méritais pas tant. Je suis désolée, sincèrement.»

(c)Golden

BROTHER

Mercedes L. Blanchett

Il n’y a pas deux semaines, je n’aurais pas hésité à sauter dans ce taxi, suite à l’appel de la rose. Je n’aurais sans doute pas pu contenir ma joie à l’idée de revoir cette jeune femme pleine de joie, à qui j’ai l’habitude de me confier à propos de tout et de rien. Il n’y a pas deux semaines, je n’aurais même pas attendu son invitation pour débarquer dans le petit appartement de Baguin, afin de la féliciter pour son triomphe contre le Conseiller de type Ténèbres. Mais aujourd’hui… Aujourd’hui, le simple fait de penser à la ligue me donne envie de m’enfoncer sous mes couvertures, et d’y rester à tout jamais. Le simple fait de revoir le sourire de cette jeune femme qui n’a répondu à aucun de mes appels de détresse depuis ces derniers jours… D’affronter son jugement quant à ma défaite des plus écrasantes. Aujourd’hui, je n’ai plus envie de voir personne. Je n’ai plus envie d’affronter ces faux sourires de pitié. Et sans doute d’entendre de fausses excuses de la part de la jeune femme. Je ne veux voir personne, et pourtant, me voilà malgré tout dans un taxi en direction de Baguin. En direction d’une invitation dont je ne connais même pas le but. Pourquoi cette invitation alors qu’aucune fois Victoria n’a répondu à mes appels. Je n’ai aucune réponse à ces questions, et pourtant, je n’ai su refuser. Sans doute ma solitude a finit par me faire plier. Je n’ai en effet vu personne depuis Nueva Eja. Je n’ai parlé à personne. Pas même à Sam. Pas même à Yumi. Pas même à Ayleen qui pourtant réussit toujours à me faire sourire avec ses gâteaux. Je n’ai pas trouvé la force de les affronter. Aucun d’eux. Alors pourquoi est-ce différent avec Victoria? Comment ais-je trouvé le courage de m’habiller ce matin et de faire ce trajet pourtant plutôt long?

Le taxi finit par s’arrêter devant un immeuble que je reconnais aussitôt. Un immeuble que j’ai visité à plusieurs reprises depuis mon arrivée sur Enola. Un où je suis souvent venu afin de me libérer de nombreux secrets et inquiétudes. Et encore une fois, alors que je suis au plus bas, c’est ici que je viens. C’est ici que je viens me réfugier. Le regard bas, je règle la facture du taxi avant de me diriger d’un pas lent vers la cage d’escalier, où je grimpe avec une lenteur légendaire. Après ce qui me parait une éternité, je finis par me retrouver devant la porte, où j’hésite à cogner. Il n’est pas encore trop tard pour faire demi-tour et rentrer chez moi. Je pourrais aisément trouver un moyen de rentrer à la maison. Je me sens faire un pas vers l’arrière, comme si mon corps répondait à ma requête. Mais à ma grande surprise, une présence se bute contre moi, m’empêchant de continuer. Surpris, je me retourne pour découvrir un petit fantôme bien familier me sourire. Je reconnais aussitôt Léonie, qui a dû sortir de sa balle sans que je ne le réalise. La petite Feuforêve se glisse contre mon cou, partageant ainsi sa chaleur avec moi. Une chaleur rassurante, douce. Je connais bien ses intentions. Elle me signifie qu’elle est à mes côtés. Que tout ira bien. Que je n’ai pas à fuir. Et pourtant, je doute que cette présence soit suffisante pour m’apaiser. Je me laisse toutefois convaincre, et finis par accepter de cogner contre la porte qui s’ouvre après sans doute moins d’un quart de seconde, découvrant une Victoria me souriant faiblement, visiblement mal à l’aise.

La jeune femme m’invite à entrer et m’offre un monologue complet sur le thé, qui d’ordinaire m’aurait sans doute fait rire, mais dans ce genre de circonstances, je me contente de m’insérer en silence dans l’appartement, et de me diriger vers la fameuse table contenant effectivement une grande variété de thé. Toujours en silence, je vais prendre place avant de porter mon choix sur un petit sachet d’Earl Grey, comme j’en ai l’habitude.

-Merci de m’avoir invité, c’est gentil de –

Je n’ai pas le temps de terminer ma phrase que la jeune femme me coupe la parole pour m’offrir des excuses auxquelles je fois avouer que je ne m’attendais pas. Certes, j’avais remarqué que la jeune femme avait soigneusement évité de me répondre, mais de là à se traiter d’idiote? J’ai toujours connu Victoria comme une femme forte, sûre d’elle-même, confiante. Alors la voir dans cet état m’est plutôt déstabilisant. Ne sachant comment répondre, je baisse les yeux vers la poche de thé que je tiens encore entre les doigts. Jamais du Earl Gray ne m’avait parut aussi intéressant. Un lourd silence s’installe dans la pièce, et je sens que c’est à moi de le briser de quelconque manière.

-T’as pas à t’excuser, Vick. J’imagine que t’avais tes raisons. Et puis, pour être sincère, je dois t’avouer que j’ai pas été des plus agréables avec qui que ce soit, ces derniers temps, alors en quelques sortes, c’était pas une si mauvaise chose que tu m’évite comme ça.

Je tente un léger sourire, mais cela s’avère un véritable échec, alors une nouvelle fois je baisse le regard vers la poche de thé. En fait, c’est vachement joli une pochette d’Earl Gray quand on y porte vraiment attention.

(c)Golden

♦ BROTHER ♦feat. John Lewis Armstrong

Le jeune homme qui se tient devant moi est mon frère. J'ai toujours voulu d'un frère, avant que mon père m'en offre un de son deuxième mariage. Mais ici ce n'est pas pareil. John est mon frère de sang et de chair. Nous partageons un fragment d'histoire, un père. Ma vie sera différente à partir d'aujourd'hui. J'aurai quelqu'un, quelqu'un sur qui compter véritablement. Mon coeur se met à battre. J'ai toujours adoré John. J'ai toujours voulu le protéger. Je l'ai écouté lorsque les ténèbres se sont refermés sur lui. À présent, il ne va pas beaucoup mieux. Il a perdu contre Faust et je crois que son estime est en miettes après cet événement. Il semble tendu et profondément triste. Même si sa raison me semble puérile, je regrette tout de même de l'avoir laissé tomber. Par lâcheté. Il aurait eu besoin de moi, probablement, et je n'ai pas retourné ses appels. À présent tout va changer parce je fais face à ma destinée. Même si ce qui suit sera le plus difficile, j'ai confiance qu'après ce mauvais moment, je pourrai enfin avancer. Après tout, j'aurai un frère pour me soutenir en cas de besoin et vice-versa. Je ne le laisserai plus tomber. J'espère que cette émotion est transmise par mon regard car elle transpire par toutes les pores de ma peau toujours agitée de soubresauts nerveux.

