Le nerd dans son habit naturel III

Évolution d'Azami, partie 2

Des mois entiers de calculs. Des recherches, des feuilles noircies à en remplir des pièces entières, un nombre d'heures incalculable passées à tenter de donner du sens à ce qu'il écrivait, ce qu'il tentait désespérément de comprendre. Des soirées complètes à garder la tête dans des bouquins horriblement compliqués pour essayer d'arriver à quoi que ce soit, et avant tout une patience tellement inhabituelle pour lui que c'en était presque ridicule. Sincèrement, il avait cessé de compter le temps qu'il passait à travailler et quelques fois à s'épuiser lorsqu'il croyait, à chaque fois naïvement, qu'il en arrivait au bout. Tant d'heures et de journées passées à se tuer à la tâche, à chercher des réponses qu'il ne trouvait pas à chaque occasion, et ce sans décision d'arrêter une seule fois. Oh bien sûr, il lui était arrivé de se dire qu'il allait dans un mur et que ce n'était pas du haut de ses seize pauvres années qu'il allait parvenir à faire quelque chose, mais à chaque fois, il y avait cette petite voix dans la tête qui le poussait à continuer, alors même qu'il s'agissait de celle qui lui disait qu'il n'arriverait à rien. Étrange contradiction qui l'avait toujours intrigué, mais qui ne l'avait toutefois jamais laissé. Natsume, s'il tombe facilement, remonte toujours tout aussi vite, et à chaque fois un peu plus haut ; les événements de décembre l'avaient laissé en morceaux, mais à force de patience, il était retourné au travail et à ses habitudes, sans décrocher un seul instant de son envie de continuer.

Mais très sincèrement, aujourd'hui, il était au bord de l'épuisement. Il avait profité d'une journée où tout le monde était absent, comme ça personne n'avait à voir ses yeux fatigués qui le piquaient et la lenteur évidente de ses mouvements, résultat impossible à dissimuler de la fatigue. Trois semaines qu'il piétine, et cinquième jour où il fait presque huit heures de travail à la suite, sans la moindre pause. Il ne sait pas si c'est à cause du fait qu'il sent qu'il approche du but ou parce qu'il est frustré de rester dans la même position justement, mais il a considérablement accéléré le rythme ces derniers temps, et ce en dépit des protestations des autres quand ils le voyaient revenir fatigués de ses journées. Pourtant, lui ne sentait pas le temps passer. Quatre heures paraissaient s'écouler en une seule, si bien qu'il était même arrivé plusieurs fois qu'il loupe des repas, mais Faust finissait toujours par venir le tirer de force de sa chambre pour l'emmener à table, et ce sans faire attention aux protestations orales du plus jeune (et il l'avait même une fois porté comme un sac à patates, rien que pour lui montrer que s'opposer était inutile).
Aujourd'hui, il n'a pas l'impression d'avancer davantage. Malgré l'aide de Toruru et d'Azami, il ne parvient à rien. Ses yeux las parcourent les feuilles précédentes, plus noires que blanches, et il poussa un soupir frustré en attrapant des mèches de cheveux dans ses mains gantées. Les deux pokémon échangèrent des regards un peu inquiets, et lorsque Natsume le remarqua, il sourit un peu faiblement.

« Ça va, hein. J'en ai juste marre de foncer dans le mur, j'ai l'impression de tourner en rond. »

