Ce n’était pas sa journée. Deux coup de fil l’avaient mis dedans depuis maintenant quelques heures. Une "bonne" nouvelle, puis une mauvaise qui annulait la bonne. Léo commençait sérieusement à regretter d’avoir envoyé ces deux types qui se disaient professionnels à la poursuite de Cesar. C’est bien car Richard y tenait qu’il n’y allait pas de lui-même directement. Ce n’est tout de même pas compliqué d’attraper Cesar. Enfin.. en théorie. Oui, en théorie seulement. Léo est le seul de la famille Richter a avoir apparemment vu son petit frère, celui qu’on nomme démon, grandir. Mais de loin seulement, à l'orphelinat, il restant dans l'entrée, et il en allait de même pour l'asile. Et oui, c’est bien lui qui a décidé de l’envoyer en asile en premier lieu. Enfin, le médecin qu’il est préfère le terme "établissement spécialisé" ; et oui, il a bien conscience que donner ce genre de nom a ces lieux est hypocrite et preuve d'un manque certain de lucidité.

Dans tous les cas, il commençait à réfléchir à ses actes. Pourquoi avait-il envoyé Cesar dans cet asile au départ ? Car on lui avait dit qu’il était devenu violent envers ses camarades de l’orphelinat, et qu’il avait quelques difficultés intellectuelles qui le rendaient ainsi. Et, aussi, car au moment ou il a pu voir ce dont son jeune frère était capable de ses propres yeux ; ce carnage qui avait eu lieu dans le hall de l’orphelinat, il avait presque commencé à croire les mots de Richard. Léo est insouciant et aveugle. C’est pour cette raison qu’il a envoyé Cesar là-bas. Mais ce dernier ne retournerait probablement plus à l’asile, comme le but était de le ramener à lui, puis à son père. Ce qui se passerait ensuite… L’ainé Richter avait bien une petite idée, mais il ne préférait pas y penser. Il fermait les yeux, une fois de plus. Il fermait les yeux et tentait de se raisonner, pour ne pas devenir fou à cause des paroles de son père qui l’assomment tous les jours un peu plus, et ont tendance a le rendre parfois paranoïaque, lui aussi. Et donc dans cet état, il ne vit pas l’arrivée de son ancienne belle-mère, Alice Alvarez (aciennement Richter) dans son cabinet comme une heureuse coïncidence, mais plutôt un événement pénible dont il n’avait pas besoin ce jour-là en particulier. Car les gens de sa famille biologique ou recomposée avaient tendance a tous lui rabâcher la même chose : qu’il ne devrait pas rester trop près de Richard. Comme si c’était aussi facile qu’ils aiment tous a le penser, juste pour se sentir plus fort et plus libres.

« Madame… Alice Alvarez. »
« Tu sais, Léo, maintenant, c’est Mademoiselle. »
« Pardon. »
« C'est pas grave. »

Premier silence gênant, pendant que Léopold commença a organiser ses papiers pour y trouver la paperasse dont il avait besoin. Il inscrit là les noms et prénom d’Alice puis leva la tête vers elle pour lui demander ce qui l’amenait, comme la routine médicale l'exige.

« Léo tu… euh… »
« Tu veux des nouvelles de Richard? »
« … Je. Oui. »
« Comme d’habitude. »

Fit-il en haussant les épaules, ça voulait dire ce que ça voulait dire. Pas d’améliorations, en somme. Il allait commencer la consultation quand Alice secoua la tête et lui fit signe que ce n’était pas la peine et qu’elle n’était pas là pour ça.

