Lapin pas si crétin (des fois)
Obtention d'Himiko
Après la joie, la nervosité. Très sincèrement, Natsume ne savait pas ce qu'il foutait ici. Il ne savait même pas pourquoi il était venu, d'ailleurs, ni pourquoi il avait été appelé. Il trépigne sur place, assis sur une des trois chaises postées contre le mur menant au bureau dont il attend l'ouverture. Il n'ose rien dire, et les regards curieux et intrigués qui sont portés en sa direction ne l'aident pas à se sentir à l'aise, bien au contraire. Il joue nerveusement avec ses doigts, et ses jambes s'agitent sans qu'il ne puisse les contenir. Tout en lui pue le malaise, et si il avait eu de véritables oreilles de lapin, nul doute qu'elles auraient été totalement abaissées tant il est gêné et aimerait bien disparaître ou devenir complètement invisible. Les deux lui iraient tout aussi bien. Même en se plongeant dans des revues scientifiques, son esprit n'arrive pas à se concentrer, et tout ce qu'il voit, ce sont des suites de lettres sans le moindre sens : il se raccroche comme il le peut à l'épaisse enveloppe qu'il garde dans sa main. Les résultats de mois, voir presque d'années de recherches vu que ses premières notes dataient de ses quatorze ans. Et tout ça juste enveloppé d'une fine couche de papier, autant d'efforts pour à peu près une soixantaine de feuilles, tout au plus. Si peu. Il ne savait pas si il devait être fier ou pas, en réalité, s'il devait considérer avoir déjà beaucoup fait ou tout simplement pas assez. Mais étant ce qu'il était, il serait toujours incapable de penser avoir fait suffisamment. Il ne serait jamais arrivé jusqu'ici, autrement.
Cela fait quarante minutes qu'il attend, maintenant. Il était arrivé en avance de presque une demie-heure avant l'heure du rendez-vous, ne souhaitant surtout pas être en retard, paniqué par ce qui se passerait si tel était le cas. Il savait que c'était complètement inutile et le faisait juste stresser davantage, mais malheureusement il était ainsi. Rien que traverser l'université lui avait fait se sentir encore plus petit qu'il ne l'était déjà, et passer ces longs couloirs débordants d'étudiants tous plus âgés que lui lui faisait sérieusement se demander ce qu'il faisait là. Sincèrement, quand il avait envoyé son projet au magazine de l'université après avoir vu le concours qui s'y trouvait, il ne s'attendait sûrement pas à être convoqué : il l'avait fait parce que Faust l'avait poussé à l'acte, voilà tout. Ou du moins, il avait menacé de lui couper son stock de glaces et de ne pas le réapprovisionner jusqu'à nouvel ordre, ce qui avait tellement bien fonctionné que Natsume savait déjà par avance qu'à partir de maintenant, le Donovan utiliserait cette méthode abjecte pour le faire chanter à sa convenance. Mais lorsque son téléphone avait sonné, deux semaines après, il avait eu du mal à accepter de comprendre que c'était bel et bien la vérité. Même après avoir raccroché ; il lui avait fallu raconter l'histoire deux ou trois fois avant que son esprit n'arrive à enregistrer l'information, et... Il avait paniqué d'une façon absolument pathétique. Puis, après que ses pokémon lui aient remis les idées en place, il s'était peu à peu fait à l'idée. Mais même maintenant...
« Monsieur Shimomura ? »Oh bordel, que c'était difficile que d'entendre ça. En déglutissant, il se retourna pour constater que la porte menant au bureau venait de s'ouvrir, révélant une femme aux longs cheveux violets attachés, portant sur son nez une paire de lunettes ma foi originale mais Natsume n'était pas du genre à accorder de l'attention à ces détails. Son sourire est bienveillant, gai, mais l'adolescent ne peut s'empêcher d'être intimidé. Elle dégage un tel charisme qu'il n'arrive à balbutier qu'un faible 'bonjour' qui paraît plus amuser son interlocutrice qu'autre chose, et lorsqu'elle l'invite à rentrer dans son bureau, il s'exécute sans rien dire, priant juste pour ne pas faire une annerie gargantuesque.
« Asseyez-vous, allons, vous n'allez pas rester debout comme ça tout le temps ! »Le lapin hocha vivement de la tête, le regard baissé, puant l'hésitation à quatre cent mètres, et fit comme demandé. Son cœur continuait de battre la chamade, mais il savait qu'à ce niveau il n'y avait plus rien à faire hormis espérer ne pas faire une crise cardiaque.