En grommelant, il rassembla ses feuilles dans les différents tas bien ordonnés, et jeta un coup d’œil dans son microscope, l'air vaguement intéressé. Nouveau soupir de sa part, et il fit signe à Toruru d'aller lui chercher une autre lamelle ainsi que des échantillons divers et variés, et vu la quantité, la Lombre du aussi l'accompagner. Maintenant seul dans sa chambre qui ressemblait plus à un laboratoire quand il travaillait qu'à autre chose, il se résolut à relire une dernière fois ses feuilles, puis il brûlerait le tout. Assez sur ce point ; il n'arriverait à rien, alors autant faire des recherches sur autre chose. Il avait essayé pendant des mois et des mois, dix environ, et même si il avait avancé, il avait l'impression que les résultats de ces trois derniers mois étaient tout juste bons pour la poubelle.
En relisant toutefois, un détail attira son attention. Il arrêta son regard et cligna des yeux, surpris. En fronçant les sourcils, il refit dans sa tête quelques calculs avant de saisir presque frénétiquement une de ses calculettes, l'air intensément concentré, plongé dans une sorte de transe dont il était le seul à connaître l'existence. Sans rien dire, ses doigts parcourent l'objet en tapant à une vitesse remarquable sur les touches, et il nota les résultats sur la première feuille qu'il put attraper et où il y avait un peu d'espace, ne se souciant pas d'où il inscrivait ses notes pour l'instant. En quelques minutes à peine, il a tout refait, et lorsque le dernier calcul apparut sur l'écran de sa calculatrice, ses mains se mirent à trembler.
Sa bouche s'ouvrit dans un hoquet muet de surprise et ses yeux s'écarquillèrent. Azami et Toruru, qui venait de revenir dans la chambre, n'osèrent pas s'avancer davantage en voyant les tremblements qui agitaient leur dresseur, et ce malgré leur inquiétude grandissante. Puis, finalement, une réaction.

« PUTAIN DE BORDEL DE MERDE ! »

Ce hurlement qui vient de sortir de la bouche du Shimomura résonne dans toute la maison, et il se leva brusquement, éjectant presque sa chaise au loin. Fou de joie, il ne retient plus son allégresse et se jeta sur Toruru pour la prendre dans ses bras de manière totalement imprévue par lui-même. La Chapignon manqua de faire tomber les erlenmeyers pleins qu'elle tenait, par ailleurs.

« Je le savais, je le savais ! Oh c'est pas vrai c'est pas vrai j'y crois pas, dîtes-moi que je rêve... GRAH ! »

Il ne tient plus en place. Lui qui est d'ordinaire si calme pète actuellement un câble, et n'a aucune envie de se contenir. Il ne s'est même pas rendu compte qu'il s'était mis à parler en japonais, trop submergé par l'émotion et le bonheur à l'état pur. Il sourit comme un attardé maintenant, et manquerait presque de pousser un cri de joi-... Ah oui merde il l'a déjà fait et il vient de le refaire, et autant dire que sa voix est sacrément montée dans les aigus. C'est ridicule, et la Chapignon et la Lombre n'osent pas bouger, trop éberluées parce qu'elles voient.

« Bordel de merde Azami, tu te souviens de ce qu'on avait dit ? Que si j'arrivais à quelque chose, ben on allait chercher cette foutue pierre d'évolution ? Ben on y va, tout de suite ! On va chercher Kaito et on défonce tout ! Toru, tu viens ou pas ? »

Mais l'éleveur ne laisse même pas l'occasion aux autres de répondre puisque, sans même avoir mis une veste et juste après avoir précieusement rangé ses feuilles dans un bac en acier fermé avec un cadenas à chiffres, il dévala l'escalier. Par ailleurs, un bruit sourd de chute arriva vite aux oreilles des pokémons, suivis par des geignements de douleur, puis finalement un rire stupide et ô combien idiot.

« Bah qu'est-ce que vous attendez ! On y va, là ! Allez ! »

Si Azami avait à parler de comment elle avait évolué, elle n'oublierait pas de mentionner que c'était la fois où son dresseur était si fou de joie qu'il en avait oublié ses chaussures, et s'était retrouvé en chaussettes à acheter une pierre eau en plein milieu d'un centre commercial. Mais autrement, rien de bien particulier, puisque l’événement ne l'avait pas tant marquée que ça, tout compte fait. Mais le grand sourire rayonnant de Natsume lorsqu'il lui avait tendu la pierre lui avait réchauffé le cœur, rassurée par le fait que malgré tout ce qui s'était passé, il n'avait fait que grandir, et qu'il paraissait sur le bon chemin pour continuer. Petit à petit, les choses avançaient.