« C'est toi ou moi, l'un de nous est de trop! »

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 Malentendus et autres coups du Destin |OS|

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Mercedes L. Blanchett
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Mercedes L. Blanchett
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MessageSujet: Malentendus et autres coups du Destin |OS|   Malentendus et autres coups du Destin |OS| EmptyMar 27 Oct 2015 - 3:45


♦ MALENTENDUS ET AUTRES COUPS DU DESTIN ♦feat. Carter Turnac
Je dois lui avouer. Franchir ce pas invisible et si ardu il me semble, alors que quelques mots suffiront. Mentir par omission, un art dans lequel je suis passée maître, parfaite manipulatrice d’une réalité que je parviens à plier à ma seule volonté. Semblants, faux-semblants, et surtout convictions erronées, facile de s’y adonner tant qu’on arrive encore à éviter la vérité. Dans un sens, je m’y suis condamnée dès le premier regard posé sur la situation; évitement puéril et constant qui m’ont mené ici à la croisée des chemins, cinq jours après le-dit événement, sans retourner un seul appel sur une île où tous peuvent disparaître à tout instant, s’éclipser sans donner les moindres nouvelles, dans un monde où je pourrais très bien m’éteindre à tout moment vu les risques encourus. Cet égoïsme me pue au nez. J’ai beau éviter mes proches, tôt ou tard je devrai être confrontée à leurs réactions respectives au sujet du gamin. Je devrai aussi me rendre à l’évidence. Cinq jours, cinq jours sans qu’on ne le réclame. Cinq jours dans l’abandon, cinq jours où Weston et moi avons pris le relai d’une femme sans visage ayant lâchement laissé son enfant à notre porte. Cinq jours où je m’improvise mère en connaissant toutes les conséquences qui peuvent en découler, toutes les plaies rouvertes suite à ces moments que je tente malgré tout d’éviter. Une véritable malédiction, sans la moindre issue. Et mes recherches pour retrouver la mère qui s’éternisent… Je jette un nouveau coup d’œil au téléphone qui, de sa base clignotante pour annoncer la dizaine de messages qu’on y a laissés, semble me narguer.

Vas-tu retrouver tes couilles, bordel, Mercy? Sincèrement, je commence à en douter. Ici, l’occasion rêvée. J’ai trouvé un moment de détente entre deux épisodes catastrophiques à composer avec la présence d’un enfant qui n’est pas le mien et toutes les gifles à mon psyché blessé qui l’accompagnent. Enfin une occasion qui se présente à moi, une que je réclame malgré moi depuis plusieurs jours déjà. J’ai besoin d’Adélia, de Faust et de Solène. D’eux dans ma vie, d’eux de savoir que je vais bien et que ce silence n’est dû en fait qu’à ma terrible stupidité et mes innombrables faiblesses et autres insécurités issues de mon passé. Blessures qui ne m’ont jamais semblé aussi irréparables qu’en ces derniers jours pénibles. Et plus encore, après tout ce bordel qui gronde, les jouets qui traînent, les repas, le bain, l’histoire avant de dormir et les cauchemars aux instants où on croit enfin à même de se reposer, il y a toujours ce côté de moi qui hurle et qui est totalement paumé, cette part de moi peut-être un peu moins fière qui nécessite une attention immédiate. Quelqu’un pour apaiser ma confusion autant du point de vue moral que celle de mon nouveau rôle, ce rôle que je refuse même de prononcer, alors je vous laisse l’imaginer. De toute façon cette histoire se terminera bientôt, du moins est-ce que je ne cesse de me répéter. Probablement pour apaiser mon envie lancinante de m’enfuir. Loin.