John m'excuse, avec toujours cet air misérable sur le visage. Il dit ne pas avoir été très agréable avec les autres. Oh mais il l'aurait été avec moi. J'aurais réussi à le faire sourire, à le sortir de sa torpeur, à le secouer au point où il aurait repris confiance en lui. Si son attitude fermée et amère pourrait remettre en doute mon entreprise de la journée, je ne laisse pas ce détail contrecarrer mes plans. Qu'il y soit prêt ou non, il doit connaître cette vérité que je garde en moi depuis plusieurs moi, comme en attente de voir cette révélation s'effacer de ma mémoire. Impossible. Je dois maintenant y faire face coûte que coûte, accepter et m'en faire une alliée. John semble très mal à l'aise et je me dois de remédier à la situation. Je jette un coup d'oeil vers le dossier posé sur la table et décide d'attendre un peu, me levant pour verser de l'eau chaude dans deux tasses. J'opte pour un thé à l'orange pas trop corsé et me rassois cette fois à côté de John. Wanda la petite Carapuce vient me rejoindre dans mes bras où elle se tient calme, probablement surprise par la présence de jeune homme et du spectre qui volète autour de lui.

«Je n'avais que de raison ma lâcheté, John. J'ai découvert des trucs sur moi et sur toi, et je n'avais plus le courage d'affronter la vérité. Cependant aujourd'hui, je dois arrêter de me cacher la tête dans le sable. Puis je te dois bien quelques explications.»

Je lui prends la main, pour me rassurer moi-même plus que lui sur ce qui va suivre. Je cherche longuement mes paroles, distraite par les mouvements incessants de la petite tortue dans mes bras qui, comme à son habitude, gigote dans tous les sens. Serrant la main du garçon avec émotion, j'entame mon discours en prenant une grande inspiration.

«John... J'ai plusieurs choses à te dire. Je te les confie parce que j'ai confiance en toi, et que tu as droit de savoir. Cependant, tu dois comprendre qu'il s'agit d'une question de vie ou de mort pour moi et que je dois compter sur ton absolue discrétion. Je m'appelle Mercedes Blanchett et non Victoria Hills. Je suis venue sur cette île pour remplir une mission secrète et personne ne doit savoir ma véritable identité. Tu comprends?»

Malgré la lourdeur de cet aveu, je me sens étonnamment calme, comme soulagée. J'ai parlé d'une voix douce, basse, en ne lâchant pas sa main un seul instant, caressant ses doigts avec tendresse.

(c)Golden

BROTHER

Mercedes L. Blanchett

Je ne pourrais jamais en vouloir à Victoria. Pas même dans cette situation où la jeune femme m’a complètement ignoré alors que j’ai cherché réconfort auprès d’elle. Je n’ai tout simplement pas le droit. Après tout, si ce n’est de ces derniers temps, elle a toujours été là quand j’avais besoin de parler. Que ce soit à midi ou à minuit, il y avait toujours sa voix rassurante à l’autre bout de la ligne. Et puis, je ne suis pas vraiment d’humeur à ruminer contre quelqu’un. J’ai déjà assez de tracas ainsi sans avoir à en rajouter. Ma défaite contre le maître des ombres pèse encore lourdement sur mes épaules. Je ne pense qu’à ça, tous les jours. À peine mes yeux se ferment-ils que je revois déjà les moindres détails de cette écrasante défaite. De mon incompétence. J’ai beau tenter de me répéter qu’il arrive à tout le monde d’échouer, je ne peux me résoudre à passer par-dessus. Ce qui s’est passé à Nueva Eja n’est pas pardonnable. J’ai échoué, j’ai laissé tomber mon équipe. J’ai perdu confiance en mes capacités en tant que dresseur. Depuis, je ne me vois que comme un incompétent. Un simple d’esprit incapable d’offrir leur plein potentiel à ses Pokémon. Mon regard se pose sur Léonie qui vole autour de moi avec légèreté. Elle ne semble pas me percevoir comme je me perçois, moi. Elle semble même m’apprécier comme je suis. Et malgré tout, ce n’est pas suffisant pour changer mon opinion de moi-même.

Alors que le silence commence à devenir lourd, Victoria se lève pour aller chercher l’eau qui boue enfin. Je la laisse remplir ma tasse, où je glisse aussitôt le petit sachet ainsi que quelques gouttes de lait, comme j’en ai l’habitude. La jeune femme s’empresse ensuite de prendre la parole. Curieux par ce qu’elle m’avoue, je relève le regard vers elle, silencieux. Je me sens me crisper en l’entendant prononcer ces paroles plutôt inquiétantes. Je me mets aussitôt à m’imaginer mille scénarios. De quoi peut-elle bien parler? Quelle vérité? Qu’a-t-elle bien pu découvrir sur moi? Je m’apprête à reculer et à me relever, mais je sens sa main se glisser sur la mienne, me faisant sursauter. Je ne suis tout à coup plus certain de vouloir entendre cette fameuse vérité. Je n’ai toutefois pas le temps de contester que la jeune femme se remet à parler, avec cette fois une voix douce, et rassurante malgré le sens de ses mots. Ses paroles défilent en moi, sans que je n’en comprenne véritablement le sens. Je ne saisi que les mots les plus importants. « Vie », « mort », « discrétion », et surtout, « mission secrète ». Et puis, il y a ce nom. Ce nom qui résonne encore à mes oreilles. Mercedes Blanchett. Mercedes. Un nom que je n’ai jamais entendu auparavant, et qui pourtant appartient à celle que je considère comme la meilleure amie que j’ai sur cette île. Il appartient à cette jeune femme que j’ai cru connaitre. J’ai cru la connaitre. J’ai cru savoir à qui je m’adressait. Et pourtant, il semble que je ne la connaissais aucunement. Pas même son vrai nom. Et malgré tout, cette révélation choque n’est pas l’élément qui me perturbe tant. Toujours aussi crispé, je tente de retirer mes doigts de l’emprise de la rose, sans toutefois y parvenir.

