Divided we fall

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« Tu voudrais pas qu'on aille marcher un peu ? »

De toutes les manières dont il avait pu imaginer que se dérouleraient ces retrouvailles, le voir débarquer à l'auberge et poser cette question ne faisait pas vraiment partie de la liste. Eliott, qui servait à ce moment une table, s'était immobilisé, son regard fixé sur leur frère qui, l'air gêné et mal à l'aise, n'osait pas franchir la porte et s'avancer davantage. Un regard hésitant échangé avec son cadet et Clive finit par hocher de la tête, et après avoir rassemblé quelques unes de ses affaires, en plus d'appeler Ezekiel pour que le Démolosse quitte l'arrière du comptoir et ne finisse par le rejoindre, il était sorti.

« Donc, euh, tu veux aller quelque part ou... ? »

Hochement négatif de la tête en réponse. Ils marchèrent pendant quelques longues minutes, à faire des commentaires inutiles et plus ou moins sans intérêt sur la température, la quantité de personnes dans les rues, le fait qu'il y avait plus ou moins de monde au bar ces temps-ci, et deux trois petites anecdotes et blagues qui ne les firent rire que vaguement. Clive aurait cru qu'ils auraient eu une conversation sérieuse et importante, qu'ils auraient enfin discuté de tout ce qu'ils laissaient en plan et ignoraient, mais non, voilà qu'ils se retrouvaient comme des enfants après une bêtise, à se demander comment faire pour arranger la situation sans l'empirer par des propos mal placés.
Maladroitement, Faust caressa la tête d'Ezekiel qui se laissa faire d'un air méfiant, pas franchement content de voir le jumeau de son dresseur se montrer affectueux envers lui, mais vu que Clive n'aurait jamais supporté qu'il se montre agressif envers lui, il se tut, se disant que c'était pour le mieux. Mais toutefois, au bout de quelques secondes, il secoua la tête pour chasser l'insolente main.

« Toujours aussi amical, hein, Zeke ? »

Il ne reçut qu'un grognement agacé en réponse, et le conseiller rit un peu jaune, vaguement gêné. Clive ne pipa pas un mot et finit par soupirer devant le malaise évident qui alourdissait tant l'ambiance que cela en devenait insupportable. Ils ne pouvaient pas continuer comme ça ; il fallait bien qu'ils parlent de l'éléphant dans la pièce, aussi.

« Tu voulais me parler ? »

Silence. Oh, la joie et la bonne ambiance...

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Tout cela aurait dû être plus simple, vraiment. Il n'aurait pas dû avoir à user de tous ces stratagèmes pour avoir ne serait-ce qu'un gramme de conversation avec lui, et sûrement n'en avait-il pas eu totalement besoin. Mais voilà à quelles extrémités il avait dû en arriver : faire la compétition d'Enola, remporter les cinq badges d'arène pour finalement arriver devant Méphisto. Et tout ça pour quoi, au final ? Un symbole gagné de la pire des façons : par un abandon. Faust aurait pu gagner, tout comme lui. Mais non, il avait fallu que ce triple abruti ne choisisse de lui laisser 'gracieusement' gagner ce match qui laissait derrière lui un amer goût d'échec à peine dissimulé. Il n'avait même pas réussi la simple tâche de lui remettre la lettre de leur père adressé à son nom : tu parles d'une réussite ! Ce symbole, il n'y a plus touché depuis. Il est resté dans ses affaires, avec les autres badges, mais rien que l'apercevoir agaçait profondément le jeune homme aux cheveux noirs. Se rappeler de ces presque deux ans foutus en l'air l'exaspérait au plus haut point, et si voir Faust aujourd'hui lui faisait relativiser en se disant qu'au moins il était venu, il n'arrivait pas à se retirer de sa tête que rien n'était allé dans le sens qu'il désirait. De toute façon, rares étaient les fois où c'était le cas. Il n'avait pas demandé à perdre son père et devoir se mettre à travailler pour ceux qui l'avaient tué pour la bête et simple raison qu'il y avait besoin de nourriture à mettre sur la table. Facile pour Faust de le juger : aurait-il supporter d'avoir à dire à Eliott et Felix qu'ils ne pourraient jamais faire d'études ? Qu'ils auraient faim et froid ? Sûrement auraient-ils accepté, ces deux-là, mais Clive n'aurait jamais pu se regarder dans un miroir ; alors quand on lui avait offert de rentrer dans l'armée, il n'avait presque pas hésité. C'était pour lui le choix qui s'imposait.