En contrepartie, ou du moins il est important de mentionner tout de même, mes Pokémon m’offrent un énorme soutien dans ma nouvelle occupation, celle de m’occuper du fils de Weston, Benjie. Errant toujours à mes côtés dans l’éventualité de me voir tomber peut-être, Aria et Golden cette fois qui guettent l’instant où je craquerai. Soutiens silencieux, mais aussi appréciation subtile du moindre de mes fait et gestes. La Roitiflam s’égare devant la table où j’ai laissé choir mes clefs, tout près de la machine au cercle clignotant, hésitant devant le combiné avant de le saisir entre ses grandes pattes si délicates, pivotant lentement en ma direction. Et pendant un instant nous nous jaugeons tous du regard, la guerrière, le renard psychique et moi, dans pression presque impossible à supporter. Ensembles, mes deux alliés se rallient à une cause qui m’est opposée et à laquelle je n’ai pourtant aucune issue. Il va me falloir obéir, tout simplement. Je saisis donc le téléphone avec un bref soupir, surprenant contre le visage de mon amie un mince sourire. Je compose le numéro connu par cœur avant de me détacher légèrement d’elle, comme pour m’offrir un peu d’intimité. Je tripote de ma main libre une mèche de cheveux pour éponger la nervosité qui m’a saisie au premier tintement dans la sonnerie au bout du fil. Les coups se multiplient, rallongeant l’attente déjà interminable et animant d’autre plus l’envie présente en moi de raccrocher, de reculer devant cette décision qu’on tente de m’imposer. Pourtant, je sais, dans une part encore raisonnable de mon esprit, qu’il n’existe aucune autre solution que celle proposée l’instant. Tant pis s’il faudra recommencer l’expérience dans quelques heures, tant pis si je devrai me contenter d’un bref message, simplement pour rassurer ma cousine, tant pis si…

«Hello?»

Une voix, masculine. Qui pendant un instant, me berne à penser qu’il s’agit de celle de Tristan Weber, oui. Qui pendant une fraction de seconde frivole et victorieuse, me laisse à croire qu’Adélia et lui en seront finalement venus à l’évidence, qu’ils auront enfin laissé parler leurs corps plutôt que de se brimer avec l’esprit. Ou peut-être encore que la brunette aura eu l’occasion de lui confier l’étendue de ses sentiments, ayant depuis longtemps la simple amitié. Euphorique, je m’apprête à saluer le garçon avec une blague appropriée qui suffirait probablement à le gêner pendant des semaines, le connaissant, quand ma voix s’éteint dans ma gorge. Une hésitation vient de me stopper net dans le fil de mes pensées débridées.

«Hum… hellooo?»

La voix reparaît, venant confirmer tous mes doutes. Cette voix masculine, je l’ai méprise pour celle d’un jeune homme tout juste au sortir de l’adolescence, et pourtant celle qui vient de paraître dans le combiné appartient à un homme d’âge mûr, rauque et profonde. Une bouffée de panique me saisit, que je tente d’apaiser d’une grande respiration.

«Bonjour euh… Est-ce que je pourrais parler à Lia, s’il vous plaît?»

Ma voix trahit mon hésitation, une hésitation que saisissent aussitôt Aria et Golden, se rapprochant de moi par inquiétude face au ton de voix utilisé. Je ne devrais pas demander à parler à ma cousine qui vit seule dans son appartement. Il ne s’agit ni de la voix de John, ou de son frère Lucas, encore moins celle du jeune Weber. Qui serait assez à l’aise pour répondre à son téléphone dans tous les cas?

«Lia? Elle est sortie, partie bosser. Je peux prendre le message?»

J’entends le bruit discret du téléviseur allumé, ainsi le «crounch» caractéristique de croustilles qu’on enfourne dans sa bouche sans se soucier des conséquences sur son poids.

«Je tenais simplement à prendre de ses nouvelles… Pardon je peux savoir qui vous êtes?»

«Je suis son père, Lionel. Et tu es?»


Ma main s’enfonce dans le tiroir du buffet sans la moindre hésitation, y retirant mon pistolet que j’attache à ma ceinture d’une main tremblante. Aussitôt, Aria accourt à la cuisine, où je l’entends fouiller avant de sortir par la porte extérieure, où elle cherchera à rappeler les autres à leur balle avant de toutes me les faire parvenir. Pour sa part, l’Alakazam n’a pas esquissé un geste, consciente des conséquences de mon comportement, de ce qu’il suggère. Elle sait tout comme moi qu’un inconnu se trouve chez Adélia et qu’il pourrait être en train de mettre sa vie en danger, qu’il pourrait aussi bien être un soldat du Régime sur ses traces. Ce qui signifie que je pourrais l’être tout autant qu’elle. Qu’un lien pourrait nous lier l’une à l’autre si seulement nous avons fait une seule erreur pour couvrir nos traces. Dans tous les cas, l’homme à l’autre bout du fil ment. Car Adélia n’a pas de père. Il a été assassiné il y a sept ans juste sous ses yeux.

«Oh son père? Enchantée de vous rencontrer, je suis Sophia, sa bonne amie. Écoutez, ne vous dérangez pas pour moi, je vais la rappeler dans quelques heures à son retour.»

