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 Dernière danse [PV Kenzie]

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Aloïs F. Legrand
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MessageSujet: Dernière danse [PV Kenzie]   Dernière danse [PV Kenzie] EmptyVen 4 Nov 2016 - 21:20



Dernière danse

ft tu devineras jamais

Aloïs F. Legrand



« Comment on fait, déjà, Brôme, pour tomber amoureux ? J'ai l'impression... d'avoir oublié. »

Aucune réponse. Je n'en attendais pas, de toute manière. Mes yeux continuent de fixer l'autoroute nocturne qui défile sous les roues de ma voiture, tandis que le ronronnement du véhicule berce ma Nymphali qui a fini par se coucher sur le siège vide à côté de moi. Elle est l'un des éléments qui me permet de ne pas divaguer de ma destination. Prendre un autre chemin pour faire mine de me perdre au dernier moment devient de plus en plus horriblement tentant à chaque fois que je dois de nouveau me rendre en direction d'Anula, et cette perspective m'agace autant qu'elle me fait soupirer. Essayerais-je de prendre la fuite ? Je suis un lâche, c'est connu. Je sais aussi pourtant que mon hôtesse ne mérite pas ça. Peu importe ce qui se passera ce soir, je suis prêt à m'améliorer, et à redonner un sens à tout ça, si tant est qu'il reste encore un espoir. Un espoir que j'ai effectivement pu passer un cap auprès de Makenzie. Un espoir que mon cœur a pu tourner la page, lui aussi, et faire fi des événements qui se sont passés autrefois. Huit ans depuis ma première et dernière rupture, maintenant, mais cette comédie aurait dû cesser bien avant. Je devrais être capable de commencer autre chose. Ai-je au moins seulement été amoureux, depuis que je suis ici ? Je me mets à douter. Et c'est pas bon. Pas bon du tout. J'ai cru, pendant quelques mois, apercevoir une flamme naître, et grandir, mais elle meurt un peu plus dès lors que j'y pense. J'ai peur qu'elle s'éteigne définitivement. Je suis néanmoins encore plus terrorisé par la raison de cette peur. La naissance de nos enfants était peut-être un argument trop plaisant pour me rassurer, et me dire que ça pourrait marcher. Me dire que je pourrai trouver un bonheur similaire à celui que j'ai connu il y a longtemps.

Mais plus j'avance, plus mon anxiété grandit. Ce dîner à la Pension d'Anula était une idée de Kenzie, et je l'ai acquiescé, croyant que mes problèmes seraient résolus et que la vie serait plus simple après. Mais ma vie a toujours été compliquée. De rares moments de paix où je pouvais m'imaginer que tout irait bien, jusqu'à ce qu'un nouvel élément perturbateur apparaisse. Je ne veux pas croire que se demander simplement si on aime est déjà la preuve qu'on a cessé d'aimer, même si... Eh bien disons que de toute façon, je me laisse le bénéfice du doute. Je n'ai jamais été sûr de moi, et je n'ai jamais dit non plus que j'étais logique. J'imagine que cela aura au moins le mérite de me rendre moins confus dès demain. J'ai l'impression que ça fait également un moment que je n'ai pas eu le plaisir de dîner en tête-à-tête avec elle. Enfin tête-à-tête... Tout est relatif, puisque c'est la King qui garde les enfants chez elle et qu'ils seront donc présents. C'est ma famille, maintenant. J'ai encore parfois du mal à y croire alors que ça va faire presque deux ans. Plus de parents, de sœur, même pas d'oncles, de tantes ou de cousins. À l'évidence, même si j'en avais, ils seraient sûrement restés en France, à l'heure qu'il est. Et je ne retournerai pas dans mon pays natal ; ou du moins, pas tout de suite, et pas sans les enfants. Si je n'y ai pas vécu que de bons souvenirs, ça reste l'endroit où j'ai passé toute mon adolescence. L'endroit où j'ai approfondi mes connaissances en cuisine, et découvert la coordination, avant d'y prendre goût. Avant la naissance des jumeaux, il m'est arrivé à de nombreuses reprises d'y retourner pour y revoir mon mentor, et bien sûr continuer à prendre des leçons avec lui, même si je ne deviendrai chef que dans plusieurs années, et qu'il faudrait pour cela abandonner mon poste à Baguin, ce que je ne désire pas pour tout de suite.

