La pomme ne tombe jamais très loin de l'arbre

Obtention et éclosion d'Asmodée

Il y avait quelques avantages à être ami avec Mikael, certes, même si cela blessait affreusement la fierté de Clive de l'avouer. La plupart du temps, hormis des emmerdes, des migraines et des envies de meurtre tellement intenses que cela en aurait fait pâlir des tueurs en série, il n'y en avait aucun, quoique on aurait pu admettre que sa résistance à la connerie et aux chieurs s'en était trouvé énormément grandie. Bien souvent, l'officier se demandait ce qui avait bien pu consolider leur amitié, mais il se rappelait alors vite que se sauver mutuellement la vie régulièrement et que de se faire absolument confiance au point où Clive lui aurait confié sa vie sans une once de crainte jouait un rôle certain. Au fond, même si il râlait souvent, il ne pouvait pas nier la vérité : cette andouille, pardon, triple andouille, était son ami. Mais il n'irait jamais le répéter, il ne fallait pas abuser non plus.
Bref. Connaître et être ami avec l'andouille en question lui permettait de temps à autre d'élargir son cercle de connaissance, chose qui n'arrivait que rarement lorsqu'il était seul à cause du fait que c'était un pingouin aux très sérieuses tendances d'ermite. La plupart du temps, il ne discutait pas beaucoup, se contentant de politesse et de discrétion, mais difficile pour lui de ne pas s'entendre avec quelqu'un qui était tout aussi peu doué que lui en matière de sociabilité, surtout que croiser quelqu'un qui avait la même réaction que lui face aux idioties de Mikael était rare et devait être apprécié à sa juste valeur : bien trop nombreux étaient ceux qui étaient naïfs et crédules face à la façade charmante d'homme souriant qu'affichait le médecin-chercheur en public. Léopold lui avait paru sympathique. Ne cherchez pas à comprendre, il avait juste tendance à apprécier les personnes calmes car elles lui apportaient ce que Clive aimait par dessus tout : la paix.

Mais pour être tout à fait honnête, le lien le plus important qui s'était forgé était celui de la Carmache dudit Léopold, Médée, et d'Elijah. Autant dire que dans la catégorie des nouvelles auxquelles Clive ne s'attendait pas, celle-ci était assez haute dans la liste. Il était le premier à avouer qu'Elijah, malgré sa tendance à être trop bourrin et vindicatif, ainsi que trop têtu, était adorable, quoique agaçant de par son surplus d'énergie bien souvent. Mais sincèrement, dans toute son équipe, il faisait partie de ceux qu'il n'arriverait jamais vraiment à imaginer comme étant parents, c'est-à-dire Seraphim, Esper, Ephraim, Abaddon, Nathaniel et Joshua, et ce malgré les tendances du Némélios à se montrer charmeur envers les femelles félines quand il en croisait. Mais visiblement, il avait eu tort. Il avait été convenu que la majeure partie du temps, le petit (ou la petite, ils n'en savaient encore rien) serait élevé par son père, ce qu'Elijah avait accepté avec enthousiasme mais aussi beaucoup d'incertitudes quant à ses capacités de parent. Clive n'était pas sûr de ce que donnerait cette histoire comme résultat, mais soit.
Étant donné que l'Aligatueur l'accompagnait souvent aux entraînements, il prit cette fois-ci l’œuf avec lui. En effet, sa carrure impressionnante et sa force gargantuesque en imposaient assez pour permettre à Clive, en plus de la présence constante de son Démolosse, d'imposer une certaine autorité que personne ne lui contestait. Certains avaient essayé, peu en étaient sortis sans des punitions aussi originales que variées et emmerdantes (parfois littéralement). Nero était peut-être l'un des officiers les plus compréhensifs et moins cruels, mais il ne fallait non plus abuser de sa magnanimité, ce qui était par ailleurs une très mauvaise idée, vraiment.

Ce matin-là, Clive s'occupait de nouvelles recrues assignées à son secteur : il s'agissait en fait de les former davantage et de vérifier leurs capacités actuelles. Rien de bien extraordinaire en toute somme, et tant mieux. En bloquant pour la énième fois le coup de poing d'un de ses subordonnés avant d'appuyer sur son poignet pour le pousser vers le sol et lui faire ainsi une clé de bras particulièrement serrée, il soupira.

« Votre équilibre. Mettre autant de force dans un coup vous rend si fragile que c'en est presque ridicule. Refaites ça en combat et vous finirez six pieds sous terre rapidement. Recommencez. »

Il ne porta aucune attention à l'agacement visible du soldat, qui était par ailleurs apparemment plus âgé que lui ; l'orgueil était une chose superflue qui devait être écrasée rapidement en entraînement, et c'était par ailleurs un des objectifs cachés de ce genre d'exercices. L'ego faisait parfois faire des erreurs si grande qu'il ne pouvait pas être laissé courir impunément dans les esprits de ses victimes. Par ailleurs, peu importait l'âge en combat ou dans les rangs : seules comptaient les preuves d'expérience et de compétence, quoique même l'importance de la première était sujette à débat.
Cette fois-ci, il eut besoin d'une balayette pour le faire tomber et son pied sur son thorax : ce fut si rapide que beaucoup en furent surpris. Clive ne dit rien : le regard froid et dénué d'émotions de Nero n'était ni impressionné par les progrès pourtant visible de son élève ou bien même compatissant face à son erreur.