-C’est… c’est une blague? C’est une grosse blague tout ça, pas vrai? T’as caché une caméra, avoue-le. T’es pas vraiment une…. Une espionne?

Ces derniers mots, je les ai chuchotés, avec toute ma naïveté. Je n’ose pas trop en rire, de peur qu’il ne s’agisse de la vérité, et pourtant, je ne peux pas prendre ses mots au sérieux. La jeune femme ne s’est pas vraiment avouée espionne, mais c’est pourtant ce que ses mots me font croire.

-Pourquoi tu me dis ça à moi? Si c’est un secret de vie ou de mort, je veux dire… Et qui d’autre le sait? Et c’est quoi ta mission secrète? Tu fais partie de la Résistance? Ou du Régime? Les évènements de janvier, c’était quand-même pas… toi?

Tant de questions. Tant de questions qui me sautent à la tête. Je sens mon cœur pomper comme jamais, et je doute que les réponses à mes questions ne puissent calmer son rythme…

(c)Golden

♦ BROTHER ♦feat. John Lewis Armstrong

Comment expliquer ce soulagement? À force de mentir, j'arrive parfois à me croire, et lorsque d'autres personnes savent m'ancrer dans la réalité comme Solène l'a fait, j'ai l'impression de redevenir moi-même. Oh, certes, Victoria Hills est une chic fille. Cependant il reste toujours que je suis Mercedes et non cette jeune fille qui effectue les dernières volontés de son père décédé l'année précédente en devenant dresseuse. Partager ce secret avec John m'est aussi facile. J'ai toujours senti que je pouvais lui faire confiance. Dès les premiers instants, nous avons toujours partagé une étonnante complicité. Ce garçon m'a fait fondre et je l'ai pris sous son aile. Me trouver en sa compagnie est si facile. Après cet aveu, je sens la force me revenir, et la détermination animer mon regard. Maintenant que je me suis compromise ainsi, il n'y a plus qu'un seul chemin à emprunter. Celui qui mène vers l'avant. John a besoin de savoir, même si ce qui suit n'est pas vraiment facile. Je sens que mes paroles m'ont troublé. Il est inquiet, agité soudainement, et Wanda ma Carapuce l'a senti car elle l'observe désormais d'un air suspicieux. Je garde toujours le même calme doucereux, souriant cette fois même si ses questions et interrogations ont tout de légitime. Je n'ai pas l'intention de le laisser tomber aujourd'hui, et ferai de mon mieux pour l'accompagner dans la réalisation de ce que nous sommes.

John croit d'abord que je suis une espionne, ce qui selon les paroles que je viens de prononcer, n'a rien d'idiot. Je n'ai rien de tout cela, mais après, la réflexion s'impose. J'ai en effet aidé le jeune homme à trouver sa mère en lui indiquant les bidonvilles d'Amanill. Notre mère? Je préfère ne pas penser à mes doutes à ce sujet. En effet, je crois que nous ne sommes frère et soeur que de père, mais tout ceci sera bientôt confirmé par le contenu du dossier. Je secoue la tête devant sa théorie, cherchant mes mots pour lui expliquer. J'aurais voulu éviter de lui nommer quelle est ma réelle fonction sur cette île, cependant les questions pleuvent à un rythme ahurissant et il vient même jusqu'à impliquer que je suis responsable des événements de janvier, ce qui me fait me redresser d'un bon. Sujet sensible auquel il vaut mieux que je ne m'étende pas trop. Je me sens encore coupable de ce qui s'est produit là-bas, ainsi seulement le fait qu'il le pense me met hors de moi. Wanda, jetée par terre par mon bond brusque, proteste et s'éloigne dans le salon, visiblement vexée. Vexée mais pas autant que moi. Je tente de mesurer ma voix, même si tout en moi s'agite.

«Non. Comment peux-tu penser une chose pareille? Tuer et emprisonner des innocents? Comment peux-tu penser ceci alors que j'ai moi-même subit le courroux du Régime?»

Je lui montre mes cicatrices d'un air froid. Il vaut mieux abandonner le sujet avant que je ne sorte de mes gonds. Je lui tends le dossier, respirant lentement pour calmer ma fureur. Il est simplement surpris. Simplement surpris. Du calme Mercy.

«Je suis une journaliste, John, pas une espionne. Cependant tu te doutes que si le Régime devait l'apprendre, on serait un peu moins gentil avec moi cette fois. Je te dis ceci car mon nom figure dans ce dossier, mon véritablement nom, Mercedes Blanchett. Je te dis ceci parce que le tien aussi y figure.»

Ma voix est toujours animée, mais plus du tout colérique. Elle est déterminée, presque brusque, histoire de lui faire comprendre tout ce que je risque, et aussi préparer la suite de mon discours.

«John, je n'ai jamais été capable de le lire au complet, mais j'ai découvert du peu que j'ai lu que... Nous avons le même père. Je suis ta soeur, John.»

(c)Golden

BROTHER

Mercedes L. Blanchett

Intéressée par la tournure de la conversation, le petit spectre vient prendre place sur son nid habituel, soit ma chevelure en bataille. Elle s’y pose, sans jamais quitter la rose du regard. Sans doute n’a-t-elle pas compris la moitié de ce qui vient de se dire, mes les changements de tons ont attiré son attention. La bouche entrouverte, elle attend avec impatience la réponse de notre hôte suite à mes nombreuses questions. Est-ce possible? Celle que nous considérions comme une amie pourrait-elle être une espionne? Une sorte d’Ethan Hunt en féminin? Nous n’avons pas à nous questionner bien longtemps, car bientôt, la jeune femme se redresse d’un bond, me faisant sursauter, renversant ainsi Léonie qui manque de s’écraser au sol. La réponse de Victoria, ou plutôt de Mercedes, est bien claire. Non. Un non catégorique qui ne laisse aucune place aux doutes. Non elle n’est pas responsable des atrocités qui se multiplient sur cette île. Et malgré le ton agressif et amer de la jeune femme, je suis soulagé. Je ne sais pas comment j’aurais réagit, si jamais elle m’avait avoué être membre de ce groupe qui compromet la liberté et la sécurité du peuple enolien. Si elle s’était révélée responsable de tous ces meurtres, toutes ces séances de torture. Je ne sais pas, et j’aime mieux ne pas y penser.