Pas d'embouteillage pour le moment. Je ne sais plus, à force, si ça me rassure un peu, ou me stresse davantage. Bientôt, la patte d'Ange vient se poser sur mon bras. Ma plus vieille amie se trouve inquiète de ma nervosité. Même quand j'essaye de faire en sorte que tout va bien, je sais que je ne peux la tromper. Je tente quand même un sourire et décroche une de mes mains du volant pour la caresser affectueusement entre ses longues oreilles. Nous arrivons dans peu de temps, et elle le sait. La route a été longue, mais la soirée n'a même pas encore commencé. Je me revois, il y a trois ans, emprunter le même trajet pour la même destination, mais avec un objectif différent. J'allais chez une belle jeune femme anglaise pour y passer un repas de Noël que nous allions cuisiner ensemble, ravi, à ce moment-là, de ne pas devoir traverser cette période hivernale seul, plongé dans mes souvenirs et ma nostalgie. Peut-être étais-je trop heureux pour ne pas me rendre compte de mon comportement, de mes gestes, et de l'effet que Makenzie avait sur moi. C'était ma première nuit avec quelqu'un qui ne me fuyait pas le lendemain. Trop facilement manipulable et souvent fragile d'esprit quand mon état me rendait ainsi, il m'est arrivé à certaines reprises de devoir me laisser tomber dans des bras d'inconnus, homme ou femme, peu importe, pour oublier temporairement la réalité et échapper d'une manière ou d'une autre à la pression que j'arrivais à me mettre moi-même. Mais j'étais, étrangement, toujours celui qui restait au matin pour aller faire un petit déjeuner à celui ou celle qui m'avait permis de ne plus penser à rien. Peut-être s'agissait-il d'un remerciement, je ne sais pas. Si je répétais le même théâtre à chaque fois, je savais néanmoins que mon partenaire d'un soir serait le premier à partir, et je finissais quand même seul. Pour leur faciliter la tâche, il est arrivé que je fasse semblant de dormir, aussi. Certaines matinées, je souhaitais presque de ne plus me réveiller.
Je ne sais pas à quoi je m'attendais avec Makenzie. Je la trouvais belle, mais surtout douce et généreuse. Le problème, c'était moi. Ça l'a toujours été. Je ne sais pas ce qu'elle m'a trouvé, cette fois-là. Je n'ai jamais su. Il se peut qu'elle-même l'ignore. Après tout, le cœur est capricieux. Sans doute voulais-je aller plus loin avec elle, mais ça a fini par se retourner contre moi, en fin de compte. Nous aurions dû aller plus lentement... Non. Nous n'aurions peut-être même pas dû nous rencontrer. Elle a toujours mérité mieux que moi.

C'est pour cette raison que je ne veux pas lui faire de mal. Que je veux quand même me dire qu'il y a quelque chose à sauver, même si c'est un mensonge. Même si je risque de me tromper, encore une fois. Même si je viens seulement de me rendre compte que nous sommes bientôt arriver, et que j'aperçois les lumières de chez elle. Après des heures de conduite, je devrais être satisfait de pouvoir me reposer un peu. Le cœur manque toutefois d'y être, à mon grand dam. Une part de moi veut garder espoir pour cette soirée. Elle ne peut pas être mauvaise, du moins d'un point de vue extérieur. Néanmoins mes pensées se bousculent, et je prie seulement qu'elles ne gâchent pas ce dîner. J'ai quelque chose à raviver. Mais ça doit se faire maintenant, ou jamais. Je ne peux plus continuer à vivre dans un doute qui ne nous fera que plus mal à la fin si je ne règle pas ça directement. Je ne peux pas non plus la faire attendre, après tout.
Je gare ma voiture là où j'ai pris l'habitude de le faire depuis que j'ai commencé ces allers-retours entre Anula et Baguin. Prendre un abonnement pour le train aurait sans doute été plus judicieux, mais ce n'est pas comme si je n'avais pas d'argent à dépasser, et puis l'autoroute, surtout le soir, a le don de me calmer. Regarder droit devant moi me permettait de penser à autre chose. Désormais, alors que je sors de ma voiture en prenant ma Nymphali contre moi, je ne peux plus reculer. Je n'en ai pas l'envie, de toute façon. Il est déjà trop tard dès le moment où je sonne à la porte de sa Pension. Enfin, elle m'ouvre, comme cette soirée de Noël qui me semble si lointaine à présent. Il m'est déjà arrivé de faire face à son assistant plutôt à l'hôtesse elle-même. Ange saute de mes bras pour se poser à terre et saluer la jeune femme.