Aucune hésitation cette fois, le mensonge est impeccable et parfaitement orchestré. L’homme à l’autre bout du fil n’y voit que du feu, semble même ennuyé par mon enthousiasme débordant.

«Ouais, d’accord, bye-bye Simone.»

«C’est…»


Il a déjà raccroché, probablement pour vaquer à ses occupations palpitantes. Pour ma part, j’attrape aussitôt ma veste et rejoins Aria à l’extérieur, où elle appelle toujours certains de nos compagnons manquant à l’appel, probablement égarés dans la jungle qui couvre une part de mon terrain. Lui indiquant que nous n’avons pas le temps de les attendre, je l’attire à moi en prenant sa main, saisissant au passage celle de l’Alakazam qui s’empresse de nous téléporter en plein milieu de l’appartement d’Adélia. La téléportation, ainsi précipitée, me laisse un peu confuse et étourdie. Je mets un moment avant de réaliser où nous nous trouvons, entre la cuisine et le salon tout près du couloir. Un inconnu se trouve assis contre le sofa et sursaute brutalement à notre arrivée, renversant son bol de croustilles contre le tapis moelleux de ma cousine et qui se couvre du orangé vif de la saveur fromagée. Un cri lui a échappé, alertant aussitôt le Pokémon à ses côtés, un Pharamp qui bondit en notre direction probablement dans l’espoir de défendre son dresseur. Or, Aria l’attend de pied ferme et le renverse sitôt parvenu à notre hauteur de son fameux Surpuissance. Vaincu d’un seul coup, le mouton termine sa course contre le plancher, assommé par la force colossale du cochon de feu. Son dresseur se redresse aussitôt et pivote pour nous faire face.

«Non mais ça va pas la tête?!»

Son ton, bien plus surpris qu’agressif, trahit son affolement. Il se dresse devant moi, frôlant probablement le six pieds, une main posée contre son torse. Il porte un grand t-shirt délavé ainsi qu’un caleçon très moche dont les motifs m’auraient probablement tiré un rire s’il ne représentait pas une menace imminente pour moi ainsi que pour le reste de mes proches. Une bande de canards flottant sur un océan noir couvrant ses cuisses presque jusqu’à ses genoux. Il s’agit d’un homme dans la mi quarantaine à la barbe hirsute et mal entretenue, une chevelure châtain parsemée de gris et deux grands yeux particulièrement expressifs d’un bleu-vert qui aurait dû m’être familier. Il s’approche rapidement de nous, malgré les grondements mécontents de la Roitiflam.

«Ne nous approchez pas ou je tire.»

J’ai pointé l’arme en sa direction. Aussitôt son regard se durcit alors qu’il constate le sort réservé à son compagnon quelques instants plus tôt, immobile contre le plancher de bois, surmonté par la silhouette impressionnante du Pokémon de type feu à mes côtés. Pour sa part, l’Alakazam prépare déjà une offensive, son corps vibrant d’une énergie qu’elle contient en cas de nécessité. Malgré la protection de mes compagnons, je m’avance en premier lieu, surprenant l’homme d’un coup de la crosse de mon fusil, en plein visage. Sous l’impact, animé par ma rage, il recule, titube et échappe un juron bien salé qu’il ferait mieux de ne pas répéter.

«Petite garce, c’est quoi ton problème?»

«Adélia n’a pas de père. Vous allez me dire tout de suite qui vous êtes et ce que vous avez prévu faire d’elle.»


Ma main tremble à peine lorsque je pointe le fusil contre ce visage que je viens tout juste d’abîmer. Mais tout en moi écume, bout, tout en moi m’intime à la violence. Pour protéger les miens, il n’existe plus aucune hésitation. Le regard de l’inconnu se pose sur moi, dur, et pourtant il sourit, presque amusé de mon attitude.

«Tu vas te calmer petite tigresse, hein? Je t’ai dit la vérité, je suis le père d’Adélia, je suis venu lui rendre visite et je vis chez elle depuis le mois de juillet. Demande-lui, elle te le dira. Lionel Frey, son père.»

«C’est faux! Nous le savons tous les deux, alors pourquoi ne pas plutôt vous montrer honnête, avant que je me mette à tirer?»


Il sourit une fois de plus, cette fois de façon plus sincère.

«Tu ne vas pas tirer, ma jolie. Alors pose ton jouet pour qu’on discute, tranquillement, comme deux adultes. Tu pourrais te blesser avec ça.»