Toujours fumante, la rose me montre avec froideur cette cicatrice qu’elle porte en souvenir de son passage dans les prisons du Régime, et je dois tourner la tête pour éviter de faire face à cette réalité qui me trouble toujours autant. Encore aujourd’hui, je peine à y repenser sans être envahi d’une multitude d’émotions. Je repose toutefois mon regard sur Mercedes lorsque celle-ci se remet à parler, avec cette fois un ton plus calme. Elle m’avoue son secret. Elle est journaliste. Et alors? Je ne comprends pas vraiment en quel sens cela peut mettre sa vie en péril, mais je n’ai pas le temps de demander de plus amples explications, car bientôt, la jeune femme reprend la parole en m’avouant cette fois une information attirant toute mon attention. En quoi cette histoire peut bien pouvoir me concerner. Que contient ce dossier? Et pourquoi mon nom y figure-t-il? Je sens ma mâchoire et mes jointures se tendres. Ce qui se trouve dans cette pochette n’est surement pas anodin. Mon regard se pose sur cette enveloppe qui pique à présent ma curiosité. Je ne pense à présent plus du tout à ma défaite, ni même à ces lourds aveux de la part de la rose. Il n’y a plus que l’enveloppe. Plus que ces quelques feuilles qui pourraient bien changer le cours de ma vie.

-Victoria… Je veux dire, Mercy, c’est peut-être pas…. Une bonne idée de l’ouvrir.

Ces mots, je les ai chuchotés avec une faiblesse telle que je doute que la jeune femme m’ait entendue. Elle se remet d’ailleurs à parler, faisant complètement abstraction de mes paroles. Ce qu’elle avance… C’est impossible. C’est absurde. Le même père? Ma sœur? Non, je n’ai pas de sœur. Ma mère n’a pas eu d’autres enfants. Il me l’aurait dit. Ce vieil homme, mon grand-père maternel, il me l’aurait dit. Il m’aurait parlé de cet autre enfant à la chevelure plus que marquante. Il m’aurait parlé d’une sœur plus âgée que moi. Alors c’est impossible. Elle ne peut pas être ma sœur. Je n’ai plus personne, à présent. Je n’ai plus de mère, sans doute plus de père, et certainement pas de sœur.

-Il doit y avoir une erreur. Je suis désolé, Mercy, mais tu te trompe de personne. T’as sans doute mal lu le nom, mais ça ne peut pas être moi. Ma mère biologique n’a pas eu d’autres enfants, alors c’est impossible.

Je prends une gorgé de thé, le regard baissé. Il a refroidit, depuis le temps, mais je n’y porte pas attention. Toute cette histoire m’a franchement troublé, et à présent, je ne sais plus comment réagir. Sans doute serait-ce mieux que je parte. Prenant une grande respiration, je me redresse, faisant de nouveau basculer la Feuforêve qui s’est replacé au dessus de ma tête depuis.

-Écoute Vick, ou Mercy, je suis flatté que tu me fasse suffisamment confiance pour m’avouer tout ça, et je te souhaite bonne chance pour retrouver ton frère. Merci pour le thé.

À présent, il ne me reste plus qu’à rentrer chez moi. Rentrer et retourner sous mes couvertures pour me morfondre.

(c)Golden

♦ BROTHER ♦feat. John Lewis Armstrong

Je vibre d'espoir, repoussant derrière moi la colère des accusations portées à mon endroit. L'air s'est chargé d'électricité et moi j'attends telle une idiote la portée de sa réponse. Pour ne me buter que devant de la lâcheté. Une lâcheté pire que la mienne, devant un déni total de ce que je viens d'affirmer, malgré le fait que je remets ma vie et mon secret entre ses mains. Au fond, nous sommes bien les mêmes, lui et moi n'est-ce pas? Deux peureux, qui n'osent pas, des gens qui se laissent écraser par leur existence plutôt que d'en prendre les rênes. Au final, je crois que John a raison. Oui. Ce n'est pas une bonne idée que d'ouvrir ce document, qui ne fera probablement que raviver la douleur de l'abandon, celle que ressent tous les enfants adoptés, tous ceux qu'on a laissé à l'orphelinat plutôt que d'aimer de tout son coeur. Puis découvrir qui sont nos parents implique aussi de devoir les chercher, afin d'obtenir la question à ce fameux «pourquoi» que j'ai toujours repoussé pour me contenter de ma famille d'adoption, qui fut ma véritable famille pendant toutes ces années. Il en est probablement de même pour lui après tout. Peut-être préfère-t-il honorer la mémoire de ses parents adoptifs, décédés il y a peu de temps, en ne leur faisant pas l'affront de chercher ses véritables origines.

John est debout. Le déni. Le déni. Non. J'ai nié trop longtemps. J'ai pris trop de temps à me chanter la même chanson, simplement pour me convaincre du bien fondé de toutes mes angoisses. Aujourd'hui ça suffit. Une rage bouillante m'envahit. Il ne peut pas me faire ça. Pas maintenant. J'ai besoin de lui, plus que jamais, besoin que nous faisions ce pas ensemble. Je me redresse à mon tour, le regardant dans les yeux dans un silence chargé de sens. Mes yeux parlent pour ces mots qui refusent de fuser, et qui pourtant s'entrechoquent avec écho dans mon esprit.

«Je ne me trompe pas, John Lewis Armstrong. Tu es mon frère, que tu le veuilles ou non. J'ai longtemps été comme toi. J'ai refusé d'admettre que c'était vrai. Cependant je sais c'est la vérité. Sinon je ne t'aurais pas fait venir dans mon appartement pour te parler de ma véritable identité et mettre ma vie en danger par le fait même. Sinon je ne t'aurais pas évité pendant des semaines pour tenter de remettre un peu d'ordre dans mes idées.»

Mon regard est colérique, presque menaçant. Je ne tremble pas. Je suis bien campée sur ma position, et dans l'idée que je projette.

«Maintenant, tu as deux choix. Ou tu t'assois à cette table et nous découvrons ensemble qui sont nos parents. Je suis à peu près certaine que nous n'avons pas la même mère, le mystère de la mienne plane donc encore. Et à partir de ce jour, nous formons une équipe, nous sommes frère et soeur et nous nous serrons les coudes. Si tu choisis cette option, tu vas souffrir, parce que retourner dans le passé n'est pas facile, mais tu ne seras pas seul. Parce que je serai présente. Ton deuxième choix? Tu passes cette porte et nous ne nous parlons plus jamais. Tu ne m'appelles plus. Tu ne me textes plus. Tu ne prononces plus mon nom. Tu m'oublie à jamais. Car moi je t'oublierai, John. C'est ce que je fais avec les gens qui me blessent. Tu ne serais pas le premier, ni le dernier. Et toi tu te réveilleras des années plus tard à réaliser ta bêtise et ta lâcheté. De ça, j'en suis pleine, je ne te jugerai pas. Maintenant, le choix est tien.»