Il ne pu s'empêcher d'observer la pièce avec attention. Des photos, des diagrammes, des affiches multiples, quelques diplômes affichés ici et là comme des trophées, et avant tout un rangement impeccable. Il avait presque l'impression d'être dans un endroit sacré où il n'avait définitivement pas sa place, ou d'être un pécheur dans une église.
« Alors... Natsume, c'est ça ?
- ... Ah, euh, oui. »Et la médaille de la meilleure réponse de l'univers à une question simple va à... Ben pas à celui-là, en tous cas. Félicitations à quiconque l'a eu, après.
Le sourire de la plus âgée avait beau être rassurant, il restait tout de même que Natsume avait l'impression qu'il aurait pu prendre feu à chaque instant ou être crucifié à la moindre erreur.
« Pardonnez-moi de mon léger retard, je terminais de relire votre dossier, justement. Même si vous devez savoir qui je suis, permettez-moi de me présenter : Esther Kenway, enchantée de vous rencontrer. » Il serra la main qu'elle lui tendit, non sans rougir brusquement en entendant qu'elle était encore en train de lire ce qu'il avait envoyé la dernière fois. Il ne savait déjà plus où se mettre et ce rendez-vous avait tout juste commencé : autant dire qu'il était dans un sacré pétrin.
« Je vais être honnête avec vous : si je vous ai appelé, c'est que la personne avec laquelle je devais m'entretenir à la base s'est désistée. Elle avait été sélectionnée par le jury, avec qui j'avais eu quelques désaccords d'ailleurs mais que voulez-vous, la démocratie avant tout. Par conséquent étant donné que le laps de temps avant la publication du prochain numéro est très court, il nous fallait trouver un nouveau dossier... Et le jury n'ayant pas le temps nécessaire pour débattre une nouvelle fois, ils m'ont laissé le soin de sélectionner un candidat. Bien évidemment je profite ici de mon influence, mais à quoi me sert-elle autrement... ? »Vu comment elle termina sa phrase, il parut évident qu'elle cherchait son accord, ou du moins Natsume comprit cela : dans un état à la limite de la transe, il hocha bêtement de la tête.
« Bref. J'ai donc décidé de jeter un regard approfondi sur votre dossier, qui avait été écarté pour des raisons stupides que je ne citerais pas afin de ne pas ternir l'image de certains de mes collègues, et par conséquent il m'est apparu comme évident que je devais vous rencontrer afin d'en discuter personnellement. Vous me suivez ? »Nouveau hochement de tête. Il a presque peur de comprendre ce qu'il comprend : sa gorge s'est nouée, et il serait bien incapable de parler à l'instant.
« Je dois dire que j'ai été impressionnée. Des travaux aussi poussés pour un adolescent de votre âge... C'est plus que remarquable. Je suis quasiment sûre que si l'on vous faisait passer des tests, vous arriveriez au niveau d'étudiants bien plus âgés. Et dire qu'à votre âge je préférais sécher les cours... »Elle gloussa légèrement, et Natsume se permit un minuscule sourire amusé, conscient qu'elle essayait de l'aider à se détendre, chose très difficile voir même carrément impossible vu la capacité de l'éleveur à paniquer.
« Enfin. J'aurais juste quelques questions à vous poser auparavant, si vous le voulez bien. Voyez-vous, en vous lisant, j'ai remarqué que vous ne mentionnez pas en détails et avec des exemples comme vous l'avait fait pour les autres types de spores, les effets de la Poudre Fureur. Je reconnais qu'il s'agit là d'un spécimen très basique, mais justement, je me serais attendue à voir des comparaisons et des rapports... Et ici, hormis des connaissances théoriques, je ne vois pas grand chose. »Aouch. Natsume se retint de grimacer, ne désirant pas montrer que ces mots, si ils étaient exacts et absolument mérités, blessaient plus sa fierté qu'il ne l'aurait voulu l'admettre. Toutefois, il était le premier à l'admettre, alors il n'allait pas mentir.
« Vu la quantité plus que suffisante de détails, d'exemples et de démonstrations que j'ai vu dans ce dossier, je crois pouvoir supposer qu'il ne s'agit pas véritablement de fainéantise, je me trompe ? »L'adolescent baissa de nouveau timidement le regard, et en constatant qu'il était obligé de parler et ne pouvait pas juste éviter la conversation, il se mit à trembler comme un enfant.
