C’est beau, la mer. Ouaip. Phrase bateau. Enfin, pas autant que le feu ça brûle, l’eau ça mouille, et tous les oiseaux volent dans le ciel. Actuellement, l’ingénieure ne désirait qu’une seule chose : se calmer. Faire taire la panique qui s’est emparé d’elle au moment ou le moteur du bateau venait de s’arrêter en pleine mer. Une mer d’huile trop calme. Julianne leva les yeux vers le ciel crépusculaire et soupira bruyamment. Elle ne tiendrait pas bien longtemps dans cet état, elle le sait pertinemment. Il fallait vraiment qu’elle trouve le moyen de faire redémarrer ce fichu moteur ou alors elle resterait sur cette coque de noix toute sa vie. Mais quand elle avait vu ce bateau échoué sur la rive, elle n’avait pas résisté a bricoler son moteur et dès qu’il avait redémarré, l’envie de faire un tour en bateau était plus forte que tout. Et surtout, c’était une bonne excuse pour échapper aux discours de son grand cousin ici présent, et se dispenser d’en savoir plus sur son paternel. Oui, appelez donc ça de la mauvaise volonté. Finalement, ils sont coincé tous les deux avec un Blindépique qui prend la moitié de la place, au milieu des flots. Et Julianne ne pouvait rien faire avec son tournevis, car le souci, c’est que c’était la panne sèche.

« Alors? »
« Euuuuuh baaaaah… J’ai une mauvaise nouvelle et une mauvaise  nouvelle, tu veux laquelle en première? »
« …. »
« Cache ta joie. Alors, premièrement, le moteur est en panne sèche, et deuxièmement, je n’ai aucun Pokémon qui pourrait nous sortir de là. Enfin, y’a bien Ryuko, ma Magicarpe mais… Bah, je crois pas qu’elle puisse encore nous emmener très loin. »

Buster, le Blindépique, baissa les yeux d’un air penaud. Mais, lui, la nage, ce n’est pas trop son truc. Il est trop lourd et serait une enclume une fois dans l’eau. Avec un regard compatissant, sa dresseuse le rassura, alors que le tueur à gages, lui, semblait déjà s’emmerder, et partit se rasseoir à l’autre bout du bateau pour s’allumer une cigarette.

« Bon. Nous sommes donc dans la merde. »
« … Dans la mer, tu veux dire! »
« … »
« … »
« … »
« Roh, allez, elle était marrante! »
« Si tu n’as pas trouvé une solution dans 5 minutes, je m’en fous, on rentre à la nage. »
« Hep hep heeeeeep! Matteeeeyooo! Tu vas pas me laisser comme une conne sur le bateau, quand même!? Hein?! Ôssan! »
« Ne me dis pas que tu ne sais pas nager... »

Pour toute réponse, le visage de l’ingénieure se décomposa et son pied vient gratter une tache imaginaire dans la coque du bateau. Au moins, la réponse était plutôt claire. Et comme ledit Tonton soupirait très lourdement, et regrettait bien d’avoir oublié d’emporter son Megapagos, enfin, celui de feu son grand père avec lui. Il secoua la tête dans un signe de désaccord, ce qui eut pour effet d’offusquer et d’enfoncer encore plus Julianne.

« Ouais b-baaaaah… J’me sous toujours arrangée p-pour rater les cours de piscine… »
« … Ton arrière grand-père t’aurait renié pour ça. »
« J’en sais rien, j’le connais pas, et j'men fous! »
« Laisse. C’est juste… La mer, les vagues, les relents d’iodes ça me rap… »
« Oh, putain, Soltan, ta gueule, commence pas à faire de la poésie! »
« Mais je t’emmerde. Respectes la mémoire de feu Horatio! »
« Je veux rentreeeeeeeer… »

Et un nouveau silence pesant s’installa dans le bateau.

Et les minutes passèrent. Lourdes et interminables. Avec les regards de poisson ports que les deux interlocuteurs assis chacun d'un côté un bateau, il est assez difficile de deviner leur lien de parenté. Là, comme ça, on dirait plutôt deux malfrats qui ont raté leur délit de fuite et qui attendent que l'autre s'endorme ou meurt de faim pour lui faire les poches. Enfin... Julianne se dit que c'était certainement le moment de poser à son grand cousin les questions auxquelles elle attend des réponses depuis si longtemps. Et en même temps, comme d'habitude, elle recule devant l'échéance. C'est à cause d'elle si il en sont là, après tout alors... Oh, et puis zut, Julianne est de trop mauvaise fois pour se rendre à l'évidence! Mais bon. Elle ne sait pas ce qu'il pouvaient bien faire a part attendre que le paquet de clopes de Soltan se vide inexorablement. Ce fut par ailleurs lui qui brisa le silence.