« Bonsoir, Kenzie. »

J'esquisse un sourire qui se veut doux et rassurant. J'ignore pourtant si j'arrive bel et bien à me montrer tel quel à ses yeux. Je ne possède plus d'assurance une fois que je suis face à son regard gris perle, magnifique, comme toujours, et dont Noah a hérité la couleur. La brune est resplendissante. Elle l'est depuis toujours; même le jour de son accouchement, j'arrivais à la trouver aussi ravissante qu'au premier jour. Pas mal habillé, j'arrive quant à moi tout penaud intérieurement, en attendant qu'elle m'invite à entrer. Pour la première fois depuis longtemps, je me mets à l'admirer de nouveau. Je suis peut-être anxieux, mais ce qui n'a pas changé, c'est que je suis toujours aussi heureux de la revoir.

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Dernière édition par Aloïs F. Legrand le Mer 30 Nov 2016 - 22:17, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Dernière danse [PV Kenzie]   Dernière danse [PV Kenzie] EmptyDim 6 Nov 2016 - 19:51


♣DERNIÈRE DANSE♣

Depuis le début de la journée, Makenzie courait partout. Elle nettoyait de fond en comble la maison. Il y avait bien longtemps qu’elle n’avait pas mis autant d’énergie à tout bien nettoyer. Elle avait été tellement occupée par la pension et ses enfants qu’elle avait négligé sa maison. Et deux petits monstres de deux ans font énormément de dégâts. Avant d’avoir des enfants, Makenzie avait toujours été une personne très organisée. Tout était toujours fait à la perfection. Mais sa nouvelle vie de maman ne lui permettait plus. Elle avait passé les deux dernières années en ayant presque constamment au moins un bébé dans ses bras. Elle adorait son fils et sa fille, mais parfois elle se sentait fatiguée. Elle détestait cet arrangement qu’elle avait avec Aloïs de vivre à deux endroits différents. En même temps, il n’y avait pas vraiment d’autres solutions. Makenzie avait ses responsabilités en tant qu’hôtesse de pension et Aloïs avait les siennes en tant que champion coordinateur. Son travail avait été toute sa vie. Maintenant son travail partageait son importance avec les jumeaux. Mais quelle énergie lui restait-il ensuite pour Aloïs ? Lorsqu’ils se voyaient, leur attention respective était toujours portée vers leurs enfants. Makenzie savait très bien qu’elle n’ait pas été la meilleure amoureuse qu’elle aurait pu. Parfois, Kenzie se disait qu’ils étaient devenus des partenaires en affaire pour l’élevage d’enfants…

C’est donc pour essayer de ramener un peu cette flamme que Makenzie avait organiser ce souper de famille. Bien sûr, les jumeaux seraient là aussi, mais la jeune mère voulait se prouver que malgré les enfants ils pouvaient encore se voir. Elle avait tout prévu. Ils feraient manger les enfants en premier, puis ils iraient les mettre au lit. Ensuite, ils mangeraient en tête à tête avec une bonne bouteille de vin. Enfin, si tout se passait comme prévu, la soirée se finirait dans la chambre à coucher. Ils avaient tous deux besoins de se retrouver. Kenzie sentait depuis un moment qu’Aloïs n’était pas à son meilleur. Elle s’inquiétait beaucoup pour lui. Elle voulait tellement l’aider, mais elle était impuissante. Elle prépara sa fameuse tarte aux pommes. C’était un plat qui ramenait le sourire. Peut-être que ça pourrait marcher avec Alo. Sinon, elle avait une autre idée. Toutefois, elle n’était pas certaine de la tournure que prendrait cette soirée. Elle avait acheté des sous-vêtements spécialement pour cette occasion. Si ça se rendait jusque-là, elle voulait être certaine que tout serait parfait.