« Ne traduisez pas mes propos ainsi. Ce n'est pas en appuyant votre poids de cette façon sur vos jambes que vous arriverez à quelque chose : les pieds sont toujours fragiles et se positionner ainsi est très dangereux. Recommencez.
- Mais ça fait déjà-
- Peu importe. Profitez du fait que vous laisse d'autres opportunités, vous n'aurez pas cette chance sur le terrain. Vous avez d'autres objections ou vous préférez aller récurer les toilettes et les armes ? »

Il se fiche du regard noir de son subordonné : il en a vu beaucoup des comme ça, et ce n'est pas un de plus qui allait le troubler, d'autant plus que la très grande majorité finissait par ravaler sa fierté et faire ce qu'on leur disait de faire. Avec un entraînement militaire, il n'y avait pas d'autres choix de toute façon.
L'entraînement se déroule dans le calme, sans accident notoire. Clive est comme toujours intransigeant dans son enseignement, n'acceptant que les erreurs hypothétiques, à la fois par perfectionnisme et habitude du rejet de l'échec. Néanmoins, le hérisson n'était pas monstrueux non plus : il leur laissait dix minutes de pause au bout d'une heure entière, voir quinze pour ceux qu'ils jugeaient comme ayant mieux écouté et travaillé que les autres. Pendant ce temps, lui allait comme à l'accoutumée se mettre dans un coin pour ingurgiter un grand verre de jus d'orange en comptant les minutes qui lui restaient à supporter jusqu'à la fin de la pause sur son portable, quand il n'était pas en train de jouer à un jeu stupide ou de profiter de cette merveilleuse invention que l'existence de l'accès à internet sur smartphone. La plupart des recrues discutaient ensemble, se désaltéraient en profitaient pour reposer au moins un peu de ce temps de pause pour reposer leurs muscles éreintés et maltraités par l'entraînement intensif donné par leur supérieur. Clive n'accordait pas d'importance à ces blablatages inutiles à ses yeux et même si il aurait pu se mêler à eux pour sympathiser, il n'en avait aucune envie. Ezekiel, lové contre ses pieds, gardait un œil ouvert sur eux en somnolant légèrement.

Un grognement rauque et bestial attira alors son attention. Surpris, et reconnaissant ce son entre mille, Clive reposa son verre de jus d'orange et posa son regard doré sur Elijah.
L'Aligatueur grognait de façon menaçante , penché au dessus de son œuf comme pour le protéger, l’œil torve, sa gueule monstrueuse révélant ses nombreuses et longues dents acérées. Ses yeux jaunes étaient fixés sur un soldat qui était au sol, et qui tremblait de peur devant cette bête qui aurait pu le déchirer et l'avaler tout cru en seulement quelques morsures à peine. Vu les mouvements de pieds de ladite bête, par ailleurs, ça ne présageait rien de bon...

« Elijah ! »

Le rappel à l'ordre ferme et teinté d'agacement de son dresseur, bien qu'il ne faisait que monter légèrement le ton, capta son attention, même si il montrait encore les dents. Dans un signe clair, il passa un bras sur l’œuf avant de grogner en direction du soldat tombé qui avait l'air tout prêt de se faire dessus. Remarquant le regard de son supérieur sur eux, le soldat vit le besoin de s'expliquer.

« Je... J-je voulais juste voir ce qu'il gardait ! Ma sœur tient un élevage, alors du coup j'ai cru reconnaître un...
- Ne pas s'approcher d'un pokémon protégeant son œuf tient pourtant de la logique ! Même les enfants le savent, bon sang ! Elijah, recule, s'il-te-plaît. Personne ne va lui faire de mal, promis. »

L'Aligatueur hésita, mais finit par obéir. Toutefois, il grogna une dernière fois assez fortement en guise de rappel en direction de celui qui l'avait importuné. Étonnamment, son cri mourut dans un geignement, voir presque un couinement aigu qui n'était visiblement pas de lui, en fait. Tous les regards se posèrent sur la source du bruit. Elijah lui-même ne comprit pas, mais deux secondes après, il geignit de douleur en sursautant brusquement. La mâchoire qui s'était attaquée à sa queue le libéré alors, et Clive entrevit un corps bleuté ainsi que les restes de l’œuf cassé avant de comprendre. Il ne pu alors s'empêcher de glousser, surprenant les soldats qui n'étaient pas habitués à entendre ça venant de lui.

L'Aligatueur, quant à lui, était occupé à découvrir la petite chose qui venait de tester ses toutes nouvelles dents sur lui. La Griknot qui l'observait dorénavant avec de grands yeux surpris était sa fille. La nouvelle avait encore du mal à être comprise par son cerveau, mais elle l'émerveillait déjà et le rendait ivre de bonheur. Fou de joie, il attrapa la petite dans ses mains en poussant de grands grognements d'allégresse, un sourire immense dessiné sur sa gueule monstrueuse. Clive sourit légèrement, attendri.
Toutefois, quant la Griknot mordit une nouvelle fois son père afin de jouer et que l'Aligatueur geignit de nouveau, le hérisson grimaça. Elle avait l'air d'avoir hérité de ses parents des dents tout aussi tranchantes que les leurs et un caractère de cochon assez prononcé, et il ne savait pas si c'était mauvais signe pour eux ou pour lui. Arceus, il pouvait déjà prévoir de devoir acheter des gants en cuir pour s'en occuper. Mais en attendant...

« Mais qu'est-ce que vous attendez ! La pause est finie depuis cinq minutes ! Dépêchez-vous ou je vous garderai pour dix minutes supplémentaires ! »

Et avec des soupirs exaspérés, les soldats retournèrent à leur besogne, tout comme Clive, qui, entre deux combats, ne pu s'empêcher de jeter des regards au père et sa fille qui se découvraient petit à petit, se disant que malgré sa maladresse occasionnelle, Elijah se débrouillerait bien.