Le Miracle Enchanté

Aloïs F. Legrand

Son regard dériva sur la lame de la hache. Lui qui n'était pas du genre à couper autre chose que des aliments, un outil aussi gros était bien inutile. Rien de ce qui était mangeable sur cette planète n'avait le besoin d'être tranché avec un objet comme celui-ci. Pourtant ce n'était pas un hasard s'il l'avait acheté. Il comptait bien détruire quelque chose ; depuis plusieurs mois, en vérité. Mais à chaque fois, pour une raison inconnue, il repoussait l'événement. Et encore, ce n'était pas ce soir qu'il allait mené son plan à exécution.
Poussant un soupir, installé sur son fauteuil duquel il n'avait pas vraiment envie de bouger, ce n'est qu'au moment où ses yeux se posèrent sur son piano qu'il eut une envie subite d'en jouer, reposa la hache, et se leva pour s'asseoir devant son piano. Ses doigts trouvèrent naturellement leurs places sur les touches, et c'est presque machinalement qu'il joua un morceau de Joe Hisaishi. L'air doux résonnait dans l'Amphithéâtre et renforçait l'atmosphère calme et paisible qui y régnait depuis quelques minutes. En effet, le Champion Coordinateur venait de ressortir d'un concours dont il était sorti vainqueur et s'était presque affalé sur un de ses fauteuils en rentrant dans ses appartements. Ce n'était pas rare que des concours se déroulent le soir, mais ce n'était guère reposant pour le blondinet et il profitait donc maintenant du silence des gradins vides pour pouvoir faire de la musique en paix. Au milieu du morceau, attirée par la musique, Ange vint bondir sur le piano pour être plus près de son dresseur et l'accompagner avec quelques tours étincelants à l'aide de ses pouvoirs féeriques.

Mais cette tranquillité qui s'installait dans ces lieux chaque fois qu'il finissait un concours, cette solitude comblée uniquement par des Pokémons, cette tristesse de n'avoir jamais personne chez lui, Aloïs savait très bien qu'elle finirait par disparaître très bientôt. Et c'est avec un mince sourire qu'il pensait au moment prochain où il pourrait entendre des rires d'enfants occuper ce salon et le débarrasser de ce vide quasi-permanent quand ce n'était pas lui qui fait du bruit avec l'un de ses instruments de musique. Cela lui faisait encore tout drôle de se dire ça, mais c'était bien lui qui risquait d'être père de deux adorables jumeaux dont Makenzie et lui allaient s'occuper. Il s'imaginait parfois jouer un air devant eux, d'ailleurs, quand ils seraient plus grands. Il avait en même temps hâte d'accueillir ses bouts de choux, mais aussi un peu peur de ne pas être le père qu'ils mériteraient d'avoir. Il savait qu'il pourrait heureusement compter sur l'aide de sa petite-amie pour l'aider dans cette tâche, mais il avait toujours cette petite voix au fond de lui qui le faisait douter. Et c'était bien normal, après ; il a une expérience particulière, avec les enfants. Il s'était dit, qu'à force, peut-être n'était-il pas fait pour avoir des gamins. Mais lorsque Makenzie lui avait annoncé la nouvelle, il était surpris, mais en même temps transporté de joie d'apprendre qu'il allait être papa.
Pourtant, malgré son acharnement, il n'avait pas pu maintenir Judith en vie. Malgré ses tentatives pour la réconforter en prison et essayer de rendre son séjour le moins désagréable possible, il avait indirectement été responsable de la torture de cette pauvre Yumi. Et malgré sa bonne volonté, dissimulée sans cesse derrière l'excès de folie qui lui était monté à la tête à cause de ce qui était arrivé au Bloc du Régime, il n'avait fait que traumatiser le petit Sam davantage. Il était donc bien normal qu'il s'inquiète quant à la façon dont ses propres enfants allaient grandir, alors qu'il avait du mal à prendre soin de ceux des autres.

