Un verre de trop, juste un. Heureusement pour moi, la grande place d'Amanil est vide à 3 heures 57 du matin, personne n'aura le loisir de me regarder vomir accoudé un arbre. Si le contraire s'était avéré, mon amour propre en aurait pris un coup. Il est connu que beaucoup de choses peuvent être préservées dans l'alcool mais la dignité n'en fait pas partie. J'essaye de remettre mes idées au clair en reprenant mon souffle. Je devais aller voir Adélia ce soir, je lui avais promis, peut-être n'est-il pas trop tard ? Je sors mon portable de ma poche et fixe l'écran : j'ai une, deux, trois... Plus de 5 heures de retard. Hm. Elle va m'en vouloir. Je soupir avant de m'affaler sur un banc et de basculer la tête en arrière. Son appartement n'est pas très loin, à quelques dizaines de mètres de là, je vais y faire un saut. Si elle dort, je laisserais un mot sur la table pour ne pas qu'elle s'inquiète. Vu mon état, je pense que je préférerais qu'elle soit endormie sinon je vais me faire remonter les bretelles, à 24 ans, par ma petite soeur parce que je ne connais pas mes limites. Oh, j'ai déjà le monologue en tête : un adolescent... gna gna gna... tu n'apprends pas... gna gna gna... la prudence.... gna gna gna... En bref, se serait long et ennuyeux.

Je me lève et je marche lentement jusque chez elle. Je n'essaye pas la porte, elle sera sans doute fermée. Je préfère me glisser dans la parc où trône un grand frêne à côté de son balcon qui m'aide à atteindre ma cible en quelques minutes, un peu plus qu'habituellement. Je frappe doucement contre la vitre dans l'espoir que sa Gardevoir m'ouvrira. Je suis à la fois chanceux et infortuné... Un pokémon m'ouvre bel et bien mais il ne s'agit pas de sa précieuse amie, il s'agit de son Cradopaud qui n'en est plus un d'ailleurs et qui semble bien plus menaçant depuis qu'il a évolué en Coatox. Il me barre le passage et me dévisage des pieds à la tête, d'un air farouche et assuré. Je retiens mon souffle, quelle merde. Je lui suis reconnaissant de veiller sur Adélia mais moi aussi j'ai le droit à ma part, je suis son frère. J'essaye un clin d'oeil amical pour détendre l'atmosphère mais rien à faire. Il ne m'apprécie déjà pas beaucoup mais me voir débarquer à 4 heures du matin, par la fenêtre du balcon comme un voleur ne doit pas l'aider à me faire confiance. Lui et ses deux grands yeux jaunes qui me fixent ne changeront pas d'avis. Tant pis, je repasserais.

Je redescend et je contourne la résidence pour prendre la troisième rue. Je cherche déjà une excuse : un devoir de résistant, une réunion importante avec mon groupe, un problème quelconque... Elle n'y croira pas une seconde. Je soupire quand brusquement, un bruit attire mon attention. Des grognements... Non, plutôt des glapissements à l'entrée de l'habitation. Je m'approche sans faire de bruit et le spectacle que je vois me surprend. Oh, un évoli. Une adorable boule de poils qui donne désespérément des coups de griffes et de dents afin d'ouvrir la porte d'entrée. En m'avançant un peu plus, je constate avec horreur qu'il est mal en point et très affaibli. Qui a bien pu lui affliger toutes ces blessures ? Mon visage s'étire sous la colère et je dois me contenir pour ne pas taper dans le premier mur à ma gauche. Je soupire et m'approche lentement, le petit qui m'a remarqué s'est brusquement retourné en position de défense et ne cesse de me montrer courageusement les crocs, la fourrure hérissée. Dans l'espoir de le calmer, je m'accroupis et je ne bouge plus.

" Chut... Je ne suis pas là pour te faire du mal. "

Bon, aucun changement. Même après plusieurs longues minutes il ne cède pas. J'appelle Wisp à la rescousse, je songe qu'elle saura peut-être m'aider mais finalement elle non plus ne parvient pas à le résonner. Il ne me fera pas confiance, pas si facilement, pas après ce qu'il a subit. Je ne le comprend que trop bien, lui aussi a peut-être tout perdu. A travers cet évoli, je me revois me débattre vainement derrière les barreaux de ma cellule, espérant, priant pour que tout le monde ait survécu, pour que je les retrouve sains et saufs. Mais au final, l'espérance n'entraîne que la déception. Je soupire, je ne peux pas le laisser là à continuer de se débattre. Je sais combien j'aurai aimé qu'on me tende les bras, qu'on me tire de l'enfer où je suffoquais, qu'on soigne mes blessures... Alors en un bond, je l'attrape brusquement et je le tiens fermement entre mes mains tandis qu'il resserre ses crocs sur mon pouce et il est décidé à ne pas me lâcher. Tss. Bon, je ferai avec. L'alcool est un excellent anesthésique.