« N-non en fait... Je voulais en parler davantage, m-mais... Je n'ai pas et ne connaît pas de personnes possédant des pokémon capables de me prêter un peu de poudre ou de me laisser les étudier, alors... J-j-j'ai dû aller à la bibliothèque pour me documenter et me servir de certaines de mes connaissances personnelles... Alors au final, c'est très vague et vraiment peu précis. J-je me rends compte que ce n'est pas une excuse pour faire un travail si bâclé mais-
- Pas de ça ici. »La sévérité dans la voix de la femme aux cheveux violets le fit s'arrêter dans sa tirade. Il releva les yeux, confus, avant de constater que son interlocutrice était tout à fait sérieuse, l'air vaguement agacée.
« Je crois avoir suffisamment d'expérience, en tant que directrice du département de microbiologie-infectiologie et immunologie de cette université, pour pouvoir dire ce qui est bâclé ou non. J'apprécierais, monsieur Shimomura, que vous m'épargniez votre avis personnel ici, d'autant plus si c'est pour dire de pareilles sottises. »S'étant fait rembarrer avec une telle force qu'il était soudainement devenu muet, Natsume ne pu que baisser la tête, honteux. La joueuse lui offrirait d'ailleurs un anti-brûle si elle n'était pas occupée à se moquer de lui et à rire comme une folle derrière son écran en se délectant de l'effet de ce sermon sur son personnage.
« Enfin, peu importe. En dehors de ce détail, est-ce que vous pourriez me faire un résumé oral d'une dizaine de minutes... ?
- ... M-m-maintenant ?
- Hé bien oui, maintenant ! Alors ?
- Je... Je suppose... Est-ce que je peux.. ? »Il pointa du doigt l'enveloppe qu'il tripotait nerveusement dans sa main depuis tout à l'heure, et qui était par ailleurs étrangement bien plus froissée depuis qu'il était rentré dans cette pièce. Esther hocha de la tête, un léger sourire aux lèvres, et il l'ouvrit. Il relut vaguement et en diagonale ce qu'il avait écrit, se remémora le plan de sa réflexion, et manqua de rire tant ce qu'il faisait était inutile et superflu au fond ; il n'avait pas besoin de le faire, en réalité. Tous ces mots, toutes ces lignes et ces résultats, il les connaissait par cœur. Chaque phrase avait demandé des heures, des jours voir des semaines de travail acharné. Chaque petit ajout équivalait à des centaines de pensées. Impossible pour lui de ne pas si bien connaître ces pages et d'avoir besoin de les relire pour s'en remémorer. Mais pourtant, il le fait car le stress et la peur lui nouent l'estomac, parce que comme d'ordinaire il doute de lui et de ses capacités, et que relire sa propre œuvre lui permet de se dire que si il a pu faire tout ça, alors il est tout à fait capable d'exécuter la tâche demandée, surtout qu'elle est risible en comparaison avec tout ce qu'il avait accompli avant d'arriver ici.
Et étrangement, quand il commence à parler, sa voix est si posée et si calme qu'il peine à croire qu'il puisse s'agir de la sienne. Si il sait qu'il est capable d'un sang-froid imperturbable, il s'étonne tout de même de la facilité avec laquelle il expose son travail, de cette fermeté simple dans son ton et de ces phrases qui, dénuées de balbutiements ou du moindre petit signe d'hésitation, paraissaient si limpides et claires, se déversant comme des rivières convergeant vers un seul fleuve de logique. Intérieurement, il ne peut pas s'empêcher d'être fier de lui-même, ce qui n'arrive pourtant que très rarement vu à quel point il est exigeant et perfectionniste jusqu'à l'ongle.
Il ne se rend même pas compte du temps qui file, si bien que lorsque Esther Kenway l'arrête, il s'est écoulé vingt minutes.
« Répétez une seule fois le mot 'bâclé' à partir de maintenant et je vous donnerais sur-le-champ un rendez-vous avec le meilleur psychiatre que je puisse dénicher. ET mon coup de pied au cul. »L'adolescent rougit un peu, gêné et mal à l'aise, comprenant plus que bien le sens de ce compliment à peine dissimulé. Il gesticula inutilement sur sa chaise en essayant de se mettre plus à l'aise, sans succès. Le sourire d'Esther n'avait pas diminué.