Ses pensées sombres à ce sujet disparurent néanmoins bien vite lorsque sa sonnerie retentit. Etonné de savoir qui pouvait l'appeler à une heure pareille mais ne se posant pas plus de question, trop curieux de connaître l'identité de celui qui osait le déranger maintenant, il écarquilla les yeux et son visage s'illumina aussitôt lorsqu'il vit le nom de Makenzie s'afficher sur l'écran. Il ne lui fallut pas plus de temps pour décrocher aussitôt.
Mais tout à coup, il se pétrifia dès les premiers mots de la jeune femme. Figé, la bouche à demi-ouverte par la nouvelle qui venait de tomber, il fut incapable de placer un seul mot et ne donna en guise de réponse qu'un silence plat. Puis, lorsqu'il retrouva un peu de contenance, il acquiesça et c'est presque avec une voix tremblotante qui lui promis de la retrouver à la clinique le plus vite possible. Il raccrocha ensuite aussitôt, encore un peu bouleversé par la pression qui avait résonné dans la voix de Makenzie. C'était logique qu'elle soit pressé, en même temps... Un accouchement ne devait pas attendre !
Elle va accoucher... maintenant.... Le blondinet cligna des yeux plusieurs fois, serrant son portable entre ses mains pour ne pas le lâcher à cause de la moiteur soudaine de ses paumes. Son regard perdu dans le vague, confus, il se rendit compte à peine de ce que cela impliquait et ce n'est qu'au moment où il sentit une petite léchouille de la part de sa Nymphali sur ses doigts qu'il se réveilla enfin et secoua la tête pour ne pas se laisser déconcentrer par autre chose que l'accouchement. Il savait qu'il allait finir par devenir père, au bout du compte ; mais maintenant qu'il était confronté à la réalité, cela lui paraissait si soudain... Mais pas de temps à perdre ! Il devait rejoindre Makenzie sur-le-champs !

Aloïs prit une grande inspiration pour essayer de reprendre son calme et caressa machinalement le dos de Ange qui était venu sauter dans ses bras, dans une tentative d'apaisement. Cela eut l'effet escompté, heureusement, même s'il semblait toujours nerveux ; mais son cœur avait cessé de tambouriner dans sa poitrine et il dut s convaincre mentalement plusieurs fois que la femme qu'il aimait allait mettre au monde leurs enfants et qu'il devait à tout prix la rejoindre là-bas pour être à ses côtés. Il sut pas sa mère que ce n'était pas un moment très agréable à passer mais avait longtemps crut qu'il n'aurait jamais à voir cette expérience de lui-même. Pourtant, c'est son rôle de petit-ami d'être là pour encourager et qu'importaient les cris de douleur qu'il pourrait entendre de la part de Makenzie. Tout ce qui le préoccupait, c'était que cela se passe sans encombre et il priait déjà Arceus pour que l'hôtesse souffre le moins possible.
Enfin, il fit signe à Ange de la suivre et avertit à haute-voix à Karin qu'il allait de ce pas à l'hôpital. Cependant, il n'entendit aucune réponse de la part de son assistante. Il conclut qu'elle devait être sortie et alla de ce pas dans sa voiture, en se rappelant presque ironiquement des mises en garde de sa copine au téléphone. Tss... Ce n'était pas du tout son genre, de rouler comme un fou... Ironie, ironie.
Sa Nymphali s'installa donc sur le siège à côté et il démarra sans attendre, ne supportant plus déjà cette distance qui le séparait de l'établissement où il devait se rendre. Nerveux mais impatient ; angoissé, mais également fou de joie. Il ne savait pas vers quel sentiment pencher. Il savait que Mak serait une mère formidable ; ça, personne ne pourrait en douter. Mais lui ?... Après ce qu'il avait vécu, serait-ce suffisant pour élever correctement des gamins ? L'expérience qu'il a eu avec sa sœur sera-t-il suffisant pour qu'il soit un bon père ?... Il l'espérait. On pouvait dire que sa relation avec Mak s'était faite peut-être un peu rapidement. Ces enfants n'étaient pas voulus à la base, mais il ne regrettait en rien ce qui s'était passé et pouvait se déclarer chanceux et heureux. Bientôt, il aurait de nouveau une famille.
Alors non, il ne roulait pas comme un dingue, mais si Kenzie ne lui avait pas donné un ordre clair, peut-être aurait-il été un peu plus vite dans le feu de l'action et de la panique. Il était bien conscient néanmoins que ce n'était certainement pas lui qui souffrirait le plus. Arrivés finalement devant la clinique, Aloïs et sa Nymphali descendirent du carrosse et le futur père anxieux se précipita au comptoir pour demander immédiatement la chambre de Makenzie King. Il n'oublia pas de s'excuser de son agitation auprès de la réceptionniste, mais celle-ci, sans doute habituée à ce genre de situation, se contenta d'émettre un petit rire amusé avant de rassurer le Champion Coordinateur et d'indiquer la salle d'accouchement. Il remercia l'infirmière et courut en trombe dans les couloirs pour atterrir finalement dans la pièce où on avait placé sa bien-aimée. Lorsque le cuistot la vit, allongée dans un lit pendant que des médecins étaient déjà attroupés autour d'elle, son regard scintillait d'une lueur aimante et attendrie. Ange, quant à elle, rejoignit Mira pour soutenir elle aussi la dresseuse de cette dernière. Aloïs s'empressa de se placer près de Makenzie et lui prit la main en déposant sur sa joue et son front des baisers rassurants. De son autre main, il caressa ses cheveux noir de jais et colla son front au sien, heureux d'être enfin à ses côtés.