"Parait-il que dans ce genre de situations, on apprend des choses sur les rapports humains."
"Mouais... Qui est le con qui t'a dit un truc pareil?"
"Ton père."
"...Ça n'empêche pas d'être con..."
"Certes. Tu ne voulais pas que je te parle de lui, à la base?"
"Bah... Nan mais nan, mais... C'est que... Tu vois c'est... C'est compliqué!"
"C'est parce que tu voulais des réponses à tes questions qu'on est coincés ici, je te signale, alors tu ferais mieux d'écouter ce que j'ai à dire. De gré ou de force."
"Eh! T'as pas le droit de faire ça, je peux porter plainte, moi!"
"Je vais prendre grand plaisir a te ressortir toutes les histoires les plus honteuses de ton père, je crois."
"Et si j'veux pas savoir?!"

La réponse du Tonton fut un grand sourire des plus dérangeants qui fit déglutir Julianne difficilement. Oh, bordel, on dirait qu'elle n'avait pas le choix... Sans trop savoir pourquoi, Juju posa une main sur le bastingage, comme pour éviter de tomber... Dans le fond du bateau?

"Tu lui ressembles, tu sais."
"...Parce qu'on a dit qu'il était con? Ah ben, merci..."
"Mais t'as quel âge? C'est pour ça que vous vous ressemblez, toujours a jouer les débiles quand un sujet important arrive."
"C'est pas vrai, ça! Et puis, arrêtes de dire "gnagnagna tu lui ressembles gnagnagna"! Je suis moi et juste moi! Je me suis faite toute seule comme une grande, t'as pas idée de tout ce que j’ai accompli et de tous les gens qui tueraient pour me voler la vedette. Alors, franchement, comment tu veux que je ressemble à un type qui m'a jamais vue ou élevée?! Je suis a des années lumière d'un type qui... Enfin, nan, c'est Reine qui a... Raaah, je sais plus!"
"Mh... C'est pas faux, ce que tu dis. Enfin... Y'a quand même des signes. Vous connaissant toi et ton père, y'a certaines ressemblances qui sautent quand même aux yeux."
"Genre?"
"Euh... Vous êtes tous les deux totalement barrés."
"Ahah! C'est tellement hypocrite, venant de toi."
"Tu permets, on parle de ton père et de toi, là!"
"C’est facile, comme excuse..."
"Le plus simple, de toute façon ce serait que tu lui parles toi-même."
"Hein? Mais..."
"Arrêtes de dire "hein"... Tu parles comme ça, a tes sbires, au boulot?"

Julianne fit la moue et secoua la tête, un peu penaude. Dans le fond, le vieux con n'a pas tord, finalement...

Julianne aurait aimé pouvoir se boucher les oreilles quand son grand cousin commença a lui raconter des anecdotes plus ou moins drôle ou flatteuses (c'est a dire pas du tout flatteuses en fait) sur son père. Ça allait du soir ou Zlatan avait proposé à ses cousins de regarder l'intégrale de The Grudge et que Soltan finissait par devoir accepter que lui et son frère dorment tous dans son lit car ils avaient peur ; aux jours ou le paternel de l'ingénieure suivait et épiait des heures durant de parfaits inconnus juste parce que selon, lui, ça lui apprenait plein de choses, et en tant que psychothérapeute, ça le faisait progresser (de l'avis de son cousin, c'est plutôt lui qui devrait faire une bonne thérapie, mais bon, c'est aussi comme ça qu'il a rencontré la mère de ses autres enfants alors, on ne peut plus trop lui reprocher grand chose, enfin, si, mais bon). Dans tous les cas, même si elle faisait tout pour concentrer son attention sur autre chose au départ, Julianne finit par écouter attentivement toutes les histoires de son grand cousin, se sentant un peu rassurée, et un peu comme une gamine, surtout.