« J'ai entendu ce que j'avais besoin d'entendre. Il faudra que vous me signez quelques papiers par contre, mais je vais vous laisser le soin de les lire chez vous au préalable. Vous aurez juste à les demander au secrétariat, je vais les prévenir pour qu'ils les préparent. Vous êtes toujours d'accord, au moins... ?
- Euhm, o-oui.
- Parfait. Par contre, avant que vous ne partiez, j'aimerais vous demander un service, monsieur Shimomura. »Si être appelé ainsi le surprenait encore (ben oui, vu le nombre incalculable de surnoms qu'il se tape, il n'avait pas exactement l'habitude qu'on l'appelle par son nom de famille, et la particule n’aidait sûrement pas), il resta toutefois attentif et observa l'aînée sans rien dire, attendant patiemment qu'elle continue sa phrase. Esther ouvrit un des tiroirs de son bureau et en sortit une poké ball qu'elle tendit avec un sourire au Shimomura. L'éleveur resta immobile, n'osant pas comprendre ce qui était pourtant si évident.
« Il y a quelques semaines, mon Pyrax s'est retrouvé avec un œuf. Je pensais qu'il s'occuperait beaucoup de sa petite, mais... Il la délaisse un peu, et il est clair qu'ils ne s'entendent pas : même moi, je n'arrive pas à atteindre cette Pyronille. Alors étant donné que vous n'avez pas de pokémon pouvant apprendre Poudre Fureur et que vous êtes spécialisé dans l'élevage de pokémon de types insecte et plante... Est-ce que vous voudriez bien vous en occuper ? Tant qu'elle vit bien, je serais satisfaite. Enfin, je vous demanderais un petit service, aussi... »Son petit sourire au coin en disait tout autant qu'il en dissimulait. Sa capacité à imposer son charisme et à mettre le lapin mal à l'aise était par ailleurs presque divine.
« Pourriez-vous venir participer à la conférence du 2 mars ? De nombreuses personnes viendront présenter leurs projets, et du coup... Enfin, la personne qui devait venir est également celle qui s'est désisté pour le concours, donc d'un côté vous n'avez pas trop le choix mais... On ne va pas vous forcer mais ce sera une toute petite participation, une trentaine de minutes tout au plus. »État du cerveau : mort de quatre vingt-dix pour cent des cellules cérébrales. Natsume resta interdit, incapable de parler, la bouche ouverte. Il n'enregistrait tout simplement pas ce qui était en train d'arriver. Ce n'était pas possible : lui, le gamin stupide et constamment incertain, parler lors d'une conférence... ? Déjà qu'être publié, même pour un petit article, lui paraissait impossible...
« V-vous... Vous êtes sérieuse ?
- Non, absolument pas. En réalité je comptais vous écarteler dans un instant et vous donner comme nourriture à mon armée de morts-vivants russes parlant le polonais. »Étant donné qu'il s'agissait très clairement d'une blague et qu'elle était en train de se payer sa tête, l'éleveur baissa la tête, gêné d'avoir posé une question aussi stupide. Esther ricana sans honte.
« Ne faites pas une tête pareille : je plaisantais ! Je ne vous raccompagne pas par contre, vous m'en excuserez. Et prenez cette ball, ne soyez pas timide !
- P-pas de soucis. Merci beaucoup, madame.
- Le plaisir était pour moi. Bonne journée !
- V-vous aussi, oui. »L'adolescent prit la sphère bicolore avec hésitation, et la rangea dans son sac avant de quitter les lieux. Sur tout le chemin, il peine encore à croire que ce qui vient de se passer est réel et qu'il n'a pas juste fait une vaste hallucination à cause des spores. Il décida de marcher et de ne pas demander à Kaito de le téléporter, juste pour qu'il puisse faire un tour et se rafraîchir les idées.
Une fois qu'il fut arrivé dans un lieu plus calme et moins bondé, il alla s’asseoir sur un banc et, en tremblant un peu à cause de la peur, il libéra la créature qui se trouvait dans la ball.
La Pyronille s'étira lentement, observa les environs et posa finalement son regard sur le lapin, curieuse. Elle s'approcha doucement, sans peur mais avec une certaine méfiance tout de même, et l'éleveur tendit timidement sa main pour qu'elle la voit et la laisse la caresser si elle en avait l'envie. Elle n'émit pas d'objection, et Natsume sourit un peu, attendri.
Oui, il aurait le temps de paniquer plus tard : pour l'instant, il allait se reposer et, pour une fois, se féliciter de ses progrès par un peu de repos. C'était un bon plan.