Une fois le nettoyage terminé, elle s’attaqua aux quelques tâches administratives de la pension qu’il lui restait à faire. Elle avait eu trois éclosions ce matin-là, elle devait donc faire leur certificat de naissance. C’était une tâche qu’elle adorait faire. Elle arrivait ainsi à vraiment personnaliser son service. Elle essayait d’y mettre les informations les plus précises possible : parents, type, espèce, moments de la naissance, etc. Elle mettait aussi une photo de l’œuf et une photo du nouveau-né avec une emprunte de patte. Cette attention était toujours appréciée par ses clients. Maëlle et Noa étaient en train de jouer dans un coin de la pièce. Ils étaient étrangement calmes. Comme s’ils sentaient que cette soirée était importante. Ils laissaient donc Makenzie faire ses choses sans se chamailler. Les jumeaux s’aimaient beaucoup, mais comme tout frère et sœur, ils étaient souvent en conflit. Makenzie devait souvent les séparer. Ce jour-là ils partageaient leurs jouets sans problèmes. Peut-être que ses leçons sur le partage avaient porter ses fruits. Peu importe la raison, Kenzie était heureuse d’avoir cette période de calme pour pouvoir travailler efficacement. Une fois le tout terminée, elle alla se changer. Elle se coiffa et se maquilla, une chose qu’elle avait rarement le temps de faire. Elle alla préparer la nourriture pour les petits, tout en prenant de l’avance pour son repas avec Aloïs en préparant la salade. Elle plaça une belle table avec des bougies pour mettre un peu d’ambiance. Bien sûre, elle allait attendre que les enfants soient couchés avant de les allumer, car ces petits monstres avaient tendance à causer des accidents.

Plus l’heure avançait, plus elle se sentait anxieuse. Pour se distraire et éviter de regarder les minutes passer sur l’horloge, elle décida de jouer avec les petits. Elle avait pleinement réussi à décrocher lorsqu’on sonna à la porte. Elle ne comprenait pas comment, il pouvait encore sonner chez elle alors qu’ils étaient ensemble depuis bientôt trois ans. Bien que la maison soit celle de Makenzie, il était toujours le bienvenu. Elle trouvait difficile qu’ils n’aient pas de maison commune. Un seul toit pour tous les accueillir. Elle se leva et alla ouvrir. Plus elle s’approchait de la porte, plus elle était nerveuse. La boule qu’elle avait réussie à refouler la dernière demi-heure revenait en force. Elle prit une grande inspiration et ouvrit. Il était toujours aussi beau. Il avait ses cheveux blonds bien placés, ses habits bien propres et stylé et ce sourire qui la faisait craquer à chaque fois. Ce fut plus fort qu’elle, elle déposa un baisé sur ses lèvres. Elle l’embrassa avec douceur, puis le prit par la main. Une fois le couple rentré dans la maison, les jumeaux coururent vers leur père. Ils étaient heureux de le voir. La famille était réunie. L’avenir était peut-être un peu incertain, mais Makenzie était sûre d’une chose, elle aimait les trois personnes qu’elle était en train d’enlacer.

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MessageSujet: Re: Dernière danse [PV Kenzie]   Dernière danse [PV Kenzie] EmptyMer 9 Nov 2016 - 19:21