Mais voilà, il n'allait pas traîner autour du pot pendant cinquante ans, vu à quel point voir son frère aujourd'hui mettait ses nerfs à vif. Clive n'avait pas envie de se mettre en colère : ç'aurait été injuste autant envers le conseiller qu'envers lui-même. Mais même avec toute la bonne volonté du monde, il ne pouvait pas dire qu'il était satisfait de la tournure des évênements. Tout le contraire, même.
L'état des choses au Régime n'aidait pas non plus. Depuis ce qui était arrivé en juillet lors de la manifestation pacifique qui avait viré au drame, la tension avait augmenté au travail, et ne parlons même pas de ses crises de colère qui, en plus de ne pas être passées inaperçues, lui avaient valu un savon. Pas de blâme toutefois : vu qu'il avait prétendu agir dans l'intérêt absolu de l'organisation, il avait pu garder la face et faire disparaître la majorité des soupçons nés à son égard. Mais autant dire qu'il ne pouvait trouver de repos nulle part. Sauf peut-être en se défoulant bêtement dans le combat ; de ça, il n'en était pas privé, laissant même à certains de ses subordonnés la joie de savoir pourquoi il avait son poste.

« Je ne pouvais pas rester sans rien faire, de toute façon. Tu ne m'as pas trop laissé le choix, avec tes manigances.
- J'aurais aimé faire autrement, mais question choix, je n'étais pas mieux loti. »

Faust ne répondit pas. Face à sa remarque qui impliquait clairement un reproche, Clive ne s'était pas gêné pour faire la même chose. Mais ils ne parviendraient à rien comme ça, ils le savaient. Ça n'était bon qu'à se décharger de la colère, rien de plus. Le plus âgé soupira lourdement.

« Tu voulais me voir, me voilà. Que veux-tu que je te dise de plus ? Que je m'excuse et que je te fasse des petits mots pour te dire à quel point je suis désolé que notre situation soit complètement merdique ? »

L'officier grimaça. Si leurs tons prenaient parfois en acidité, leurs voix ne grimpaient pas en volume, et si ceux qui passaient près d'eux les regardaient avec curiosité, ils n'attiraient pas tant que ça l'attention sur eux.

« Les excuses, ça ne sert plus trop à rien de toute façon. »

Il y avait un stade où ce n'était plus que la décoration, et ils l'avaient passé depuis un moment déjà.
Alors que Faust s'apprêtait à reprendre la poubelle, un gros bruit attira leur attention. Clive cligna des yeux en constatant que tout près d'eux, Ezekiel aboyait sur un Négapi à l'air pourtant amical.

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« Qu'est-ce qu'on fait alors ? On râle pendant une heure ou deux, on se casse et on recommence ? »

L'agacement de Faust transparaît de plus en plus. Honnêtement, Clive ne peut pas blâmer son jumeau pour cela : il est lui-même à court d'idée, et ce cercle vicieux lui sort tout autant par ls oreilles qu'à l'autre. Des années que cela dure et qu'ils persistent dans ces imbécillités sans fin jamais établie. Le conseiller, si il s'énerve, cache tout simplement le fait qu'il est perdu et mal à l'aise, déjà pas des masses heureux d'être ici aujourd'hui, puisqu'il aurait sûrement préféré éviter encore un tout petit le souci. Et même si Clive ne regrette pas tant, ou du moins pas totalement, il n'arrive pas à lui en vouloir ou à être énervé de la fatigue, des sarcasmes et de la lassitude de son frère.
Les grondements d'Ezekiel arrivent à leurs oreilles et l'officier hausse les sourcils, surpris de voir le Démolosse se mettre à grogner aussi vivement sur un Négapi monté sur une poubelle pour éviter le chien agressif. Faust leva les yeux au ciel.