- Je suis là, Mak. Je suis là.

Le Miracle Enchanté

Aloïs F. Legrand

Même couchée sur ce lit d'hôpital et subissant les douleurs causées par les contractions, sa beauté ne ternissait pas. Makenzie restait aussi belle que lorsqu'il l'avait rencontré, et s'il s'était de nombreuses fois considéré comme malchanceux, il ne pouvait que remercier Arceus et tous les autres Pokémons Légendaires pour avoir placé l'hôtesse de Pension sur son chemin. Si la vie ne lui avait pas fait que des cadeaux, voilà qu'il allait en avoir deux de plus d'un coup. Les vins français sont peut-être traîtres lorsqu'ils le veulent, mais la preuve est qu'ils peuvent aussi apporter des miracles à de rares occasions ; car un simple oubli a suffit aux deux tourtereaux pour qu'ils deviennent de futurs parents comblés. Comblés, mais paniqués ; et dans le cas de l'une, souffrant le martyr alors qu'elle est sur le point de mettre au monde leurs enfants.

Aussitôt qu'il sentit la main de sa petite-amie se resserrer sur la sienne, il se détendit légèrement. Il ne pouvait certes pas être d'un grand secours auprès d'elle, mais le mieux encore était de l'encourager et d'être à ses côtés durant ce moment pénible mais dont le résultat valait bien toutes les heures horribles engendrées. Aloïs ne savait pas réellement ce que ça faisait d'accoucher, et n'avait même pas voulu assister à la naissance de sa sœur, mais tout le monde savait que c'était une opération qui n'était pas indolore ; et croyez bien que le blondinet aurait aimé, à défaut de se rendre utile, partager la souffrance de sa petite amie durant ce moment pas franchement agréable pour elle. La moindre des choses qu'il pouvait faire, c'était de mettre sa main à contribution pour que celle de Makenzie puisse avoir quelque chose à serrer, même si cela voulait dire qu'il ne pourrait probablement plus l'utiliser par la suite pendant quelques temps, étant donné toute la force qu'il sentait déjà venir d'ici alors que l'accouchement n'avait même pas encore commencé. Mais il était plus que ravi de pouvoir être présent, et surtout de mettre sa main à contribution si cela pouvait aider la future maman à mieux surmonter cette épreuve. Certes, cela allait sans doute être douloureux, mais il savait d'avance que le résultat allait en valoir largement la peine.