Dernière danse

ft tu devineras jamais

Aloïs F. Legrand



C'est peut-être ça aussi le plus douloureux : la regarder s'embellir de jour en jour, mais paraître toujours aussi loin d'elle, et je ne parle même pas ici de distance physique. Les relations dites 'à distance' n'ont jamais été un problème pour ceux qui s'aiment vraiment. Et encore, il y a de plus longs intervalles qu'un simple aller de Baguin jusqu'à Anula. Au pire, comme je le disais, je pourrais tout aussi bien prendre le train. Mais une part de moi ne supporte plus cette sensation étrange qui m'étreint à chaque fois que je me rends à la Pension, en me demandant de plus en plus comment je dois me comporter. En père, c'est certain. En petit ami, il ne devrait y avoir aucun doute là-dessus non plus. Pourtant, je n'ai pas l'impression que ça soit notre manque d'affection qui provoque ce creux dans ma poitrine. Il vient d'un problème plus grand, et je crois savoir l'origine, ce qui est loin de faire diminuer cette frustration qui s'est accumulé en moi ces derniers temps. Je n'ai pas à me plaindre. Je suis entouré, étrangement, de gens qui veillent sur moi, chacun à leur façon. Mais il était déjà devenu difficile pour moi de penser que je pourrais toujours demeurer auprès de Makenzie après ce qui s'est passé en prison, et les jours qui ont suivis. Même après ce qui s'est passé il y a huit ans, remarque. Certaines douleurs ne s'en vont-elles jamais ? Ou est-ce un signe du destin pour me dire que Makenzie a elle-même assez souffert pour ne pas avoir à supporter un boulet comme moi ? Elle, qui soutient avec ferveur la Résistance, ignore d'où viennent mes fréquentations, et je ne lui ai pas révélé bien évidemment les parts plus sombres de mon histoire. Le Régime qu'elle déteste tant, j'en ai fait partie, malgré moi. Une décision qui ne me faisait ni chaud ni froid à l'époque car je ne voyais en eux que mes propres intérêts, me fichant à ce moment-là et encore aujourd'hui du conflit qui règne sur l'île. Enfin... Bien sûr, je ne peux m'empêcher de m'inquiéter pour mes proches qui sont impliqués, mais c'est autre chose. Je me fais du soucis pour la King aussi, là n'est pas la question. Je crois savoir néanmoins que, ne prenant pas part au combat et restant majoritairement dans sa Pension, elle n'a que peu à craindre de cette lutte.

Mais pourquoi craindre ces querelles stupides, alors qu'elle a assez de courage pour m'aimer ? Serait-elle à ce point téméraire ou naïve pour penser que je pourrais encore la rendre heureuse après tout ce que j'ai fait ? Elle semble vouloir continuer à croire à notre histoire. J'aimerais avoir son optimisme, mais il est dur, très dur, de se dire qu'un ange pareil puisse éprouver encore quelque chose à mon égard. Dans mon miroir, sous les dix couches de fausse prétention, que vois-je, exactement ? J'ai toujours plus ou moins réussi ce que j'entreprenais avec mon art, cuisine ou coordination, mais j'empeste la poisse et l'amertume du plus noir des cafés. Je ne vaux en vérité pas mieux que les soldats du Régime, même si je n'ai jamais voulu tuer qui que ce soit. Mes mains sont-elles blanches et propres pour autant ? Je ne pense pas ; Arceus sait comment je suis soigné. Une vraie diva, parfois, c'en est ridicule.
Alors cela va de soit, je ne refuserais jamais un acte de tendresse de la part de ceux qui me veulent du bien. Et j'imagine qu'il est normal après tout que Makenzie m'accueille en m'embrassant. Ses lèvres sont toujours aussi douces, mais les miennes, si elles tentent de rendre au mieux son baiser, manquent de passion et de chaleur. Une constatation qui tend à me refroidir et à me crisper légèrement, n'améliorant pas ma nervosité de tout à l'heure. Pour la jeune femme, j'en suis à présent certain : elle est toujours aussi amoureuse de moi. Un véritable miracle... Mais comment fait-elle ? Ne trouve-t-elle pas que je l'ai délaissée ? N'a-t-elle pas peur que j'ai été voir ailleurs ? Ou alors sait-elle déjà que je ne me le serais jamais permis ? Nous avons visiblement des visions assez différentes, mais tous deux n'ignorons pas que nous avons manqué de temps à passé ensemble. Je pensais que les enfants et leur garde alternée allaient nous rapprocher. Que nous serions amenés à nous voir davantage. Je crois toutefois avoir connu la brune trop tôt. Je ne regretterai jamais de l'avoir rencontré, mais si j'avais su à quel point j'allai tomber bas dans l'avenir... J'aurais peut-être changer de trottoir ce jour-là, et oublié de remarquer le magnifique tableau qu'elle m'a offert pour notre premier noël ensemble. Ne serait-ce que pour la préserver d'un choix dont elle se mordrait les doigts plus tard. Car soyons sérieux, si cette pensée est purement égoïste, personne ne me fera croire qu'elle pourrait être heureuse à mes côtés, ou même que je mérite une compagne aussi élégante. Je plaçais peut-être un peu trop d'espoir dans cette relation. Elle n'a peut-être pas suffit, semblerait-il, à réparer le cœur en morceaux avec lequel je suis arrivé sur Enola.
Ange ne se fait pas prier pour entrer et débarque la première sur les lieux, beaucoup plus à l'aise que moi. Par des rugissements, elle signale sa présence pour voir si son amie Mira est dans les parages. Quand vient mon tour d'entrer dans le salon, je suis reçu par des appels qui ont le don de me faire fondre instantanément. Des 'papas' venant de mes deux adorables jumeaux qui accourent dans ma direction dès qu'ils m'aperçoivent. En souriant, je m'accroupis pour me placer à leur niveau et les embrasser tous deux en les enlaçant, heureux de les retrouver. Maëlle réclamant que je la prenne dans mes bras, je m'exécute, ne résistant pas à ma petite princesse, et la laisse se caler contre moi, en tenant toujours fermement le doudou qu'elle garde depuis sa naissance.

