Les hippies domineront le monde

Feat Adélia G. Turnac

Il ne sait pas vraiment si sa visite l'aidera sur le long terme. Très sincèrement, il n'est plus sûre de grand chose depuis quelques temps, ni même de choses dont il croyait pourtant être intimement persuadé. Tout est remis en question, constamment, sans pause, depuis le début de l'année. Il fait de son mieux pour le dissimuler, pour cacher la plus grande partie de son hésitation ou de ses craintes, mais elles ont tendance à filtrer de temps à autre comme ce fut le cas aujourd'hui. Il est pourtant devenu doué dans l'art de dissimuler ce qu'il pense et de jouer la comédie pour assurer que tout est parfaitement normal, mais parfois, ses défenses craquent. Face à Adélia, difficile pour lui d'être autant sur la défensive qu'il l'est avec les autres ou de répondre avec le même sarcasme venimeux qu'il emploie régulièrement. Sûrement était-ce pour cela qu'il s'était dirigé vers elle, en sachant intérieurement qu'elle était le choix le moins risqué et le plus apaisant, à coup sûr. Il n'avait pas eu envie d'un débat sur le fait que 'mais tu sais il faut le comprendre le pauvre petit hérisson', ce qui se serait sûrement passé si il était passé voir Isaac, Katya ou même Samaël.
Il n'est pas entièrement libéré de la pression sur sa poitrine. Soulagé, oui, mais pas soudainement dans un état de béatitude absolue. Ce n'était pas l'objectif. Il se sent moins seul, toutefois. Peut-être que le fait de savoir qu'il n'était pas le seul naïf un peu trop optimiste sur la nature humaine, en dépit d'une part de misanthropie qu’il avait toujours veillé à contrôler en relativisant. Sûrement que quelqu'un d'autre l'aurait traité de sale gamin innocent et déconnecté de la réalité, ou alors qu'on se serait contenté d'un sous-entendu, d'un regard qui en dit long ou qu'on l'aurait juste ignoré. Il s'en fiche bien, de ne pas être d'accord avec une majorité, alors il ne sait pas pourquoi le fait que quelqu'un soit du même avis que lui lui fait un bien pareil. Il a peut-être l'impression de ne plus être seul face à ses doutes, alors que c'était la sensation qui l'habitait depuis des mois et des mois maintenant, qu'il n'osait jamais énoncer de peur des réactions que cela engendrerait. Un peu comme quand, enfant, il se taisait constamment sur ses pensées, terrorisé par l'idée que cela ne provoque la colère de son paternel. Les vieilles et mauvaises habitudes ne partaient pas comme ça, visiblement.

Toutefois, l'humeur était dorénavant plus légère : la simple vue de l'adorable petit Lito suffit à lui redonner le sourire. L'adolescent ne pouvait décidément pas résister aux bouilles plus mignonnes que tout de ces pokémon, même malgré ses essais. Combien de fois avait-il fondu comme une grosse guimauve molle en gérant les œufs de ses pokémon ? Arceus, il s'était souvent comporté comme un gros niais gaga insupportable, presque pire que Faust ; les 'c'est qui mon bébé à moi ?' s'étaient multiplié, à une période. Et ne parlons pas du moment où il avait emmené des œufs dans son lit pour les tenir au chaud quand ses couveuses étaient en panne. Isaac l'avait même qualifié de 'père-poule' à cause de cela, et l'ironie de la chose n'est même pas à souligner.
L'impatience du Bulbizarre était compréhensible, et le temps qu'ils avaient pris n'était pas vraiment prévu à la base. Il hocha vivement de la tête et se permit un sourire discret avant de prendre dans sa main la ball de Tsubaki.

Comme d'ordinaire, à chaque fois qu'il laissait la Florizarre, il était toujours surpris par la taille et la force qu'elle avait accumulé. L'époque où elle n'était qu'une petite Bulbizarre adorable était bien loin, mais elle n'avait pas tant changé que cela au niveau du caractère. À peine avait-elle remarqué son fils qu'elle se précipitait déjà vers lui, faisant un peu remuer la terre sous son poids colossal, ses lianes sorties pour aller accueillir son second enfant dans une étreinte maternelle et chaleureuse, pleine d'affection.
Sans qu'il ne s'en rende compte, le sourire de l'adolescent avait disparu, remplacé par une expression neutre. Le nœud dans sa gorge était arrivé comme un coup de poing, et il serra les dents pour se retenir. Le malaise n'était que plus intense maintenant qu'il y pensait ; l'absence de sa mère pour le guider et le soutenir dans ses plus gros doutes se faisait toujours sentir quand il était le plus vulnérable.  Il garda le silence, toutefois, ne souhaitant pas alerter Adélia ou qui que ce soit d'autre sur ses pensées moins joyeuses, et se permit toutefois de parler, d'un ton étrangement calme, le regard lointain.

« Je suis sûre qu'elle sera fière de lui, quoi qu'il fasse, de toute façon. »

Peut-être qu'il essayait de se convaincre lui-même de la même chose. En ces temps-ci, il n'aurait peut-être eu besoin que du sourire de Miyu pour aller mieux.