Killing Joke
Évolution d'Asmodée, partie 1
Parfois c'est tellement putain de simple qu'il aimerait en rire.
C'est cette hypocrisie dans les mots, ces petites excuses toutes aussi pathétiques les unes que les autres, ces sourires qui n'ont rien de vrai, ces encouragements qui sonnent aussi creux que vides et ces espoirs qui n'ont jamais existé. Toutes ces foutues paroles qui n'ont de valeur que pour ceux qui y croient, naïfs qu'ils sont d'espérer quelque chose d'une espèce que Clive a lui-même rejeté depuis qu'il a compris qu'elle ne lui apporterait rien. Dont il s'est éloigné sans jamais ressentir le moindre regret, ni sans jamais comprendre ce que tout le monde avait à craindre dans la solitude. Enfant, il ne l'avait jamais vraiment été, Faust et Isaac ayant toujours été à ses côtés, et sa famille ne s'était jamais éloignée. Même lorsqu'il était devenu adolescent et qu'il passait le plus clair de son temps à vivre isolé, il n'en avait jamais saisi le concept même. Comment aurait-il pu, lui qui avait toujours vécu entouré par des gens qui l'aimaient et qui ne l'auraient jamais laisser tomber au fond du trou ? Lui qui entendait parler du malheur et du désespoir en croyant naïvement qu'il les connaissait, alors qu'il ne l'avait jamais même touché du doigt ? Comment aurait-il pu comprendre ce moment ou rien n'est là pour rattraper, ou personne n'attendra ou ne réagira, ou tout est perdu et où l'espoir n'a plus le goût que de foutaises ?
Il avait tenté de dire que face à certains cas extrêmes, il n'y avait pas que cette solution. Il avait longtemps tenté de résister. Retenir le pas, se donner des limites, s'arrêter lorsqu'il sentait qu'il mettait un pied de trop dans l'horreur, se débattre pour instaurer un minimum d'humanité, ou du moins le moins qu'il pouvait. Il avait continué, encore et encore, alors même que tous les cyniques le traitaient de naïf, qu'on le disait stupide de croire encore qu'il y avait quelque chose à tirer des autres, surtout à sa position. On le taxait d'hypocrite, mais peu importe. On pouvait bien tenter de lui imposer toutes les 'vérités' abjectes et nauséabondes, puant l'odeur des excuses pathétiques qu'elles étaient même en tentant de se dissimuler, qu'il continuait à combattre bec et ongles. Et tant pis si il se condamnait lui-même.
Mais maintenant, il ne pouvait que rire. Rire aussi fort qu'il le pouvait, devant les regards médusés des deux hommes qu'il a mis à terre, épaules déboîtées, probablement quelques côtés brisées, un os au moins par la force brute d'Abaddon. Il les observe, un rictus amusé et caustique sur ses lèvres ensanglantées par les coups qu'il a reçu en se battant, retenant tout juste l'envie d'éclater de rire une nouvelle fois, en dépit de leurs expressions de peur et de haine mélangées. Parce que la situation est tellement simple, tellement facile à comprendre et surtout, unique. Les pièces se mettent si simplement en place qu'il n'y a qu'une seule hypothèse, une seule solution qu'il ne comprend pas comment ayant pu échapper à sa vision. Mais si, en fait il sait très bien, et ça qui rend tout cela hilarant.
Ils sont piégés, maintenant. Retenus par la toile de Lilith qui les dévorerait bien si l'officier ne le lui interdisait pas formellement à chaque fois qu'il voyait la Migalos agiter ses mandibules. Elle en mourrait d'envie, et sûrement que voir l'état de son dresseur après avoir été attaqué ne l'aidait pas à se calmer ou à apaiser ses pulsions. Mais elle n'aurait pas osé désobéir. Pas en voyant l'état dans lequel il était, lui, avec cet éclat impitoyable dans ses yeux plus bleus que jamais, étant donné qu'ils n'étaient pas dissimulés par le doré de ses lentilles durant la nuit.
Il avait essayé. Encore et encore, on ne pourrait pas lui retirer ça, en dépit de tout ce qui s'était dit sur lui, de toutes les mauvaises langues qui l'insultaient dès qu'il avait le dos tourné, car trop pleutres pour oser lever le ton directement devant lui. Tout ses efforts avaient toujours convergé vers le fait d'être juste, de croire qu'il y avait peut-être possibilité, même au fond de l'enfer, de ne pas laisser l'ombre l'engloutir petit à petit. Que peut-être qu'un jour, il n'y aurait plus besoin de toutes ces horreurs. Et il avait espéré, espéré, espéré, espéré... Sans jamais y croire. Alors il avait gardé l'apparence. Tenter de se faire croire que ce n'était pas si facile que ça, qu'il n'y aurait au final pas qu'un seul choix qui s'imposerait à lui. Mais non.
« Si vous aviez fait ça durant mon service, j'aurais été clément. »Mais ce n'était pas le cas. Ils avaient attaqué en pleine nuit, dans sa chambre à l'auberge. Ils avaient pénétré dans le lieu dont il avait fait un refuge sûr pour les derniers êtres vivants qui lui permettaient de garder sa santé mentale intacte. Ils avaient prévu de faire un exemple. Et pas qu'un, en fait, de ce qu'il en voit dans les canons de leurs armes. Qu'ils connaissent cette identité ne signifie qu'une chose, et cette constatation, de par ce qu'elle implique comme réaction de sa part, le fait énormément rire.
« Asmodée. »La Griknot grogne doucereusement, un sourire mauvais étiré sur sa gueule monstrueuse. Ses pas sont lourds entre les deux corps des soldats baillonés et immobilisés qui se débattent autant qu'ils le peuvent, sans que cela ne serve à quoi que ce soit : la poigne de la Galeking, dénuée du moindre éclat d'innocence et de joie qui faisait pourtant sa spécificité d'ordinaire dans ses yeux, ne faiblit pas. Maintenant qu'elle était près de leur tête, son rictus satisfait ne voulait plus quitter son visage. Elle releva la tête pour croiser le regard de Clive et frissonna presque en voyant la lueur de haine qu'elle y trouva, généralement si rare pour lui. Les dents serrées, les jointures blanchies, il est déchaîné. Oh, qui était le petit naïf qui avait dit qu'il était le plus innocent et pur des deux ?
« Achève-les. »Un ricanement aigu lui répond. Alors que ses griffes s'allonge et effleure les cous ses futures victimes, le corps de la Griknot semble se distordre, prenant en longueur et en poids, formant une créature plus grande et menaçante. Un grondement sourd s'échappa de la gorge de la Carmarche, et sans plus attendre, elle plaqua les deux ailerons tranchants de ses bras au sol.
Le calme était revenu en une demie seconde à peine. Après le bruit nauséabond du découpage de la chair et des os, et celui du sang giclant contre la Carmache, il n'y eut plus que le silence. Asmodée eut la décence de ne plus être en train de sourire. Abaddon ferma les yeux et détourna la tête. Clive resta sans rien dire, silencieux, le regard vide et fatigué.
« Nettoyons. Le reste viendra plus tard. »Oui, car après tout, tout cela n'annonçait que trop de tâches par la suite. Il retira sans rien dire les armes, ferma sa porte à clé, et envoya Castiel chercher de quoi faire disparaître le plus rapidement possible les cadavres et les traces restées sur le sol de sa chambre. Il soupira en comprenant ce qui allait forcément suivre. Il y avait un loup dans la bergerie. Et il allait devoir le trouver avant d'être dévoré.
Mais c'est qu'il savait, c'était qu'il avait toujours été très, très bon chasseur.