Puis, le médecin arriva et Aloïs releva brusquement sa tête vers lui, sa mine attendrie devenu tout à coup inquiète. Tout de suite, sachant comment se déroulaient habituellement les accouchements mais n'ayant pas assisté lui-même au détail et n'ayant surtout jamais pris de cours là-dessus -accumulé à son propre stress-, il se demanda s'il y avait un quelconque problème. Mais heureusement il fut bien vite soulagé de savoir qu'il n'y avait là qu'une question de césarienne ou pas. Il laissait bien sûr la principale concernée décider, n'étant de toute façon pas très bien placé pour parler à sa place, et caressa de ses doigts la main de la jolie brune pour la calmer lorsqu'il entendit son ton monter plus haut. Il connaissait assez bien sa bien-aimée pour savoir qu'il valait mieux éviter de la mettre en colère, à moins d'être maso et de savoir courir très très vite. Il se considérait donc comme chanceux de ne pas être la cible de ses sautes d'humeur et espérait de tout cœur ne jamais rien faire qui pourrait la contrarier ; non seulement parce qu'il avait appris depuis à tenir à sa vie, mais en plus parce qu'il préférait bien mieux quand elle était heureuse.

Une fois le médecin -qu'il plaignait sincèrement- renvoyé, le silence dans la chambre s'installa. Le Champion Coordinateur se gifla plusieurs fois mentalement pour ne pas être stressé. Il savait que c'était égoïste de sa part ; qu'il n'avait pas à être angoissé pour ce qu'il n'allait pas devoir subir. Certes, sa paume risque d'être en compote d'ici la fin de la journée, mais il savait que ça n'allait rien être en comparaison de ce qu'allait ressentir l'hôtesse de pension. Alors il essaye de se calmer, pas seulement pour lui mais également pour ne pas faire paraître sa panique devant celle qu'il aimait, et posa une main sur la tête de Mak pour la caresser, avant d'y déposer un nouveau baiser. Tout ce qu'il peut faire, c'est attendre jusqu'au moment crucial, prier Arceus pour que tout se passe bien, et faire en sorte que l'attente soit le moins stressant pour la King. Alors ils attendirent.

Quand la jeune mère se mettait à parler aux bébés, Legrand sursautait, et souriait niaisement devant la scène. Il hésitait à faire de même ; il se contenta donc juste de caresser le ventre rebondi de l'artiste, fondant à chaque contraction qu'il ressentait. Heureusement qu'il avait pu venir à temps, tout de même ; il n'aurait pas supporté avoir un quelconque retard qui l'aurait obligé à laisser Makenzie seule plus longtemps. Il faudrait d'ailleurs qu'il pense à avoir un Pokémon qui puisse le téléporter, un jour. Aloïs préférait ne jamais y penser vraiment, mais ils étaient tous deux éloignés physiquement l'un de l'autre à cause de leurs métiers respectifs et le cuistot ne pouvait pas laisser son Amphithéâtre loin de lui. Est-ce qu'une relation à distance avec Mak était possible ? C'était une question qui pouvait sembler assez stupide dite comme ça, étant donné que les relations à distance ne sont pas toujours roses, mais il ne pouvait concevoir de se séparer de Makenzie, et encore moins de leurs enfants. Mais cela ne le dérangeait absolument pas de faire lui-même le trajet de Baguin jusqu'à Anula, au contraire. Ce n'était pas pour rien qu'il bénéficiait de voitures extrêmement rapides ; mais un Pokémon téléporteur serait quand même plus pratique. Il espérait juste qu'ils trouveraient une solution entre-temps si cette alternative ne leur plaisait pas ou qu'ils considéreraient que ce serait la meilleure s'ils voulaient continuer de vivre ensembles et d'exécuter leurs travaux.

