Faire ses preuves

État du cerveau : gelée de fraises. État du corps : tremblant, paralysé, tétanisé par la peur et la crainte. Non, Natsume n'allait pas bien. Pas bien du tout même. Il avait l'impression qu'à force de prendre de la vitesse, son cœur allait finir par s'arrêter de battre brutalement, ou que ses poumons allaient lui faire un coup en traître d'une minute à l'autre. On avait beau lui dire qu'il n'allait pas mourir et qu'il s'agissait juste d'une petite trentaine de minutes, mais ça ne lui suffisait pas. Pour le lapin, ce n'était pas juste un simple exposé : c'était bel et bien un putain de passage de conférence dans une université où l'attention de centaines de personnes qu'il  n'avait jamais vu de sa vie (quoique il ne savait pas si cela aurait été vraiment mieux de les avoir connu au préalable en toute honnêteté) qui étaient pour la plupart bien plus âgés et expérimentés que lui. Pas juste un petit moment de parlotte quelconque une opportunité en or que lui avait servi Esther Kenway sur un plateau d'argent.
En tremblant, il tripotait ses feuilles de notes nerveusement, si bien que celles-ci étaient actuellement très froissées. Même les encouragements de madame Kenway et de ses proches, et certains étaient par ailleurs présents aujourd'hui, ne suffisaient pas à le calmer. Toutefois, voir Faust sortir un petit drapeau, où se trouvait au centre un lapin, pour le donner à Alice qui se mit à l'agiter frénétiquement l'avait fait glousser d'embarras et voir son petit-ami dans la salle lui avait arraché au moins un sourire. Bon bien évidemment, ces présences faisaient aussi grandir sa crainte de se ridiculiser en public, sans qu'il puisse faire quoique ce soit pour se calmer.
Néanmoins, il sentit alors une main se poser sur son épaule et il sursauta un peu, surpris. Aujourd'hui, il n'y en avait qu'une seule qui pouvait se tenir à ses côtés. Puisque Toruru avait été sa partenaire de recherches pendant tout ce temps, il paraissait juste naturel qu'elle soit la plus proche aujourd’hui. Pour faire défiler les diaporamas, Ishaku s'était proposé et se tiendrait donc à l'arrière. Mais maintenant, il fallait avancer. Utiliser le peu de courage qu'il avait pour agir et ne pas juste paniquer dans l'ombre. Il expira profondément avant d'avancer.

« B-bonjour... »

Et de un balbutiement, un ! Ça se trouve à la fin j'aurai le record du monde... se dit-il amèrement. Sa mauvaise foi et son pessimisme régnaient actuellement en maître dans son esprit mais ça ne changerait rien : il n'avait qu'à se jeter à l'eau et prier pour ne pas se noyer, bien qu'il doutait de ses capacités à réaliser pareil exploit. Faire comme si des centaines de regard n'étaient pas posés sur lui à cet instant était apparemment un peu plus dur qu'on aurait pu le croire.

« Merci tout d'abord du temps que vous m'accordez... »

Respirer. Respirer. Il se répète ce mot comme un mantra, et tente de se persuader du fait que tous ces regards portés sur lui ne vont pas le pousser à la combustion spontanée d'une minute à l'autre. Un regard échangé avec sa Chapignon et un sourire à la fois hésitant et timide le convainquirent toutefois de reprendre au moins un peu le contrôle de soi-même.  

« Je... Je m'intéresse plus particulièrement aux effets et à la composition chimique et moléculaire des poudres produites par les pokémon. En effet, en me renseignant, j'ai commencé à me demander si il serait possible que, en gardant au fait que la composition de la poudre produit par un pokémon dépend, en dehors de son ADN et de l'identité de son père, de ses conditions de vie. Mes conclusions premières m'indiquèrent que c'était le cas, comme dans le cas d'un Aéromite, par exemple... »

Il hocha de la tête en direction d'Ishaku qui appuya sur un des boutons du clavier de l'ordinateur qui se trouvait devant lui. L'écran derrière le lapin se couvrit de données en tous genres, de diagrammes, de pourcentages et de représentations de molécules regroupées dans des tableaux divisés en tant de cases que c'en était impressionnant.

« En variant l'alimentation de mon Aéromite, qui a par ailleurs participé de son plein gré, j'ai déjà pu constater des changements dans les effets de sa poudre toxik, par exemple, qu'elle diminue ou aggrave la toxicité du poison. Pas que ce soit énorme évidemment, mais le changement était tout de même à noter. Bien sûr, rien de cela n'est nouveau et nombre d'entre vous le savent déjà, mais ce détail m'a alors fait me poser d'autres questions. »

Il fit une légère pause, cherchant un mot qu'il avait pourtant en tête en japonais mais qu'il ne parvenait pas à trouver en français : il se sentit paniquer, mais la main de Toruru le rappela à l'ordre, et il se permit d'expirer.