Même si le choix est sien, je ne peux m'empêcher d'avoir les yeux humides. Brisée par ce discours, je me rassois à la table et regarde le mur plutôt que son visage. Sa décision influencera le reste de ma vie. Mais jamais autant qu'elle le fera pour la sienne.

(c)Golden

BROTHER

Mercedes L. Blanchett

Je suis devant la porte, et pourtant, une partie de moi refuse de la franchir. Une partie de moi désire véritablement être ce frère qu’elle cherche. Ce frère pour qui elle est prête à avouer ses plus grands secrets sans aucune retenue. Une partie de moi le désir profondément, et pourtant, il y a cette autre partie qui refuse d’y croire. Qui refuse de s’accrocher à un espoir qui risque de tomber en miette, comme tous les autres. Cette partie de moi qui désir me protéger d’une nouvelle déception. Qui refuse de m’exposer à de nouvelles souffrances. N’ais-je pas assez souffert ainsi? N’ais-je pas vécu assez de déception sans avoir à en rajouter une nouvelle? N’ais-je pas cherché à me greffer à une famille, depuis mon arrivée sur cette île? Et à chaque fois que j’ai cherché, je me suis buté contre un mur. Et à présent, cette jeune femme vient m’offrir cette opportunité que je n’arrive pas à accepter. J’ai l’impression… que ce serait trop facile pour être vrai. Comme si rien de facile ne pouvait être vrai. Je ne sais pas exactement d’où me vient cette mentalité, mais elle s’accroche à moi, sans lâcher prise. Et pourtant… Et pourtant, je suis là, immobile, fixant le sol, incapable de faire ce pas. Ce pas qui m’arracherait Mercy à tout jamais. Ce pas qui m’enfermerait dans le déni à tout jamais. Qui m’arracherait mes dernières chances de me trouver une famille.

Les mots de la rose tournent dans ma tête, qui elle semble tourner à son tour. Trop. Trop d’informations. Trop d’affirmations. Trop d’émotions. Trop pour tout laisser tomber. Mais aussi trop pour accepter. Et pourtant, je me laisse charmer par cette idée. L’idée d’avoir une sœur. Une alliée. Quelqu’un sur qui compter. Quelqu’un partageant les mêmes racines que moi. Quelqu’un possédant le même sang que moi dans les veines. D’enfin l’avoir, cette famille inespérée. C’est cette idée qui finit par me faire tourner les talons, et affronter le regard dur de la rose pourtant toujours souriante. Ce regard qui me semble soudainement si semblable au mien. C’est cette idée qui me force à faire ces quelques pas jusqu’à la table où la jeune femme a repris place. Je m’assis à mon tour, en posant cette fois mon regard sur ce dossier qui remue tant d’aire. Quelques bouts de papier peuvent-il vraiment changer nos vies? Il n’y a vraiment qu’une seule manière de le découvrir…

-Excuses-moi… Je suis trop nul, Mercy. Je voulais pas te faire de peine comme ça… Je voulais pas être un gros lâche comme ça. Mais j’imagine… J’imagine que j’ai peur de la vérité. Peur de me retrouver encore seul.

Je marque une pause, baissant le regard. Je ne suis qu’un lâche, en fin de compte. La jeune femme, elle, a eu le courage de m’avouer toute la vérité, en plus de l’affronter elle-même. Et moi, j’étais prêt à tout ignorer. J’étais prêt à tout gâcher. Mais plus maintenant. Maintenant, je veux le faire. Je veux affronter cette épreuve avec elle. Je veux qu’on se serre les coudes, qu’on forme une équipe. Quitte à tout perdre de nouveau. Et si je me retrouvais de nouveau abandonner? Et alors. Est-ce vraiment rationnel de tout rejeter devant une simple peur? Non, sans doute pas.

-Je veux qu’on le fasse. Ensemble. Je veux l’ouvrir. Ou plutôt, je veux qu’on l’ouvre, tous les deux.

Les yeux humides, je pose mon regard sur la rose. Un regard plein d’espoir. Et sans la quitter des yeux, je glisse le dossier entre nous. Je veux le découvrir. Je ne veux pas quitter cet appartement à tout jamais, dans le doute, dans le déni, dans le regret.

-On l’ouvre à trois… Un, deux… trois.

Je sens mon cœur se serrer. Je ne peux pas l’ouvrir, mes doigts tremblent trop. C’est quelque chose que je ne peux pas faire seul.

(c)Golden

♦ BROTHER ♦feat. John Lewis Armstrong

Je ne me suis jamais montrée aussi dure envers qui que ce soit. Même envers ceux qui m'ont fait le plus de mal. On me connaît comme une personne forte, qui ne se laisse pas marcher sur les pieds. Certes. Mais de me battre pour ce que je souhaite obtenir, dans certaines circonstances, j'ai tendance à me laisser berner, à faire profiter à l'autre une victoire facile. Cette fois, je ne peux pas me permettre de manquer à cet ultimatum. Je suis campée sur ma position, et rien au monde ne pourra m'en dissuader. J'ai besoin de lui, trop besoin de lui, pour m'abandonner à la faiblesse si jamais il décide de partir. Cette fois, je me dois d'imposer des limites. J'en ai suffit de souffrir de par la main dans hommes, de ma propre famille qui plus est. Cette fois, ce garçon partage presque entièrement mon propre sang. Comprend-il à quel point cette démarche est importante pour moi? Je tremble presque. Je ne veux pas qu'il s'en aille. Je fixe obstinément le mur, à la recherche de la réponse à cette question: pourquoi finit-on toujours par m'abandonner? C'est ce que mes parents ont fait, puis mon père adoptif, puis finalement Jonas. Sera-t-il un autre ajout à cette longue liste, la liste de mon désespoir? Je l'aime, j'aime John. Son départ me brisera. Comment faire pour me relever cette fois en sachant ce qui nous unit?