Mais pendant qu'Aloïs aidait la future mère à se déplacer jusqu'à la salle de bain, il s'inquiéta tout à coup. Pendant les semaines de congé de la King dues à sa maternité, il allait devoir être plus présent que jamais auprès d'elle pour s'occuper de leurs deux enfants. Mais pouvait-il vraiment laisser l'Amphithéâtre sans surveillance ?... Puis, il se rappela soudainement qu'il pouvait toujours faire appel à la petite Lola Heart pour gérer le tout si jamais il s'absentait. Il fallait juste qu'il ne commence pas à prendre la grosse tête et décide d'abandonner la coordination pour s'occuper de ses enfants. Être présent en tant que père, c'était bien, mais il ne devait pas délaisser pour autant ce qui faisait partie de sa deuxième plus grande passion avec la cuisine ; car cuisine et coordination, c'est toute sa vie. Non... Ma famille est aussi toute ma vie ; et elle ne va faire que s'agrandir.

Enfin, le moment était venu. On leur indiqua que l'accouchement allait commencer. Les médecins et sages femmes commençaient déjà à affubler autour de la future mère et se mettaient finalement en position pour accueillir les deux nourrissons qui n'allaient pas tarder à sortir. Aloïs déglutit discrètement, avant de commencer à regretter lentement d'avoir manqué la naissance de sa petite sœur. Au moins, il aurait déjà eu un avant goût de ce qui allait se passer. Mais ce n'était certainement pas en attendant dans le couloir qu'il aurait pu plus tard avoir une quelconque expérience. On donna le feu vert pour pousser, et c'est à ce moment là qu'il discerna clairement les contractions qui se faisaient de plus en plus nombreuses sous le ventre de l'hôtesse. Essayant de se calmer comme il le pouvait, le Champion Coordinateur prit en silence de grandes inspirations, tout en laissant sa compagne serrer sa main comme elle l'entendait. A ses excuses, malgré l'engourdissement qu'il commençait dès lors à ressentir, il ne pouvait que faire un sourire tendre à la jolie brune.

- Je donnerais ma vie pour toi, Kenzie. Alors une main, franchement...

Il ne savait pas si ces mots sauraient la rassurer, mais il voulait avant tout lui dire qu'il serait là pour elle, dans n'importe quelle circonstance. De plus, vu sa position, il se considérait que le moins à plaindre de tous. Son seul travail ? Laisser sa copine défouler sa souffrance sur lui. Son travail à elle ? Supporter comme elle pouvait la douleur due à l'accouchement pour donner naissance à deux nouveaux soleils dans leurs vies. C'était donc bien à la jeune femme que revenait tout le mérite. Mais il se promettait de donner tout ce qu'il avait pour l'aider dans à l'avenir ; car grâce à elle, il a réappris la définition du mot « bonheur ».
Il ne regardait pas les médecins en charge de l'accouchement directement, mais reportait son attention plutôt sur le ventre de sa petite-amie qui se contractait de plus en plus. Pendant toute la séance, il essayait tant bien que mal de concentrer son attention sur autre chose. Mais les cris de sa bien-aimée, les ordres des sages-femmes et l'agitation des médecins ne l'aidèrent guère à se concentrer. Les quelques heures qui suivirent, le Français encourageait Makenzie de la meilleure façon possible, et caressait quelques fois sa main, comme pour la rassurer. A un moment donné, il se demandait si sa propre main existait encore, tant la poigne se raffermissait sur elle. Mais il n'allait certainement pas se plaindre ; n'est-ce pas après tout censé être le plus beau jour de sa vie ? S'il ne s'était pas du tout attendu à ressentir un jour un amour aussi fort que celui-là et s'il ne s'était pas du tout imaginé avoir des enfants, il ne peut que remercier Arceus pour avoir placé la peintre sur son chemin.