À cet instant, je surprends un mouvement imperceptible à ma droite, dans le couloir adjacent qui mène à la chambre ainsi qu’à la salle de bain. Un mouvement auquel je n’ai pas le loisir de porter la moindre attention, car bientôt, l’homme revient à la charge.

«Tu me fais pitié, petite, tu crois pouvoir venir ici et faire ta petite andouille auprès d’innocents. C’est mal tu sais. Je ne te dirai rien au sujet d’Adélia, ni à aucun des misérables membres de ton espèce. Si tu crois que je vais te laisser faire, bordel, tu te goures complètement.»

À cet instant, une violente décharge me traverse le corps. Un courant électrique qui fait pulser mes veines, un feu ardent qui agite tous mes organes. Tout oxygène quitte mes poumons alors que je m’écroule là où, un instant plus tôt, le Pharamp nous a dupés. Prise de soubresauts douloureux, je cherche à retrouver à la fois mon air et mes esprits, cherchant mon arme qui m’a échappée à tâtons. Pendant quelques instants, je ne parviens plus à distinguer qu’un océan de ténèbres voguant devant mes yeux, jusqu’à ce ma vision s’éclaircisse sur une pièce aux murs qui tanguent, et un souffle hérétique parsemé de gémissements désespérés. Si j’ai déjà subis plusieurs électrocutions dans ma vie, subies majoritairement par l’intervention de ma Luxray par une erreur de parcours. Mais jamais au monde je n’ai dû endurer une telle douleur. Ma main se porte à mon visage, mes membres encore trop engourdis pour espérer me relever. Je laisse une traînée de sang contre mes doigts alors que je les passe sous mon nez. À mon tour de jurer, cette fois avec toute la fureur québécoise. Malheureusement, je ne parviens pas même à esquisser un geste, tant l’engourdissement, l’étourdissement et la nausée me briment. Je parviens juste avec horreur à assister au lourd combat que livre Golden contre un Zoroark, probablement l’ombre que j’ai surprise un instant plus tôt. Je lève un regard vers notre assaillant, animée d’une rage de vivre qui me pousse à tenter de me relever. La vie d’Adélia en dépendant, celle de Lucas aussi, de John, et de combien d’autres de mes proches si on doit les accuser de complicité avec un groupe tel que les Turnac? Affolée, je tente de crier, mais l’Alakazam tombe, terrassée par le renard au long pelage sombre qui me toise en montrant des dents aiguisées, et reluisantes de salive. Pour sa part, Aria doit être tombée lors de l’attaque surprise du Pharamp, juste derrière moi, car je sens son souffle affaibli contre ma nuque.

«Bon, on est calmé maintenant, ma jolie?»

Un regard noir. S’il pense s’en sortir aussi facilement.

«Ça fait longtemps que tu es sur son cas? J’imagine que tu veux la faire emprisonner puis pendre comme sa mère. Tu sais quoi? Je ne te laisserai pas faire. Non parce que c’est beau, exécuter les gens avec des moyens médiévaux, mais je crois qu’on connaît un peu la chanson, faut changer de disque. De toute façon, tu ne toucheras pas un seul de ses cheveux.»

Son ton a changé. Plus de place à la moquerie, ou à l’amusement. Son ton est dur, menaçant. Et je comprends enfin qu’il la protège. Que plutôt de chercher à lui faire du mal, il est celui la défendant contre la menace qu’il croit que je représente.

«Je vais t’offrir un petit quelque chose. Un dada sur lequel t’amuser, un truc qui va propulser ta carrière, tu vas voir, tu seras ravie, tu n’auras plus à travailler un jour de ta vie. Tu vas emmener à tes petits connards de patrons le frère d’Eliza Turnac. Tu vas voir, ça va être spectaculaire. Et le jour où ils me feront tuer, tu pourras même être là pour regarder si tu veux. À une seule condition. Tu la laisses filer. Tu oublies qu’elle existe. C’est un bon compromis je trouve. Ou bien tu vis une vie somptueuse et riche et tu as fait quelque chose pour ta dictature à qui tu lèches les bottes, ou tu ne vis plus tout court.»

Carter. Je cesse aussitôt de me battre, pour lever un visage incompréhensif en sa direction. Un à un, les événements et les différents indices se placent sous mon crâne pour former une seule réalité. Cet homme est celui des photos, celles sur mon dossier d’adoption. Et aussi un portrait craché de John.