J'entends quelques pas vers moi et je retiens un sanglot. Ça y est. Le verdict doit tomber. Lorsqu'il s'excuse, je vois la fin de notre relation se profiler. Cependant il y a dans sa voix douceur et regret. Il s'excuse et même si je sais ce qui suivra, je reste heureuse qu'il ai pris la peine de considérer ce que je ressens, ce beaucoup d'autres n'ont jamais fait. Impossible pour moi de regarder en face la puissance de ma déception, je me contente d'hocher la tête en réprimant mes larmes du mieux que je le peux, trop fière pour les laisser filer devant l'auteur d'autant de ressentiment. Cependant ce qui suit vient m'arracher à ma contemplation du mur. Je l'observe avec surprise, puis avec tendresse. Il veut le faire. Mon coeur se met à battre de façon frénétique. Tout passe sur mon visage. Fierté, amour, peur, angoisse, nervosité. Je me sens comme un parachutiste avant de faire ce pas qui l'arrachera de l'avion pour le jeter dans le précipice. Mes doigts se posent sur le dossier, que nous prenons tous les deux, ensemble. Je respire un bon coup, en le regardant lui, et simplement lui.

«Je suis désolée de chambouler ta vie, John. Seulement, je ne pouvais pas le faire seule.»

Sur ce, nous ouvrons la pochette. Les premières feuilles que nous trouvons traitent de l'adoption en elle-même, de nos parents adoptifs surtout, de l'âge où nous avons été adoptés, etc. Le dossier est totalement pêle-mêle à cause de la chute qu'il a subi lors de mon passage dans les souterrains des montagnes du Nord, il y a déjà quelques mois de cela. Je retrouve sans problème la photographie de notre père, qui date déjà de plus de vingt ans. Il s'agit d'un beau jeune homme, à la chevelure châtain. John lui ressemble énormément, bien plus que moi, je crois. Je la laisse entre les mains de mon... frère, avant de fouiller le reste du dossier. J'y découvres finalement la demande de mise en adoption de nos deux dossiers, que je pose sur la table. Mon estomac s'est tordu, si bien que maintenant je regrette un peu ce thé. Les mains moites, je m'empare du bras de John en me penchant au-dessus. Comme je l'avais deviné, le nom de nos mères sont différents, cependant la case du père est sans aucun doute le même nom. Carter Daniel... Turnac. Turnac. Turnac. Ce nom me tourne dans la tête un moment avant que je me lève d'un bond pour aller chercher mon ordinateur. Tandis qu'il s'allume avec une lenteur préhistorique (ou est-ce ma perception alors que je cours dan tous les sens?), je me retourne vers John:

«Je crois que nous sommes... le neveu et la nièce de l'ex-présidente Eliza Turnac, John.»

(c)Golden

BROTHER

Mercedes L. Blanchett

Savoir. Connaitre cette vérité enfouis depuis trop longtemps. Voilà pourquoi nous sommes ici. Pour confirmer nos doutes. Notre lien. Notre parenté. Nous sommes ici pour découvrir les secrets que contiennent ces dossiers, et pourtant, je me surprends à hésiter. Hésiter à regarder alors que la rose étale les papiers sur la table. Mon regard parcourt le tas une première fois, sans réussir à se poser où que ce soit. Je ne sais pas par où commencer. Je ne sais même pas si j’ai véritablement envie de commencer quelque part. Une partie de moi désir toujours partir en courant, et laisser moi soi-disant sœur me recontacter plus tard avec les résultats. J’ai l’impression d’attendre les résultats d’un test de grossesse… Je ne veux pas être ici, je ne veux pas être celui qui lira ces phrases décisives. Et pourtant, je sais que je ne peux pas faire ça. Je ne peux pas l’abandonner alors qu’elle a besoin de moi. Alors que nous avons besoin d’un de l’autre, plus que jamais. Cette déclaration chamboulera ma vie à tout jamais, certes, mais elle en fera de même pour la vie de Mercedes.

Je finis par me décider à poser mon attention sur un papier au hasard, et y découvre mon acte de naissance. Tout y est, en lettres moulées. Mon nom, ou plutôt, le nom qui m’avait été désigné avant l’adoption. Je parcours avec attention chaque phrase, comme pour les imprégner dans mon esprit. Tout ceci est une part importante de moi, que pourtant je ne connais pas. Un passé oublier qu’on a tenté d’effacer. Mais le voilà à présent entre mes mains, à ma merci. Et maintenant, il en revient à moi de décider ce que je veux en faire. Ce que je veux faire de ces noms, de ces chiffres et de ces lieux. Les oublier, ou les garder en mémoire. Ce choix, à présent, m’appartient, à moi et à personne d’autre. Tout ça, je le dois à Mercy. Tout ça, je le dois à ma sœur. À cette jeune femme qui partage une partie de mon sang. Qui partage le même père que moi. D’ailleurs, assez rapidement, mon regard se pose sur une photographie de l’homme en question. Un jeune homme aux airs familier, sans doute à cause de sa grande ressemblance avec mon propre reflet dans le miroir. Je le contemple quelques instants, avec une grande attention, quand soudainement, un mouvement brusque de la jeune femme me sort de mes pensées. Je détecte aussitôt un problème, mais avant que je ne puisse la questionner à ce sujet, elle se lève d’un bond pour aller quérir son ordinateur. En silence, je l’observe, en attente de réponses. Je n’ai toutefois pas à attendre bien longtemps, qu’elle m’offre plus que je ne pourrais demander. Turnac. Eliza Turnac. Cette femme dont plusieurs n’osent même plus prononcer le nom. Cette femme dont l’identité a fait le tour du monde, l’an dernier.

-Non, il doit y avoir une erreur…

Blême, je m’empare du papier en question, où le nom y figure effectivement. Alors c’est vrai. Alors cette homme… Notre géniteur… Il s’agit bel et bien d’un Turnac. Mais des Turnac, il peut bien y en avoir des millions, dans le monde. Rien ne prouve qu’il soit véritablement lié à l’ex-présidente d’Enola. Et pourtant, malgré mes rationalisations, je crois dur comme fer aux paroles de la jeune femme. Notre père, le jeune homme de la photographie, ne peut être que le frère de cette femme d’haute importance. Mais si tout ceci est vrai…

-On doit partir. Ils vont nous trouver, Mercy! Ils vont nous trouver et nous assassiner! Ils vont en finir avec nous! Bordel, c’était à cause de nous, le premier janvier, hein? C’était après nous qu’ils étaient?! Ils nous cherchaient. Et maintenant ils vont nous trouver et terminer le travail.