Les heures semblaient interminables ; et il était bien plus de minuit passé lorsque, enfin, le cri d'un bébé retentit. Brusquement, le blondin écarquilla les yeux, et il semblait que sa respiration s'était comme brutalement coupé. Il ne releva cependant la tête qu'au moment où le deuxième cri se fit entendre. Déjà, on coupait les cordons ombilicales et on nettoyait les nouveaux-nés, tandis que l'heureux père avait la nette impression que son cœur s'était arrêté. C'était fini. Réalisait-t-il que c'était officiel, maintenant ? Qu'il était devenu ce qu'on appelait communément un « père » ? Encore aujourd'hui, il avait du mal à se dire qu'il avait des enfants. Ils venaient à peine de naître, certes, mais ils allaient grandir, et c'était lui qui était chargé de leur éducation. Être à la hauteur et devenir un modèle pour eux était à présent tout ce qu'il souhaitait. Ensembles, nous y arriverons.

- « Encore toutes mes félicitations ! »

Hein ?...
Plongé dans ses pensées et son imagination quant à l'avenir qui les attendait, il n'avait même pas remarqué qu'une sage-femme s'était avancé vers lui. Il comprit encore moins comment il s'était retrouvé avec un bambin dans les bras quand il baissa les yeux vers le petit être en train de gigoter légèrement. Il se retint de s'évanouir. Ce n'était vraiment pas le moment de tomber dans les vapes ; même si la prise de conscience de ce que tout cela signifiait était brutale dans sa tête. Je suis père... Je suis papa ! Bieeeeen ! Au moins, ça percute lentement mais sûrement. Eh oui, il a beau avoir du génie créatif, ça serait quand même mieux s'il avait un tant soit peu de génie tout court.
Etant de plus en plus conscient, son regard bleu finit par se poser sur le nouveau-né dans ses bras. Il déglutit silencieusement au début, avant d'afficher son expression la plus tendre lorsque s'acheva la réalisation quant à son nouveau rôle. Quelques peurs et autres doutes s'étaient insinués en lui, mais tous fondirent comme neige au soleil à l'instant où il craqua devant le bout de chou contre lui qu'il berçait machinalement, comme s'il avait déjà fait ça, alors que ses expériences en la matières sont très limitées. Il avait effectivement porté Judith lorsqu'elle avait à peu près cet âge, mais comme lui-même était très jeune, c'était toujours seulement quelques petites secondes et toujours sous la surveillance de ses parents.
Aloïs releva ensuite la tête pour regarder l'hôtesse de pension, une lueur amoureuse dans les yeux.

- Tu as été formidable.

Il ne pouvait pas dire autre chose à l'instant même, sans doute bien trop ému pour parler correctement. Lui qui n'avait jamais eu de problème pour s'exprimer, il n'osait maintenant pas en prononcer un seul. Il se surprit à avoir la vision brouillée, avant de sentir des larmes d'émotions s'échapper d'elles-même, reflet de sa joie. Pour une fois, ce n'était pas les gouttes salées de la tristesse qui venaient prendre place sur son visage.
Le cuisinier voulut s'approcher de Makenzie, mais un énième bruit attira son attention. Il se retourna lentement, étonné, et émit un petit rire amusé en voyant Ange essayer de s'approcher de la chambre pour apercevoir elle aussi les deux jumeaux. Le Champion Coordinateur demanda à ce qu'on la laisse entrer et la belle Nymphali se glissa à l'intérieur. Elle vint ensuite sauter sur le lit pour contourner Kenzie et lui adresser une léchouille affectueuse avant de scruter les nourrissons, chacun un dans les bras de leurs géniteurs. Des deux, c'est la fille qu'on avait donné au cuistot. Même s'il avait encore un peu de mal à le croire en un sens, il prenait grand soin du bébé comme s'il en avait déjà eu auparavant, alors que c'était bien les premiers enfants qu'il avait le plaisir d'avoir. Mais si ces jumeaux étaient imprévus, il était sûr que jamais, et quoiqu'il arrive, le Champion Coordinateur vienne à regretter la venue au monde de ces deux merveilles, encore si fragiles. Il espérait au moins que sa petite sœur était fière de lui.