« Je constate qu'il est toujours aussi adorable...
- Tu peux parler, hein. Dalhia n'a jamais été un concentré d'innocence et de douceur non plus.
- Tu dis ça seulement parce qu'elle t'a mordu le cul une fois quand-
- Oh la ferme ! »

Faust ricana un peu mesquinement, amusé de la teinte empourpré des joues de l'autre hérisson. Vrai que maintenant qu'il s'en rappelait, ce souvenir était tout particulièrement humiliant pour Clive ; après être sorti de la douche, le brun avait eu le malheur de ramasser une des affaires de la chienne alors que celle-ci était encore très, très possessive des ses affaires et un peu trop agressive. L'officier finit par soupirer en voyant Ezekiel continuer de grogner aussi fréquemment.

« Zeke ! »

Le Démolossse s'arrête immédiatement, l'air pas très enchanté de devoir obéir, mais il ne protesta pas non plus, comprenant que vu son état moral, Clive ne serait sûrement pas très patient si il décidait de le tester aujourd'hui.

« Laisse-le. »

En disant cela, il s'approcha du Négapi, avant de tendre une main hésitante vers le pokémon électrique pour que celui-ci comprenne qu'il ne lui voulait absolument aucun mal. Faust soupira.

« Vraiment ? Tu m'ignores maintenant ? »

Pour le bien de mes tympans, oui.

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Oui, ignorer Faust était diablement satisfaisant. Non pas que ce n'était d'ailleurs pas un de ses sports préférés lorsqu'il était jeune, puisque le laisser beugler, s’époumoner et s'agiter dans tous les sens afin d'attirer son attention l'amusait grandement. Les choses n'avaient pas changé avec le temps : même maintenant, il avait l'air d'un enfant frustré et jaloux en voyant que l'attention du brun avait été davantage captée par ce Négapi que par lui. Futile et puérile, lui, mais il était vexé, et serrait les dents en grommelant dans sa barbe inexistante. Mais rien à y faire : Clive était plus occupé à caresser la tête du pokémon électrique, l'air tranquille, un peu attendri même, si on l'observait quelques secondes pour remarquer que tout son langage corporel indiquait qu'il était entièrement détendu. Ezekiel ne grommelait plus, et d'ailleurs le conseiller se demandait pourquoi diable ce cabot de malheur s'était mis à râler, mais il supposait qu'il ne fallait pas vraiment chercher, vu le mauvais caractère légendaire du Démolosse, qui rivalisait même avec celui de Dalhia sur de nombreux points. Et puis cela lui permettait de mettre les choses au point dans sa tête, avant de repartir sur le sujet.

Le Négapi finit par se rapprocher, et après de multiples caresses, se laissa faire et monta sur l'épaule de l'officier, en tenant le sommet de sa tête pour rester accroché. Faust leva les yeux au ciel, maugréant toujours sa jalousie stupide, tandis que Clive laissait faire le nouveau venu qui n'avait visiblement pas envie de partir comme ça. Devant le regard un peu agacé de son frère, la version brune des deux eut un rictus amusé. Il ne fit rien remarquer, et ce ne fut que lorsqu'ils continuèrent à avancer, en remarquant au passage un autre Négapi qui les regardait d'un air curieux. Au bout de quelques secondes, entre deux caresses de Négapi, Clive soupira.

« Je sais pas ce qu'on doit faire, d'accord ? Je voulais qu'on en discute, justement, pour qu'on trouve un moyen d'arrêter tout ça. J'en ai marre de venir discuter et de tourner en rond.
- Parce que là, on va en ligne droite, c'est vrai, j'y aurais presque pas cru.
- Épargne-moi ton sarcasme.
- C'est la seule chose de drôle dans cette histoire, laisse-le vivre. »

Aussi agaçante qu'était cette remarque, elle était vraie, même si cela lui faisait mal à sa fierté que de l'avouer.