« Et dire qu'ils vont faire leurs premiers pas à l'école l'an prochain, tous les deux. Ça passe un peu trop vite pour moi, tout ça. »

Je me suis tourné vers Makenzie un riant doucement. Je suis à la fois excité et un peu anxieux de les laisser à la maternelle, même si je sais qu'ils seront entre de bonnes mains. Les conflits ne vont pas encore jusqu'à frapper dans les écoles, fort heureusement. Mais faut dire que tout ce qui concerne éducation nationale, je suis un peu perdu. Judith et moi, nous n'y sommes jamais allés. C'est nos parents qui s'occupaient de nous instruire. Constamment en voyage, il était en effet difficile de nous laisser pendant une année complète dans un établissement, et changer à chaque destination aurait été la galère. Mais il y avait beaucoup de livres, sur le Campania, le bateau où j'ai grandi ; et je me plaisais à les lire le soir avant de me coucher, après mes corvées de nettoyage.
Je repose lentement la petite au sol, mais cette dernière se colle presque à ma jambe, réclamant mon attention. Son frère, quant à lui, se rapproche de sa mère. Leurs regards sont vraiment identiques, c'est presque troublant. En parlant de la jeune maman, c'est à elle que je m'adresse maintenant, l'air serein. Pour le moment, j'arrive à calmer mon agitation. La présence des jumeaux et leurs adorables bouilles m'aident temporairement à me détendre. Mais en temps normal, je devrais déjà être détendu. Le charme de Kenzie suffit d'ordinaire à me transformer en chiffe molle. Enfin, 'suffisait', du moins. J'ignore ce qui m'a rendu plus rigide. Sans doute à cause de ma déprime, qui sait. J'ai besoin de moments de paix comme ceux-là, mais puisque mon cœur balance encore, est-ce vraiment la solution ?

« Je suis content de te voir. Ce dîner était une bonne idée. »

Je ne mens pas, en disant cela. Je ne compte pas lui mentir, de toute façon. Je ne l'ai pas fait une seule fois. Du moins, pour le moment. Mais il y a pourtant une phrase que je redouterais presque de dire aujourd'hui. Je suis vraiment pathétique de m'effrayer pour si peu, mais même avec toute ma fébrilité, je sais l'Anglaise trop attrayante pour ne pas que cette soirée se passe dans le calme. Nos liens pourraient être renoués, de plus. Ou du moins, cela pourrait probablement y contribuer. Ce dont nous avons besoin, c'est surtout de temps. C'est à la fois ce qui nous manque avec notre travail respectif, mais si gérer la Pension prend tout son planning à l'hôtesse, je sais pouvoir me libérer en comptant sur Lola, ma jeune remplaçante. Si certains de mes fans réclament ma présence, je peux bien les faire attendre un peu pendant que je suis avec ma famille, non ? Ils peuvent aisément comprendre, je leur fais confiance.

« Alors, à part une ravissante hôtesse, qu'avons-nous au menu de ce soir ? »

Taquin, j'essaye de jouer sur l'humour pour me sauver la face. Pas que la situation soit alarmante pour le moment, mais je veux faire en sorte d'avoir l'air le plus naturel possible, afin que nous profitions de cette soirée dignement, et sans prise de tête.

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