«Oh putain, Carter Turnac.»

«Ouais, en chair et en os, bébé, pas mal hein?»


Je m’écarte quelque peu, la nausée empirant avant de se stabiliser alors que je me hisse contre le dos de la Roitiflam pour me retrouver en position assise. Je ne relâche plus un seul moment ma prise visuelle pour lui. Je n’ai jamais même imaginé le rencontrer et pourtant voilà qu’il se trouve juste devant moi. Mon père biologique. Je déglutis avec difficulté, venant passer une main incertaine dans ma chevelure rose avant de baisser les yeux vers le plancher. À présent que je sais, que j’ai même la certitude d’une autre vérité à laquelle j’ai tenté d’échapper, je ne parviens plus à l’affronter. J’ai prétendu pendant de longues années qu’il n’existait que dans les légendes d’Adélia, dans ce qui me semblait être de lointaines fantaisies, le personnage d’un récit plutôt que d’une véritable personne s’étant penchée à ma hauteur pour mieux contrôler mes mouvements et surtout protéger avec toute sa hargne sa nièce, celle que nous aimons tous les deux sans l’ombre d’un doute vu la violence avec laquelle nous venons de nous affronter. En constatant mon silence, l’homme soupire avant de se redresser sur ses jambes. Je sens son regard sur mon et surtout son impatience.

«Eh bien, on ne dit plus rien maintenant, ma jolie? C’est mon personnage qui t’intimide ou ma beauté légendaire?»

Je ne réponds pas encore une fois, le dévisageant à nouveau. Je n’ai plus envie de me trouver en sa présence. J’ai simplement envie de rentrer et de digérer l’information qu’Adélia m’a caché pendant tout ce temps la présence de mon géniteur chez elle. Et je me demande comment j’ai fait pour ne pas remarquer d’indices de son passage, ou de ne pas avoir surpris sa présence auparavant. Je me sens trompée et dupée par ma cousine qui, semble-t-il, n’a pas été la seule à dissimuler certaines choses. Pendant trois mois qui plus est. Maintenant ma rencontre avec mon père a lieu ainsi, après un combat qui aurait pu très mal se terminer, et nous n’aurions jamais su. Bordel, il ignore encore tout de la situation. De nouveau embêté par mon silence, il se met à arpenter la pièce.

«Écoute, je n’aime pas en venir aux menaces, tu sais. En fait j’suis un chic type… la majorité du temps. Mais tu vois faut pas menacer l’intégrité de ma nièce, ou aucun des foutus rejetons de ma sœur ou…»

«Et les tiens?»

«Pardon?»


Il se retourne vers moi, surpris d’entendre ma voix à nouveau et surtout pour prononcer ces paroles. Déconcerté, il s’approche comme pour s’assurer d’avoir entendu convenablement. Je soupire discrètement, réalisant peu à peu reprendre contenance sur mon corps et mes moyens, même si le sang bat toujours à mes tempes.

«Tes enfants. Tu en as toi aussi. Deux. Mercedes et John. Qu’est-ce que tu ferais si on s’en prenait à eux?»

Et soudain il pâlit, se recule d’un pas en échangeant un regard avec son Pharamp, tout aussi décontenancé que lui par mes affirmations, suivies de cette question sans équivoque. Le doute passe contre son visage alors qu’il tente de trouver une explication plausible à l’étendue de mes connaissances à son sujet. Ses sourcils se froncent et je cherche contre son visage figé d’incrédulité un indice génétique de notre parenté. Nous nous ressemblons, il n’en fait aucun doute, mais jamais autant que John, qui est son véritable portrait. Je frémis à nouveau, et entoure ma poitrine de mes bras dans un geste tout naturel de protection quand il pose finalement cette question par laquelle nous aurions dû débuter tout notre échange.

«Mais qui es-tu?»

Je soupire. J’aurais préféré qu’il le réalise plus tôt, mais j’imagine qu’il n’y  aucune façon pour lui de le deviner.

«J-je suis ta fille, Carter, Mercedes. M-Mercedes Turnac.»

Je n’ose plus vraiment affronter son regard. Drôle comment toute ma férocité s’évapore lorsqu’il s’agit de moi. De rencontrer cet homme a toujours suscité une part de curiosité, mais aussi une crainte légitime d’en souffrir. Je n’ai pas vraiment envie de connaître les raisons l’ayant poussé à nous abandonner tour à tour, John et moi, mais paradoxalement je cherche désespérément une explication à son comportement, il y a vingt-quatre ans, quand il a décidé d’un commun accord avec cette femme sans visage étant ma mère, qu’il laisserait aux marches de l’orphelinat la petite fille conçue par erreur. Je l’entends soupirer, assimiler l’information, se tenir parfaitement immobile.