« Ainsi, ces changements dans la composition des poudres sont notables, et ce qui m'intéresse ici est l'aspect chimique. Sur l'aspect et l'effet global, un léger changement n'est rien, mais nous savons tous que peu nous sépare, au niveau de l'ADN, des cochons ou des bananes, alors je considère qu'il faut tout de même le garder à l'esprit. »

Un trait d'humour simple pour détendre l'atmosphère, qui lui valut quelques gloussements mais sans plus. Au moins, il avait grâce à cela gagné un peu confiance en lui.

« Les mélanges de poudre à caractère nocifs sont sont fortement déconseillés, certes, mais étant donné que je n'ai jamais été doué pour écouter les conseils des autres, ma curiosité m'a poussé à demander combien de nouvelles espèces chimiques pourraient être crées en variant les conditions de vie des pokémon produisant les différents poisons. Tout mon exposé se base sur cela. Je pense qu'il sera possible, dans un futur proche, de créer des espèces chimiques qui pourront être composées en partie de ces poudres modifiées afin d'aider à la composition de médicaments et de vaccins. Mais je m'avance beaucoup pour quelqu'un qui ne sait que vaguement de quoi il parle. »

Il s'étonne de son calme. Plus aucun tremblement ne l'agite, et il parle d'une voix posée, maîtrisée et avant tout dénuée d'hésitation et de peur. Si il se voyait dans le miroir, il serait sûrement troublé et aurait reconnu un certain personnage de ses rêves (ou plutôt de ses cauchemars vu qu'à chaque fois il en prenait cher pour son grade), mais à l'heure actuelle, il n'y avait à ses yeux que ce qu'il était en train de présenter avec une ferveur inhabituelle, mais qui lui semblait pourtant toute naturelle, qui était important. Le sang-froid dont il fait preuve le surprend et lui fait plaisir tout à la fois, mais il n'accorde plus aucune importance à ce dont il a l'air maintenant qu'il est uniquement concentré sur ses explications.
Et les images défilent, les expositions aussi, les résultats d'expérience, l'énumération des changements notifiés, les calculs et autres équations chimiques qui lui avaient donné tant de migraines exposés si simplement qu'il était presque jaloux des autres de pouvoir les voir sans avoir travaillé des jours et des jours. Il remet deux ou trois fois ses lunettes en place, tout de même rendu nerveux malgré le fait qu'il gère la situation avec un professionnalisme étonnant pour son âge. Des coups d’œil de temps à autre vers ses proches lui permettent de garder la tête froide et de ne pas céder au reste de stress qui le rogne encore un peu de l'intérieur.

Les trente minutes vont si vite qu'il en est lui-même surpris. Un regard vers madame Kenway qui lui pointe du doigt sa montre avec un sourire amusé lui fait se dire qu'il doit vite conclure, et il se dépêcher de terminer ses explications en trois minutes tout au plus. Puis, finalement, Ishaku appuie une dernière fois sur le clavier et l'écran devient noir. Natsume sourit un peu, ravi de ce qu'il venait de faire et étrangement satisfait, chose qui ne lui arrivait presque jamais d'ordinaire.
Applaudissements. Pas une ovation, mais quelque chose que Natsume n'a jamais vécu et qui, par conséquent, le déstabilise au plus haut point. Ses joues s'échauffent et il baissa la tête, embarrassé et ne sachant plus où se mettre. Il s'inclina légèrement avant de s'éclipser rapidement vers les sièges après avoir rappelé ses pokémon dans leurs balls pour suivre le reste de la conférence, en essayant de ne pas mourir de gêne devant l'avalanche de compliments en provenance de Faust et d'Alice, en plus du pouce levé de madame Kenway. Voilà, maintenant il pouvait respirer. Et très honnêtement, il lui fallut de nombreuses minutes pour se calmer. Écouter des gens parler avait au moins eu le don de lui faire se concentrer, et lorsque la conférence fut terminée, il s'apprêta à partir et à fuir comme le lâche immonde qu'il pouvait être parfois. Il fit signe aux autres qu'il les rejoindrait plus tard et désirait juste aller parler quelques minutes avec sa bienfaitrice.

Elle était en train de parler avec quelques personnes de son âge qu'il avait entendu durant la conférence, et qui l'avaient pour la grande majorité assez impressionné ; il avait par ailleurs pris tellement de notes que c'en était ridicule. Le moindre détail avait été noté presque religieusement sur son carnet. Intimidé, il n'osa pas s'approcher et se dit qu'il les aurait juste dérangé. Malheureusement pour lui...