Le Miracle Enchanté

Aloïs F. Legrand

A contrecœur, Aloïs céda sa nouvelle-née aux médecins pour qu'ils l'examinent afin de vérifier que tout était en ordre. On ne savait jamais ce qui pourrait se passer avec des enfants prématurés, ils sont si fragiles ! Quand il confia leur fille aux infirmiers, il éprouva quand même un minuscule sentiment de soulagement. Ce n'était pas tant le fait de prendre un bébé dans les bras qui le mettait dans un léger état de malaise, mais savoir que c'était bien son enfant à lui continuait de lui faire tout drôle. Jusqu'à aujourd'hui, il ne s'était pas tant angoissé pour ça, n'ayant peut-être pas réalisé d'un côté qu'il allait bel et bien devenir père. Mais il y a une différence entre attendre un enfant quand il est dans le ventre de sa mère et le porter quand il vient de naître. Ce n'était pas en plus un seul bébé qu'ils avaient désormais à la charge, mais deux ; et cela venait donc multiplier le bonheur du Coordinateur par deux. Autant dire qu'il ne regrettait cette nuit de décembre qu'il avait passé avec Makenzie pour rien au monde. Peut-être lui faudra-t-il encore un peu de temps pour s'habituer encore à sa nouvelle condition, mais il savait qu'il pourrait sans problème gérer sa famille si l'hôtesse était à ses côtés. Je me demande bien quel genre de fille arrivera à te garder auprès d'elle, lui avait dit un jour un de ses plus proches amis ; aujourd'hui, il pourrait lui parler de Makenzie. Cette femme extraordinaire et courageuse sur qui il avait eu la chance de tomber ; et même si ces enfants n'avaient pas été vraiment prévus au départ, il se promettait de les chérir avec tout l'amour dont il pourrait faire preuve. S'il restait le plus fou des cuisiniers de cette île, cela ne l'empêcherait pas de prouver que, malgré son expérience avec les gosses, il savait s'en occuper aussi bien que n'importe quel parent sensé de cette île (si du moins il y avait quelqu'un d'un minimum sensé sur Enola).

Désormais seuls dans la pièce avec sa petite-ami, Aloïs poussa un soupir d'air. Ces quelques mois auront passé vraiment vite, dis donc. Mais même si une petite peur avait résidé au fond de lui quand il pensait à son nouveau rôle de père auprès de ses bambins, il avait surtout été excité à l'idée de voir ces deux petits pointer le bout de leurs nez. Pour l'instant, il ressemblent à n'importe quels bébés, mais déjà le Champion Coordinateur se plaît à les imaginer bien des années plus tard, quand ils seront en âge de parler. S'il s'était occupé de sa sœur de sa naissance à sa mort, il se souvenait que ça avait été moins dur de s'occuper d'elle quand elle avait au moins trois ans. C'était extrêmement prématuré, mais il avait déjà hâte de les voir aller à l'école ou même participer à la Compétition, s'ils le désiraient. Et peut-être qu'ils assisteront à ses Concours, qui sait. Mais il faudrait qu'il se montre très patient, avant.
Profitant du moment intime qui leur était accordé, sa belle vint l'embrasser passionnément. Il pouvait dire sans l'ombre d'un doute qu'il était comblé, et ne répondit aux propos de Kenzie que par un sourire, amusé. Vrai que des jumeaux, c'était suffisant pour lui. Enfin, pour l'instant, en tout cas. Il se doutait qu'il aurait déjà moins de temps à concentrer à ses entraînements. Il préféra évidemment s'occuper de ses enfants, ne voulant pas surcharger Makenzie. Elle avait besoin de beaucoup de repos après ça, et il était hors de question qu'il la laisse tout faire. Aloïs ne serait pas le gentleman qu'il était s'il n'aidait pas sa copine, après tout.