Je ne réfléchie plus normalement. Je sens des dangers partout autour de nous. Et il n’y a qu’une seule solution, dans mon esprit : la fuite.

(c)Golden

♦ BROTHER ♦feat. John Lewis Armstrong

Eliza Turnac est une personne que j'ai vu mourir de mes propres yeux. Ce jour-là je me trouvais à Amanill, quelques heures après ma sortie de l'aéroport. Avant de prendre l'autobus en direction de Vanawi, j'avais encore quelques heures libres pour en profiter. L'amas de gens dans la grande place a aussitôt attiré mon attention, et je m'y suis précipitée n pensant assister à un spectacle aux saveurs de cette région tropicale. Pour ne me buter qu'à la réalité morbide de l'île. Je me souviens encore de la musique pleine d'espoir qu'elle a entamé, l'éclat sauvage de son regard, la beauté encore intacte de ses traits, malgré toute la souffrance qu'elle a du ressentir durant son périple dans les prisons du Régime. Et l'éclat sinistre de son cou brisé. Sa mort a changé pour toujours le visage de cette île, et m'a transformée moi aussi. Il s'agit de mon premier article écrit avec autant d'intensité, de poids aussi. Cet article a ensuite parcouru le monde entier, répandant l'horreur sur son passage. Eliza Turnac était une héroïne pour son peuple, je le sens au plus profond de moi-même. Il s'agit d'une inspiration qui me suit depuis le tout début de mon voyage, aussi traumatisant cet événement puisse avoir été dans ma propre vie. De penser que je lui suis reliée par le sang m'effraie tout autant que me fait ressentir une certaine vague de fierté et d'espoir.

J'ai toujours eu envie de me sentir impliquée, de sentir que je fais quelque chose d'important. Dans ma propre famille, au Canada, je me suis toujours sentie... de trop. Non pas que ses membres m'ont fait sentir ainsi, et en toute sincérité je les aime tous, mis à part quelques exceptions évidentes. Cependant je crois que j'ai toujours su au plus profond de moi qu'il ne s'agissait pas là de ma destinée. Qu'aussi chaude et chaleureuse fusse cette famille, qu'il n s'agit d'un emprunt. Et si je suis vraiment une Turnac? Alors ma vie se retrouve avec un nouveau souffle. Un nouvel objectif, une raison d'être. Je suis terrorisée alors que mes doigts courent contre le clavier. Je sens la panique envahir John à son tour. Évidemment qu'il connaît ce nom, comme tout le monde sur cette île, je crois. Il le connaît et sait ce que tout ceci implique, et je comprends son envie de renier cette information. Cependant ma recherche s'achève rapidement. Carter est le frère benjamin d'Eliza, porté disparu depuis l'emprisonnement de sa soeur, et donc recherché activement. Je reste bouche bée devant cette information. Il est toujours en vie! En vie quelque part, à se cacher des foudres du Régime. Un léger sourire s'esquisse sur mes lèvres, sans que je ne puisse dire pourquoi.

Un sourire qui s'efface aussi sec lorsque je constate que John s'affole d'avantage. Il panique et raconte toutes sortes de choses qui ne font aucun sens. Pendant un moment, je le laisse débrider son angoisse. Il a bien le droit après tout de se sentir en danger, cependant pour ma part, un grand calme m'a envahi, ainsi que le feu torride de la détermination. Lorsque que le silence s'épaissit, je le regarde avec tranquillité, lui offrant un petit sourire rassurant.

«John, penses-y bien. Pourquoi chercheraient-ils des descendants Turnac qui n'ont pas grandi avec ce nom, qui ne connaissent rien de leurs origines? Nous n'avons même pas grandi ici, à Enola. Pour ma part, ils ignorent que je me trouve ici, comme je me présente constamment sous le nom de Victoria Hills. Mais pour toi... John s'ils te cherchaient ils t'auraient trouvé bien avant. Tu as fait partie de la Compétition et tu as même atteint le Conseil. Ce qui signifie que ton nom a été exposé à tous pendant un bon moment. Ils ne nous cherchent pas, nous ne sommes pas une menace pour eux. Cependant je crois qu'il serait mieux que tu ne parles à personne de nos véritables origines. Même si je doute que nous soyons en danger, il vaut mieux être prudents.»

Je me lève pour le prendre dans mes bras et le serrer avec vigueur.

«Et puis, tu sais que ta soeur ne manque pas de ressources... Si ce dossier est la seule copie contenant nos informations... Eh bien ils n'y ont plus accès. Une fois que nous aurons terminé de le consulter, je le détruirai. Veux-tu bien te calmer à présent? Il ne nous arrivera rien, et cesse de parler du premier janvier et d'accuser les gens de tort et de travers. Cet événements n'était que violence gratuite, alors cesse d'y penser. De plus, tu as toujours Antoine et les autres pour te protéger. Et à ton niveau, personne n'osera te faire du mal.»

(c)Golden

BROTHER

Mercedes L. Blanchett

Il n’y a pas trente milliards de solutions à nos problèmes. Nous portons ce nom maudit. Nous sommes en danger. Il n’y a qu’à voir ce qui est arrivé à cette famille qui n’avait pourtant rien fait pour savoir que ce nom porte la poisse. Ils ont été massacrés. Rien de plus, rien de moins. Et qui dit qu’il ne nous arrivera pas la même chose? Qui dit qu’ils n’auront pas envie de nous exterminer jusqu’au dernier? Je panique. C’est le seul mot qui me vient en tête. La panique totale. Les idées noires envahissent mon esprit sans aucun filtrage. Je nous vois déjà tous deux pendus sur la place publique avec comme seul motif nos origines à tous deux. Nos origines que nous ne connaissions même pas une heure plus tôt. Assassinés alors que nous n’avons jamais rien fait. Toutes ces pensées sont si réelles dans ma tête que je commence même à sentir la corde se resserrer autour de mon cou. Je la sens presque me brûler la peau alors qu’elle se referme. Je me surprends à me passer une main sur la gorge, comme pour m’assurer qu’elle ne soit pas réellement là. Bien évidemment qu’elle n’y est pas. Mais je ne peux m’empêcher d’avoir peur. Peur de la mort, mais surtout, peur de la suite des choses. Peur de découvrir ce que ces origines signifient pour nous.