«Je vois.»

Il se contente de cette réponse. Le silence s’abat entre nous, lourd de tous les non-dits, des remords et de l’amertume peut-être. Qui sait. Lorsque je lève enfin les yeux pour lui, c’est pour le constater ainsi, appuyé contre le dossier du sofa qui lui fait dos, en proie d’une douleur dont je ne connais pas la nature. Il me regarde d’un air absent, considérant les mots à dire dans les circonstances. Que dire? Sincèrement, nous devons savoir tous les deux qu’il ne sera jamais un père à mes yeux, et que ce moment est entièrement partagé de son côté. Au final, nous aurions pu simplement nous épargner le supplice intolérable, celui de se connaître l’un et l’autre. Je n’ai jamais eu besoin de lui pour combler mon existence, j’ai une famille qui m’attend à la maison, une famille qui m’a toujours aimée et soutenue, qui m’a élevée comme la sienne. J’ai beau être la cousine d’Adélia, je ne suis pas une Turnac, je ne le serai jamais. Je me redresse, les jambes flageolantes sous mon poids, considérant avec peine mes deux alliées tombées au combat pour me protéger. Je les rappelle une à une à leur balle en me promettant de leur prodiguer les soins nécessaires une fois que j’en aurais l’occasion. Toujours aussi hésitante sur mes pieds, je me dirige lentement vers la porte.

Plus rien à ajouter que ce nous savons déjà, plus rien à dire qui ne nous ferait pas plus de mal que ce que nous souffrons déjà. Confronter nos indifférences ne nous mènerait nulle part. Il s’agit d’un chemin que je choisis de ne pas emprunter. Lentement, je referme cette porte, ouverte par erreur. Lentement je me terre derrière mon ignorance. Je n’ai pas besoin de savoir. De me faire regretter d’exister.

«Attends…»

Je m’arrête. Déjà je regrette.

«Tu… tu vas pas partir comme ça quand même hein? J-je veux dire euh… Tu es venue par téléportation mais euh, mon Zoroark t’a zigouillé ton Alakazam, peut-être qu’il te faut un lift quelque part?»

Je le regarde. J’aimerais tellement ne rien ressentir. Me figer derrière mes convictions fragiles en tentant de faire en sorte qu’elles tiennent sous ses assauts. Et pourtant je sais le combat perdu d’avance.

«Non merci.»

Et là, à cet instant, il m’offre ce regard, ce regard où je lis… de la déception? De l’amertume aussi, de l’incompréhension, et une confusion encore plus grande que moi-même. J’hésite, je sens mes barricades protectrices se fissurer. Mais je ne cède pas. Jamais. Je pivote à nouveau en direction de la porte, où je me dirige un peu trop résolument, quand je sens une fois de plus ses pas derrière moi et sa voix charger l’atmosphère d’un sentiment que je ne parviens pas à identifier.

«Oh, une dernière chose. Merci de veiller sur Adélia. Sur son secret… elle… elle me parle beaucoup de toi tu sais… Et ce n’est pas faute de…»

«Stop.»


J’ai levé ma main vers lui pour le faire taire, le faire taire, le faire taire. Nous n’avons pas besoin d’emprunter ce chemin et pourtant il s’obstine, me dévoilant déjà une part de vérité qui n’a fait que me heurter. Car en plus de savoir ma cousine désireuse de me dissimuler la présence de son oncle en terre enolianne, elle lui a en plus révélé ma propre présence. Et il n’a jamais fait les premiers pas pour me contacter. Il a fallu que je le surprenne. Combien de temps ce mensonge aurait-il plané? De toute évidence, ici maintenant comme il y a plus de vingt-quatre ans, cet homme ne veut pas de cette fille bourrée de talent, accueillante, chaleureuse, dynamique, bruyante, frivole, trop curieuse et déplacée, cette fille au cœur d’artichaut, férue de journalisme, cette fille méfiante mais heureuse malgré tout. Et c’est sa perte. Sa perte à lui, non pas la mienne.

«Au revoir Carter.»

De derrière la porte que je referme à ma suite, je l’entends jurer.
(c)Golden
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