Même s'il voulait rester avec sa bien-aimée, il fut contraint de partir pour la nuit et de revenir le lendemain. Mais à son grand soulagement, les petits allaient bien et n'avaient apparemment aucun soucis. Si Aloïs était fébrile à l'idée de rentrer pour annoncer la nouvelle à son assistante, il mit cependant plus de temps à démarrer qu'il ne le pensait. C'était plus dur qu'il ne l'avait imaginé, de quitter l'hôpital en laissant Makenzie seule avec les enfants. Et si l'un d'eux se réveillait en pleine nuit ?... La naissance des jumeaux avait bouleversé sa vie en une fraction de seconde dès qu'il sut tout ce que cela allait impliqué dans ses propres devoirs. Mais sa Nymphali le rappela à l'ordre et il finit par rentrer à l'Amphithéâtre, l'esprit quelque peu apaisé par les ondes féeriques et apaisantes que lui envoyait Ange.
Sur la route, pour s'occuper le temps du trajet, il se mit subitement à réfléchir pour des noms. Mine de rien, il n'avait pas vraiment eu le temps de penser à nommer ces petits trésors, même si c'est pourtant l'une des choses les plus fondamentales quand on attend un enfant. Il pensa à des noms, mais il savait bien qu'il ne pourrait de toute façon pas décider seul et qu'il devrait consulter Makenzie à ce propos. Peut-être avait-elle également penser à des noms pour leurs enfants. Mais peu importe comment ils s'appelleraient ; car Aloïs les aimait déjà de tout son cœur, et il savait que c'était pareil pour la King. Mais ce n'est qu'au moment où il essaya de s'endormir qu'il eut comme une illumination, et qu'il sut alors quels prénoms pourraient convenir.
Le lendemain matin, il revint donc pour en parler à Makenzie.

- Noa pour le garçon, et... Maëlle pour la fille... Oui... Oui, c'est parfait ! En plus, quand on met les deux ensembles, ça fait 'Noël' !

Il rit de lui-même. Noël, oui. C'est bien le soir de Noël que le Coordinateur avait vraiment su ce qu'il ressentait pour Makenzie et qu'il avait compris que c'était réciproque. C'est leur nuit magique qui avait été le résultat de la grossesse non attendue mais non indésirée de l'hôtesse de pension d'Anula. Ils avaient enfin réussi à se mettre d'accord sur le nom de leurs enfants, et il déclara donc au médecin leur choix. Mais seuls eux pouvaient vraiment comprendre ce que ça signifiait. Quand il prit la main de Kenzie dans la sienne pour y déposer un baiser et qu'il scruta avec amour et tendresse les deux nouveaux-nés qui dormaient paisiblement, une larme s'échappa d'elle-même. De son autre main, il serra le pendentif autour de son cou dans sa paume et ses yeux bleus dérivèrent un instant vers la fenêtre de la chambre, dans le ciel bleu clair qui laissait passer les rayons du soleil matinal. Pour une fois, c'était comme s'il n'avait pas eu besoin d'un signe pour comprendre que sa sœur était fière de lui, de là où elle était. Pas de doute qu'Aloïs n'oubliera pas de leur parler de leur tante qu'ils n'auront pas connu, mais dont le Français tient à préserver tout de même le souvenir. Mais il ne s'inquiétait plus. Il savait que Makenzie était à ses côtés pour le soutenir, et qu'il ferait de même pour elle ; car s'ils avaient tous deux perdus leur famille, c'est ensembles qu'ils venaient de la reconstruire.