Un bref regard en direction de la jeune femme suffit à me faire comprendre qu’elle ne partage aucunement mes craintes. Son regard est paisible, comme si elle n’était elle-même pas au courant de tous ces aveux qu’elle vient de m’offrir. Elle ose même m’offrir ce petit sourire apaisant. De toute évidence, nous n’avons pas la même vision des choses. Elle semble bien le prendre. Ou alors elle cache très bien ses émotions. Et bientôt, ses paroles finissent par avoir sur moi l’effet escompter. D’un ton des plus calmes, elle m’offre un monologue complet se voulant rassurant. Ses arguments sont nombreux, mais surtout, ils sont impossibles à briser. Elle a raison. Je ne suis pas vraiment le plus discret de l’île, alors s’ils me voulaient, ils m’auraient eu. Alors mes craintes ne sont pas justifiées? C’est ce que Mercy semble vouloir me faire croire. Et elle y parvient, en partie du moins. Je ne peux faire autrement que me détendre.

-J’imagine que t’as raison…

Sans rajouter quoi que ce soit, je laisse la rose me serrer avec une vigueur rassurante. Je ferme les yeux à ce contact, et me contente d’en profiter. Profiter de ce contact qui m’a tant manqué. Celui de l’amour familial. L’amour fraternel. Je la serre à mon tour, souriant discrètement, écoutant ses paroles avec un calme nouveau. Ma sœur… Même si cette information est entrée depuis un petit moment, elle est toujours aussi difficile à avaler. Mais je ne voudrais changer les choses dans aucune circonstance. Que nous soyons des Turnac, des Armstrong ou des Tremblay, rien n’y changera. Mercy est ma sœur, et c’est ainsi. Un sourire aux lèvres, je me décolle de la jeune femme pour la contempler quelques secondes avant de m’adresser à elle.

-Merci de m’avoir appelé, Mercy. Merci d’avoir partagé la vérité avec moi. Et surtout, merci d’être aussi patiente avec moi. T’es la meilleure.

Je n’ai aucune idée de ce qu’impliquent les responsabilités d’un frère. Je ne sais pas que je ne peux ou ne peux pas faire. Et je ne sais pas si je le saurai un jour. Mais pour l’instant, j’imagine que me rassoir et terminer ce thé en discutant doit être la première étape vers une famille unie. En fin de compte, je veux encore l’entendre me raconter de long en large ses combats dans les finales. Et honnêtement, je ne dirais pas non à une oreille attentive, à mon tour.

(c)Golden

♦ BROTHER ♦feat. John Lewis Armstrong

J'espère m'être montrée assez convaincante pour avoir calmé John. Disons que je ne ressens aucunement le stress qu'il démontre sans aucune pudeur. Au contraire, j'ai l'impression de me trouver sur un petit nuage, car d'autres mystères restent encore à être résolus, d'autres pistes à rechercher, d'autres hypothèses à formuler... Un art qui me comble autant dans la vie en général que dans mon univers professionnel. Je n'ai pas envie de perdre mon temps à argumenter à ce sujet. Je me sens suffisamment en confiance désormais pour ne plus m'inquiéter à chaque pas franchi, je ne retournerai jamais dans cet état qui m'animait après ma sortie de prison. Je ne laisserai pas le brunet m'y entraîner à nouveau. Cette fois, j'ai envie de faire confiance à cette nouvelle réalité, après avoir passé des mois à angoisser à ce sujet. Et puis il faut le dire... Je me sens tout à fait honorée. Honorée car Eliza Turnac est une femme que j'ai appris à connaître durant mon séjour sur cette île, au travers les dires de ce peuple. Pour n'en entendre que des mots d'amour. À présent, je l'admire tout autant qu'eux, et peut-être que Carter, notre père, est un homme aussi flamboyant et inspirant qu'elle? Je n'ai jamais vraiment lu à son sujet, ni même sur le reste de sa famille, mais tant d'éléments restent à découvrir! Qui sait, peut-être avons-nous toujours des cousins, cousines ou oncles et tantes encore en vie?

Toutes ces portes s'ouvrent à nous. Lui-même est une porte à mes yeux. Car j'ai ce que j'ai toujours souhaité, un petit frère. Bien sûr, j'ai un petit frère dans ma famille adoptive, ou plutôt demi-frère. Cependant je n'ai jamais été très proche de lui compte tenu de la garde partagée, et du fait que ma mère a tenu en griffes mon père pendant un long moment. Cette fois j'en ai, en chair et os, un être qui partage à moitié mon sang. Et puis... Il y a aussi la question de ma mère, dont je griffonne le nom dans mon calepin afin de l'étudier plus tard. Une autre personne à découvrir. Peu m'importe à présent si ces personnes veulent de moi ou non. Enola m'aura appris une chose, les gens ont une valeur inestimable. J'irai donc chercher qui elle est, qui il est lui aussi si seulement nous pouvons le retrouver en vie et libre, ce qui compte tenu de son importance, j'en doute fortement. Une nouvelle mission, un nouveau challenge. Trouver les personnes les plus recherchées par le Régime. Fastoche. Nous y arriverons, n'est-ce pas? L'excitation me parcoure les veines à l'idée de ce nouveau défi, et je constate avec soulagement que John s'est enfin calmé.

Il admet que j'ai probablement raison (même si en fait, j'ai totalement raison... même si notre famille est prestigieuse et en grand danger, il n'y a toujours aucun moyen de les lier à nous!) ce à quoi je laisse m'échapper un léger sourire amusé. Le pauvre devra apprendre à se ressaisir car avec une soeur pareille, il est certain de connaître plusieurs aventures rocambolesques! Je me promets cependant de le laisser vivre cette nouvelle comme il se doit, et moi aussi d'ailleurs. Je me sens moi-même crispée et fatiguée après tant d'émotions, et je troquerais volontiers cette chaise pour mon lit le temps d'une petite sieste cependant je crois que nous avons du temps à rattraper.

«Ne t'inquiètes pas John. Je sais que ce n'est pas facile, ce ne l'est pas pour moi non plus tu sais. J'ai longtemps considéré ce moment et maintenant tu sais quoi? Je suis juste soulagée. Parce que maintenant on est deux et on peut se serrer les coudes toi et moi. Et à partir d'aujourd'hui, c'est ce que je vais faire. Maintenant viens, on va casser la croûte et tu me parleras de tout ce que j'ai manqué d'accord?»

Enthousiaste, je le traîne à un petit restaurent du coin. Une nouvelle vie débute pour nous.

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