« En fait… Sig et Cléo sont venus a la maison l’autre jour et… »
« Ah?  Ils ont dit quelque chose? »
« On a en effet parlé de toi. »
« Est-ce que… »
« Est-ce qu’ils vont bien? Oui, Cléo se porte de mieux en mieux, elle entre en Terminale l’an prochain. Quant à Sig eh bien, fidèle a lui-même, tu le connais! Et Ferdi, je ne peux pas le tenir, il passe son temps a jouer les terreurs dans la rue, parfois je me demande ce que je vais faire de lui! Tout le monde va bien. »
« Je vois. Tant mieux. »
« Tu ne veux pas savoir ce qu’on a dit à ton sujet? »
« Je crois que je sais déjà. »

Fit-il, presque venimeux, en jetant un regard noir à Alice. Comme je vous disais. La parano c’est pas congénital.  Il n’avait aucune envie de recevoir les sermons d’Alice, bien qu’elle ait été une bonne mère, pendant les années qu’elle avait passé au Manoir. Donc oui, c’était peut-être agressif, et ce n’était pas forcément envers elle qu’il s’agaçait, mais contre Sig, sa morale a toute épreuve et sa manie d’avoir réponse à tout, et Cléo… Non, elle, elle n’avait rien fait. Mais Richard ne parlait que d’elle à longueur de journée, ça suffisait à le rendre jaloux. Il ne s’ excusa pas pour autant, et se contenta se soupirer pour aller se rasseoir.

« En fait, Sig et Cléo m’ont donné quelque chose pour toi. Ils ont réalisé qu’ils avaient oublié ton anniversaire et… »
« Ça m’étonnerait pas mal, ça. J’ai bien compris qu’ils ne voulaient plus entendre parler de moi. Tu aurais du entendre Sig, la dernière fois au téléphone! Quel espèce de... Bref. Je ne crois pas qu'ils aient pensé a mon anniversaire. »
« Anniversaire ou pas… Voila. »

Alice posa un paquet sur le bureau, et se leva pour se diriger vers la porte, puis se retourna vers Léopold pour venir lui passer une main dans les cheveux, comme elle avait l’habitude de la faire parfois, quand elle était encore à la maison.

«Penses a prendre soin de toi, je sais que ce n’est pas facile mais… Fais attention à toi, Léo. »
« Si tu les vois un de ces jours tu voudras bien… »
« Je les remercierais de ta part, oui. »
« Merci, Alice. »

Puis elle finit par s’en aller. Léo resta dans le silence de la pièce un moment. Il avait le temps d’une pause avant le prochain rendez-vous du coup. Le médecin tapota des doigts sur le colis tout de même assez gros qui trônait sur son bureau, pour entendre, du tac au tac, un bruit venant de l’intérieur de son dernier, comme un coup de griffe. Il arrêta son geste en route puis alla chercher des ciseaux pour mettre en lumière le contenu du paquet.  Les coups de griffes à l'intérieur continuèrent et il lui sembla même entendre quelque chose comme… Un éternuement? Maintenant qu’il regardait mieux, la boite était percée de petits trous, ce qui prouvait qu’elle abritait quelque chose de vivant. Il s’empressa d’ouvrir le boite et y trouva non sans surprise, au milieu de quelques débris de coquilles, un tout jeune Héricendre qui semblait déjà bien vigoureux. Ce dernier fixa alors le visage du brun qui venait d’ouvrir le paquet et se redressa sur ses pattes arrière pour sortir et s’avancer, un peu gauche, vers son nouveau maitre. Il lui faisait les yeux doux et se mit a frotter sa tête contre la main du médecin, qui, même si ça ne se voyait pas avec son masque permanent de grumpy cat, trouvait la scène complètement craquante et le nouveau né déjà adorable. Puis, le Héricendre éternua de nouveau, faisant naitre une petite flamme qui se précipita sur la paperasse présente sur le bureau pour s’enflammer de plus belle. Léo dû se hâter d’éteindre le feu avec une sacoche qui trainait dans le coin et fixa ensuite l’Héricendre nouveau né en grognant. Ce dernier soutint son regard avec insolence, et voyant qu’il ne se déridait pas, commença à simuler un éternuement. Oui, du chantage, si Léo se prenait déjà pour son maitre et qu’il croyait avoir la moindre autorité sur lui, il se fourrait le doigt dans l’œil jusqu'au coude. C’est donc ainsi que ce petit teigneux rentra dans l’équipe, insoumis et enquiquineur de première, le seul nom qui vint à l’esprit de Léo fut Sisyphe.