« Ah, Natsume ! Mais approche-toi, allons ! »

… Grillé. La main fermement accrochée à son épaule d'Esther l'empêchait de fuir. Il se retourna et fit de son mieux pour sourire, mais celui qu'il fit fut tellement bancal que c'en était comique.
Ne pas mourir. Ne pas se faire dessus. Ne pas faire une crise cardiaque et partir en courant.

« Je parlais justement de toi à mes collègues. Tu les as impressionné, vraiment.
- En effet, l'interrompit un homme dont le début de barbe grisonnante et les multiples rides sur son visage en disaient long sur son âge. Comme l'a dit Esther, c'était remarquable. Je suis sincèrement admiratif de la qualité de votre travail malgré votre jeunesse. Depuis combien de temps est-ce que vous travailliez sur cela... ?
- Ah, euh... »

Quatre paire d'yeux posées sur lui et ça y est, il n'arrivait plus à parler. Il déglutit nerveusement et répondit comme il le pu.

« Je... J'ai commencé à m'y intéresser en lisant des magazines, en fait. Puis des livres, et... Je crois que j'ai dû commencer à vraiment prendre des notes quand j'avais quatorze ans. »

La raison était simple : après la mort de sa mère, il avait eu besoin de se changer les idées, et se tuer au travail lui paraissait être une bonne alternative, d'autant plus que sa génitrice lui avait toujours dit qu'elle avait confiance en lui et ses capacités. Les yeux attentifs des autres n'aidèrent toutefois pas sa nervosité, et ne savant pas si il était supposé se taire ou si il devait continuer à parler.

« Je, euh... Enfin, tant mieux, si ça vous a plu.
- Vraiment, vous devriez considérer l'idée de rejoindre les rangs de l'université, un jour ou l'autre. Vous perdrez sûrement du temps, mais ce ne pourrait que vous être productif. Vous voir parmi mes élèves serait plaisant, au moins.
- Pardon, vous êtes... ?
- Ah, Ian Simoy. Professeur de biochimie, ou du moins je fais partie de la longue liste des enseignants se trouvant ici. Excusez-moi ma rudesse. Lorsque Esther avait proposé votre dossier pour le concours, je dois avouer que je n'étais pas convaincu, mais... Vous avez du charisme, il faut croire ! »

Natsume se serait étouffé avec sa propre salive avant de rire maniaquement si il n'était pas tétanisé par la peur. Non, ça c'était une belle blague vivante, même si il mentirait si il ne s'était pas senti étonnamment confiant en lui durant cette petite demie-heure. Mais toutefois, l'entendre parler du concours le fit tiquer, et il reconnut alors un des nombreux 'vieux chieurs' (les mots de madame Kenway, pas les siens) qui avaient 'préféré choisir l'un des élèves d'ici pour se faire de la publicité indirectement car ils étaient frustrés de s'être ratés durant toute leur carrière et n'avoir rien fait de plus intéressant que de compter des pets d'Ecremeuh' (et encore une fois, il ne s'agissait pas de ces mots). Il n'eut pas d'opinion sur ça, se disant que de toute façon, Esther (et dieu que la joueuse est agacée de remarquer qu'utiliser son prénom seul pour parler d'elle mettait mal à l'aise le lapin) exagérait sûrement beaucoup.

« Je... Je suppose. »

Ah, quelle belle arme que cette expression... Une  façon de dire 'je ne suis pas d'accord mais on va vous laisser le point parce que vous devez mieux savoir, ou alors je ne suis pas d'humeur à argumenter'.

« Trop humble, vraiment ! Ah, d'ailleurs, madame Gallagher avait une question, il me semble... ?
- Ah, effectivement. Je me demandais si, en prenant compte que la constitution moléculaire de la poudre paralysante d'un Charmillon... »

Au final, il resta dix minutes tout au plus, après quoi, en sortant, il eut l'impression d'avoir rêvé tout ce qui venait de se passer. Son regard, toutefois, ne quitta pas la carte que lui avait donné Esther discrètement alors qu'il partait, après qu'elle lui ait chuchoté de la rappeler dans quelques semaines. Si il avait été un peu plus intelligent, il aurait peut-être eu une idée de ce qui était passé par la tête de l'aînée lorsqu'elle lui avait donné ceci avec un sourire, mais pour l'instant, le temps était au repos, et non à la réflexion, bien qu'il y retournerait rapidement. Mais se gaver de glaces en se félicitant, pour une fois, de sa réussite, ne paraissait pas être un mauvais plan.