"Mouais."
"Quoi, "mouais"?"
"... Pourquoi tu me racontes tout ça, au juste, c'est pas très objectif."
"Pourtant, c'est la vérité. Zlatan, est un stalker et un psychopathe refoulé, accessoirement psy et père de famille, je ne peux pas être plus objectif, je crois. Bon, j'avoue, c'est un peu bizarre."
"Non, tu crois?!"
"Au moins, tu es fixé en ce qui concerne la bête, maintenant."
"...Et alors, quoi, maintenant?"
"Tu veux que je fasse le travail a ta place, en fait."
"Sérieux, tu ferais ça pour moi? Mais t'es super moeeeeee, en fait!"
"Je refuse."
"Fait chier!"

L'ingénieure, qui s'était levée, commença a faire les cent pas dans le bateau, bien limitée dans ses mouvements, et véritablement effrayée par la perspective de passer par-dessus bord. Cet espace réduit ne l'aidait pas à réfléchir clairement et à prendre des décisions. Et par ailleurs, son état de panique s'amplifia plus encore quand un espèce d'Hypotrempe débile fit un plouf (enfin, là, c'était plutôt une bombe), qui déclencha une vague bien trop grosse pour un être de si petite taille, et qui fit tanguer le bateau, suffisamment pour que ses occupants manquent de tomber à l'eau. Ils furent heureusement retenus par Buster, qui lui, tenait mieux la route, et dont le poids avait évité à la coque de noix de chavirer. Quand tout fut revenu au calme, Juju était totalement tétanisée et s'était rassie sr le banc.

"On va jamais pouvoir rentrer à la maison..."

Soltan baissa les yeux. C’est toujours possible d'utiliser le joker "appel à un ami"... Mais il n'avait aucune envie de voir les tête hilares de deux Nagel en apprenant sa mésaventure... Et peut-être que Juju pensait à la même chose concernant ses propres amis. Enfin, non, elle devait tout bêtement avoir oublié son portable. Donc, oui, en fait, lui non plus n'a aucune idée de quand il pourrait rentrer s'occuper de ses étables.

"Un jour, peut-être."
"... MAIS QUAAAAAAAAAND?!"

Bon, ce n'était pas exactement le bon truc à dire, on dirait."

Il parait que dans des moments extrème comme celui-ci, c'est là qu'on a les idées les plus brillantes. Mais comme ce n'est pas tant que ça un moment extrême, eh bien, chez Julianne, du moins, les idées de génie ne viennent pas. Elle eut quand même ce qu'elle supposa être un éclair, et fit sortir vivement la Pokéball de Ryuko pour la faire apparaitre dans l'eau. Puis, les deux Eriksen regardèrent le regard vide de la carpe pourtant intelligente, qui était toute ouïe aux prochains ordres de sa maitresse.

"Ryuko, tu peux nous sauver! Allez, Ryuko! Evoluuuuuuue!"

La Magicarpe observa Julianne d'un air perplexe, essayant de lui faire comprendre que la chose ne se déclenche pas comme ça, sur demande. De l'extérieur, en revanche, la Magicarpe avait juste l'air de ne pas écouter et de ne rien comprendre. Ryuko a beau être probablement un des spécimen les plus érudits et intelligents de son espèce, elle n'a pas vraiment la tête de l'emploi.

"ALLLLLLEEEEEEZ RYUKOOOOOO! DON'T LOSE YOUR WAAAAAAAAY IN YOUR MIIIIIIIIIIIND! WE HAVE TO BE AS OOOOOOONE!"
"Julianne... Tu peux arrêter ça?"
"DON'T BE AFRAIIIIIIID, MY SWEETHEEAAAAART!"
"Julianne! Ta gueule! Il manquerait plus que tu fasses pleuvoir."
"THIS IS THE WAAAAAY TO BE MORE STROOOOOONG- MMMPPFFFHH LACHES MOI! J'ESSAIE DE TRANSFORMER MA MAGICARPE EN SUPER SAIYEN!"
"Je t'en foutrais des "Super Saillants", moi!"
"DO THE IMPOSSIBLE, SEE THE INVISIBLE! ROW ROW FIGHT THE POW-"
"TA GUEULE!"
"SALAUD!"

Et alors, le ciel qui avait déjà commencé à être gris émit un coup de tonerre. Et aussi, la mer si calme depuis une bonne heure revenait peu à peu à la vie. Peut-être avaient-il un espoir que les vagues les ramènent... Ou au pire des cas, les vagues auront raison de leur embarcation, et ils mourront peut-être ici. Genious.