« Je sais pas, Clive. J'ai pas l'intention de lâcher ce en quoi je crois, et t'as pas non plus envie d'abandonner ce que t'as entrepris. On pourrait même se payer des séances chez un thérapeute pour trois ans que ça ne changerait rien. Pour que les choses s'améliorent, va falloir qu'un de nous change, c'est tout, c'est pas si compliqué. »

La voix de Faust était devenue plus agressive vers la fin, comme si il prononçait un reproche sans oser le faire au final. Le plus jeune en était bien conscient, mais il n'avait pas envie de le concéder, entêté à croire que ne rien changer à ce qu'ils faisaient pourrait améliorer les choses, qu'il suffirait d'un peu de diplomatie pour arranger toute la situation. Mais ce n'était pas le cas ; il voyait les choses de façon bien trop simpliste, et pas seulement pour ça, ce qui commençait seulement à se rappeler à lui, d'une façon plus ou moins brutale. Le savon qu'il avait reçu pour les événements de la place d'Amanil lui revint amèrement en mémoire en pensant cela.

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Plus les secondes passaient, et puis la situation devenait intensément frustrante. Il était sûr et certain que son jumeau n'était plus heureux que lui de la situation dans laquelle ils se trouvaient, mais il n'avait certainement pas l'air d'être en train d'essayer d'en mettre beaucoup de son côté. D'un côté, il était hypocrite de sa part de vouloir donner des leçons sur ce sujet, mais il ne pouvait pas s'empêcher d'être de mauvaise foi, étant donné qu'avec Faust, admettre ses fautes étaient toujours particulièrement compliqué. D'ordinaire, Clive est quelqu'un de très humble, c'est peut-être l'une de ses plus grandes qualités, et après tout on ne progresse pas dans l'armée avec un ego sur-développé, c'est clair et net. Les forces militaires n'ont que faire des « talents » d'un homme ; ce qui importe est son obéissance, son intégration de la hiérarchie et l'absence totale de rébellion. Toutefois, laisser quelqu'un d'autre avoir raison quand sa fierté est aussi impliquée est quelque chose qui reste assez hardu pour Clive, et son jumeau était ce cas très particulier qui faisait qu'il était absolument impossible pour lui d'être un tant soit peu raisonnable et bon joueur. Si il avait décidé que Faust avait tort, alors il avait tort, point ; il n'avait raison que lorsque tout pointait en cette direction, et encore, car le brun pouvait être doué pour se voiler la face quand il le désirait.

« Je suis désolé. Pour ce que j'ai dit à maman, ce jour-là. »

Le cadet des deux releva la tête, surpris, ses yeux maintenant posés sur le visage sérieux et fatigué de son frère, qui soupira lourdement, sûrement épuisé par tout cela. Surpris par ce qu'il venait d'entendre, il ne sut pas quoi répondre et resta bêtement silencieux, la bouche ouverte comme un poisson qu'on aurait sorti de l'eau, tandis que le conseiller continuait de s'exprimer, visiblement bien plus en contrôle de ses moyens que lui.

« Je le pense toujours, par contre. Je n'aurai pas dû dire ça, mais si tu crois que je vais bien sagement accepter tout...
- Oh ça crois-moi, on aura compris, que tu es le rebelle. C'est toujours plus simple de tout envoyer chier que d'assumer, après tout. »

Pendant un instant, Clive crut que Faust allait exploser. Alors même qu'il prononçait ces paroles, il était intimement persuadé, et peut-être l'espérait-il aussi, que ses mots allaient pousser l'aîné à bout et qu'il allait finir par laisser sa colère prendre le dessus, comme il l'avait fait tant de fois avant.

« C'est pas une putain d'histoire de méchant ou de gentil, de bon ou de mauvais comportement. C'est juste une foutue situation de merde. Mais ne va pas me parler de responsabilité, d'obligation ou de quoi que ce soit pour justifier vos actes. Assume, Clive, ou tu vaux pas moins que moi en tant que roi des lâches. »

L'accusation le surprend et le déconcerte. Il ne retrouve rien à dire alors que son jumeau le considère sévèrement et froidement, comme si, même ses mots étaient portés par son agacement, il n'accordait aucune importance au fait qu'il ait pu le blesser en disant cela. Et ce n'était pas le cas, car Clive le savait, même si Faust était un excellent acteur, presque prodigieux lorsqu'il s'agissait de cacher ce qu'il voulait, mais il faisait en tous cas de son mieux pour tenter de le faire croire. Le conseiller soupira de nouveau.

« Viens. On va boire un truc. »